Où sont les plans ?
Pour la construction du Michkane (tabernacle), le texte répète que Moché avait vu les objets. Cela signifie que D. les lui avait montrés par vision prophétique, et que Moché en avait donc une conception, en dehors de ce qui est dit dans le texte. Cela signifie aussi qu’il n’était pas possible pour Moché de se passer de cette indication, et qu’il devait « vérifier », que se correspondent image prophétique et réalité physique. C’est d’ailleurs ce que relève le verset à la fin de la construction : tout correspondait à l’ordre divin. Il est intéressant donc de constater qu’obéir aux ordres transmis ne suffisait pas. Il y avait un modèle à suivre, que personne en dehors de Moché ne pouvait apprécier. Au moment de la construction du temple du roi Chlomo, bien plus tard, il n’est pas dit qu’une quelconque correspondance devait exister. L’action de Moché est donc unique. Elle permet, selon le midrach, d’installer la présence divine sur terre, d’où Elle ne « bougera plus ». Même si la destruction du temple a malheureusement fait disparaître cette présence, ce n’est absolument pas comparable avec la période précédant Moché. Maintenant, la possibilité existe. Cette présence est juste « mise en veilleuse ». Car ce que Moché a mis en place possède un aspect éternel. Comme la thora qu’il a transmise, le tabernacle possède une facette indestructible. La thora vient de la montagne du Sinaï et c’est à cet endroit où Moché « voit » le tabernacle. Il faudra des artisans qui comprennent la portée de leurs actes. C’est pourquoi les chefs des artisans sont désignés par D. Ils ne peuvent pas être évalués par un être humain selon leur compétence matériel, de la même manière que Moché a été choisi par D. pour des compétences qu’un humain ne peut pas saisir.
Uniquement du démontable
Le tabernacle devait être démontable puisque le peuple se déplaçait dans le désert. Même s’il était prévu de rentrer rapidement en Kénaan (le peuple n’avait pas encore été condamné aux 40 ans d’errance), il fallait construire léger. On peut se demander si cela valait vraiment la peine, pour quelques mois, de construire tout cela (même si la question semble osée). Nos maîtres semblent dire que c’est une preuve d’amour. D. prouve Son attachement à travers cette « maison ». Comme si on ne pouvait se séparer, après le moment du Sinaï. (En dehors du fait qu’après la faute du veau d’or, l’apparition divine dans le tabernacle est un véritable signe de pardon.) Il faut souligner que cette construction a l’avantage d’associer tout le peuple dans un même élan. La construction qui commence par des dons, fait participer de manière volontaire notables et simples, hommes et femmes. C’est une situation qu’on ne retrouvera pas. Il n’est pas évident, de manière générale, de distribuer à tous les membres d’uns société une part d’action dans un travail collectif, encore moins dans un travail à caractère religieux. La participation est appelée térouma, mot qui désigne l’élévation, le caractère de sainteté. La sainteté est produite par la personne qui offre. C’est son cœur qui consacre. La transformation qui suit n’est que le prolongement de l’offre première. Cette construction est la consécration collective de toutes les consécrations individuelles. Et D. achève « le travail » en « résidant » dans le temple. L’aspect démontable exprime aussi l’idée d’un véritable accompagnement. Tout le peuple peut donner et en retour, être accompagné par la consécration de son don. Son don est présent devant ses yeux. Le but n’est pas seulement d’arriver sur la terre mais de ne pas être seul. Le démontable a l’avantage d’une présence permanente.
Poteaux de bois
Les poteaux mesuraient environ cinq mètres de haut. Le midrach demande d’où pouvaient-ils venir, ce n’est pas ce qu’on prend en premier quand on voyage ! On peut tout imaginer. On peut se dire que des caravanes passaient dans le désert et qu’il était possible d’acheter des choses, ou d’en commander (?). Le midrach répond que Yaakov avait prévu la chose, qu’il avait fait planter des cèdres en Égypte, pour un éventuel tabernacle, et que ses descendants les avaient pris avec eux. Même si cela parait un peu difficile à imaginer, nos Sages veulent d’abord dire que l’ordre divin correspond à une réalité, que D. n’a pas demandé des poutres introuvables. Puis ils veulent dire que la famille de Yaakov est disposée à ce genre de demande, que se mettre au service de D., même jusqu’à prévoir ce genre de choses, est une réalité dans notre peuple. La famille est prête pour cela. Puis, ils veulent surtout dire que Yaakov est la personne qui fait « tenir » le tabernacle. Ce sont ses qualités qui permettent la construction. Certes, le peuple a fait l’effort d’offrir et de façonner les objets. Mais il a eu besoin de l’aide de Yaakov, en personne. Car les poteaux ne sont arrivés, d’une manière ou d’une autre, dans leurs mains, que parce que Yaakov avait anticipé la situation. Ces poteaux représentent l’enceinte dure du tabernacle. Pouvoir concentrer de la sainteté dans une enceinte, et qu’elle puisse rayonner dans tout le peuple, c’est la force de Yaakov. En accompagnant ses enfants en Égypte, il leur a insufflé cette force : pouvoir mettre une intériorité, avoir des murs autour de soi, pas seulement pour se protéger mais pour développer ce qui est le plus important pour soi, à l’intérieur. Ces murs n’empêchent pas les va-et-vient, n’empêchent pas la construction d’une cour tout autour, et ne forment pas le toit qui doit être ajouté. Mais cette structure qu’ils forment en étant assemblés, un par un, en étant jointifs et correctement façonnés, est l’ossature la plus solide de l’ensemble. C’est l’héritage de Yaakov.
Pour en finir avec des idées fausses
La maison de D. : c’est ainsi qu’on appelle le temple (par exemple Psaumes 122,1). Cette expression vient en effet des versets et reflète une réalité. Le prophète parlant au nom de D. dit également : Ma maison. Mais le prophète dit par ailleurs (Isaïe 66,1) : quelle maison pouvez-vous Me construire ? Il semble donc que l’être humain pourrait se tromper dans l’intention de cette construction, qui reste néanmoins une mitsva, à pratiquer selon les conditions qui se présentent. Il ne s’agit pas donc de construire littéralement une maison pour D., évidemment. Le risque d’imaginer de réduire, au sens propre, quoi que ce soit de divin existe. C’est l’intention du verset : comment imaginer faire du matériel avec du spirituel ? Mais la mitsva est de faire un objet matériel. D. voudrait-il nous plonger dans l’erreur, créer une situation dont l’ambigüité est un piège évident ? Si le prophète en parle, c’est que cette erreur est apparue, mais aussi qu’auparavant, le peuple comprenait très bien que l’erreur était totalement évitée. On ne s’y méprenait pas (alors que peut-être, aujourd’hui, ce serait moins évident…). Un des moyens que nous avons aujourd’hui de saisir un peu cette situation est ce que relèvent les commentaires. La présence divine du Tabernacle, et du temple, est celle qui est apparue au Sinaï. Au Sinaï, le peuple a eu la capacité de saisir la différence entre l’aspect spirituel pur et son lien avec le matériel. Le verset dit clairement que l’erreur est possible mais que le peuple a les moyens de ne pas la commettre. Si le peuple a compris la leçon au Sinaï, il saura l’appliquer au Tabernacle. Ce n’est pas la maison de D. au sens où pourrait l’entendre un idolâtre, dans un sens réducteur, dans un sens où l’objet devient incontournable. Notre tradition se passe d’objets. Ils n’existent que si D. l’exige. Moché a bien cassé les tables de la loi parce qu’il voyait que le peuple était incapable de dépasser l’objet (interprétation du Méchékh ‘Hokhma). Les prophètes ont toujours essayé de détacher le peuple de ses références aux objets. Même si aujourd’hui l’idolâtrie n’existe plus sous la forme biblique, ce détachement est exigé. C’est une maison de D. au sens où nous pouvons nous y élever, un peu comme nous nous sentons dans un moment d’une prière fervente. Mais la valeur du lieu ou de l’objet ne tient qu’à la volonté divine. C’est seulement si cette volonté est valorisée, que les objets le seront. La relation entre l’homme et l’objet n’est que la conséquence de la relation entre l’homme et D.
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