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Une autorisation exceptionnelle ?

par: D. Scetbon

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Notre paracha, au sixième chapitre, rapporte les promesses faites aux enfants d’Israël lorsqu’ils entreront en Erets Israel : « Et ce sera, lorsque l’Éternel ton D. t’amènera vers la terre qu’il a juré à tes pères, Avraham, Yitshak et Yaakov, de te donner, de grandes et bonnes villes que tu n’as pas construites. Et des maisons pleines de tout bienfait que tu n’as pas remplies et des puits que tu n’as pas creusés, des vignes et des oliviers que tu n’as pas plantés. » (verset 11).

Au sens simple, la promesse, consiste en une sorte de cadeau fait aux Enfants d’Israël de biens qui ne constituent en rien l’œuvre de leurs mains. La Guemara, à la page 17a du traité Houlin va nous donner une lecture très particulière de ce verset. « Des maisons peines de bienfaits : Rabbi Yirmiyah dit au nom de Rav ce sont les parois du porc (d’autres versions lisent « la nuque du porc »)». Rachi traduit cette dernière expression par « bacon », soit en français moderne : du lard.

La Guemara nous dit donc que les bienfaits dont nous parle le verset et qui constituent une part importante de la promesse divine sont des morceaux de choix : de la viande de porc séchée, dont le verset suivant nous dit « et tu mangeras et tu te rassasieras ».
Rambam, au 8ème chapitre des « lois des rois et des leurs guerres » énonce : « Les éclaireurs de l’armée, lorsqu’ils entreront en territoire étranger et le conquerront, il leur est autorisé de consommer toute charogne ou bête déchirée [par un prédateur, et n’ayant donc pas fait l’objet d’un abattage régulier] et de la viande de porc et toute chose semblable, s’il [à condition qu’il soit] est affamé et n’a pas trouvé de quoi manger si ce n’est ces aliments interdits. » Rambam cite ensuite à l’appui le texte de Houlin.
Ramban, dans son commentaire sur notre paracha, va soulever au moins trois points de débat importants avec Rambam, l’un des points essentiels s’avère assez surprenant. Pour lui l’autorisation de consommer ces aliments pendant une guerre ne saurait être limitée à des cas de famine au sein des combattants.

L’autorisation selon Ramban est beaucoup plus générale. La soldatesque peut librement en temps de guerre consommer la totalité des aliments habituellement prohibés par la Torah. [Il existe un autre débat sur la portée exacte de cette autorisation : porte t-elle uniquement sur le butin ?]

Le Maharal au 8ème chapitre du Tiferet Israël analyse notre texte, et en tire un principe fondamental. Nous voyons ici que les aliments interdits ne sauraient être considérés comme nocifs par nature (encore moins du point de vue médical dit-il).

Ce qui est en jeu dans l’interdit alimentaire, ce n’est pas une forme de tabou alimentaire. Si cela avait été le cas, aucune circonstance n’aurait pu justifier que la consommation en devienne, dans certaines circonstances, licite. La force des interdits alimentaires, nous dit le Maharal, réside fondamentalement dans le décret divin qui en est la source, et jamais dans l’objet lui même. Un texte célèbre issu du traité Yoma (39b) nous enseigne, sur la base des versets, que la consommation d’aliments interdits « obstrue » le cœur de l’homme. Le Maharal explique qu’il faut comprendre que ce n’est pas l’instrumentum, la matière elle même qui détient une telle propriété, mais le fait même d’entrer en contradiction avec la Parole divine, le geste d’Avera, non l’aliment en tant que tel.

Le Mechekh Hokhma, dans son commentaire sur notre paracha, nous fournit un autre enseignement. Il souligne que le verset qui suit immédiatement celui qui nous occupe est « Garde toi, d’oublier l’Éternel qui t’a sorti de la terre Egypte, d’une maison d’esclaves ». Pour lui, cette injonction se rapporte au verset précédent. Il faut se garder, activement, se protéger des effets nocifs générés par la consommation, fût-elle autorisée, de viande généralement prohibée.
Ce texte peut paraître très difficile à concilier avec la démonstration du Maharal. Si l’aliment n’est pas intrinsèquement problématique, de quoi y a t-il donc à se garder ? Peut être est-il possible de lire malgré tout les deux textes de concert.

L’idée du Maharal peut faire naître en nous une certaine forme de cynisme. Si une chose est permise alors je n’ai aucune responsabilité, aucun regard à porter sur elle. Ce que nous dit le Mechekh Hokhma, c’est qu’à travers toute permission comme toute mitsva, la Torah nous délivre un enseignement fort. Une autorisation n’est pas une sorte de « vide juridique », d’espace vide de sens. Bien au contraire, c’est aussi une leçon riche. En conséquence de cela, il faut conserver un regard plein d’acuité sur celle-ci, tant sur ce qu’elle nous apprend que ce qu’elle fait naître en nous.

Il est à ce titre très significatif que la problématique s’exprime essentiellement dans un contexte de guerre. Ce moment est tout particulièrement propice à saisir toute autorisation comme une loi d’exception, liée à la nature même de ce qu’est une armée en action. C’est précisément là que réside le cœur de cet enseignement.

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