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Poisson d’avril (avec écailles et nageoires)

par: Jonathan Touitou

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La Parasha Chemini tombe souvent en plein mois d’avril, et curieusement c’est dans celle ci même que l’on trouve les versets desquels on apprend les lois concernant la cashrout des créatures aquatiques. Ayant des origines (partiellement) tunisiennes et donc une forte appétence pour le poisson,

Nous n’avons pas pu résister à la tentation de “plonger” dans cette étude.

La Torah en langage de signes?

Notre étude commence au verset 9 du chapitre 11 du Lévitique:

ט אֶת-זֶה, תֹּאכְלוּ, מִכֹּל, אֲשֶׁר בַּמָּיִם: כֹּל אֲשֶׁר-לוֹ סְנַפִּיר וְקַשְׂקֶשֶׂת בַּמַּיִם, בַּיַּמִּים וּבַנְּחָלִים–אֹתָם תֹּאכֵלוּ.

De ceci vous mangerez, de tout ce qui est dans l’eau, tout ce qui a des nageoires et des écailles dans l’eau, dans les mers ou dans les fleuves, ceux-ci vous mangerez.

Nous avons tous appris sagement que la Torah interdisait la consommation des poissons n’ayant ni écaille ni nageoire.

כל שיש לו קשקשת יש לו סנפיר ויש שיש לו סנפיר ואין לו קשקשת. וליכתוב רחמנא קשקשת ולא ליכתוב סנפיר א »ר אבהו וכן תנא דבי ר’ ישמעאל יגדיל תורה ויאדיר

Tout animal ayant des écailles a forcément des nageoires, et celui qui a des nageoires n’a pas forcément d’écailles.

Que la Torah ne parle alors que d’écailles et pas de nageoires! Rabbi Abahou a dit ainsi que l’a enseigné Rabbi Ismaël, [la raison de cette précision a pour objectif de] faire grandir la Torah et de la glorifier. (Houlin 66b)

De prime abord, Il est intéressant de constater que d’après le Talmud la précision du signe “nageoire” est superflue. En effet, la tradition nous enseigne qu’un poisson doté d’écailles a forcément des nageoires. Cette tradition est d’ailleurs jusqu’à aujourd’hui confortée par la science, malgré des tentatives de discrédits infructueuses (recherchez monopterus cuchia kashrout sur Google).

Autre élément bien plus déroutant…

La réponse de Rabbi Abahou, si la Torah a donné ce détail c’est pour faire grandir et glorifier la Torah. En vérité, nous ne pensons pas que la vérité “scientifique” d’une assertion énoncée avec 3000 ans d’avance soit le sens de la réponse de Rabbi Abahou. Le Ritba voit d’ailleurs une preuve à un principe sujet à discussion chez nos sages.

La controverse est la suivante: Les signes que nous donne la Torah pour identifier la Cashrout d’un animal sont ils la cause ou la conséquence de leur nature. Illustration: l’anguille n’a pas d’écaille parce qu’elle n’est pas pure ou son absence d’écaille est-elle la cause de son impureté?

Le Ritba tire de notre passage une preuve de la prééminence du signe distinctif sur la nature de l’animal. D’après lui, Les nageoires sont un signe et donc une cause de pureté ce qui explique la nécessité de la Torah de préciser ce signe même si a postériori celui ci n’est pas nécessaire pour identifier la kashrout du poisson.

D’après cette lecture, la Torah se glorifie par sa manière de définir les choses non pas sur leur aspect mais sur leur nature profonde. Un signe n’est pas une caractéristique causée par un élément dont la teneur nous échappe, mais un élément intrinsèque de la définition de la chose qui est à portée d’œil…

Bouillabaisse

Le verset que nous avons cité précédemment nous livre un autre enseignement. Celui ci nous donne une précision assez déconcertante.

מַּיִם, בַּיַּמִּים וּבַנְּחָלִים

Dans l’eau, dans les mers ou les fleuves…

De ce verset nous voyons que seuls les animaux n’ayant ni écailles ni nageoires vivant dans la mer ou les cours d’eaux sont interdits, en revanche s’ils vivent dans une étendue d’eau comme un puits ou un aquarium, il n’y a pas d’interdiction. Étrange restriction.

Par souci de concision et de clarté, nous ne ramènerons pas ici in extenso la dracha telle que formulée dans Houlin 66b, mais sa conséquence, i.e. la loi tranchée par Maïmonide.(loi des aliments interdits II 17-18-19)

ובימים ובנחלים הוא שאתה אוכל את שיש לו ואין אתה אוכל את שאין לו אבל בכלים בין שיש לו בין שאין לו מותר:

“Dans les mers et dans les cours d’eau”, tu [ne] mangeras [que] de ceux qui ont [des écailles et des nageoires], mais dans les ustensiles, que [la bestiole] en ait ou pas [des écailles et des nageoires], c’est autorisé.

שרץ המים הנברא בבורות ובשיחין ובמערות הואיל ואינן מים נובעין והרי הן עצורים הרי הן כמים שבכלים ומותר. ושוחה ושותה ואינו נמנע ואף על פי שבולע בשעת שתייה מאותן השרצים הדקים:

Une bestiole aquatique créée (née?) dans les puits ou dans les citernes ou grottes, puisqu’elles [ne viennent] pas d’eau courante, elles sont comme l’eau des ustensiles (aquarium…) et donc autorisé. Et il pourra puiser et boire de celle-ci bien qu’il avale de ces petites bêtes.

Avec néanmoins, une restriction:

במה דברים אמורים שלא פרשו ממקום ברייתן אבל אם פירש השרץ אף על פי שחזר לתוך הכלי או לתוך הבור אסור

De quel cas parle-t-on? d’une bestiole qui n’a pas été retirée de l’endroit de sa création [le puits], cependant, si la bestiole a été réintroduite après en avoir été retirée, c’est interdit.

Essayons d’illustrer cette loi par deux cas pratiques assez déconcertants:

  1. Je suis au bord d’une source d’eau courante, je puise de l’eau et trouve dans mon eau des écrevisses. Je les fais cuire => ma bouillabaisse est Trefa, non casher.
  2. Je suis au bord d’un puits, j’y puise de l’eau et trouve dans mon eau des écrevisses. Je les fais cuire => ma bouillabaisse est Casher lémehadrin. (avec bien sûr les réserves citées précédemment, à savoir la bête doit être née dans le puits et ne pas y avoir été introduite)

L’eau empoiSSonnée

Permettons-nous une tentative d’explication personnelle “morale” de cette loi édifiante.

Comme chacun sait, la Torah est comparée à l’eau et les juifs aux poissons comme par exemple dans la célèbre parabole de Rabbi Akiva.

  • Que symbolise la dualité cours d’eau/ eau stagnante?

La Torah si elle est étudiée, travaillée décortiquée et appliquée est une Torah de vie, en revanche si les gens la pratiquent par habitude sans se questionner alors elle ressemble à de l’eau stagnante.

  • Pourquoi une bestiole n’ayant pas les signes de pureté dans l’eau stagnante est elle casher, contrairement à l’eau courante?

Lorsque la Torah est étudiée activement (symbolisée par l’eau vive), l’apparition d’un élément impur dans la pensée peut avoir des conséquences dramatiques, comme ceci est clairement explicité dans les Maximes des Pères. (I 11).

Par contre, lorsqu’elle est vécue par automatisme, l’apparition d’un élément impur de façon intrinsèque n’est pas disqualifiant en soit, à condition que celui-ci soit le fait d’une apparition spontanée presque machinale, et non importée d’un autre système de pensée.

En effet, un écart de pensée ou de comportement chez les gens traditionalistes ne détruit pas leur attachement à leurs coutumes, contrairement aux Talmidé Hakhamim dont le moindre écart peut entraîner la chute.

 

Etude dédiée leilouï nichmat Haya bat Eliane

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“Poisson d’avril (avec écailles et nageoires)”

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