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PARACHAT VAYAKHEL – RESSOURCES HUMAINES 20/03/2020

par: Rav Yehiel Klein

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Notre Paracha traite essentiellement de la construction du Sanctuaire et de tous ses ustensiles.

Or en préalable, Moïse précise bien aux Enfants d’Israël (Exode XXXV, 2) : Pendant six jours on travaillera, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Éternel; quiconque travaillera en ce jour sera mis à mort.

Le Chabbat et le Sanctuaire se trouvent donc ainsi étroitement liés.

C’est au point que, en l’absence d’indications explicites, nos Sages (Chabbat 49b) apprennent et indexent la liste des travaux prohibés le Chabbat sur les activités qui furent nécessaire pour l’édification de ce bâtiment [1] .

Dans ce cadre, l’interdit consistant à transférer un objet d’un domaine à l’autre occupe une place particulière.

En effet, les commentateurs du Talmud font remarquer que c’est le seul travail qui ne modifie en rien la nature de l’objet (ce qui n’est pas le cas de la cuisson du pétrissage, etc…) .

Ce manque d’effet concret lui vaut le statut de Mélah’a Guérou’a (‘’travail peu fondé‘’) .

C’est la raison pour laquelle, contrairement à tous les autres travaux dont la simple présence dans le Sanctuaire suffit à frapper d’interdit l’ensemble des activités le constituant (au point de développer des dérivés) , la Hotsaa nécessite d’être précisément identifiée et constatée dans chaque détail pour accéder au statut d’interdit au titre thoraïque .

Le Talmud s’enquiert donc de définir ce qui s’appelle le domaine public, et le trouve dans cette superbe hétérotopie [2] qu’est la Campement des Enfants d’Israël dans le Désert, lieu hors du temps et de l’espace parce que, occupant les arides espaces infinis ce lieu est si vaste et porteur de tant de possibilités qu’il ne saurait qu’être l’espace public par excellence (et par conséquent les demeures privées qui le composent elles aussi ne saurait être autre chose que le domaine privé par excellence- Qu’elles sont belles tes tentes, ô Jacob! (Nombres XXIV, 5))

Quoi qu’il en soit de ces considérations sur lesquelles nous aurons à revenir, un des critères requis pour une voie de circulation quelconque d’intégrer le domaine public est de mesurer au moins seize coudées de largeur [3] .

Et cela nous l’apprenons de la disposition des charrettes qui servaient à déplacer les poutres du Sanctuaire lors des pérégrinations du Peuple dans le Désert.

A cette occasion Le Talmud (Chabbat 99B) nous fait part de ses préoccupations techniques.

Lors d’une séquence virtuose, les Sages sont arrivés à calculer exactement quels étaient les dimensions de chaque charrette de même que l’espace entre elles.

Cependant, quelque chose ne va pas : « [Au final, nous ne trouvons dans la Sanctuaire ] que quinze coudées !

En effet, il faut rajouter sur les côtés une coudée [4] dans laquelle se tenait [constamment] un Lévite qui rattrapait les poutres dès lors que l’une d’elle menaçait de tomber »

Ces considérations nous semblent être des détails, de ceux qui nous feraient trouver le temps long lorsque le rabbin les aborde à la synagogue le samedi matin [5] .

Mais pour peu que l’on veuille approfondir un petit peu, et voir au-delà de ce que l’on a sous les yeux ce dont le texte parle également, on se rendra compte que nous sommes ici en présence d’un passage à l’actualité criante.

En effet, que représente la Hotsa’a, et la notion de Domaine Public ?

Si l’on se réfère à ce qu’en esquisse le Rav Chimchon Raphaël Hirsh dans son Commentaire sur la Torah (cf. Exode XXXV, 2), la différence susmentionnée entre la Hotsaa et les autres Travaux relève du fait que ces derniers ont traits au monde naturel, tandis que la hotsaa se réfère uniquement au domaine social.

Et c’est bien cela qui fait toute la différence.

En effet, l’objet transporté d’un domaine à l’autre ne subit aucune modification physique. Mais d’un autre côté, toute vie sociale et [peut être surtout] économique ne serait pas possible si l’on ne pouvait communiquer, et transporter objets et marchandises, du champ au marché, de l’usine au magasin, etc… [6]

Dès lors, l’interdit de sortir d’un domaine à l’autre exprime le désire de la Torah que le jour du Chabbat nous cessions toute relation économique, et au-delà tout échange tangible, qui sont à la base de toute sociabilité.

L’exigence revendiquée par notre Guémara peut alors être perçue de manière tout à fait singulière :

En intégrant dans la largeur du domaine publique la place des Lévites, le Talmud nous dit ici que la société et l’économie ne doivent jamais se passer du facteur humain.

Certes, si l’on ne prend en compte que les charriots et leurs chargements, on obtient quinze coudées.

Mais est ce que le domaine public peut exister en étant que fonctionnel et efficace, sans qu’il y ait de présence humaine ?

Devra t’on imaginer un Sanctuaire, ou le Troisième temple entièrement mécanisé, avec des robots pour charger et décharger le matériel, ou un logiciel ultra – perfectionné, le summum des algorithmes pour offrir les sacrifices en lieu et place des Prêtres, pour calculer avec le plus de justesse possible le nombre et l’emplacement exact des aspersions de sang sur l’autel ?

Et bien c’est précisément cela que vient nous enseigner notre texte.

La présence du Lévite est indispensable, et ce même si en réalité on nous dit explicitement qu’on a pas forcément

besoin de lui, puisqu’il n’est là que en cas de besoin, si les lourdes poutrelles menacent de flancher.

Malgré tout la Torah ne conçoit pas que le domaine public – c’est-à-dire la sphère socio-économique – puisse a priori se passer d’hommes, et confiner les individus dans leur demeure, dans le domaine privé où ils ne seraient plus que des consommateurs et des spectateurs.

Ce message à notre époque est plus que jamais pertinent.

D’un côté, dans bien des domaines d’activité la robotique semble plus rentable que les personnes (et l’on a déjà des supermarchés sans caissières (mais avec des vigiles]) .

Et d’un autre côté, quand il est question de gérer les ressources humaines (le terme lui-même semble mélanger des notions incompatibles7), et bien justement on s’y prend comme si on était en présence d’un capital, d’une richesse comme une autre.

A travers son contexte et son contenu technique, ce passage de Talmud nous invite donc à réfléchir sur la place que l’être humain doit veiller à se ménager à travers le système capitaliste.

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[1] Cf. Chabbat 49b.

[2] Terme foucaldien (‘’Dits et Ecrits’’ t. IV, ‘’Des espaces autres’’, une conférence de 1984.)

[3] Soit à peu près 9,6 mètres.

[4] Rachi et Tossfot s’opposent quant à savoir comment on la distribuait de part et d’autre du convoi.

[5] Quand toutefois les synagogues sont ouvertes, et qu’on est pas tous confinés dans son Réchout haYah’id, רחל.

[6] Il n’est qu’à penser à l’état actuel d’une économie mondialisée dès lors que plus rien ne peut ni rentrer ni

sortir de Chine !

[7] Puisqu’en un mot comme en cent, c’est de cela dont parle l’interdit de dénombrer directement les Enfants

d’Israël (Exode —-,—-)

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