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Hayé Sarah : Comprendre un verset

par: Jaqui Ackermann

Publié le 7 Novembre 2023

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Comprendre un verset

« Sœur, que tu sois (=deviennes) des milliers et des myriades, et que ta descendance hérite les villes de ses ennemis » (24,60). Ce verset est une bénédiction prononcée par la famille à l’adresse de Rivka, au moment de son départ pour se marier avec Yit’hak. Le début est compréhensible. Une des bénédictions à souhaiter à une femme qui va se marier est, probablement, d’avoir une grande famille. La fin du verset est moins compréhensible. Certes, il y a une satisfaction d’avoir de la puissance, de supplanter ses ennemis. Mais ce n’est pas la première chose qui viendrait à notre esprit face à une jeune fille à marier. Ce qui dérange le plus, c’est que le jour d’un mariage (ou de ce qui s’y rapproche), on parle d’ennemis. Pourquoi parler de ce qui ne va pas, quand tout va bien ? C’est une vision du monde quelque peu pessimiste. La thora n’est ni optimiste ni pessimiste. Elle est vraie. Si être optimiste est vrai, on sera optimiste. Si cela ne correspond pas à la vérité, on ne sera pas optimiste. Ici, la bénédiction de la famille ne veut pas souligner l’agressivité du monde. Elle veut souligner la capacité de Rivka. Le monde a en lui des éléments agressifs, personne ne peut le nier : il y a des maladies, des mauvaises gens, des obstacles en tous genres. Les ennemis dont il s’agit ici englobe toutes ces formes de « rencontres » désagréables. Le souhait n’est pas seulement d’y échapper mais d’en prendre possession, c’est-à-dire de ne pas écraser ces forces, car s’il y a des forces, il vaut mieux se les approprier, c’est bien mieux que de les écraser. Le souhait est donc non seulement de se développer (la première partie du verset) mais également d’avoir la capacité de dominer puis d’intégrer ce qui s’oppose à nous (la deuxième partie). C’est également une forme de développement Celui qui a bonne mémoire, se rappelle que ce sont quasiment les mêmes mots que l’ange dit à Avraham, quelques chapitres plus hauts, après la « ligature de Yits’hak » (22,18) …

Élément méconnu

D. a promis à Avraham que Yichmaél engendrera 12 princes (17,20). C’est réalisé à la fin de notre paracha, ils y sont cités. D. avait promis que Yichmaél sera béni, etc. Le texte montre clairement à travers cela, que c‘est une autre bénédiction que celle d’Avraham. Car Avraham, lui, a déjà été béni, et il est dit que l’alliance conclue avec lui, se prolongera avec Yits’hak. Cela signifie donc que toutes les bénédictions faites à Avraham s’appliqueront à Yits’hak, pas à Yichmaél. C’est pour cela que Yichmaél doit être le sujet d’une autre bénédiction, ayant été exclu du lien particulier entre D. et Avraham. On retrouve un élément similaire après l’épisode où Yits’hak bénit Yaakov (en croyant que c’est Essav). Yits’hak rappelle Yaakov pour lui souhaiter que D. lui donne les bénédictions d’Avraham (28,4). C’est une manière d’exclure explicitement Essav du lien avec Avraham. Tout ce qui est promis à Avraham se concrétisera uniquement avec Yaakov. Pour ce qui est de Yichmaél, nous constatons donc qu’une de ses bénédictions se concrétise rapidement. Effectivement, lorsque les choses sont plus profondes, elles mettent plus de temps à venir. Le principe est que plus les éléments sont fondamentaux, plus lentement ils apparaissent. Une des raisons tient au fait qu’après cela, le monde n’est plus sensé changer. Nous croyons, par exemple, que le temple de Chlomo, construit 480 années après la sortie d’Egypte, n’était pas « suffisamment sacré » pour être indestructible. En revanche la sainteté de son lieu est maintenant éternelle. Cela ne bougera plus. La dynastie de David est aussi apparue tardivement, mais elle ne bougera plus : c’est-à-dire qu’il n’est plus possible d’avoir un roi qui ne soit pas de sa dynastie (même s’il y a eu des rois des autres tribus, ils sont considérés comme subalterne face aux rois de David). Ainsi la réalisation rapide de la prophétie concernant Yichmaél n’est pas pour nous une preuve de résistance.

Les personnages

Betouél, le père de Rivka est un homme mauvais. Ce n’est pas pour rien qu’il a un fils comme Lavane (il est difficile de comprendre comment un tel personnage peut avoir une fille comme Rivka et des petites-filles comme Ra’hél et Léa, mais cela est un autre problème). Ce point de vue vient du midrach, qui veut répondre à la question suivante : on parle de lui au moment de l’arrivée d’Eliézér, puis le lendemain il disparait du tableau. On pourrait simplement se dire qu’il avait des choses à faire, et c’est pourquoi il ne parle pas au moment du départ de Rivka (on ne parle que de sa mère et de son frère). Mais la tradition est de dire que si le texte laisse apparaitre cette absence, il y a une raison. Il serait mort entretemps, et la raison tient à son manque de moralité. D. l’a empêché de vivre pour permettre justement le départ de Rivka, pour lequel il était un obstacle, d’une manière ou d’une autre (deux versions existent dans le midrach, une est rapporté par Rachi 24-55). On pourrait se dire que cela est « exagéré » : lui, le père, avait quand même dit précédemment « c’est D. Qui veut ce mariage ! », en entendant le récit d’Eliézér. Notre tradition est de dire que, certes, ces paroles sont vraies, mais les personnages qui les ont dites ne sont pas forcément dignes de confiance. La famille va montrer en vérité un autre visage. On connait bien Lavane. La famille n’était pas bien meilleure, comme les idolâtres de l’endroit. Nos Sages connaissent la vérité et savent comment comprendre le texte. Betouél et Lavane disent bien qu’ils n’empêcheront pas les choses de se faire : « voici Rivka devant toi, prends et part… ». Mais le lendemain matin, la famille demande que la jeune fille reste encore. Et même après l’insistance d’Eliézér, elle n’accepte pas, et dit : « … demandons-lui (à Rivka) ». Hier, tout semblait simple, aujourd’hui, cela l’est moins, la famille retient. Qu’aurait-il pu se passer si le chef de famille avait été présent ? On ne sait pas, mais cela aurait été peut-être bien pire. Mais D. a bien fait les choses et Betouél disparait. Eliézér aurait pu dire : le chef de famille a décidé hier de me laisser partir, personne ne peut m’en empêcher. Eliézér est « poli », il ne dit pas cela, mais il rappelle l’argument : c’est D. Qui est intervenu hier (et vous l’aviez avoué…). La famille ne peut pas véritablement s’opposer.

Plus moderne qu’en apparence

Eliézér cherche la jeune fille qui doit épouser le fils de son maître. Il fait ce qu’on peut appeler un test. Sans chercher à savoir si c’était ou non le bon moyen, cela nous rappelle un peu les tests qu’on fait passer, depuis la nuit des temps, à ceux qui veulent prendre certaines fonctions. Le principe du test est en général toujours le même. Ce qui est presque amusant ici est que le test est d’une simplicité déconcertante. Il s’agit de demander à boire. Qui aurait imaginé une demande aussi « bête » ? Il y a pourtant ici une grande leçon. D’abord, comme précise certains commentateurs, il s’agit de tester une forme de moralité. Pour cela, les gestes très simples du quotidien suffisent, et sont souvent très significatifs. Nul besoin de chercher plus loin. Puis, il faut chercher un élément fondamental. On aurait pu imaginer qu’il demande à la jeune fille (d’une manière ou d’une autre) si elle sait tenir une maison. Il considère qu’un acte de bonté exprime bien plus, qu’il est bien plus fondamental. Demander à quelqu’un s’il sait est moins intelligent que de demander s’il est capable d’apprendre. La recherche du progrès, du savoir-faire, occulte souvent les capacités plus profondes, et souvent plus importantes. Par exemple, une personne qui sait maîtriser sa propre colère sait peut-être mieux gérer une situation donnée, qu’un spécialiste de cette situation qui lui, ne maîtrise pas sa colère. Car dans certains cas, la colère fera perdre les moyens, et alors, le spécialiste sera en bien moins bonne posture que le non-spécialiste. Ainsi, certains tests actuels ne sont peut-être pas les meilleurs à appliquer, en tous cas, ils sont souvent insuffisants…

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