(Drashot de Rabbi Shnéour Zalman de Lyadi sur la Torah)
Analyse du premier Maamar du Torah Or. (Drashot de Rabbi Shnéour Zalman de Lyadi sur la Torah)
I.
Le premier Passouk du chapitre 66 du livre de Yéshayahou dit :
כה אמר ה’ השמים כסאי והארץ הדום רגלי, אי זה בית אשר תבנו לי ואי זה מקום מנוחתי.
‘Ainsi a parlé HaShem : les cieux sont Mon trône et la terre le marchepied de Mes jambes, quelle est la maison que vous pourriez Me bâtir, quel est le lieu qui pourrait Me servir de repos ?’
Il faut comprendre : comment peut-on dire Trône et marchepied par rapport à Hashem, mais Il n’a pas de corporalité et Il n’est pas dans la dimension du lieu, car, comme le disent Nos Maîtres, Il est le lieu du monde et le monde n’est pas Son lieu, comme on l’apprend du verset Shemot 33, verset 21 : הנה מקום איתי
« Voici un lieu avec Moi », voir Rashi.
Pour comprendre le sujet :
Premier élément : c’est l’homme qui fait la Torah, comme nous le voyons (Vayikra 20,8):
ושמרתם את חוקותי ועשיתם אותם, אתם כתיב, זאת אומרת אתם עושים את התורה
‘« Vous respecterez Mes décrets et vous les ferez », c’est vous qui faites la Torah.’ En effet le mot Otam, ‘eux’ (les décrets) est écrit défectif sans le ‘Holam qui est le signe du complément d’objet direct, il faut donc entendre une allusion à Atem, qui signifie le sujet « vous ». C’est qui faites la Torah.
Comment ?
Dans la Berakha qui a été rédigée par les Maîtres de la Grande Assemblée il est dit :
אבינו אב הרחמן המרחם רחם עלינו ותן בלבנו בינה להבין ולהשכיל לשמוע ללמד וללמד לשמור ולעשות ולקים את כל דברי תלמוד תורתך באהבה.
‘Notre Père, Père qui a pitié, aie pitié sur nous et donne dans notre cœur de la Bina, de la compréhension pour comprendre, et pour penser, pour écouter, pour apprendre et pour enseigner, pour respecter, pour faire et pour accomplir toutes les paroles de l’étude de Ta Torah avec amour’,
Nous nous interrogeons sur la rédaction de cette phrase. En effet il est écrit ‘faire’ avant ‘accomplir’, que signifie alors cette expression ‘faire’ ? Quelle nuance y a-t-il dans le faire qui précèderait l’accomplir ?
La réponse est que par cette demande expresse que Hashem ait pitié de nous et qu’Il nous donne dans notre cœur de la Bina, de la compréhension. C’est-à-dire que c’est par la dimension de רחמים עליונים, de pitié supérieure que vient la Bina, la compréhension et la méditation, התבוננות, dans le cœur, de manière à ce qu’il y ait en elle (dans cette Bina, dans cette compréhension) et par son biais, le faire, la fabrication, et la mise en existence de la Torah.
[Le Torah Or analyse la formulation du texte de la Berakha qui précède le Shema le matin. Nous demandons une infinie pitié à HaKadosh Baroukh Hou, et nous lui demandons de la compréhension. Ceci est un ‘Hidoush. Sans Tefila c’est comme si nous ne pouvions pas avoir de Bina, de compréhension. Et une fois qu’il y a cette possibilité de Bina, alors il est possible de manière inespérée que l’on puisse créer la Torah, faire la Torah comme le Torah Or l’exprime, et ensuite l’accomplir. Un des points centraux de son exposé est le ‘Hidoush que représente la possibilité d’une Bina, d’une compréhension (dans la Torah il s’entend, mais nous pourrions ajouter de manière générale aussi)]
Ces mots de la Berakha avant le Shema Israël introduisent la dimension du Shema. Cette dimension de pensée et de compréhension se trouve en allusion dans le mot Shema, שמע, avec un grand ע.
Comment ?
Shema signifie ‘écoute’, c’est un langage de compréhension, de Bina, et il faut découper le mot ainsi :
Shem grand Aïn. שם ע.
Le grand Aïn ע fait allusion au début du verset de Divré HaYamim premier livre chapitre 29, verset 11 :
לך ה’ הגדולה והגבורה והתפארת וכו’.
« A Toi HaShem la grandeur, la puissance, la splendeur etc.. »
Il y a deux parties dans ce verset :
Première partie « A Toi HaShem » et ensuite seulement « la grandeur, la puissance, la splendeur etc.. »
Le début, avant les sept Midot supérieures (grandeur, puissance etc..), est dans une annulation totale à HaShem, qui s’exprime justement par ces mots לך ה’, « A Toi HaShem ». C’est-à-dire qu’à ce niveau, avant le déploiement de dimensions palpables comme la grandeur, la puissance, à ce niveau les dimensions sont annulées dans leurs sources, elles ne sont pas dans le déploiement de manière à ce que l’on puisse les définir par des noms. C’est cela la dimension du grand Aïn du mot Shema. Et le déploiement (de la lumière supérieure) n’est à ce niveau que comme une trace, appelée Shem, Nom, un nom qui n’est qu’un reflet seulement. [le mot trace se dit רושם, Roshem, il y a dedans le mot Shem] En effet le rapport d’une chose à son nom est une sorte de reflet.
Cette dimension de reflet, de Shem, est la dimension, si nous pouvons nous exprimer ainsi, de la Royauté d’HaShem dans ce monde, comme il ressort de l’expression
ברוך שם כבוד מלכותו לעולם ועד
‘Est Baroukh, béni, le Nom de la gloire de Sa royauté pour toujours’
Nous voyons dans cette expression la dimension du Nom, car n’y est perceptible qu’une trace, qu’un reflet appelé nom, Shem.
[Ici est développée une grande thématique de notre Tradition. La seconde lettre du Tétragramme Kadosh est la lettre ה, Hé, qui représente la Bina. La quatrième lettre du Tétragramme Kadosh est la lettre ה, qui représente la Malkhout, la royauté. Pourquoi dans le Grand Nom Kadosh y a-t-il deux fois la même lettre ? Ici est analysé ce grand thème : comment y a-t-il un lien entre l’Infini, ou tout au moins la Lumière de l’Infini, et ce monde complexe et fini. L’articulation se trouve dans l’émergence de la Bina, qui est une annulation par rapport à HaKadosh Baroukh, Hou, qui est une Tefila où l’on souffre de ne rien comprendre, où l’on aimerait goûter de ce goût de Son infini. Cette trace de compréhension est comme le souffle d’un Hé, qui a comme conséquence que cette trace a une place dans ce monde et c’est la seconde occurrence de la lettre Hé dans le Nom Kadosh qui exprime la royauté d’HaShem dans Ses mondes.]
Le Torah Or va développer cette notion de Bina qui est essentielle car par elle va s’articuler le passage entre les mondes supérieurs et le monde de l’expression, de l’exprimé, qui est la réalité dans laquelle nous vivons.
Les ‘Hakhamim définissent la Bina comme étant la capacité de déduire une chose de l’intérieur d’une autre : להבין דבר מתוך דבר
‘de comprendre une chose du sein d’une chose’.
Le Torah Or va nous lire cette phrase classique d’une manière qui ne l’est pas.
Comprendre une chose de l’intérieur, il y a ici la notion de l’intériorité. De l’intérieur.
Il y a deux notions, סובב כל עלמין וממלא כל עלמין :
‘Qui entoure tous les mondes, et Qui emplit tous les mondes’.
[Attention. Ces notions sont névralgiques et sources de conflit. Voir le Néfèsh Ha’Haïm troisième Shaar, chapitre 4]
Reprenons l’expression de Nos Maîtres : ‘la définition de la Bina est de comprendre une chose de l’intérieur d’une chose, להבין דבר מתוך דבר’
La compréhension de cette phrase en général est de dire que la Bina est la capacité de déduire une chose d’une autre chose. C’est cette capacité qui permet de déduire des lois nouvelles à partir du corpus existant du Talmud et de ses commentaires classiques. Nous pouvons lire cette définition de manière plus serrée en disant que la Bina est la capacité d’atteindre le תוך דבר, Tokh Davar, ‘l’intérieur de la chose’, c’est-à-dire l’aspect de ce Qui emplit tous les mondes, qui est la dimension du Nom, une dimension d’un éclat, d’une luminescence à l’intérieur des mondes.
[ואתה מחיה את כולם, « Et Toi tu leur donnes de la vie à tous » (Né’hémia 9,6). La vitalité des mondes vient de l’émanation de l’infini d’Hashem. Pour notre Tradition la pensée est la source de la vitalité, comme dit le verset חכמת אדם תאיר פניו, « La science de l’homme illumine son visage » (Kohélet 9,1). Cette émanation se développe sous la forme d’une lumière, d’une luminescence. De la même manière qu’il y a la lumière du quatrième jour qui est la lumière des luminaires, lumière dévoilée, de la même manière y-a-il la lumière du première jour, appelée lumière cachée, la lumière intime de la connaissance qui vitalise toute chose, comme dit Rabbi Moshé Cordovero dans le Tomer Devorah. Fais ton enquête, ami lecteur, et scrute combien la pensée bouleverse les civilisations et l’histoire des individus et des peuples]
Mais il faut comprendre que cet éclairage n’est qu’un éclat car HaKadosh Baroukh Hou entoure tous les mondes et la pensée n’a aucune prise et n’est déterminé par aucune dimension. La suite du passage de la Torah relatif à Shema Israël nous dévoile le processus (de comment cet éclairage peut apparaître au sein de notre monde de limites.
En effet après qu’il soit dit שמע ישראל, « écoute Israël », qui a été expliqué plus haut comme « cherche à comprendre Israël », et que nous ayons dit la phrase instituée par les ‘Hakhamim ‘Est Baroukh, béni, le Nom de la gloire de Sa royauté pour toujours’, que nous aspirons à ce qu’il y ait la trace du Nom d’HaShem dans Sa création, alors nous disons :
ואהבת את ה’ אלקך
« Tu aimeras l’Eternel ton D. ». Comment aborder ce verset ?
Prenons-le dans le sens du verset de Téhilim 73,25 :
מי לי בשמים ועמך לא חפצתי בארץ.
« Qui est pour moi dans les cieux ? Que d’être avec Toi, je n’ai aucun désir sur terre ».
Ce verset exprime le désir ardent, vibrant, de n’être proche que d’HaShem. Que ce ne soit qu’ HaShem qui soit son D. . « Tu aimeras », c’est-à-dire de palpiter, de désirer ardemment comme une personne folle d’amour qu’HaShem soit ton D., c’est-à-dire qu’il s’efface pour que la lumière d’HaShem se dévoile par soi, que son être, son Néfèsh, ne soit que le réceptacle de la lumière de la lumière infinie d’HaShem. Par le biais de la suite du verset : בכל לבבך ובכל נפשך, « avec tout ton cœur, avec toute ton âme », c’est-à-dire qu’il palpite avec tout son cœur de s’approcher d’HaShem et que son âme, son Néfèsh, soit le réceptacle d’un dévoilement de l’Infini d’HaShem dans son Néfèsh et au sein de son Néfèsh.
Ceci implique la suite du verset :
והיו הדברים האלה אשר מצוך היום על לבבך וכו’ ודברת בם.
« Et alors seront ces paroles-là, que Je t’ordonne aujourd’hui, sur ton cœur, (…) et tu en parleras (…) ».
Et à ce moment où tu t’annihiles par amour infini, par désir que se dévoile la lumière d’HaShem dans notre cœur, alors les paroles de la Torah qui vient d’un monde infiniment au-dessus de ce monde s’invitent en toi, dans ton cœur, et dans ton âme. C’est ce que les Maîtres de la ‘Hassidout appellent רוח אייתי רוח , ‘un souffle amène un souffle’, c’est-à-dire que son souffle, son Néfèsh qui s’annihile par désir infini de recevoir de la compréhension de la Torah qui vient d’au-dessus du monde, reçoit un souffle de cette Torah qui vient d’HaShem et par cela il peut parler de Torah.
Parler en hébreu se dit Dabèr, דבר, comme on le voit dans le verset « et tu en parleras (dans ces paroles de Torah) ». Dabèr signifie aussi diriger, c’est-à-dire qu’à ce moment tu deviens créateur en Torah, tu diriges la Torah.
C’est sur point que nous avions commencé l’étude présente, en mettant en relief le fait que la Torah attend que l’homme fasse la Torah comme dit le verset : « Vous respecterez Mes décrets et vous les ferez », ‘c’est vous qui faites la Torah’.
Aves ces préliminaires nous pouvons aborder le verset en titre de cette étude
« Les cieux sont Mon trône »
La compréhension habituelle de ce verset est que les cieux qui sont presque infinis sont la résidence de l’Eternel et que ce trône se trouve dans les hauteurs des hauteurs.
Le Torah Or propose une nouvelle lecture.
Les cieux, c’est-à-dire la Torah. En effet les cieux se dit שמים, Shamaïm en hébreu. Nos Maîtres font un jeu de mots au sujet de ce mot en disant que les cieux, Shamaïm, ce sont la contraction des mots Esh, le feu, et Maïm, l’eau. La Torah est l’union, inconcevable dans la réalité prosaïque de ce monde, de deux contraires, l’eau et le feu. Et bien cette union inconcevable de l’eau et du feu vient et trouve son expression dans une réalité qui est le trône d’HaShem ici dans ce monde. Le trône du roi c’est un siège par lequel le roi, au lieu d’être debout, s’abaisse et s’assoit. De même la Torah fait se révéler des dimensions inconcevables dans des réalités prosaïques de ce monde, comme des Téfilin, des Tsitsits, de l’argent de Tsedaka, la Terouma, le Maasser, les Korbanot etc…
Cet exposé innove en proposant une démarche pour expliquer comment peut-on exprimer, sans limiter l’infini d’HaKadosh Barou’h Hou, qu’Il emplisse tous les mondes. La résolution de cette question vient d’une réflexion sur l’émergence en nous de ce que nous pourrions appeler la compréhension, la Bina. Cette question fondamentale trouve un écho fort à notre époque où la technologie œuvre pour rendre la machine intelligente. L’ironie est même que ce que l’on appelle Intelligence Artificielle est appelée Bina Mélakhoutit en hébreu ce qui signifie compréhension artificielle. Or le Torah Or nous enseigne qu’il peut y avoir intelligence, c’est-à-dire une rapidité de relier des informations avec d’autres informations, une facilité à connecter des éléments avec d’autres, mais la difficulté fondamentale est d’accéder à une compréhension, c’est-à-dire à déduire une chose d’une chose, d’intérioriser les données et d’innover. Là réside le cœur de notre Tefila comme elle a été rédigée par les Maîtres de la Grande Assemblée : ‘aie pitié sur nous et donne dans notre cœur de la Bina, de la compréhension pour comprendre (…)’. L’intelligence est, si nous pouvons nous exprimer ainsi, mécanique. La compréhension n’est pas de l’ordre de la nature, n’est pas de l’ordre de la normalité. Pour ce faire il faut saisir le sous-entendu, l’intérieur de la chose, ce qui anime la chose, c’est une connexion avec ce qui donne vie à l’intérieur des choses, qui est appelé העולמים חי, ‘Le vivant des mondes’. Là s’articule le passage entre ce que nos Maîtres appellent qu’HaShem entourent les mondes et ce que nos Maîtres appellent qu’Il emplit les mondes, c’est-à-dire qu’il y a un éclat d’infini dans les réalités inférieures, et c’est cet éclat qui donne vitalité aux mondes.
Cette démarche rend compte de manière précise de ce que représentent les deux Hé, ה’, du Tétragramme Kadosh. Le Hé est un souffle impalpable, non saisissable. Lorsqu’apparait cet impalpable de Bina, de compréhension fugace, alors on peut percevoir le Hé inférieur, le Hé qui représente qu’HaShem est roi, la dimension de royauté. C’est-à-dire que l’on peut percevoir qu’il y a une réalité au-dessus de nous.
Dans notre Tradition nous disons ה’ מלך ה’ מלך ה’ ימלוך לעולם ועד, ‘D. est roi, D. a régné, D. règnera à tout jamais’. On ne dit pas que D. règne, on dit qu’il est roi. Cela signifie qu’Il ne prend pas le pouvoir, Il est roi, c’est la perception que nous avons qu’Il est au-dessus de nous qui fait qu’Il est roi. Lorsqu’émerge un éclairage de compréhension, tout de suite nous percevons que dans la réalité prosaïque de notre vie il y a une perception d’une royauté, peut-être une appréhension de royauté, appelée מוראה של מלכות, Moraa Shèl Malkhout. C’est l’explication que donne le Torah Or au verset : « les cieux sont Mon trône ».
Les cieux représentent la Torah. Le mot Shamaïm, comme nous l’avons dit plus haut est la combinaison de Esh et Maïm, du feu et de l’eau. Le feu et l’eau sont des réalités antagoniques. Lorsque nous étudions la Torah nous sommes toujours confrontés à des contradictions, des questions. Il n’y a aucune théorie. De même cet intellect subtil est étudié par quelqu’un de simple, qui a des parents, une femme, des enfants et qui doit pourvoir à leur besoin. Cela aussi est une contradiction fondamentale. C’est du sein de ces contradictions que se met en place le trône d’HaShem, par cette quête, cette supplique qu’HaShem nous donne accès à un éclat de compréhension, de synthèse.
Et alors l’homme fait la Torah, il donne corps ici sur terre à cette dimension de Shamaïm. C’est ce que nos Maîtres appellent : מאן מלכי רבנן, ‘qui sont les rois ? ce sont les talmudistes’, car par eux s’exprime dans notre monde un éclat de l’infini de la pensée infinie appelée אור אין סוף, Or Ein Sof.
[Il nous semble pertinent de rapporter ici les mots de Rambam dans la Peti’ha de son Moré Nevokhim lorsqu’il parle des secrets de la Torah (pages 6 et 7 de l’édition de Rabbi Yossef Kapa’h, nous en donnons notre traduction) :
‘Nos Maîtres ont mentionné (‘Haguiga 13a) : on n’enseigne pas l’œuvre de la Merkava, l’œuvre du Char Céleste, même à une seule personne à moins qu’elle soit ‘Hakham et qu’elle comprenne d’elle-même, alors on lui livre des têtes de chapitres. C’est pourquoi n’attends de moi que des têtes de chapitres. Et même ces têtes de chapitre ne seront pas exposées dans ce livre (le Moré Nevokhim) de manière structurée, ni selon un exposé suivi, mais seront éparpillées et mélangées dans d’autres sujets qu’il me semble nécessaire d’expliquer. En effet mon but est que ces sujets qui touchent les points subtils de vérité soient comme des étincelles qui brillent un instant et ensuite disparaissent, pour suivre en cela l’intention divine. En effet il est invraisemblable d’aller contre la volonté divine qui est que les notions de vérité qui touchent Sa connaissance échappent à la foule des gens, comme dit le verset (Téhilim 25,14) « le secret de D. est pour ceux qui Le craignent ».’
Un peu plus loin dans ce même passage Rambam ajoute :
‘Ne t’imagine pas que ces grands secrets sont intégrés véritablement quant à leurs fonds à une quelconque personne, il n’en est rien. Parfois cette vérité scintille et nous nous percevons alors comme si nous étions en pleine journée, et aussitôt notre matérialité et nos habitudes la fait disparaitre et nous nous percevons dans l’obscurité, bouchés, presqu’au même niveau que nous étions auparavant. Nous ressemblons à quelqu’un qui se trouve dans la nuit et que soudain il soit ébloui par un éclair, une fois et après une autre fois, mais il se trouve encore dans une nuit profonde. Il est possible qu’il y ait quelqu’un pour qui ces éclairs se succèdent et que cela ressemble à une lumière continue et que cette nuit ressemble à la lumière du jour. Ceci est le niveau du plus grand des Neviim, des prophètes, au sujet duquel le verset dit (Devarim 5,28) « et toi reste avec Moi », et aussi (Shemot 34,29) « Car rayonnait son visage quand Il parlait avec lui ». Pour d’autres cet éclair rayonne une fois chaque nuit. A leur sujet le verset dit (Bamidbar 11,25) « Ils prophétisèrent et ne s’arrêtèrent pas ». D’autres un temps certain, court ou long, se passe entre chaque éblouissement. Certains n’arrivent pas à ce niveau qu’un éclair éblouisse leur obscurité, mais cette lumière leur apparait sous une forme ressemblante à un corps phosphorescent qui illumine dans la nuit. Mais même cette lumière subtile et évanescente ne brille pas de manière constante mais scintille et disparait, comme s’il s’agissait de « la flamme de l’épée tournoyante » (Béréshit 3,24). Ce sont dans ces termes que se distinguent les différents niveaux des êtres d’exceptions.’
II.
Nous avons expliqué dans la première partie de cette étude le début du premier verset du chapitre 66 du livre de Yéshayahou, abordons maintenant la suite de ce verset :
והארץ הדום רגלי, « et la terre le marchepied de Mes jambes ».
Le terme הדום, Hadom, dans ce verset signifie ce que l’on appelle שרפרף, Sharfraf, dans la Guemara de Sanhédrin 38b, c’est-à-dire un petit siège que l’on met sous les pieds de la personne assise pour les surélever d’au-dessus du sol.
Le sujet est le suivant. L’Assemblée d’Israël, Knsset Israël, est appelée ‘jambe’, ‘pied’, Réguèl. En effet le verset dit que les enfants d’Israël sont appelés les ‘enfants d’HaShem’ comme dit le verset (Devarim 14,1) בנים אתם לה’ אלקיכם, « Enfants vous êtes pour HaShem votre D. ». Or nos Maîtres disent que le fils est comme la jambe (ou le pied) du père, ברא כרעא דאבוה, Bra Karah DéAvou. Prenons une parabole. Il y a un niveau supérieur au pieds par rapport à la tête en cela que les pieds font avancer et porte la tête. Les pieds amènent la tête là où elle le veut. Il se trouve donc que la tête a besoin des pieds. Nous voyons aussi que la vitalité de la tête dépend des pieds, et que par des méridiens d’énergie la tête peut se soigner par les pieds. De cette manière nous pouvons appeler les pieds tête et la tête pied car elle se trouve à un niveau moindre que les pieds sous cet aspect des choses.
Grace à cette parabole nous pouvons aborder deux notions profondes, celle deבסופן נעוץ תחילתן, ‘d’union du début dans la fin’ et les notions de אור ישר ואור חוזר, de ‘lumière directe et de lumière retour’.
En d’autres termes, nous pouvons voir les choses de plusieurs manières. Ce qui vient d’en haut est supérieur, mais lorsque nous regardons les choses du bas vers le haut, ce qui vient du bas est premier par rapport à ce qui est en haut et en est la tête.
[Essayons de décrypter ce qui parait en première lecture comme du jargon. Le Torah Or veut rendre compte de l’expression du verset de Yéshayahou הדום רגלי, « le marchepied de Mes jambes ». Les enfants d’Israël sont appelés « enfants d’HaShem ». Or nous voyons que nos Maîtres qualifient les enfants comme étant ‘les jambes du père’. Les jambes, contrairement à la tête, permettent d’avancer, elles supportent le corps et la tête et leurs donnent une avancée. Ici il y a un regard innovant sur ce que sont les enfants. Les enfants sont-ils une continuité ? Une rupture ? Autre chose que les parents ? Chaque parent et chaque enfant se pose ces questions. Notre tradition appelle ce phénomène אור חוזר, ‘lumière retour’. C’est ce que l’on peut appeler feedback. L’effet feedback est l’analyse des distorsions qu’il y a entre l’émetteur d’un message par exemple et la manière dont il fait son chemin dans la réalité complexe et changeante du réel. Le délire du dictateur est qu’il n’y ait pas d’effet feedback, que le message soit le réel lui-même, quitte à casser ce réel, et le façonner à son image. Le peuple d’Israël est appelé « enfants d’HaShem », c’est-à-dire qu’on ne sait pas qui est D., mais Ses enfants concrétisent par un effet feedback l’origine de ‘la lumière directe’, mais par des distorsions et des méandres qui font avancer dans la création cette lumière originelle. C’est en cela que les enfants d’Israël sont appelés « jambes » ou « pieds » en cela qu’ils sont l’expression active dans la réalité insaisissable du monde de l’univers impalpable de leur origine.]
Après avoir expliqué en quoi l’enfant est appelé la jambe du père, le Torah Or va expliquer en quoi Israël peut être appelé le marchepied, c’est-à-dire qu’Israël élève les pieds, surélève les pieds. C’est-à-dire qu’il va expliquer en quoi Israël, appelé « enfants d’HaShem » donne un plus, si nous pouvons nous exprimer ainsi, aux lumières supérieures.
Israël est appelé ראשית, Réshit, ‘début’, ‘tête’, comme dit le verset (Devarim 33,21) וירא ראשית לו, « Il vit ce qui est le début pour Lui », c’est-à-dire Israël qui est comme une tête, ראש, pour Lui.
Expliquons. Par le biais de l’éveil d’en bas se fait en haut un Tikoun dans les lumières supérieures. Prenons un exemple. Lorsque les enfants d’Israël fautèrent lors du Veau d’Or, le verset dit au sujet de Moshé (Shemot 32,7) לך רד כי שחת עמך, « va, descends, car ton peuple a fauté ». Rashi explique : ‘Descends de ta grandeur, Je ne t’ai donné de la grandeur que de leur fait (or maintenant ils ont fauté)’. En effet les enfants d’Israël sont comme les jambes de leur maître Moshé, comme dit le verset (Bamidbar 11,21) ויאמר משה שש מאות אלף רגלי העם אשר אנכי בקרבו ואתה אמרת בשר אתן להם ואכלו חודש ימים, « Moshé dit : six-cent mille fantassins (pieds) le peuple au sein duquel je me trouve et Tu me dis que je leur donne de la viande et qu’ils en mangent un mois entier ! ».
Que signifie le terme רגלי, Ragli, que nous avons traduit dans un premier temps par ‘fantassins’ ? Rabbi Naftali Tsvi Yéhouda Berin explique dans le HaEmèk Davar que le fait que les enfants d’Israël avançaient à pied, Réguèl, dans le désert, était un facteur aggravant de la situation car marcher donne particulièrement faim, et qu’ils auront beaucoup besoin de viande. Mais le Torah Or donne une lecture serrée du terme en cela que les enfants d’Israël sont la jambe, Réguèl, de Moshé Rabbénou, comme il a été expliqué plus haut.
Nous voyons d’ici que lorsqu’Israël a fauté, leur Maître, dont vient leur éclairage, perd son éclat et son rayonnement.
A contrario, lorsqu’Israël améliore ses actes, par des actions dans l’univers du concret matériel, par des Mistvot de la Torah qui se font dans la matérialité du monde, qui sont du mode que nous appelons ici ‘jambe’, Réguèl, alors la pensée du cerveau et du cœur s’élève et se purifie mille fois. Et nous pouvons maintenant relire le verset de Yéshayahou :
par les actions de Mitsvot concrétisées par des actes matériels, actes que nous pouvons appeler ארץ , Erets, la terre, c’est-à-dire la matérialité elle-même, devient le lieu de l’élévation des pieds, si nous pouvons nous exprimer ainsi, du Très-Haut.
Expliquons. Pour ce faire, rapportons la Mishna de Pirké Avot (chapitre 3, Mishna 10) :
הוא היה אומר כל שמעשיו מרובין מחכמתו חכמתו מתקיימת, וכל שחכמתו מרובה ממעשיו אין חכמתו מתקיימת.
‘Il disait (Rabbi ‘Hanina ben Dossa) : toute personne dont les actes sont plus nombreux que sa ‘Hokhma, que sa science, alors sa science a un maintien, par contre toute personne dont la ‘Hokhma, la science, est plus importante que ses actes, alors sa science n’a pas de maintien’.
Toujours nous nous sommes demandés que nous enseigne ici Rabbi ‘Hanina ben Dossa, quel est le lien entre la connaissance et les actes, et de quels actes s’agit-il ? Le Torah Or nous éveille qu’il y a un lien indéfectible entre la pensée, l’émotion, et les actes. Mais le liant entre toutes ces dimensions est la Torah et les Mistvot de la Torah. En effet comment lier la pensée et les actes qui sont dans la matérialité du monde ? Là se trouve le nœud d’un problème fondamental de l’humanité et de l’histoire de l’humanité. Et là se trouve la dimension spécifique de la Torah.
Les commentaires classiques (en particulier Rabbi David Kim’hi dans son Sefer HaShorashim) prouvent que la racine du mot Torah, תורה, est Yaro, ירה, qui signifie ‘jeter’, comme nous le voyons dans le verset (Shemot 15,4) ירה בים, Yara BaYam, « Il a jeté dans la mer ».
La Torah est le mode d’expression, de passage, de l’infini vers l’exprimé. C’est pourquoi lorsque l’on étudie la Torah on prononce à voix haute notre étude, comme nous l’enseigne la Guemara du Traité Eirouvin 54a :
א »ל שמואל לרב יהודה שיננא פתח פומיך קרי פתח פומיך תני כי היכי דתתקיים ביך ותוריך חיי שנאמר כי חיים הם למצאיהם ולכל בשרו מרפא אל תקרי למצאיהם אלא למוציאיהם בפה.
‘Shemouel dit à son élève Rav Yéhouda : mon ami, ouvre ta bouche lorsque tu lis des versets ! ouvre ta bouche lorsque tu lis des Mishnaïot, pour que la Torah vive en toi et que tes jours s’allongent, comme dit le verset (Mishlé 4,22) « Car Mes paroles sont de la vie pour ceux qui les trouvent ». ‘Les trouver’ se dit Motséhem en hébreu, ce mot est proche du mot Motsihéhem, qui signifie ‘les sortir’. Mes paroles (c’est-à-dire la Torah) sont de la vie pour ceux qui les sortent de leurs bouches.’
Analyse de cet enseignement du Traité Eirouvin 54a. Nous trouvons plusieurs points fondamentaux dans cette Guemara.
Premièrement la Torah est appelée « Mes paroles », c’est-à-dire quelque chose d’exprimé. Deuxièmement, le verset dit « pour ceux qui les trouvent (les paroles de Torah). C’est un langage qui fait référence à quelqu’un qui trouve quelque chose par hasard. Et nos Maîtres font glisser le mot vers « pour ceux qui les sortent par leurs bouches ». Ce jeu de mots de nos Maîtres est hautement significatif. En effet lorsque l’on parle il y a une créativité due à l’expression, les idées viennent et fleurissent, et c’est là que commence la dimension spécifique de la Torah, dans cette trouvaille qui se fait par l’expression de la parole. C’est dans cet aléatoire de la parole que se trouve dans l’exprimé la dimension infinie spécifique de la Torah, et vivante, car la mort c’est la finitude et la vie l’infini.
Nous comprenons maintenant que le mot Torah vient de la racine Yaro qui signifie ‘jeter’ car la Torah est un jet, un mouvement de pensée dans la finitude de la réalité que nous vivons. Et c’est justement dans cette expression dans le réel que la Torah et ensuite les actes de Mitsva qui en découlent vont élever les pieds de la lumière infinie, d’où l’expression du verset :
« Ma terre (c’est-à-dire l’expression par la parole ou par des actions dans la matérialité) est Son marchepied (c’est-à-dire élève Ses pieds) ».
Il y a des incidences halakhiques à ces points. Nos Maîtres nous enseignent qu’avant d’étudier de la Torah il y a une obligation de faire une Berakha qui s’appelle Birkat HaTorah, une bénédiction sur l’étude de la Torah. Rabbi Yossef Caro dans le Shoul’han Aroukh (Ora’h ‘Haim chapitre 47,§1) tranche que la personne qui réfléchit à des paroles de Torah n’a pas l’obligation de faire cette bénédiction. L’obligation ne s’applique que si cette personne parle de paroles de Torah, sort des paroles de Torah de sa bouche.
De la même manière que le fait de parler de Torah élève, si nous pouvons nous exprimer ainsi, la Torah et lui donne une dynamique, de la même manière, et encore plus, les actes de Mitsvot et de ‘Héssed, de générosité, de Tsedaka, élèvent la pensée et la magnifient. On rapporte (dans le livre Agan Hassaar sur Rav Avrohom Gheni’hovski) que quelqu’un demanda à Rav Avrohom Yéshayahou Karlitz, le ‘Hazon Ish, pourquoi lui qui est investi corps et âme dans l’étude de la Torah, perd-il tellement de temps à s’occuper de marier les uns et les autres, à s’occuper de pauvres et les recevoir chez lui, ce qui lui prend énormément de temps et d’énergie ? Il répondit : la Torah est extrêmement subtile, c’est l’intellect divin. Et nous, nous sommes des êtres grossiers. Si nous n’affinons pas notre être et notre pensée par des actes de Mitsva et de ‘Hessed, de générosité, il nous est impossible d’avoir une approche quelconque de la Torah.
Il y a dans notre réalité trois dimensions : מחשבה, דיבור ומעשה , la pensée, la parole et l’acte. L’acte, sous un certain aspect est supérieur aux deux premières dimensions en cela qu’il crée une dynamique et une créativité, lorsque cet acte reçoit son impulse des deux premières dimensions, encore plus grande que ces dimensions qui l’ont généré.
Cette créativité de l’acte est tellement grande et touche à un infini véritable en cela que nous sommes complètement démunis sur comment nos actes vont-ils se concrétiser. Le verset de Mishlé 16,1 définit bien ce désarroi :
לאדם מערכי לב ומה’ מענה לשון
« Il est dans la capacité de l’homme d’organiser son cœur, mais comment les choses vont s’exprimer ne dépendent que de D. »
Si l’homme se perd dans une certaine mesure dans l’action, dans l’investissement dans les Mitsvot, le ‘Hessed, et la Tsedaka, c’est justement dans cette perte qu’il peut tisser une relation la plus intime possible appelée Debékout, דבקות, avec son Créateur. Le roi David représente cette dimension. Il est roi mais sa vocation est que se révèle par lui que c’est HaShem qui est Roi.
Nous pouvons ici faire un récapitulatif de ce que nous avons étudié dans ces deux parties du Torah Or.
Nous avons étudié dans la première partie de cette étude que peut apparaître dans notre vie une dimension de Bina, de compréhension, que si nous défaillons de ne pas comprendre et que nous supplions que nous puissions comprendre un quelque chose des paroles de la Torah. C’est par cette Tefila que l’ouverture de pensée peut émerger dans notre vie. Nous pouvons appeler cette Bina la seconde lettre du Tétragramme, le Hé.
Mais pour que cette pensée que nous recevons puisse impulser une dynamique dans la réalité du monde dans lequel nous vivons, il faut là-aussi que nous percevions l’incapacité absolue que nous avons de pouvoir le faire, et que nous nous percevions comme le roi David qui dit (Téhilim 109,4) :
ואני תפילה
« Et je suis Tefila »
J’ai tout préparé dans mon cœur, je suis entièrement dans Ta Torah. Par une étude intense et un Pilpoul fourni nous avons défini avec précision quel acte il fallait que je fasse, ce que l’on appelle Halakha, mais comment vais-je concrétiser cela dans mes actes, dans lesquels se mêlent des dimensions d’une complexité incroyable, actes qui sont dans la réalité du monde dans lesquels il est très facile de fauter et de ne pas concrétiser חס ושלום Ta volonté. Le septième jour de Soukkot qui correspond à la personnalité du roi David est appelé Hoshana Rabba, car ce jour-là nous faisons des Tefilot et des Tefilot : donne-nous de pouvoir concrétiser par nos actes Ta volonté ! Ceci représente la quatrième lettre du Tétragramme, le Hé, ה , qui représente le souffle de la royauté d’HaShem dans ce monde, comme dit le verset (Béréshit 1,2) :
ורוח אלקים מרחפת על פני המים
« Et le souffle d’HaShem plane sur la face des eaux », ce que nos Maîtres traduisent dans Béréshit Rabba : ‘c’est le souffle du Mashia’h’.
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(1) Dans la version de la Tefila ashkénaze il n’est pas écrit le mot Bina, mais seulement ‘donne dans notre cœur de comprendre, et de penser (…)’.
Complément : ce que représente pour nous le Beth HaMikdash.
(2) La vie quotidienne juive est constamment mobilisée sur la reconstruction de Jérusalem et de son Temple, le Beth HaMikdash. Nous mangeons ne serait-ce que trois biscuits et déjà nos Maîtres nous ont institué de prier pour la reconstruction de Jérusalem et de son Temple :
רחם על הר ציון משכן כבודך ועל מזבחך ועל היכלך
‘Aies pitié de la montagne de Tsion la résidence de Ta gloire, de Ton autel et de Ton sanctuaire (…)’.
Et, de plus, tant que le Temple n’est pas reconstruit nous devons appliquer un deuil puissant entre le jeûne du dix-sept Tamouz et le jeûne du neuf Av. Mais en quoi tout cela nous concerne-t-il ? Nous vivons bien, dans l’abondance, la liberté de culte, nous avons des écoles juives, des lieux d’étude de Torah, des restaurants cashers à profusion, des séjours de Pessah de rêve ! What else ?
Un passage du Traité Erouvin 53a peut nous apporter quelques éléments pour aborder notre question :
אמר רבי יוחנן לבן של ראשונים כפתחן של אולם ושל אחרונים כפתחו של היכל ואנו כמלא נקב מחט סידקית.
‘Rabbi Yo’hanan dit : le cœur des Maîtres d’autrefois était ouvert comme la porte du Oulam (la salle qui était devant le Kodesh dans le Temple, ouverture de vingt coudées, douze mètres environ), le cœur des Maîtres récents était ouvert comme la porte du Eikhal (le Kodesh, ouverture de dix coudées, environ six mètres), et nous, notre cœur est ouvert comme le chas d’une petite aiguille.’
Que veut dire Rabbi Yo’hanan en comparant notre cœur aux mensurations des portes intérieures du Temple de Jérusalem ?
Rashi explique que le cœur correspond à notre capacité de réfléchir, et c’est justement le sujet. Rabbi Yo’hanan dit que les Maîtres d’autrefois savaient méditer sur les enseignements de la Torah et en tirer des lois nouvelles. En effet, chaque génération nous met en présence de problématiques nouvelles que nous ne pouvions pas imaginer auparavant. Mais comment aborder ces questions ? Les grands Maîtres de Torah doivent approfondir et arriver à isoler des réflexions profondes à partir des enseignements passés pour pouvoir résoudre les problèmes d’aujourd’hui. Prenons un exemple. Lorsque l’électricité a été découverte au dix-neuvième siècle, il a fallu que les grands ‘Hakhamim méditent sur toute la Torah entière pour pouvoir statuer et décider si allumer l’électricité Shabbat correspond à un interdit de la Torah et lequel, ou bien serait-ce un interdit rabbinique. Cette capacité de réflexion et de méditation à partir de la connaissance de la Torah s’appelle ‘le cœur’. Mais pourquoi la comparer aux ouvertures des portes intérieures du temple de Jérusalem ?
Il nous semble expliquer de la manière suivante : Nous apprenons, nous accumulons des connaissances. Mais arriver à réfléchir et à isoler les problématiques qui sous-tendent les millions de détails qui constituent le corps de l’enseignement de la Torah nécessite un investissement intérieur, et une connexion avec Celui qui nous a donné la Torah.
La Torah est la Science de D. . Comment nous, petits êtres humains, pouvons-nous arriver à synthétiser ne serait-ce qu’un tout petit peu de cette science ? Un moment le Talmid ‘Hakham craque : je ne comprends pas ! et alors il prie, et se connecte au Créateur : ouvre-moi le cœur ! Fasse que Tes paroles puissent entrer à l’intérieur de moi !
Là se construit et se trouve le Temple de Jérusalem : cette connexion subtile entre le Créateur et Sa créature à travers l’intériorité.
Nous sommes dans un monde d’extériorité, comme on dit aujourd’hui : on trouve tout sur internet. Tout est à l’extérieur de soi.
Rashi dans son commentaire sur le Traité Soukka 41a (דה »מ אי נמי) prouve que le troisième Temple sera construit entièrement du Ciel.
En effet on apprend des versets que l’on ne construit pas le Temple la nuit. Et du contexte de la Guemara dans Soukka il ressort qu’il est envisageable que le troisième Temple soit construit le soir. Comment est-ce possible ?
Rashi répond : ‘Le Temple que nous attendons ardemment se dévoilera complètement construit et viendra du Ciel, comme dit le verset « Le Temple de D., Tes mains ont construit ».’
Il nous semble devoir expliquer qu’il ne faut pas aborder cet enseignement comme des effets spéciaux fantasmagoriques. Le Troisième Temple n’est pas une construction du monde, c’est une construction d’une dimension complètement différente de toutes les constructions que nous connaissons. En général l’homme recherche à construire un pouvoir, une assise dans la société. Le Troisième Temple est La construction dans l’intériorité. Nous, simples humains, lorsque nous étudions la Torah de manière approfondie, nous donnons à Hashem la possibilité qu’Il ouvre notre cœur, et à notre dimension simple nous donnons la possibilité que se construise le Temple de Jérusalem véritablement.
(3) Souvent on n’aborde notre Tradition qu’avec des grilles de lectures occidentales. Ceci est une grave erreur. La terre d’Israël est au croisement de l’orient et de l’occident. Nous voyons ici un abord du corps typiquement oriental. De la même manière que des connaissances dans les sciences occidentales permettent de mieux mettre en situation les paroles de nos Maîtres, de la même manière des connaissances dans les disciplines spirituelles orientales permettent d’enrichir notre abord des paroles des ‘Hakhamiim.
(4) Il nous semble pertinent de relever l’importance que nos Maîtres de la Tradition donnent aux processus cognitifs. Certes nous n’entrons pas ici dans l’approfondissement énorme dans lequel sont entrées les sciences cognitives actuelles, mais nous sommes émus de voir combien l’analyse des méandres et circonvolutions des acquisitions mentales est au centre des réflexions les plus fondamentales.
(5) Complément. L’homme et l’acte. Introduction à la fête de Hoshana Rabba. Sur la base du Sod Yésharim de Rabbi Guershon Heinikh de Radzyn.
Le Rabbi de Radzyn dans le Sod Yésharim sur Hoshana Rabba §3 fait en quelques lignes une synthèse sublime sur les fêtes de Tishri et la fête de Hoshana Rabba en particulier. Nous en rapportons ici notre traduction agrémentée de quelques remarques et notes. Ce passage, comme tous les textes de ‘Hassidout, utilise une terminologie qui nous est difficile d’accès. Nous essaierons dans la suite de décrypter ces paroles qui nous paraissent fondatrices.
‘ « Et Moi jour jour ils me recherchent (Yishayahou 58)» Le Talmud de Jérusalem explique que ce verset fait allusion au jour de soufflerie du Shofar (Rosh HaShana) et au jour de la Arava (du saule, jour de Hoshana Rabba). Mon père, l’auteur du Beth Yaakov, a expliqué que D. scelle en ces deux jours que toutes les actions d’Israël sont clarifiées d’une volonté parfaite. Le contenu du jour de la soufflerie (du Shofar) est expliqué dans le Zohar (Parashat Emor 99b) « Alors s’éveille un autre Shofar, le Shofar supérieur ». C’est-à-dire que par le biais de cette voix simple du Shofar s’éveille la voix de la parole primordiale de Béréshit. [En effet bien que nos Maîtres aient dit que le monde ait été créé par dix paroles, si l’on compte le nombre de fois où apparait l’expression « D. a dit » dans le premier chapitre de la Torah on ne trouve que neuf occurrences. Nos Maîtres disent que le mot Béréshit est aussi une parole, ce qui amène au compte de dix.]
Que veulent dire nos Maîtres en disant que Béréshit est aussi une parole, et la première des dix paroles par lesquelles le monde a été créé ?
Avant tous les habits, avant qu’il ne soit possible d’écrire « Il a dit », car c’est une voix simple, primordiale, sans aucun habit, bien au-dessus de la dimension de parole. Cette voix primordiale fait allusion à la profondeur toute intérieure de la notion d’Israël qui est montée dans la pensée supérieure [de D.] avant qu’elle ne descende dans l’habillement du tangible de ce monde. Du point de vue de ce regard profond la notion d’Israël est dans une clarté parfaite. Une fois qu’elle descend dans les habits de ce monde il est possible que s’y emmêlent des défaillances en s’habillant dans les multiples habits, mais tant que la notion d’Israël était dégagée de tout habit il n’y a aucune déficience en elle. Et c’est cette mise à jour, cet éclairage qu’opère le jour de soufflerie.
Ensuite le jour de Kippour commence le service de D. par la parole, comme l’explique le Zohar.
[En effet la Mitsva spécifique du jour de Kippour est le Vidouï, c’est-à-dire de prononcer par des mots précis sa volonté de se repentir de ses fautes]
Et dans les jours de la fête de Soukkot commence le service de D. par des actes, comme le dit le Zohar (Tsav 31b).
La vérité est que la puissance du service de D. est lorsqu’il se concrétise par des actes comme le dit le Midrash Tan’houma (Parashat Ki Tavo §1) : « viens voir combien sont chéris et ont de mérites ceux qui font des Mitsvot (…) » . Mais une fois que la lumière vient dans l’acte et s’habille par rapport à l’homme dans des actions, alors il peut s’entremêler de ce fait chez l’homme des actions qui n’ont aucune autre fonction que les pulsions et les intérêts du corps. C’est pourquoi nos Maîtres ont-ils institué le jour du saule (Hoshana Rabba) une action qui n’a aucune lumière, comme dit la Guemara (Traité Soukka 44b) : « il a secoué le saule (le jour de Hoshana Rabba) mais n’a pas fait de bénédiction ». Le fait que dans le service spécifique de Hoshana Rabba, qui est de secouer les branches de saule, n’a pas été institué que l’on fasse de bénédiction nous renseigne que l’homme ne reconnait aucune lumière dans cette action. Mais par ce fait même que l’homme d’Israël recherche tellement la volonté de D. d’appliquer Sa volonté même dans des actions qui ne sont pas claires, dans lesquelles on ne peut distinguer par l’intellect ou la compréhension aucune lumière explicite, s’éclaircit justement que toutes les actions qu’ont agies les enfants d’Israël durant toute l’année, actions qui apparemment dénotaient d’une recherche d’intérêt du corps, qu’en fait le point investi dans toutes ces actions n’étaient que se dévoile par leur fait la gloire du Ciel.
Cette mise à jour a lieu le jour du saule. C’est ce que le Talmud de Jérusalem dit : « Et Moi jour jour ils me recherchent », c’est le jour de la soufflerie et le jour du saule. Car le jour de la soufflerie se met à jour le fond du cœur d’Israël, et le jour du saule se mettent à jour tous les habillements d’Israël qu’ils ne sont que pour la volonté de D. Source de bénédictions. ‘
En ces quelques phrases le Sod Yésharim a synthétisé tout le cheminement progressif des fêtes du mois de Tishri.
Nous aimerions exprimer cet enseignement en d’autres termes. Les imbéciles disent : la théorie est bonne mais la mise en œuvre est défaillante. Nous sommes en opposition totale avec une telle affirmation. La base du problème de l’homme est son action. Le fin mot de toutes les fêtes de Tishri est le jour de Hoshana Rabba. Après trois semaines de fêtes, de Tefilot, de prières, de repentir, de Mitsvot, nous allons rentrer dans le quotidien de l’année et nous allons agir dans le vaste monde, chacun avec son projet, chacun avec ses lubies. En ce jour redoutable, nous prenons le saule en mains, nous l’agitons en ouvrant notre cœur devant notre Créateur en demandant que nos actes simples comme ce saule est simple soient liées à la volonté de D., et dévoilent la Gloire de D. dans la réalité de notre monde. Nous ne savons pas comment nous pourrons réussir, mais après nous être réinscrits à Rosh HaShana au plus profond de nous à la volonté supérieure du début de la Création, après avoir introduit cet attachement dans nos paroles à Yom Kippour et investi nos actes dans les Mitsvot de la fête de Soukkot, nous sommes là perplexes face à nos actes simples de la vie de tous les jours. Que va-t-il s’exprimer par ces actes ? Les actes sont ce que nos Maîtres appellent ‘des habits’. En effet il y a une intention quelque part, mais l’acte lui-même est ce qu’il est, il en cache l’intention. Plus que cela, l’acte lui-même nous échappe. Par le fait qu’il s’exprime dans la complexité du monde, mon intention s’éparpille, et disparait. Par l’accomplissement de cette coutume qui n’est pas une Mitsva de secouer les branches de saule, nous nous attachons au plus profond de nous-mêmes que nos actes soient mus par une volonté totale que s’y dévoile la Gloire du Ciel. Nous demandons du plus profond de nous-mêmes que les actes que nous ferons ne soient que pour le dévoilement de la Gloire de D. . Et là est le scellement du jugement.
Nos actes sont les garants de nos pensées.
Dans la culture occidentale on dit fréquemment : peu nous importe ses actes, ce qui importe c’est ce qu’il transmet. Dans notre tradition nous disons le contraire. La Guemara dans le Traité Moèd Katan nous enseigne (17a, nous en donnons notre traduction) :
‘Il y avait un érudit talmudiste qui avait mauvaise réputation (Tossefot דה »מ טרקיה explique qu’il était suspecté d’avoir des mœurs relâchées). Rav Yéhouda (le grand maître de la Yéshiva) se demandait comment faire : le mettre en Nidouï , au ban de la communauté ? Mais ce monsieur est un grand érudit et on a besoin de son enseignement ! Ne pas le mettre en Nidouï, mais sa conduite profane le Nom de D. ! Rav Yéhouda demanda alors à Rabba Bar Bar ‘Hana : as-tu entendu comment on doit se comporter dans une telle situation ?
Il lui répondit. Ainsi nous a enseigné Rabbi Yo’hanan (en terre d’Israël) : que dit le verset (Malakhi 2,7) « Car les lèvres du Cohen conserveront la connaissance et la Torah ils demanderont à sa bouche car c’est un émissaire de D., un Malhakh de D. . » ? Si le maître ressemble à un émissaire, à un Malhakh de D., c’est à lui que tu demandes la Torah, s’il ne ressemble pas à un émissaire de D., à un Malhakh de D., tu ne dois pas demander la Torah de sa bouche.
Suite à cela, Rav Yéhouda a mis ce monsieur en Nidouï. Finalement Rav Yéhouda est tombé gravement malade. Les maîtres et élèves de la Yéshiva sont venus s’enquérir de sa santé, et cet homme aussi est venu le visiter avec les autres. Quand Rav Yéhouda l’a vu, il a ri. Il a dit à Rav Yéhouda : non seulement vous me mettez en Nidouï et en plus vous vous moquez de moi !
Rav Yéhouda lui a dit : je ne ris pas par rapport à toi, mais je ris du fait que lorsque je vais aller dans l’autre monde, je m’amuserai bien car même à un homme comme toi je n’ai pas fait de flatterie !’
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