Posons une question simple : quelle est l’unité de cette paracha ? Quel est le sens global, sous-jacent, de ses différents épisodes ?
1. Posons une question simple : quelle est l’unité de cette paracha ? Quel est le sens global, sous-jacent, de ses différents épisodes ?
1. Car nous devons soutenir que, pour chaque paracha, une notion d’ensemble est traitée, comme un tableau conceptuel, au travers des éléments disparates, du récit ou des énoncés de lois. Cette saisie de l’orientation générale peut aider ensuite à recomprendre les éléments particuliers. (Cette unité, ou couleur signifiante, peut se nommer aussi sphère, ou séphira, si l’on veut…)
Or, quel est ici le lien entre le geste vengeur de Pinhas, le nouveau dénombrement des enfants d’Israël, la question de l’héritage posée par les filles de Tsélophad, la nomination de Josué comme successeur de Moïse, et l’organisation des différents sacrifices aux différents moments de l’année ?
Cette pièce en cinq actes a-t-elle vraiment cette unité d’action, ou d’orientation, que nous supposions devoir trouver ?
2. Voici notre hypothèse : s’aidant du nom de cette paracha, Pinhas, qui comme toujours délivre déjà, quoique allusivement, ce que nous cherchons ici, nous voyons alors que la notion qui constitue la lame de fond de cette partie de la Tora est la notion de zèle, d’empressement ou d’application dans le service divin.
3. Il n’est pas besoin de le montrer pour Pinhas, bien que le paradoxe de ce zèle violent serait à mesurer avec précision. Mais dans les quatre autres parties, c’est aussi le cas.
4. Le dénombrement intervient à la suite de la mortalité due à la faute avec les filles de Madian, mais aussi après la mort des rebelles de la faction de Korah.
« Et ce fut, à la suite de la mortalité. D. parla à Moïse et Eléazar fils d’Aaron le prêtre en disant : « Faîtes le décompte de la communauté entière des enfants d’Israël… » »[[Bamidbar, 25-19, 26-1.]]
Rachi explique : Comme un berger dont une partie du troupeau a été tué par un loup, « pour connaître le nombre des restants ». Il avait dit déjà au début du livre des Nombres : « Par amour pour eux, il les compte à tout moment… »[[Bamidbar, 1-1.]]
C’est l’empressement de D. envers les enfants d’Israël. Par zèle, il ne recule pas devant un nouveau dénombrement, comme s’Il ne savait pas qui avait péri et qui vivait. De sorte qu’Il veut toujours avoir devant lui leurs noms et leur nombre. Comme s’Il n’était pas omniscient. Alors que Pinhas se mit, par zèle, en colère à la place de D., D. se met aussi, par zèle, par excès d’amour, à la place des hommes. Le zèle représente ce décalage excessif, cette sorte de contradiction, de transformation en son contraire, de passage de l’autre côté de la limite de soi, qui définit ici, paradoxalement, un bien.
5. Le zèle des filles de Tselophad est évident. Zèle dans la confiance. Que la terre promise était, à l’encontre des témoignages des explorateurs, une bonne terre. Rachi dit, à propos du verset « Approchèrent les filles de Tselophad, fils de Hefer…fils de Yossef »[[Bamidbar, 27-1.]] : « Pour te dire que, de même que Yossef aimait le pays, elles aimaient le pays, comme il est dit : « donne nous une propriété », et pour te dire qu’elles étaient des justes… ». Et excessives dans leur zèle. Au point de demander un héritage, comme des hommes.
6. Le zèle de Josué est inverse. Le zèle de l’étude. En quoi consiste-t-il ? Le verset dit : « Que l’Eternel, D. des esprits de toute chair, institue un chef sur cette communauté… »[[Bamidbar, 27-16.]]. Puis : « L’Eternel dit à Moïse : Prends pour toi Josué… »[[Bamidbar, 27-18.]] Rachi explique : L’intention de D. n’a pas été que les enfants de Moïse héritent de la dignité de chef, mais Josué, « qui est digne de recevoir la récompense de sa fidélité, car il n’a pas quitté la tente »[[Chemot, 33-11.]]
Plus loin : « Tu lui communiqueras de ta majesté »[[Bamidbar, 27-20.]]. Rachi dit : « Non toute ta majesté. Nous déduisons de là que le visage de Moïse était comme le soleil, celui de Josué comme la lune ».
La tente et la lune sont des représentations de la femme. Josué était zélé au point de se faire excessivement humble, selon la grâce des femmes. D. le récompense en en faisant le chef.
7. La dernière partie de la paracha énumère les temps, la multiplication des temps de rapprochement avec D., qui se concrétisent dans l’énumération détaillée de tous les sacrifices obligatoires. L’excès est patent. Le sacrifice apparaît ainsi comme le marqueur même du zèle.
Le verset dit : « Ordonne aux enfants d’Israël et dis leur : Mon sacrifice Mon pain dévoré au feu, qui me sont en odeur agréable, préservez de les approcher en leur temps »[[Bamidbar, 28-2.]].
Pour tous les jours, pour le shabbat, pour le début des mois, pour les fêtes, pour chaque jour de fête, et de demi-fête, pour le début de l’année, pour Kippour… Le sacrifice en soi exprime un zèle dans le rapprochement de D., au sens simple où la matérialisation s’exprime par le meurtre de l’animal, et que la violence déchargée là permet l’apaisement et l’expiation. Le paradoxe est que cela doit, si les intentions sont adéquates, participer de l’advenue de l’homme lui-même. Qui passe aussi, au moment de l’apposition des mains, par une identification à la bête.
Et de la même manière que l’on dit de Pinhas qu’il était « fils d’Aaron »[[Bamidbar, 25-10.]], soulignant l’authenticité de son intention, à l’instar d’Aaron qui poursuivait la paix, intention qui fut attestée par l’Alliance de paix qu’il reçut en récompense, de la même manière que la vérité de cet acte est très rare, de la même manière l’authenticité de l’intention au moment du sacrifice, en vue de la paix de l’expiation, est très rare.
Le Midrash Rabba sur Pinhas compare explicitement les deux domaines : « …Il (Pinhas) a procuré expiation aux enfants d’Israël. Mais a-t-il offert un sacrifice pour que soit justifiée le terme « expiation » en cette circonstance ? Le verset veut en fait t’apprendre que celui qui verse le sang des impies est considéré comme s’il avait présenté un sacrifice ».
8. Dans tous ces cas, nous remarquons que la condition du zèle est le témoignage d’une humilité. Pour Pinhas c’est explicite dans le Midrash : « Il M’a révéré et a témoigné de l’humilité à l’égard de Mon Nom ». Au point d’endurer la mort et de perdre la prêtrise. D. s’humilie dans son savoir. Les filles de Tselophad ont eu l’humilité d’attendre les quarante années d’errance dans le désert, pour s’adresser d’abord aux chefs de dix, puis de cinquante, puis de cent, puis de mille, avant d’aller poser leur question devant Eléazar et Moïse. Josué est l’humilité même, dans la réserve de la tente d’étude de son maître. Les sacrifices aussi, pour être agréés, doivent être l’expression de l’humiliation de soi.
Disons que le zèle dont parle la Torah ici est une humilité qui prend une forme excessive, et paradoxale, qui exprime le lien vécu à l’Autre absolu.
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