Une des significations du nom de Yaacov nous est donnée à partir de l’état d’âme de Essav, dans la paracha de la semaine dernière (Toldoth).
Une des significations du nom de Yaacov nous est donnée à partir de l’état d’âme de Essav, dans la paracha de la semaine dernière (Toldoth).
En effet, après que Yaacov lui a pris la bénédiction qu’il escomptait, Essav s’écrie dans la sixième montée [[Je m’exprime volontairement ainsi et non à travers la référence du chapitre et du verset, afin de reprendre l’usage du Rav Wolbe (zal) qui avait l’habitude de citer les passages bibliques de la façon suivante. Il me semble que la raison en est la suivante. Le découpage du Tanakh en chapitres n’est pas le fait de la tradition juive, il provient d’un prêtre anglais du Haut Moyen Age. En effet, ce découpage leur permettait de trouver plus facilement les versets bibliques, lors des disputes, qui opposaient les ecclésiastiques aux rabbins connaissant souvent par cœur le Tanakh. D’ailleurs, vous remarquerez qu’il arrive parfois que le découpage en chapitres coupe un sujet, une histoire en plein milieu.]]:
ויאמר הכי קרא שמו יעקב ויעקבני זה פעמים
Et il dit : « est-ce parce qu’on l’a nommé Yaacov qu’il m’a trompé deux fois… »
Ici les commentateurs font ressortir que la racine du prénom יעקב qui d’après son sens premier veut dire talon, a également le sens de trompeur, de sinueux. Ibn Ezra le premier, fait remarquer que la racine עקב renvoie au verset 9 du chapitre 17 du prophète Jérémie qui dit : הלב עקב, « le cœur est plein de détour ».
Il apparaît donc que le nom de Yaacov comporte la notion d’une voie tortueuse empruntée par malice ou par ruse pour parvenir à ses fins.
Toutefois, à première vue, nous n’avons pas du tout cette image de notre patriarche. Il nous apparaît plus comme « un homme droit, demeurant dans les tentes » (au début de Toldoth), ou encore comme un homme de vérité (dernier verset du prophète Mi’ha).
Pourtant, nous ne pouvons pas dire, en étant quelque peu strict à son égard, que Yaacov est innocent face à son frère. Il l’a tout de même trompé par deux fois, en achetant tout d’abord le droit d’aînesse, puis en lui prenant par ruse la bénédiction paternelle.
Dans notre paracha Vayétsé, c’est à son tour de subir la roublardise de son oncle et beau-père Lavan. Une fois arrivé chez lui, il voulut se marier avec Rahel, et travailla pour cela sept ans. Lorsqu’il fit part à Rahel qu’il voulait l’épouser, celle-ci lui signala que son père était un rusé, et qu’il désirait par tous les moyens marier sa grande sœur Léa avant elle. Le Midrash nous apprend que Yaacov avait répondu que cela lui était égal. D’ailleurs, c’est à partir de cette discussion nous précise le Talmud (Baba Batra 123a) que Rahel avait mis au point avec Yaacov des signes de reconnaissance pour la nuit de noces au cas où Lavan aurait cherché à l’unir à une autre personne.
C’est ce qui s’est passé, mais Rahel ne voulant pas mettre sa sœur dans une situation difficile, lui révéla comme nous l’explique Rachi les signes qu’elle avait convenus. C’est la raison pour laquelle Yaacov ne se rendit pas compte qu’il s’unit à Léa et non à Rahel.
Le Midrash Rabba raconte la scène de ménage suivante. Au matin, lorsque Yaacov aperçut qu’il s’était uni à Léa et non Rahel, il traita Léa de trompeuse, et de fille de trompeuse. Léa rétorqua qu’elle n’avait pas de leçon à tenir d’un homme qui avait trompé son frère et son père.
Nous pourrions prendre d’autres exemples dans la vie de Yaacov qui montreraient un caractère apparemment sinueux et trompeur.
Que devons nous comprendre alors, Yaacov est-il ce fourbe comme nous venons de le décrire, ou cet homme de vérité que nous décrit le prophète Mih’a : « donne la vérité à Yaakov » (titen emet leYaacov, תתן אמת ליעקב) ?
La personnalité de Yaacov est complexe. Yaacov est cet homme qui est parfois obligé d’utiliser la ruse et l’astuce dans sa lutte contre Essav et les personnes qui se dressent contre lui. Car ces adversaires usent de ce type de stratagème également. Mais à la différence d’eux, il le fait pour la recherche du emet, de la vérité.
Prenons deux exemples :
A propos de la naissance de Yaacov et Essav, et du pseudo vol du droit d’aînesse. Rachi démontre en s’appuyant sur le Midrash Rabba qu’en réalité Yaacov fut le premier a être procréé. Et donc en tenant le talon de son frère, il voulait que justice soit faite, c’est-à-dire que le premier à être procréé, soit le premier à sortir et que donc, il n’y ait pas de quiproquo sur le choix de l’aîné. Et lorsque quelques années plus tard, il acheta le droit d’aînesse contre un plat de lentille puis obtient la bénédiction de Yitz’hak grâce à un stratagème, c’était tout à fait légitime ! En fait, il a juste utilisé la ruse afin de réclamer son dû face à quelqu’un de rusé (Essav avait été créé le deuxième et était sorti le premier, faisant croire qu’il était l’aîné !).
Second exemple, dans notre paracha. Lavan, après avoir trompé Yaacov en l’unissant à Léa et non à Rah’el, lui donna comme argument que ce n’était pas la coutume de cette région de marier la cadette avant l’aînée. Même si ces coutumes viennent de pays idolâtres, et que Lavan est un filou, on peut se dire que Yaacov aurait pu tout de même respecter les coutumes de l’endroit afin de ne pas froisser son oncle et beau-père. Le Hida (Rabbi Haïm Yossef David Azoulai) explique qu’en réalité, Yaacov connaissait cette coutume qu’il voulait respecter, afin de rester dans la vérité. Mais en fait, Yaacov croyait être dans son droit car comme lui et son frère, Léa et Rahel était des sœurs jumelles, et Rahel avait été créée la première, donc était en réalité l’aînée. Malgré cela, Yaacov avait décidé de mettre au point des signes pour tromper Lavan au cas où, comme nous l’avons expliqué plus haut.
De là, il ressort qu’en réalité, Yaacov est l’être qui recherche la vérité, mais est parfois contraint d’user de la ruse afin de contrer ses adversaires, qui sont particulièrement rusés.
Dans son combat millénaire contre ses ennemis, qui le menacent dans son existence même, le peuple d’Israël pourra connaître des situations sans issue, où il sera en droit d’agir comme le fit le patriarche. Engagés dans une lutte inégale et périlleuse, les descendants de Yaacov pourront utiliser des chemins détournés afin d’échapper à des ennemis redoutables. C’est typiquement l’histoire de Pourim. D’ailleurs, le traité talmudique Méguila à la page 13b développe ce sujet.
Toutefois, ce recours aux chemins sinueux, ne peut avoir un caractère définitif. Dans parachat Vayichlah’, D. donne à Yaacov le nom d’Israël, et Rachi sur place explique « Yaacov signifie un homme qui vient en cachette, et par traîtrise, mais (Israël) signifie un prince, un notable ». Néanmoins, le nom de Yaacov ne disparait pas encore définitivement ; il figure souvent à coté du nom d’Israël. Les vies et les méthodes qu’indique le nom de Yaacov continuent en effet à être en vigueur pendant les longs siècles. Prenons par exemple les courbettes de grands rabbanim comme Don Yitsh’ak Abravanel ou le Rambam dans les cours royales de leur époque, afin de permettre aux Juifs de vivre sous un régime clément, ou encore les réponses du Rav David Sinzheim à Napoléon lors du Grand Sanhédrin de 1807.
Ce n’est qu’à la fin des temps que le troisième nom, Yechouroun, se substituera entièrement à celui de Yaacov. Car le nom Yechouroun signifie droiture, il vient de la racine Yachar (droit). D’ailleurs, il n’apparaît dans la Torah qu’aux derniers chapitres, qui ouvrent la perspective de la fin des temps, et il fait ressortir qu’Israël suivra alors enfin un chemin droit et rectiligne, sans détours. C’est en parlant de cette époque messianique que le prophète Isaïe proclame למישור העקב והיה, « ce qui était sinueux sera enfin droit ». מישור et העקב reflètent les deux noms respectivement Yechouroun et Yaacov.
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