Chapitre 8, Halakha 12 : « Bien qu’à toutes les fêtes ce soit une Mitsva de se réjouir, à Souccot au Mikdash (au Temple de Jérusalem) il y avait une joie particulière comme dit le verset (Vayikra XXIII, 40) : vous prendrez pour vous le premier jour (de Souccot) le fruit de l’arbre Hadar, des rameaux de l’arbre Avoth et des saules de rivières ; et vous vous réjouirez devant Hashem votre D. Chapitre 8, Halakha 12 : « Bien qu’à toutes les fêtes ce soit une Mitsva de se réjouir, à Souccot au Mikdash (au Temple de Jérusalem) il y avait une joie particulière comme dit le verset (Vayikra XXIII, 40) : vous prendrez pour vous le premier jour (de Souccot) le fruit de l’arbre Hadar, des rameaux de l’arbre Avoth et des saules de rivières ; et vous vous réjouirez devant Hashem votre D. pendant sept jours. »
Commentaire :
Outre la Mitsva qui concerne tous les Yom Tov de se réjouir dans ta fête (Dévarim XVI, 14, voir traité Pessa’him 109a), il y a une Mitsva spécifique à Souccot de se réjouir au Beth Hamikdash. Il est à remarquer que le verset rapporté par Rambam dit : « vous vous réjouirez devant Hashem. » Ce que la Tradition de nos Maîtres, la tradition orale, explique ou plutôt traduit en disant : « tu te réjouiras au Beth Hamikdash, » c’est-à-dire « devant Hashem. »
Nous pouvons nous demander : que signifie se réjouir au Beth Hamikdash ? Il y a des lieux, des occasions de se réjouir, mais comment peut on se réjouir à l’intérieur du Temple de Jérusalem, devant Hashem notre D. ?
A priori, si nous nous représentons le Temple de Jérusalem, rien que le mot résonne en nous comme un lieu impressionnant, un lieu inhibant toute velléité d’allégresse et de réjouissance. Devant Hashem ! Comment la Torah peut elle nous ordonner de nous réjouir devant Hashem et en quoi consiste une telle joie ?
Le Rambam continue :
« Comment faisaient-ils ? La veille du premier jour de Souccot, ils préparaient à l’intérieur du Temple un endroit surélevé pour les femmes et un endroit en contrebas pour les hommes pour qu’ils ne se mélangent pas les uns avec les autres. »
Commentaire :
Rambam nous explique le premier préparatif de cette fête au Mikdash. Rambam ne vient pas dans son livre le Mishné Torah nous décrire en quoi consistaient les préparatifs de cette fête, ce n’est ni un historien, ni un journaliste. Le Mishné Torah est un livre de Halakha, un livre de conclusions légales. Si Rambam nous rapporte que le premier préparatif de cette fête est la mise en place de deux endroits distincts, c’est que c’est une condition, un élément même de la définition de la teneur de cette joie.
Si l’on demande au commun des mortels : qu’est ce qu’une fête, qu’est ce qu’une grande fête ? La plupart des gens diraient, c’est un bal, un moment de proximité entre hommes et femmes. Le Rambam nous enseigne : premier élément constitutif de cette fête, la non proximité entre hommes et femmes. Ce qui ne signifie pas non plus une séparation totale. L’accent est mis sur le fait qu’ils ne se mélangent pas.
« On commence à se réjouir depuis la sortie du premier jour de Yom Tov. Et ainsi chaque jour de ‘Hol Hamoèd, après qu’ait été offert le Tamid de l’après-midi, on se réjouit le reste de la journée jusqu’à l’aube ».
Commentaire :
Rambam dit : « le reste de la journée jusqu’à l’aube, » ce n’est pas une fête du bout des doigts, la fête va chaque nuit jusqu’au matin. Ce n’est pas une nuit, c’est toutes les nuits de ‘Hol Hamoèd Souccot, jusqu’au matin. C’est une fête totale. De quoi y a-t-il tant à se réjouir ?
Halakha 13 : « En quoi consistait cette joie ? La flûte souffle, on joue de la cithare, de la lyre, des cymbales, chacun de l’instrument de musique qu’il savait jouer, qui sait chanter chante. On danse, on frappe des mains, on saute, on fait des acrobaties, chacun selon ce qu’il sait, et l’on dit des louanges et des glorifications. Cette joie ne repousse ni Shabbat ni Yom Tov. »
Commentaire :
Le Rambam par cette Halakha nous enseigne une perception radicalement inouïe de ce qu’est le Temple de Jérusalem. Dans la joie organisée et préparée à Souccot au Temple, il n’y avait pas de Protocole prévu à l’avance. Il n’y avait pas : eh maintenant voici les choeurs de l’Armée Rouge ! Ce n’est ni une présentation, ni un concert liturgique protocolaire. La règle d’or est la suivante, la contrainte fondamentale est la suivante : il peut y avoir des surprises. Si un Juif sait jouer de la flûte péruvienne, qu’il joue de la flûte péruvienne, de la guimbarde, qu’il joue de la guimbarde. Pourquoi pas de l’harmonica !
Donc d’un point de vue légal, la Halakha 13 vient nous enseigner l’obligation qu’ont les participants de cette fête de faire ce qu’ils savent faire et qu’il n’y a pas de figures imposée, que l’imposée est dans la non normalisation de cette joie. Néanmoins, nous pouvons demander d’où Rambam a-t-il appris cette notion.
Halakha 14 : « C’est une Mitsva, un commandement, de faire que cette joie soit maximale, et ne la faisaient pas les ignorants et tout celui qui voulait. Les grands ‘Hakhamim d’Israël, les Rashé Yeshivot, le Sanhédrin, les ‘Hassidim, les Anciens, les gens aux actions remarquables, ce sont eux qui dansaient, qui battaient des mains, qui chantaient et se réjouissaient au Temple durant la fête de Souccot. Le reste du peuple, les hommes et les femmes, venaient voir et écouter. »
Commentaire :
Cet enseignement est bien l’un des plus paradoxaux qui soit !
Tout d’abord, Rambam nous dit qu’il entre dans la définition de la joie qu’elle soit maximale. [Cette obligation de faire que la joie soit maximale entre-t-elle dans la définition même de la notion de joie, ou bien est-ce une obligation spécifique à la fête de Souccot ? L’analyse première nous porterait à dire que par définition, la joie est débordement ; la joie, la Sim’ha, est maximale] Et dans la même phrase, Rambam nous dit que ce sont quelques Juifs âgés qui faisaient cette joie, comme s’il y avait une relation de cause à effet entre les deux propositions, à lire dans le sens : cette joie doit être maximale, donc ce n’est pas tout un chacun qui y participe mais au contraire ce sont… A priori les plus à même de mettre de l’ambiance, ce sont les jeunes, pleins de sève et d’énergie ! Quelle est cette ronde de savants cacochymes ?
Peut être pouvons nous dire que Rambam nous expose ici le fond de ce qu’est cette Mitsva de se réjouir au Temple durant la fête de Souccot. Ce n’est pas tout un chacun qui prend part activement à cette joie. Ce sont quelques individus qui, de par leurs démarches individuelles, ont pu tisser des chemins inédits. La joie n’est pas de l’ordre de la norme. Ce n’est pas : il faut faire ainsi ou cela. La joie, ce sont des individus qui se sont battus dans leurs vies pour creuser des démarches mûries et abouties qui vont l’exprimer. C’est ce que Rambam disait dans la Halakha 13 : « chacun selon ce qu’il sait faire. » Si on laisse tout un chacun s’exprimer, ce serait des mouvements de mode, il y aurait certes de l’ambiance, mais ce ne serait pas de la joie. Ce serait, si nous pouvions oser un jeu de mots, la joie du plus fort.
Quelle est la teneur de cette joie que nous avons le commandement d’exprimer durant les sept jours de Souccot à l’intérieur du Temple ? La teneur de cette joie est qu’il est possible que puisse s’exprimer une telle joie ! C’est cela que tous viennent voir et écouter, qu’il est possible d’exprimer une joie, non un rituel, non des normes.
Le Maharal de Prague dans le quatrième chapitre de Nétiv Guemilout ‘Hassadim exprime que la dimension naturelle des choses, voire matérielle des choses est de l’ordre de l’étroit, de la tristesse, la joie est de l’ordre de la largesse, du débordement, d’une dimension d’un autre ordre que le naturel.
Le Temple de Jérusalem est fait de pierre et de bois. C’est la Sim’ha, la joie, exprimé à l’intérieur du Temple de Jérusalem qui va conférer la dimension de Ché’hina, de présence divine, à ce lieu fait de pierre et de bois. C’est cela que les hommes et les femmes viennent avec avidité voir et entendre, qu’il est possible de vivre une joie. Et cette joie est large, débordante, par définition, comme le dit Rambam dans la Halakha 12 « chaque jour de ‘Hol Hamoèd on se réjouit le reste de la journée jusqu’à l’aube », c’est-à-dire durant six nuits.
La joie est l’émergence d’une autre dimension que le naturel premier, l’émergence de la juste dimension du Mikdash, comme le dit le Midrash « le jour de sa joie » c’est Beth Olamim, la Maison Eternelle, le Temple de Jérusalem.
Qu’Hashem ait pitié de son peuple et nous donne le mérite de voir et d’écouter à nouveau la joie du Mikdash ! Et combien puissantes sont les paroles des ‘Hakhamim qui à la fois peuvent dire que la joie doit être maximale et avoir l’audace de dire que ce n’était pas tout un chacun qui y participait !
Halakha 15 : « La joie que l’homme exprimera dans l’accomplissement des Mitsvot et dans l’amour de D. qui nous les a ordonnées est un grand service divin. Celui qui n’ose exprimer cette joie encourt le châtiment comme dit le verset « du fait que tu n’as pas servi l’Eternel ton D. avec joie et bonté de cœur », et celui qui se prend au sérieux et considère dans ces cas précis de joie de Mitsva que ce n’est pas pour des gens comme lui ou que ce n’est pas pour des gens de son rang, c’est un fauteur et un fou, c’est au sujet de cette attitude que nous met en garde Shlomo : « ne te donne pas des égards en face du Roi. » Et celui qui est prêt à s’abaisser, qui allège son corps dans ces circonstances précises est l’homme digne d’honneur qui sert avec amour. Ainsi a dit David le roi d’Israël : « j’étais encore plus honteux que tu ne le penses, et très bas étais-je à mes propres yeux » ; la grandeur et l’importance ne sont que de se réjouir devant Hashem, comme dit le verset : « et le roi David saute et fait des pirouettes devant D. » »
Commentaire :
Outre la splendeur du langage, ce passage vient nous mettre à jour ce qui était recouvert d’un voile depuis le début de cette étude. Nous avons appris dans la Halakha 14 quelle était la teneur de cette joie et sa définition, dans la Halakha 15, le Rambam nous dévoile de quoi se réjouit-on. Qu’y a-t-il tant à se réjouir ?
Le Rambam nous explique, la joie dont il s’agit c’est la joie dans l’accomplissement de la Mitsva que D. nous a ordonnée, en l’occurrence ici la Mitsva est elle-même la Mitsva de se réjouir. La joie dans la Mitsva ! Le Maguid Mishné dans son commentaire sur cette Halakha du Rambam explique : « ce n’est pas convenable que l’homme fasse les Mitsvot en étant triste et soucieux, car cela exprimerait que la Mitsva est un fardeau dont il chercherait à se débarrasser, mais au contraire, l’homme a l’obligation de les faire dans la joie, car c’est ainsi exprimer qu’il s’attache au bien parce qu’il est bien, à la vérité parce qu’elle est vérité et qu’il prend avec douceur l’effort qu’elles nécessitent et qu’il comprend que c’est pour cela qu’il est créé, pour servir son Créateur. »
Le Rambam ajoute un mot insolite « celui qui est sérieux dans ces circonstances etc. est un fauteur et un fou. » Qu’il soit un fauteur, nous pourrions à la limite le concevoir, mais que veut dire le Rambam en disant qu’il serait un fou ? Nous parlons de Halakha, non de diagnostic médical ! La joie dans la conception que nous aurions eue a priori c’est se laisser prendre en charge souvent par une frénésie collective. La joie de Mitsva, l’obligation, le commandement dont on parle, c’est la joie d’exprimer dans sa spécificité ce pour quoi on est créé. De la même manière que le Temple de Jérusalem, s’il n’y avait pas cette joie de Mitsva qui s’y exprimerait, serait un amas de pierre et de bois absurde, une institution vouée à sa perte, de même chaque individu pourrait être lui-même une petite institution absurde, un esclave de ses principes, de son fardeau social, malade de son incapacité à être. Celui qui s’empêche de participer à la joie de Mitsva est un grand malade. C’est un fou, un cinglé dirions-nous, car il refuse d’aborder parfois la fragilité de ce qu’il est, la fragilité de sa liberté d’être. Il est à remarquer que les exemples rapportés par Rambam viennent de David, celui qui fait émerger la dimension de Mal’hout, d’existence et de liberté.
[Nous aimerions revenir au début de notre étude. Dans la Halakha 12, le Rambam nous enseigne que le premier préparatif de la fête est de mettre en place un endroit pour les hommes distinct de l’endroit pour les femmes, origine de la séparation entre hommes et femmes dans toute manifestation collective du peuple juif. L’origine de la joie n’est pas se réjouir avec sa femme, l’origine de la joie est de se réjouir devant Hashem, de ce pourquoi on est créé. L’obligation de l’homme ensuite est de réjouir sa femme, de la faire participer à cette joie, non de se réjouir avec.]
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