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La joie à Soukkot

par: Rav Gerard Zyzek

Publié le 17 Octobre 2023

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Cette étude est basée sur un enseignement du Maguen Avot de Rabbi Shlomo Zalman Schnéerson, second Rabbi de Kapust. Le texte présent s’inspire de l’enseignement du Maguen Avot mais n’en est pas la recension précise.

La fête de Soukkot est appelée זמן שמחתנו, Zman Sim’haténou, ‘le temps de notre joie’. Et bien qu’il y ait une obligation de joie lors de chaque fête, néanmoins la Torah caractérise Soukkot comme étant la fête par excellence de la joie comme dit le verset (Devarim 16,14 et 15) :
ושמחת בחגך…והיית אך שמח, « Tu te réjouiras dans ta fête… et tu ne seras que joyeux ». En quoi la joie caractérise-t-elle la fête de Soukkot, et quelle est la teneur de cette joie ?

I. En quoi la joie caractérise-t-elle la fête de Soukkot ?

Le verset dit (Devarim 11,12) ארץ אשר ה’ אלקיך דורש אותה תמיד עיני ה’ בה מרשית השנה עד אחרית שנה, « Une terre que l’Eternel ton D. exige, toujours les Yeux de D. s’y trouvent, depuis le début de l’année jusqu’au bout de l’année ». Le mot « début » se dit רשית, Rèsh, Shin, Youd, Tav, exceptionnellement sans le Aleph entre le Rèsh et le Shin. Les lettres de ce mot sont les mêmes que le mot Tishri, תשרי. C’est-à-dire que le mois de Tishri correspond au Réshit, au « début ». Le mot Réshit signifie aussi « tête ». De la même manière que la tête contient tous les sens qui se ramifieront dans tout le corps, de même le mois de Tishri, appelé Réshit, contient tous les éléments spirituels qui se ramifieront dans toute l’année.   Il y a trois aspects dans le service des enfants d’Israël : la crainte, la Teshouva, et la joie.  Rosh HaShana, premier jour du mois de Tishri, représente la crainte, la יראה. En effet en ce jour toute la création reçoit sur elle la royauté de D. et le roi règne par l’appréhension que ses sujets ressentent à son sujet. Cette Irhah, cette יראה, irradiera toute l’année dans les âmes des enfants d’Israël à partir du service de Rosh HaShana.  Le dix du mois de Tishri, à Yom Kippour, se dévoile la possibilité de la Teshouva, du repentir. Si quelqu’un a chuté et s’est laissé prendre dans les plaisirs et les désirs interdits, Yom Kippour lui donne la possibilité de se reprendre durant l’année et de s’amender.
Le quinze Tishri la fête de Soukkot. Elle nous donne la possibilité d’insuffler de la joie et du renouveau dans notre service de D. et que notre accomplissement des commandements de la Torah ne soit pas durant l’année (Yeshayahou 29,13) מצות אנשים מלומדה, « commandement machinal pour les hommes ». Que l’on insuffle une intention et une vitalité dans l’accomplissement des Mitsvot de la Torah.

II. En quoi la fête de Soukkot nous donne-t-elle les moyens d’insuffler une joie et une vitalité dans l’accomplissement des Mitsvot ? Première partie.

Nous pouvons dire que Yom Kippour quelque part représente le jour de la mort. En effet le traité talmudique afférent à ce grand jour est appelé Yoma, יומא, ce qui signifie ‘le jour’. Cette expression est employée souvent dans le Talmud pour désigner le jour de la mort. En effet à Yom Kippour on ne mange pas, on ne boit pas, les couples n’ont pas de vie conjugale. Selon cette démarche nous pouvons considérer la fête de Soukkot comme un avant-goût des temps futurs, d’un temps après la mort, ce que notre tradition appelle עולם הבא, Olam HaBa, ‘le monde qui vient’.  Mais avons-nous une idée précise de ce Olam Haba ?
La Guemara, dans le Traité Berakhot 17a, nous enseigne :

מרגלא בפומיה דרב לא כעולם הזה העולם הבא. העולם הבא אין בו לא אכילה ולא שתיה ולא פריה ורביה ולא משא ומתן ולא קנאה ולא שנאה ולא תחרות אלא צדיקים יושבין ועטרותיהם בראשיהם ונהנים מזיו השכינה

‘Rav avait l’habitude de dire : le Monde Futur n’est pas comme ce monde-ci. Le Monde Futur il n’y pas de manger, pas de boisson, pas de reproduction, pas de commerce, pas de jalousie, pas de haine, pas de compétition. Mais il y a des justes qui sont assis avec des couronnes sur leurs têtes et qui jouissent de l’éclat de la Présence Divine.’

Sur quoi ces justes sont-ils assis ? La dernière Mishna du Traité Ouktsim, et en fait la dernière Mishna de tout le Shass, nous enseigne :

אמר רבי יהושע בן לוי עתיד הקדוש ברוך הוא להנחיל לכל צדיק וצדיק שלש מאות ועשרה עולמות שנאמר להנחיל אוהבי יש ואוצרותיהם אמלא.

‘Rabbi Yéoshoua ben Lévy dit : dans le futur, HaKadosh Baroukh Hou fera hériter à chaque Tsadik et Tsadik, à chaque juste et chaque juste, trois-cent dix mondes, comme dit le verset (Mishlé 8,21) « Pour faire hériter Ceux que J’aime il y a, et leurs réserves Je remplirai ».’

Nous pouvons dire que le sens simple de ce verset est que D. donnera un héritage pérenne à ceux qu’Il aime, un héritage qui est là. Ce mot יש, Yèsh, que nous avons traduit par « il y a », a 310 en valeur numérique. Mais que nous apporte le fait qu’il y ait trois-cent dix mondes ?  Le verset dans Mishlé (4,5) dit קנה חכמה קנה בינה, « Acquiers la ‘Hokhma, la science, acquiers la Bina, la compréhension ».  « Acquiers », en hébreu, se dit קנה, Kané. La valeur numérique de ce mot est 155. Nous pouvons en déduire que ce que le juste acquiert dans sa vie c’est deux fois 155 en vertu du verset « acquiers la ‘Hokhma, acquiers la Bina », deux fois « acquiers ». Nous pouvons donc dire que les justes qui sont assis dans le Monde Futur le sont sur ce qu’ils ont acquis dans ce monde-ci, c’est-à-dire la connaissance et la compréhension.  [Il est à remarquer que le terme קנה, Kané, que nous avons traduit par « acquiers » est le même mot qui signifie ‘trachée’, c’est-à-dire le conduit par lequel passe l’air. Ce conduit est une sorte de tuyau qui fait passer. De même l’acquisition des justes est une réceptivité à recevoir la connaissance supérieure. Ce n’est pas comme un bien que l’on met dans le coffre à la banque. C’est un passage. Nos Maîtres disent que la trachée, Kané, représente le Monde Futur [1], l’œsophage, Véshèt, par lequel passent les aliments, représente ce monde-ci.]  ‘Ils ont des couronnes sur leurs têtes’. Le terme de la Mishna est עטרה. Il y a un autre mot pour ‘couronne’ : כתר, Kétèr. La valeur numérique de ce mot est 620, c’est-à-dire le double de 320. Leur couronne représente la même somme que ce qu’ils ont acquis. Nous pouvons dire que ce qui couronne le juste n’est pas ce qu’il a acquis mais la perception de tout ce qui lui reste à apprendre.

III. En quoi la fête de Soukkot nous donne-t-elle les moyens d’insuffler une joie et une vitalité dans l’accomplissement des Mitsvot ? Seconde partie.

Nous avons vu que la valeur numérique du mot Kétèr est 620, ce qui correspond aux 613 commandements de la Torah auxquels s’ajoutent les 7 commandements rabbiniques (voir les détails dans le Tiféret Israël [2] sur la Mishna de Okatsim). Ces 620 commandements correspondent aux 620 colonnes de lumière qui sont l’émanation première de la lumière de l’Infini, appelée כתר עליון, ‘couronne supérieure’ [3].

Ces éléments étant posés, nous pouvons aborder maintenant la problématique de la fête de Soukkot. Il y a deux Mitsvot durant la fête de Soukkot, les quatre espèces de végétaux, centrées autour du Loulav et séjourner dans la Soukka.  Au sujet du Loulav le verset dit (Vayikra 23,40) :

ולקחתם לכם ביום הראשון פרי עץ הרר כפת תמרים וענף עץ עבת ןערבי נחל

« Vous prendrez le premier jour (de Soukkot) le fruit de l’arbre splendide, des palmes de palmier, une branche de l’arbre touffu et des saules de rivière. »

La Tradition explique que l’on doit posséder ces quatre espèces pour se rendre quitte de la Mitsva, comme dit le verset ולקחתם לכם, « vous acquerrez pour vous ».  Au sujet de la Soukka le verset (Devarim 16,13) dit :

חג הסוכות תעשה לך שבעת ימים באספך מגרנך ומיקבך.

« La fête de Soukkot, des cabanes, tu feras pour toi durant sept jours quand tu rentreras les produits de ton aire de battage et de ton pressoir. » Le sens premier du verset est de dire que cette fête aura lieu à l’époque où l’on engrange les récoltes, c’est-à-dire au début de l’automne en terre d’Israël.  Néanmoins nos Maîtres en ont donné une seconde lecture aux implications Halakhiques majeures.
Traité Soukka 12a : באספך מגרנך ומיקבך, בפסולת גורן ויקב הכתוב מדבר.
‘« Quand tu rentreras les produits de ton aire de battage et de ton pressoir. » Du résidu de l’aire de battage et du pressoir le verset parle.’
C’est-à-dire qu’il faut faire la fête de Soukkot, construire le toit de la cabane, à partir du résidu végétal. Rashi explique : ‘le résidu de l’aire, c’est-à-dire la paille ; le résidu du pressoir, c’est-à-dire les ceps et les sarments de vigne une fois que l’on en a vendangé le raisin’.
Il ne faudra donc pas lire le verset où la fête de Soukkot serait un complément circonstanciel de temps mais comme un complément d’objet direct : Tu feras pour toi la fête de Soukkot, c’est-à-dire que tu fabriqueras tes cabanes à partir de ce que tu rentres de ton aire de battage et de ton pressoir, c’est-à-dire du résidu de ton aire et de ton pressoir.

Notre Tradition nous enseigne que l’on apprend de cette Drasha que le toit de la Soukka doit être fait à partir de quelque chose de végétal, détaché du sol et qui n’est pas susceptible de recevoir l’impureté, comme le résidu de l’aire et du pressoir qui sont du végétal mais qui ne sont pas le fruit lui-même (voir Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm, chapitre 629).  Nous devons faire à Soukkot le toit de notre cabane, c’est-à-dire ce qui est au-dessus de nous et qui nous protège, de matériau végétal, non-transformé par la main de l’homme (non susceptible de recevoir l’impureté), et résiduel (ce qui n’est pas le fruit lui-même).  En d’autres termes nous pourrions dire que ce qui est au-dessus de nous et qui nous protège c’est ce qui n’est pas le fruit, c’est-à-dire ce que nous ne pouvons pas consommer et assimiler dans notre corps.
Nous avons rapporté dans le livre Le Monde Commence (page 84) l’enseignement suivant de Rabbi Yits’hak Louria :  ‘Le Nom Havaya, le Tétragramme, réside sur le fruit. Le Nom Ehyé, Je serai, réside sur l’écorce, comme dit le Zohar (Vayikra 65b) : Ehyé, qui donne la possibilité à toute fécondité.’

L’écorce du fruit n’est pas assimilable par le corps de l’homme, contrairement au fruit. Mais c’est ce résidu, qui n’est pas assimilable ni consommable, qui protège le fruit, lui permet de ne pas s’abîmer et qui lui donne un futur.  C’est ce que nous ne comprenons pas et qui fait obstacle à notre compréhension qui nous donne un futur, une espérance, une possibilité de progresser.  Il ressort de ce développement qu’il y a deux aspects dans la fête de Soukkot : le Loulav, qui doit être notre possession, correspond à la connaissance que nous avons acquise, et la Soukka, la cabane, qui correspond à ce qui est au-dessus de nous et nous protège, c’est-à-dire ce que nous n’avons pas réussi à comprendre.  [En quoi le Loulav correspond-il à la connaissance que nous avons acquise ? La Mitsva de prendre en main les quatre espèces végétales représente notre réalité humaine que nous ressentons au plus profond de nous-même, après Rosh HaShana et Yom Kippour, comme extrêmement fragile et dépendante absolument de la pluie, c’est-à-dire de la vie que nous demandons à D. : הושענא נא, ‘sauve-nous !’. Ceci est fermement acquis.]

Nous pouvons maintenant reprendre l’enseignement de nos Maîtres relatif au Monde Futur (Traité Berakhot 17a) :
‘Au Monde Futur, il y a des justes qui sont assis avec des couronnes sur leurs têtes et qui jouissent de l’éclat de la Présence Divine.’

L’existence des êtres créés vient de l’émanation et du rayonnement de la lumière primordiale qui vient elle-même du Non-Limité. Il y a deux aspects à ce rayonnement : un rayonnement intérieur, et un rayonnement qui nous entoure, אור פנימי ואור מקיף.  Le Loulav représente le dévoilement de cette lumière dans notre intériorité. Il représente l’acquisition du juste, les trois-cent dix mondes que le juste a acquis.
La Soukka est au-dessus de nous et nous protège. Elle représente la source elle-même de la lumière qui ne vient au dévoilement que dans la perception que cette lumière est au-dessus de nous et nous échappe. La Soukka représente la couronne qui se trouve sur la tête des justes, couronne dont la valeur numérique est le double de trois-cent dix, c’est-à-dire six-cent vingt, Kétèr, כתר, comme le nombre global des commandements de la Torah et des commandements rabbiniques.

IV. La joie de la fête de Soukkot.

L’idée instinctive que nous aurions de la félicité des justes dans le Monde Futur serait une dimension passive et statique. La fête de Soukkot nous enseigne qu’au moment même où nous saisissons le Loulav, à cet instant même nous entrons dans la Soukka, cabane dont le rayonnement nous surplombe, nous dépasse et nous entoure.  Nous proposons de dire que là réside la joie de la fête de Soukkot, dans la perception que nous existons, que nous recevons cette existence, et qu’à ce moment-même cette existence ouvre des possibilités vers un futur.  L’idolâtre veut comprendre. La joie du juif vient au moment même où il comprend quelque chose et qu’à ce moment même il est abasourdi par tout ce qu’il n’a pas compris. C’est merveilleux car il perçoit qu’il y a de nouveaux challenges et que la vie vaut le coup d’être vécue.

Dans le Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm chapitre 668,§2 et 669,§1 est enseigné que le huitième jour de la fête de Soukkot, jour appelé Shemini Atsérèt, ou bien le neuvième jour hors d’Israël, nous terminons la lecture de la Torah et tout de suite nous recommençons sa lecture par le début de Béréshit. Rabbi Moshé Isserless nous dit que ce jour est appelé Sim’hat Torah, jour de la joie de la Torah.
En effet, la joie vient de pouvoir terminer tout un cycle d’étude. Ce qui est une grande satisfaction. Mais à ce moment même nous recommençons la lecture du livre de la Torah au début. En effet nous percevons qu’en fait nous n’avons rien compris et qu’il faut reprendre. Nous touchons à ce moment plus qu’une satisfaction, nous accédons à la joie, à la Sim’ha [4].


[1] Le mouvement respiratoire représente quelque part le Monde Futur. En effet le Monde Futur est un monde de Menou’ha, de repos. Lorsque la personne est prise par les méandres de ce monde-ci elle est stressée, elle a du mal à respirer.

[2] Commentaire de Rav Israël Lipschitz sur la Mishna.

[3] Nous ne nous privons pas de rapporter ce langage qui paraît à raison ésotérique car grâce à ces outils conceptuels nous pouvons pénétrer dans la profondeur et la précision de notre tradition et de la vie juive la plus simple et la plus quotidienne. En un mot, ne nous laissons pas impressionner, chaque élément va se décanter et s’éclairer.

[4] De la même manière, les difficultés dans l’existence et les empêchements peuvent être perçus comme des contrariétés. Mais il est possible de les percevoir comme des challenges et des possibilités de progresser et de découvrir de nouveaux aspects dans la vie. Et peuvent être sources de joie.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

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