« C’est pourquoi, dis aux Enfants d’Israël : Je suis Hachem, Je vous sortirai des charges que vous font subir les égyptiens, je vous sauverai de leur travail, je vous libérerai d’eux d’un bras étendu et par des grands jugements. Je vous prendrai pour moi comme peuple.»
Parashat Vaéra, chapitre 6, verset 6 et 7.
Le Baal Hatourim commente ainsi ces versets : « Ces quatre langages correspondent aux quatre royaumes, et pour le dernier, il est écrit « je prendrai », c’est l’expression qui convient au royaume d’Edom, comme un homme qui s’emparerait de force.
Les quatre royaumes, ou empires, dont parle le Baal Hatourim sont ceux qui sont décrits dans la prophétie de Daniel sous la forme des animaux qui se succèdent. D’après nos Sages, cela préfigure Bavel, les Perses et les Mèdes, la Grèce et enfin Edom ou tout simplement Rome.
Quatre empires donc quatre délivrances, lesquelles sont nécessairement différentes selon les caractéristiques de chaque exil. La quatrième se distinguera néanmoins essentiellement, des trois premières, selon les dires du Baal Hatourim.
Mais que viennent faire les quatre royaumes et les quatre délivrances dans le récit de la sortie d’Egypte ?
La Michna, dans le dernier chapitre du traité Pessahim, nous enseigne l’obligation pour tout juif de boire quatre verres de vin le soir du seder de Pessah. A ce propos, le Talmud Yerouchalmi pose la question de l’origine de cette institution.
Quatre sources nous sont proposées :
- Le rêve de l’échanson décrypté par Joseph, où le mot kos (verre) est mentionné à quatre reprises.
- Les quatre langues de délivrance dont nous avons déjà parlé : sortirai, sauverai, libérerai, prendrai.
- Les quatre empires.
- Les quatre verres de punition que D.ieu fera boire aux peuples à la fin des temps.
Il ne semble pas qu’il y ait ici un véritable débat, mais plutôt quatre facettes d’une idée forte : ce qui s’est passé en Egypte depuis l’arrivée de Joseph jusqu’à la sortie d’Egypte, cet exil et sa délivrance, est la préfiguration de toute l’histoire du Peuple Juif, des exils et des délivrances.
Plus généralement, on peut dire que l’histoire de l’humanité est, dès sa genèse, structurée par le concept des quatre royaumes. Le Midrach Rabba, dans le deuxième verset de la Torah, nous dit au nom de Rech Lakich : « Tohou désigne Bavel, Bohou désigne Haman (Perses et Mèdes), obscurité désigne la Grèce et Tehom (les abysses) n’est autre que le royaume coupable (Edom) et l’esprit de D.ieu signifie le souffle du Machiah. »
Il faut donc comprendre que ces quatre forces sont nécessaires à la mission de l’humanité, puisqu’elles sont présentes dès sa création. La chronologie que nous constatons dans l’histoire ne concerne que les époques où chacune prend le dessus en termes de domination. Le rôle de l’homme est de se confronter à ces forces qui l’éloignent de la centralité de D. ieu et , de cette façon, parvenir au but qui lui est assigné.
Ce qui s’est passé au moment premier de la vie sur terre se reproduit à l’heure de l’Alliance entre les morceaux.
« Il lui dit (D.ieu à Avram) : « Prends moi trois génisses, trois chèvres, trois béliers, une tourterelle et une jeune colombe. ». Il prit pour lui tous ces animaux. Il les découpa par le milieu et disposa chaque moitié en face du morceau correspondant. Mais les oiseaux il ne divisa pas. » Genèse, chapitre 15, verset 9 :
« Alors que le soleil allait se coucher, une profonde torpeur s’abattit sur Avram et voici : une angoisse, une obscurité profonde s’abattit sur lui. » Verset 12.
Le Midrash Rabba voit dans ces animaux les mêmes références aux quatres royaumes, en considérant que la tourterelle et la colombe représentent ensemble l’empire d’Edom. Ceci à l’aide d’une lecture au second degré du terme colombe, en hébreu gozal , qui a la même racine que guezel, le vol : « Ce n’est qu’une tourterelle mais c’est un voleur !»
Le Maharal explique ainsi ce Midrash : le fait de couper en deux les animaux et que D.ieu passe entre les morceaux porte le sens de l’Alliance. Ces forces qui s’opposent à Avram sont si puissantes qu’elles rendent nécessaire et indispensable l’aide de D.
Mais en ce qui concerne Edom, il n’y pas lieu de le couper car il n’a aucune importance propre. Son immense puissance n’est que mensonge. Il ne possède rien de manière légitime.
A partir d’Avraham, c’est au peuple juif d’assumer la mission qui, dans un premier temps, incombait à l’ensemble de l’humanité. C’est à l’occasion de cette alliance que D.ieu lui annonce que ses descendants seront esclaves en exil et qu’ils seront finalement délivrés. Et c’est en écho à cette même alliance que D. déclare à Moshé qu’est venu le moment de la délivrance par les quatre langages qui sont la « feuille de route » du peuple juif.
Dans ce Midrach nous voyons apparaitre la différence entre les trois premiers pouvoirs et le dernier, Edom, l’illégitime.
« Mais voici ce que vous ne mangerez pas parmi ceux qui ruminent leur nourriture ou qui ont les sabots entièrement fendus : le chameau, la arnevet, le chafan, car ils ruminent mais leur sabot n’est pas fendu. Et le porc car il a le sabot fendu mais il ne rumine pas sa nourriture. » Deutéronome, chapitre 14, versets 7 et 8.
Le Midrach Rabba, sur Lévitique 13, identifie ces quatre animaux aux quatre royaumes mais développe ce qui les distingue. Moshe lui-même a regroupé les trois premiers en un seul verset alors que le quatrième est séparé (on remarque que c’est également le cas à propos des quatre langages). Le Midrash ajoute que les mots utilisés pour ruminer sont maalé guéra. Maalé peut se traduire par faire monter et guéra par magor, lieu, ou garon, gorge.
Ces trois premiers royaumes, malgré leur opposition à Israël, mettent en valeur les Tzadikim, lieux de hauteur ou en ce qu’ils font monter des louanges vers Dieu (gorge). Ils ont donc un aspect positif, ce qui n’est pas le cas du dernier.
Pour conclure, le Midrash donne une troisième interprétation du mot guéra à partir de la racine gorer, entraîne. Les trois royaumes vont respectivement entraîner un autre pouvoir qui leur succède. Cela n’est pas le cas pour Edom dont le nom ici est ‘hazir de la même racine que le mot ma’hzir, restituer, parce que ce royaume restituera la couronne à son légitime propriétaire.
« Et les sauveurs monteront au mont Sion pour juger le monde d’Esaü et le royaume sera à D.ieu ». Obadia, chapitre 1.
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