img-book

Pourquoi lit-on le livre de Yona à Minha de Yom Kippour?

par: Rav Gerard Zyzek
4.00 out of 5 based on 1 customer rating
1 Forum

Publié le 16 Septembre 2010

0.00

Quantité :
Revenir au début
Print Friendly, PDF & Email

Pourquoi lit-on le livre de Yona à Min’ha, prière de l’après-midi, de Yom Kippour ? Min’ ha de Yom Kippour est un moment très spécial.
D’un côté l’on ressent particulièrement la gravité du jour et d’un autre côté l’on serait tenté de se laisser un peu aller après s’être tellement donné durant toutes les prières qui se sont succédées depuis le début de ce redoutable jour. C’est comme si c’était un peu une prière en trop, on est fatigué de trop de prière, trop de ferveur. On vient de terminer la grande prière de Moussaf, l’effet du jeûne se fait sentir, on aimerait aller dormir, retrouver des forces pour Néïla qui conclut Yom Kippour. Or c’est juste à cette prière de Min’ha de Yom Kippour que nos Maîtres ont institué deux lectures uniques et fondamentales : la lecture du passage de la Torah qui traite des interdits sexuels de la Torah, ce que l’on appelle Parachat HaHarayot, et la lecture du livre de Yona (Traité Méguila 31a), livre de Jonas.
Qu’il faille lire la Parachat HaHarayot à ce moment particulier ne nous pose pas de problème, nous le concevons aisément. Le Taz sur le Choul’han Arou’h (Ora’h ‘Haïm 622,§2) l’exprime parfaitement : ‘étant donné que l’âme de l’homme est plus attirée par ces interdits que par tous les autres, on nous exhorte à nous en prémunir à Yom Kippour qui est un jour redoutable et dont la solennité permettra de graver dans nos cœurs la gravité plus qu’à tout autre jour de l’année’.
Par contre pourquoi lire le livre de Yona ? Et de quoi parle ce livre ? D’aucuns diront : parce qu’il y est question d’une baleine ! Et alors ? Savons-nous de quoi en vérité ce livre parle-t-il ? Et si nous voulions dire que ce livre parle du repentir des habitants de Ninive, en quoi leur repentir nous concerne-t-il, ne sommes-nous pas au cœur du jour de solennité spécifiquement juive ? Pour répondre à ces questions nous allons aborder méthodiquement le texte de Yona. [Beaucoup des intuitions fondamentales rapportées dans les études qui suivent viennent des livres de Mr Yéochoua Bacharach ז »ל et en particulier de son livre sur Yona appelé ‘Yona VeEliahou HaNavi’. Nous encourageons nos amis lecteurs à découvrir l’œuvre capitale de Mr Bacharach dont nous citons quelques titres : Ma Bein Chaoul LéDavid, Ima Chel Mal’hout, Nehim Zemirot Ou Mal’hout.
Très souvent nous ne savons pas comment aborder les textes des prophètes. Yéochoua Bacharach nous enseigne patiemment une méthode reçue de ses Maîtres Talmudistes.
Nous ne citerons pas à nouveau son nom car cela reviendrait à le citer constamment.]

Premier chapitre.

I. Versets 1 et 2.

ויהי דבר ה’ אל יונה בן אמתי לאמר.
‘La parole de D. fut à Yona fils d’Amitaï en disant.’

Qui est Yona ?
Le Pirké DeRabbi Eliézèr au chapitre 33 dit que Yona est le fils de la veuve de la ville de Tsarfat qu’Eliahou le prophète a ressuscité. Le Zohar le déduit par allusion de l’expression בן אמתי, Ben Amitaï, qui signifie ‘fils du vrai’ :
יונה מחילא דאליהו קא אתא, ובגין כך אקרי בן אמתי וכתיב ודבר ה’ בפיך אמת.
‘Yona vient du fait d’Eliahou, et c’est pourquoi il est appelé Ben Amitaï comme dit le verset et la parole de D. est dans ta bouche vraie, Emet.’ (Zohar Parachat Vayakel 197a)

Expliquons.
Au chapitre 17 du premier livre de Rois, les versets nous rapportent qu’Eliahou le prophète fut hébergé chez une veuve dans la ville de Tsarfat près de Tsidon. Après que cette femme et son fils furent nourris miraculeusement par le prophète, cet enfant mourut.
Après qu’Eliahou l’ait ressuscité, le verset dit :
ויקח אליהו את הילד ויורדהו מן העליה הביתה ויתנהו לאמו ויאמר אליהו ראי חי בנך.
‘Eliahou prit l’enfant, le descendit de la chambre haute à l’intérieur et le rendit à sa mère. Eliahou dit : regarde, ton fils est vivant !’
ותאמר האשה אל אליהו עתה זה ידעתי כי איש אלקים אתה ודבר ה’ בפיך אמת.
‘La femme dit à Eliahou : maintenant je sais indubitablement que tu es un homme de D. et la parole de l’Eternel est dans ta bouche vraie, Emet.’
Que veut dire cette femme en disant ‘la parole de l’Eternel est dans ta bouche vraie’ ?
Le Radak, Rabbi David Kim’hi, explique que lorsqu’ils survécurent miraculeusement à la famine, elle pouvait se dire que la profusion, la Bera’ha, venait grâce au mérite du prophète mais faire revivre un mort n’est pas une influence, c’est une intervention, une expérience qui procède d’une dimension de vérité, de Emet.
C’est ce que le Pirké DeRabbi Eliézèr et le Zohar relèvent : Yona s’appelle Ben Amitaï, fils de vérité, c’est-à-dire fils d’une expérience de vérité, une résurrection. Maintenant en quoi une résurrection est une expérience de vérité, la suite de notre étude nous en apportera des éléments d’analyse.

קום לך אל נינוה העיר הגדולה וקרא עליה כי עלתה רעתם לפני.
‘Lève-toi, va à Ninive la grande ville, et appelle sur elle car leur méchanceté est montée devant Moi !’
C’est à dessein que nous traduisons mal, ou plutôt que nous traduisons bien ! Nous traduisons mot à mot pour mettre en relief les aspérités du texte. Le Texte est étonnant : que signifie l’expression appelle sur elle ?
Rachi répond : le texte est elliptique, il manque des mots. Rachi précise qu’il faudra comprendre : appelle sur elle mon appel.
D’accord, nous allons suivre Rachi, mais même ainsi le principal n’est pas résolu, que demande D. que dise Yona aux gens de Ninive ? Le verset ne le dit pas !
Il nous semble devoir répondre que justement l’elliptisme du verset vient nous renseigner sur la mission de Yona. D. demande à Yona qu’il parle. Là est la mission spécifique du prophète : exprimer une parole.
Voir le commentaire de Rachi sur Chemot 7 verset 1.
ויאמר ה’ אל משה ראה נתתיך אלהים לפרעה ואהרן אחיך יהיה נביאך.
‘D. dit à Moché : regarde, je te place en dominateur à l’égard de Pharaon et Aaron ton frère sera ton Navi.’
Que signifie l’expression ‘ton Navi’ ? On ne peut ici traduire le mot Navi par ‘prophète’ car en quoi Aaron serait-il le prophète de son frère ?
Rachi va répondre à nos questions.
יהיה נביאך, ‘sera ton Navi’, il faut comprendre le terme comme la traduction araméenne d’Onkelos : ton interprète. Le terme de Nevouah s’applique toujours à un homme qui exprime publiquement et fait entendre au peuple des paroles de remontrances. Nous trouvons la même racine dans les versets : ‘l’expression des lèvres’ (Ychayaou57,19), ‘elle exprime la connaissance’ (Michlé 10,31), ‘il s’arrêta de s’exprimer’ (Chmouel I, 10,13). En français : prédicateur.

La mission de Yona est de parler, de parler une parole, pour reprendre la remarque fine de Rachi sur notre verset. Pourquoi le verset ne nous dit-il que ‘appelle sur elle’ sans nous dire le complément d’objet ? Nous suggérons de dire que cet elliptisme vient nous exprimer l’agression d’une parole. Toute parole est agression.
Nous pouvons le constater dans notre vie. Nous ne supportons pas que quelqu’un ait à dire quelque chose. Nous ne lui donnons jamais le temps de s’exprimer. Pour exprimer ce que l’on a à dire cela prend du temps. Je ressens quelque chose au fond de moi-même. Pour trouver les mots précis qui vont porter cette intuition cela demande un effort et du temps, qui veut entendre une parole non contrôlée ?
Tais-toi !
Le prophète dit une parole. Peut nous importe ici le contenu de cette parole. Ce que le verset pointe est qu’il exprime une parole. [D’après cette démarche nous pouvons comprendre en quoi souvent les femmes sont plus grandes prophétesses que les hommes. Les hommes sont souvent ancrés dans la sphère du politique, dans la sphère du langage. Les femmes sont souvent plus proches de ce qu’elles ressentent, plus proches de la dimension de la parole]

II. Verset 3.

ויקם יונה לברוח תרשישה מלפני ה’ וירד יפו וימצא אניה באה תרשיש ויתן שכרה וירד בה לבוא עמהם תרשישה מלפני ה’.
‘Yona se leva pour fuir à Tarchich de devant D., il descendit à Yaffo et trouva un bateau pour Tarchich. Il donna son prix et descendit dans le bateau pour aller avec eux à Tarchich de devant D. .’

Verset hallucinant !
D. demanda à Yona de ‘se lever et d’aller à Ninive’. Yona se lève certes mais pour fuir de devant D. !
Lève-toi ! C’est-t-à dire ‘fais un effort’, Yona fait cet effort mais pour fuir de devant D. . Mais comment peut-on fuir de devant D. ? Et pourquoi veut-il fuir de devant D. ? Le verset ne nous le dit pas.
Et reprenons notre question initiale : pourquoi nos Maîtres ont-ils institué de lire le livre de Yona à Min’ha de Yom Kippour ? En tout cas c’est mal parti, si le prophète de D., celui même que le prophète Elie a ressuscité, fait des efforts pour fuir de devant D., alors moi que vais-je faire ? Est-ce un exemple à suivre ? Fuir de devant D. ?
Cette expression d’ailleurs ne fait-elle pas référence à la sortie de Caïn de devant D. ?
ויצא קין מלפני ה’.
‘Caïn sortit de devant D. .’ (Béréchit 4,16)
[Caïn est le premier homme moderne. Il sort de devant D., une sorte d’étranger de Camus, d’homme écrasé par l’étrangeté de l’être]

וימצא אניה באה תרשיש ויתן שכרה
‘Il trouva un bateau en partance pour Tarchich et il donna son prix’
Il donna le prix de quoi ? En hébreu, le mot אניה, bateau, est féminin. L’adjectif possessif relatif au mot ‘prix’ est au féminin, c’est-à-dire que Yona donna le prix du bateau. Qu’est-ce que cela signifie, le verset aurait dû dire qu’il paya sa place ‘à lui’ au masculin !
Rachi répond (en se basant sur la Guemara du Traité Nédarim 38a) qu’il paya le prix de tout le bateau.
Normalement le capitaine du navire attend que les voyageurs arrivent et que petit à petit le bateau se remplisse. Yona est arrivé et a payé tout le prix du navire. Allez hop on démarre !
Pourquoi une telle hargne à enfreindre la volonté de D. ? A fuir de devant D. ?

[En général, lorsqu’on étudie le livre de Yona, on regarde tout de suite le commentaire de Rachi qui en fait répond à nos questions : Yona ne veut pas accomplir sa mission car il sait que les idolâtres sont prompts à faire Techouva, à se repentir, et dès qu’il viendra à Ninive ils s’amenderont. Or c’est ce qu’il ne veut pas ! Car cela reviendrait à mettre en porte à faux les enfants d’Israël qui font très difficilement Techouva. Il ne veut pas être leur accusateur.
En fait cette explication de Rachi s’impose du texte même du livre de Yona au quatrième chapitre.
Ce qui nous intéresse ici c’est qu’au premier chapitre les versets ne nous expliquent rien. Cela nous interpelle. Les versets sont rugueux, violents et présentent Yona obtus, obstiné à s’opposer à la volonté de D. .]

III. Verset 4.
וה’ הטיל רוח גדולה אל הים ויהי סער גדול בים והאניה חישבה להישבר.
‘Et D. projeta un grand vent sur la mer. Il y eu une grande tempête sur la mer et le bateau pensa se briser.’
Encore une fois nous essayons de traduire les mots dans leur précision en assumant leur incongruité : ‘le bateau pensa se briser.’ Qu’est-ce que cela veut dire ?
Nous proposons de dire que le verset veut nous faire vivre le tumulte de la tempête. La tempête est si forte et le bateau bouge tellement qu’on a l’impression qu’il est animé de vie. Un simple anthropomorphisme incongru nous faire vivre tout le déchainement des éléments. [Nous tenons à mettre en exergue l’audace stylistique des textes prophétiques et leur intense richesse poétique. Nous voulons défendre ici qu’une richesse poétique ne procède pas forcément d’un culte du beau mais peut au contraire dénoter d’une intensité existentielle.]

Il est à remarquer que le nom de D. employé ici est le Tétragramme, qui exprime ce que l’on appelle traditionnellement ‘la dimension de Ra’hamim, de miséricorde’. En quoi y a-t-il une expression de miséricorde à faire se déchainer la tempête ?

IV. Verset 5.

וייראו המלחים ויזעקו איש אל אלהיו ויטילו את הכלים אשר באניה אל הים להקל מעליהם ויונה ירד אל ירכתי הספינה וישכב וירדם.
‘Les matelots prirent peur et chacun cria à sa divinité. Ils jetèrent les objets qui se trouvaient dans le bateau à la mer afin de l’alléger, et Yona descendit au fond de la cale, se coucha et s’endormit profondément.’
Reprenons.
‘Et Yona descendit au fond de la cale, se coucha et s’endormit profondément.’
Comment se lasser de cette phrase redoutable ?
‘Il se coucha et s’endormit profondément’.
On le voit plier tranquillement son habit, poser sa tête et s’endormir.
Disons que Yona ne veuille pas être concerné par la tourmente générale et qu’il aille fuir au fin fond de la cale, mais comment a-t-il pu s’endormir ? Bien plus le terme וירדם signifie ‘sommeil profond’. Il s’est endormi d’un sommeil profond.
Nous affirmons que nous ne comprenons rien à ce verset, à quelle expérience humaine fait-il référence, à moins de dire que ces versets des prophètes ne soient que des figures de style ?
Imaginons les Twin Towers percutées par les avions. Tout va s’effondrer. Quelqu’un refuse d’admettre l’inéluctable, et par provocation fait mine de se coucher au nez et à la barbe de ses amis pris de panique. Certes ! Mais qu’une telle personne arrive à s’endormir, et d’un sommeil profond ? De quoi nous parle ce verset ?

[Nous avons traduit le mot כלים par ‘objets’. Ils jetèrent les objets par-dessus bord pour alléger le bateau. Cependant il nous semble que le sens du mot כלים, ‘Kélim’, est beaucoup plus riche que dire simplement ‘les objets’. Les Kélim, ce sont aussi les instruments, les outils de l’homme. Nous aimerions dire que les matelots, face à cette adversité soudaine, se débarrassèrent de tout ce qui leur était superflu, de tout ce qui leur était accessoire pour se laisser bouleverser par ce qui se passait.]

V. Versets 6 et 7.

ויקרב אליו רב החובל ויאמר לו מה לך נרדם קום קרא אל אלקיך אולי יתעשת האלקים לנו ולא נאבד.
‘Le capitaine du navire s’approcha de lui et lui dit : qu’as-tu à dormir ? Lève-toi et implore ta divinité, peut-être que D. pensera à nous et ne serons-nous pas perdus !’
ויאמרו איש אל רעהו לכו ונפילה גורלות ונדעה בשלמי הרעה הזאת לנו ויפילו גורלות ויפול הגורל על יונה.
‘Et chacun dit à l’autre : allez tirons au sort pour que nous sachions à cause de qui nous arrive cette catastrophe ! Ils tirèrent au sort et le sort tomba sur Yona.’

Ces marins sont des idolâtres. Chacun implore son petit dieu. Toutefois nous constatons un grand bouleversement intérieur en eux. Le capitaine s’approche de ce passager atypique, commence par le sommer d’implorer son dieu, mais tout de suite il dit : ‘peut-être que D. pensera à nous’ comme s’il percevait l’œuvre d’une providence supérieure.

Le verset ne rapporte aucune réaction de Yona.
Si les marins sont en extrême émois, Yona lui ne daigne même pas réagir aux paroles vibrantes du capitaine, on dirait Diogène : ôte-toi de mon soleil ! Tu me déranges dans mon sommeil !

‘Et chacun dit à l’autre : allez tirons au sort pour que nous sachions à cause de qui nous arrive cette catastrophe !’
Et pourquoi tirerait-il au sort ? Comment peuvent-ils penser que c’est à cause de ce qui se passe dans le navire qu’arrive cette tempête ? Une tempête est une catastrophe de grande ampleur qui dépasse la dimension de ce petit bateau !
Rachi rapporte le Pirké DeRabbi Eliézer qui répond : ‘ils voyaient au large les autres bateaux naviguer calmement, en toute sérénité, seul le leur allait se briser. Ils se dirent : à cause de qui nous vient cette calamité ?’

VI. Versets suivants.

ויאמרו אליו הגידה נא לנו באשר למי הרעה הזאת לנו מה מלאכתך ומאין תבוא מה ארצך ואי מזה עם אתה.
‘Ils lui dirent : racontent-nous s’il te plait par rapport à qui as-tu fauté ? Quel est ton métier ? De quel pays viens-tu ? Quel est ton peuple ?’

Les questions sont posées sans aucun ordre, pêle-mêle. Tous le harcèlent de questions.

ויאמר אליהם עברי אנכי ואת ה’ אלהי השמים אני ירא אשר עשה את הים ואת היבשה.
‘Il leur dit : je suis hébreu. C’est l’Eternel le D. des cieux que je crains, Lui qui a fait la mer et la terre ferme.’
Il y a quelque chose de messianique chez Yona. Par ces quelques mots splendides, il permet à des idolâtres de percevoir et de comprendre l’essentiel. Je sers le D. Un qui domine toute réalité et y imprime Sa justice. Ces paroles, qui sont en fait les premières paroles de Yona depuis le début du livre, nous renvoient un peu aux premières paroles de Joseph devant Pharaon (Béréchit 41,15 et 16).
ויאמר פרעה אל יוסף חלום חלמתי ופותר אין אותו ואני שמעתי עליך לאמור תשמע חלום לפתור אותו.
‘Parho dit à Yossef : j’ai fait un rêve et personne n’arrive à me l’interpréter. J’ai entendu dire à ton sujet que tu entends l’art d’interpréter les rêves.’
ויען יוסף את פרעה לאמור בלעדי אלקים יענה את שלום פרעה.
‘Yossef répondit à Parho : ce n’est pas moi ! D. donnera l’explication qui rassérènera Parho.’

A la différence, qu’avec toute sa grandeur, Yona n’a de cesse que de fuir pour ne pas accomplir la volonté du D. Un !
Si, comme nous allons le voir, les vulgaires idolâtres se sont rendus compte avec tremblement de la toute puissance du D. d’Israël, comment Son prophète ne déclare-t-il pas forfait en disant : bon, j’ai eu tord ! Je me range à la volonté de D. ? Certes il ne veut pas devenir l’accusateur des enfants d’Israël comme Rachi nous l’a expliqué, mais il est bien clair et éloquent que D. n’est pas d’accord avec lui, pourquoi ne se plie-t-il pas à la volonté de D. ?
Et pour reprendre notre sujet initial : est-ce bien un exemple pour nous en ce jour de Yom Kippour ?

וייראו האנשים יראה גדולה ויאמרו אליו מה זאת עשית כי ידעו האנשים כי מלפני ה’ הוא בורח כי הגיד להם.
‘Les hommes furent pris d’une très grande peur et ils lui dirent : qu’as-tu fait ? Car ces hommes surent qu’il fuyait de devant D., car il le leur avait dit.’

De marins ou matelots le verset les appelle maintenant ‘les hommes’.

Le verset dit וייראו האנשים יראה גדולה, ‘ils furent pris d’une très grande peur’.
Souvent nos Maîtres traduisent l’expression יראי ה’, ‘ceux qui craignent D.’ que nous trouvons fréquemment dans Téhilim, par ‘ce sont les convertis’, אלו הגרים. Ces marins accédèrent ici à une compréhension fondamentale, cette grande peur leur a changé la vie.
Mais qu’est-ce qui leur a fait si peur ?
Nous proposons de dire que c’est la découverte de l’intense liberté humaine qui les a terrorisés, de voir la grandeur de cet homme aux prises avec son Créateur qui les a faits accéder à être appelés ‘les hommes’.
L’idolâtre pense que le divin domine tout.
De découvrir que l’homme peut agir fait peur.

[Nous aurons pour preuve à cette démarche le fait, comme nous l’avons mentionné plus haut, que le nom de D. dont il est question ici est le Tétragramme, c’est-à-dire le nom qui exprime ‘la dimension de Ra’hamim, de miséricorde’. Or qui a-t-il a priori à être terrassé par le dévoilement de cette dimension ?
Et d’ailleurs le verset qui clôt ce chapitre et duquel nos Maîtres disent que ces marins se sont convertis au judaïsme dit :
וייראו האנשים יראה גדולה את ה’.
‘Les hommes furent pris d’une très grande peur, une très grande peur de D. .’
Or le terme utilisé est le Tétragramme : ils furent terrassés par le fait que D. donne à l’homme la possibilité qu’il fasse son chemin.
Comme nous l’avions vu plus haut, c’est D. dans sa dimension de Ra’hamim qui fait se déchainer la tempête, ce qui a priori est ahurissant.
Selon cette démarche, nous pouvons, grâce à ce passage de Yona, saisir un peu la nécessité au cœur de ce jour de Yom Kippour du tirage au sort entre les deux boucs au Temple, dont l’un sera offert en offrande à D. et l’autre ira à l’Azazel, pour nous signifier la capacité radicale de faire le bien ou de faire le mal.]

Continuons.
ויאמרו אליו מה נעשה לך וישתוק הים מעלינו כי הים הולך וסוער.
‘Ils lui dirent : que pouvons-nous faire pour toi et que la mer se taise de nous car la mer était de plus en plus en fureur.’
ויאמר אליהם שאוני והטילוני אל הים וישתוק הים מעליכם כי יודע אני כי בשלי הסער הגדול הזה עליכם .
‘Il leur dit : portez-moi et jetez-moi à la mer, alors la mer se calmera de vous, car je sais que c’est à cause de moi que cette terrible tempête vient sur vous.’

On ne comprend pas comment Yona assume de s’exposer sciemment à la mort. Qu’il fasse Techouva et il n’y aura plus de problème !

VII. Comment Yona a-t-il pu assumer de s’exposer sciemment à la mort ?

La Me’hilta aborde cette grande question (Parachat Bo) :
רבי יהונתן אומר לא הלך יונה אלא לאבד עצמו בים שנאמר ויאמר אליהם שאוני והטילוני אל הים. וכן תמצא במשה והנביאים היו נותנין עצמם על ישראל, במשה הוא אומר ועתה אם תשא חטאתם ואם אין מחני נא מספרך אשר כתבת, אם ככה את עושה לי הרגני נא הרוג אם מצאתי חן בעיניך ואל אראה ברעתי. בדוד מהו אומר הנה אנכי חטאתי ואנכי עויתי ואלה הצאן מה עשו תהי נא ידך בי ובבית אבי. הא בכל מקום אתה מוצא האבות והנביאים נתנו נפשם על ישראל.
‘Rabbi Yéhonatan dit : Yona était prêt à y laisser sa vie. Il leur dit : portez-moi et jetez-moi à la mer. C’est cette même attitude que l’on trouve toujours chez Moché et chez les prophètes : ils donnent leur vie pour Israël.
Lors du Veau d’Or Moché dit (Chemot 32,32) : Et maintenant, si tu pardonnes leur faute (tant mieux), sinon efface-moi du livre que tu as écrit. Ailleurs (Bamidbar 11,15) : et si c’est ce que tu veux faire (d’amener des châtiments sur Israël), alors tue-moi d’abord, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, et surtout que je ne voie pas mon malheur [ce qui signifie en fait (commentaire de Rachi): que je ne voie pas leur malheur]. Le verset ne dit-il pas au sujet de David : Voici j’ai fauté, j’ai abimé, et ce mouton [c’est-à-dire : ce peuple], qu’ont-ils fait [à remarquer le passage du singulier au pluriel] ? Que la main [le châtiment] s’abatte sur moi et sur la maison de mon père !’

Certes les prophètes donnent leur vie pour Israël, comme nous l’enseigne la Me’hilta, mais outre le côté grandiose et héroïque, esthétiquement plaisant dirions-nous, qu’est-ce que cela signifie ?
Certes, a minima, on pourrait dire que ces dirigeants du peuple juif (Moché, David) ne sont pas des carriéristes, des apparatchiks, dont le seul but à terme aurait été d’asseoir leur risible pouvoir et leurs comptes en banque en Suisse ! C’est déjà pas mal. Mais quelle est la pertinence de cette attitude sacrificielle ? Rabbi Akiva ne nous enseigne-t-il pas que si je dois sauver ma vie ou celle d’autrui, c’est la mienne qui prime (Traité Baba Métsia 62a) ?

Revenons à Yona. Il ressort de la Me’hilta clairement que Yona refusait d’aller à Ninive, comme D. le lui ordonnait, pour ne pas accuser le peuple juif et qu’il était prêt à mourir pour ne pas être accusateur.
Mais quelle est la justification d’un tel sacrifice ?

VIII. ‘Efface-moi du livre que tu as écrit !’

De quel livre s’agit-il ?
Rachi explique : ‘Si tu ne leur pardonnes pas efface-moi de toute la Torah, je ne veux pas voir mon nom apparaître de toute ta Torah pour qu’on ne dise pas que je n’étais pas capable de les sauver par mes prières.’
Quel est cet argument ‘pour qu’on ne dise pas’ ? Que nous importe que l’on dise ou qu’on ne dise pas ?
Rachi nous semble dire la chose suivante : si je n’arrive pas à les sauver par ma prière je ne suis pas au niveau d’être leur maître, il devient illégitime d’inscrire mon nom dans ta Torah puisque le lien que j’ai avec les enfants d’Israël par le biais de la Torah serait alors somme toute superficiel ! Il faudra comprendre l’expression ‘pour qu’on ne dise pas’ dans le sens : je ne veux pas que l’on croie que quelqu’un qui n’arrive pas à sauver ses élèves par sa prière pourrait être un maître dans Israël ! Ce n’est pas un maître. Efface mon nom !

Nous ne pouvons que constater de ces différents enseignements le lien extrêmement particulier que ces maîtres fondateurs ont tissé avec leur peuple. Mais n’est-ce pas excessif ? En quoi un maître qui n’expose pas sa vie pour sauver ses élèves du châtiment ne peut-il pas être considéré comme un maître ? Il enseigne la matière qu’il faut enseigner ; après, l’élève n’a-t-il pas à prendre ses responsabilités ?

IX. Développement sur le dévouement des Maîtres d’Israël envers leur peuple.

Nous ne pouvons nous empêcher de rapporter ici un développement sur ce sujet tiré du livre Or Hatsafoun, recueil de cours du Sabba de Slabodka, Rabbi Nossen Tsvi Finkel. Nous pourrions en faire l’économie, aller à l’essentiel et évidemment éviter les digressions. Ce serait possible.
Nous donnons notre traduction d’une de ses Si’hot (enseignement de Moussar, éducation éthique) sur la Parachat Noa’h.
‘Selon ce que nos Maîtres nous rapportent, Noa’h (Noé) construisit l’arche pendant cent vingt années au su et au vu de tous. Il haranguait ses contemporains en leur disant que s’ils ne se reprenaient pas D. enverrait un déluge qui détruirait le monde. Ils se moquaient de lui et le tournaient en dérision (Voir Béréchit Rabba 30). Il ne portait pas attention à leurs dires et continuait à les haranguer pour qu’ils fassent Techouva. Mais les textes prophétiques l’accusent de ne pas avoir donné sa personne dans sa prière comme Avraham lorsqu’il pria pour les gens de Sodome.
On peut ajouter d’ailleurs que, d’après la loi stricte, Noa’h n’était pas soumis au commandement de prier, la notion de prier ne faisant pas partie des commandements noa’hides. Et toutefois, par le fait que Noa’h n’atteint pas le niveau élevé d’Avraham, il fut critiqué durement et fut scellé dans la Torah pour l’éternité ‘les eaux de Noa’h’ (deux fois dans les versets du prophète Yichaya 54,9). Dire ‘les eaux de Noa’h’ c’est comme si le prophète disait que Noa’h avait amené lui-même le déluge sur ses contemporains et qu’il avait détruit le monde entier. Et le verset s’exprime ainsi du fait qu’il ne s’associa pas à la souffrance de ses contemporains quitte à donner sa personne comme Avraham et parce qu’il ne pria pas pour ses contemporains.

Nos Maîtres (Zohar Parachat Noa’h 67b) établissent une comparaison entre Noa’h et Moché :
Viens voir la différence entre Moché et le reste des hommes. Lorsque D. dit à Moché « et maintenant laisse-moi (…) et je ferai de toi un grand peuple » Moché se dit : comment laisserais-je Israël pour mon avantage, mais les gens diront que j’ai tué Israël à la manière de Noé qui, lorsque D. lui dit qu’il sera sauvé dans l’arche, ne pria pour l’humanité qui finalement fut détruite, comme dit le verset « car cet exil est comme les eaux de Noa’h pour lesquelles j’ai juré que ne s’abattraient plus les eaux de Noa’h ».
Aussitôt « Moché implora le visage de l’Eternel son D. ». Il ne laissa pas D. jusqu’à ce qu’il s’exposa à la mort, comme dit le verset « et maintenant, si tu pardonnes leur faute (tant mieux), sinon efface-moi du livre que tu as écrit ». Et D. pardonna.

Avraham donna son être pour prier pour les gens de Sodome et le verset dit à son sujet (Téhilim 45,8) ‘Tu as aimé la droiture et tu as haï l’impiété’, ce que le Midrach a traduit (Béréchit Rabba 49,20) ‘Tu as aimé rendre droites mes créatures et tu as haï les rendre impies’ [c’est-à-dire, tu as aimé rechercher ce qu’il y avait de droit dans mes créatures et tu as haï les rendre impies]. Malgré tout Avraham ne s’est pas rendu quitte de tout ce qu’il lui incombait, si on le compare à la dimension de Moché.
Notre Maîtres disent (Zohar Parachat Vayéra 106a) :
Rabbi Elazar enseigne : Avraham n’a pas agi avec perfection. Noa’h n’a rien fait (ni il sauva les justes, ni il sauva les impies). Avraham exigea comme il se doit, que le juste ne meure avec l’impie, mais il n’alla pas jusqu’au niveau de perfection de demander pitié même sur l’impie.
Qui agit parfaitement ? C’est Moché.
Lorsque D. lui dit « ils se sont vite détournés du chemin…» bien que tous aient fauté, Moché ne céda pas tant que D. ne dit pas « j’ai pardonné ».
Il n’y eu personne qui protégea sa génération comme Moché qui fut le berger de confiance רעיא מהימנא. [Fin de l’extrait du texte de Or HaTsfoun]

Essayons de synthétiser.
Il ressort de ces différents enseignements qu’avec le don de la Torah une nouvelle dimension de maître s’est mise à jour.
Noa’h et Avraham, avec toute leur grandeur, sont antérieurs au don de la Torah. Moché, Yona, David, viennent après le don de la Torah.
Pourquoi, pour reprendre l’explication de Rachi, serait-ce une aberration qu’il y ait le nom de Moché écrit dans la Torah s’il eût été incapable de sauver son peuple de la destruction, quand bien même eussent-ils été des fauteurs ?
A minima c’est ce que nous pouvons constater : un maître qui ne donne pas sa personne pour sauver son élève n’est pas un enseignant de Torah, ce ne serait pas de la Torah.
Mais pourquoi ?

X. La dimension de Maître en Israël et la spécificité de Yona.

Rabbi Nossen Tsvi Finkel nous a répondu en un mot à notre question : la Torah commence avec la capacité de nous associer à la souffrance d’autrui.
Nous ajouterions l’élément suivant en posant encore une nouvelle question.
Tout le monde se pose la question : pourquoi le signe d’alliance que D. ordonna à Avraham, le Brith, se trouve-t-il sur l’organe de la reproduction, la circoncision ? En quoi l’alliance entre D. et les hommes se trouve-t-elle en ce lieu précis ?
Un livre d’un des premiers maîtres de la ‘Hassidout, le Or Ha’Hochma de Rabbi Ouri Feivel de Douvanka, répond à cette question (sur la Parachat Tazriah) :
Ce lieu n’est pas seulement l’organe de la reproduction mais est aussi le lieu du lien le plus intime entre un homme et sa femme. D. voulut en créant l’homme que se dévoile dans la Création par le biais de l’homme les modes d’être de D. qui est la dimension du Brith, la dimension de lien, de relation.
Nous pourrons dire alors ainsi : la Torah elle aussi est appelée Brith, alliance. C’est-à-dire qu’elle est l’expression puissante du lien, de l’alliance entre D. et ses créatures. Une Torah qui serait de rupture serait l’antithèse de la dimension d’alliance.
C’est ce que nous voyons chez Moché qui exposa son être pour que D. pardonne aux enfants d’Israël. Et c’est ce que nous voyons chez Yona qui préfère qu’on le jette à l’eau plutôt qu’il en vienne à être, même contre son gré, l’accusateur des enfants d’Israël.
C’est la dimension même de la Torah, la dimension de התקשרות אהבה בין אדם לחברו ובין איש לאשתו, ‘de relation d’amour entre l’homme et son prochain, entre l’homme et sa femme’ pour reprendre les mots du Or Ha’Hochma.
Pour résumer simplement nous dirions ainsi : lorsqu’HaKadoch Barou’h Hou nous a donné de rencontrer de grands maîtres en Torah ou d’apprendre auprès d’eux, ce qui nous a toujours frappé c’est l’intensité de leur émotivité. Ce qui est déconcertant pour des érudits hors du commun !
Mais dans le cas de Yona un problème subsiste : pourquoi ne plie-t-il pas même lorsqu’il est clair que D. lui donne tord, pourquoi ne déclare-t-il pas forfait ?

XI. Suite des versets.

ויחתרו האנשים להשיב אל היבשה ולא יכולו כי הים הולך וסוער עליהם.
‘Les hommes creusèrent pour ramener vers la terre ferme mais sans succès, et la mer se déchaine de plus belle.’
Au lieu de dire ‘les hommes ramèrent’, le verset dit ‘les hommes creusèrent’. Par le choix étonnant du mot ‘creuser’, le verset nous fait vivre l’acharnement des marins à se sortir de là sans en arriver à tuer Yona et la violence des éléments et de l’eau compacte comme des mottes de terre.

[Nous sautons un verset. L’objet de cette étude n’est pas de faire un commentaire continu du livre de Yona mais de développer la problématique initiale.]

וישאו את יונה ויטילוהו אל הים ויעמוד הים מזעפו.
‘Ils soulevèrent Yona et le jetèrent dans la mer, et la mer se retint de sa fureur.’

וייראו האנשים יראה גדולה את ה’ ויזבחו זבח לה’ וידרו נדרים.
‘Les hommes craignirent une grande crainte, de D., ils sacrifièrent des sacrifices et firent des vœux.’
Rachi explique : ‘ils firent des vœux, c’est-à-dire qu’ils prirent sur eux de se convertir et de devenir juifs.’

Nous sommes en face d’un paradoxe criant : le prophète du D. Un s’entête dans son refus de faire la volonté de D. et des hommes vulgaires, incultes, transforment leurs vies à son contact et comprennent l’essentiel de ce qui peut être donné à l’homme de comprendre, ‘ils craignirent une grande crainte, de D.’.

וימן ה’ דג גדול לבלוע את יונה ויהי יונה במעי הדג שלשה ימים ושלשה לילות.
‘D. présenta un grand poisson pour avaler Yona et Yona fut dans les entrailles du poisson trois jours et trois nuits.’
ויתפלל יונה אל ה’ אלקיו ממעי הדגה.
‘Yona pria vers l’Eternel son D. des entrailles du poisson.’

Rachi relève une anomalie dans ces versets. Dans le premier verset, le terme utilisé pour dire poisson est Dag, dans le second verset le terme utilisé est Daga. Dag signifie poisson au masculin, Daga signifie poisson mais au féminin.
Rachi répond en rapportant les enseignements des Maîtres de la Tradition Orale:
‘Yona fut d’abord avalé par un grand poisson mâle. Finalement il y était à l’aise et il ne porta pas son attention à prier. D. fit signe au poisson qui le cracha à l’intérieur de la gueule d’un poisson femelle pleine de fœtus. Yona ne pouvait plus tenir et il pria, c’est ce que dit le verset « Yona pria des entrailles de la Daga.’

XII. Méditons sur les paroles de Rachi !

Il est bien clair que l’enjeu n’est pas de savoir si effectivement Yona était dans un poisson mâle ou dans un poisson femelle. L’anecdote n’est pas notre problème, nous travaillons ici un texte des prophètes. D’autre part ce glissement de langage entre Dag et Daga peut être résolu aisément sans rentrer dans le scénario surréaliste proposé par nos Maîtres. J’aurais pu proposer la lecture suivante : Yona a été avalé par le poisson et il pria du sein de ce même poisson. Le changement de terme, de Dag à Daga, pourrait aisément signifier la nuance du passage du singulier au général, le terme Daga rendant un peu la nuance que l’on trouve en français entre ‘poisson’ et ‘poiscaille’. La portée du changement serait de nous dire que même du sein de l’élément ‘poiscaille’, il est possible de prier à D. ; de l’élément indifférencié, informe et proche de la putréfaction que représente le genre ‘poisson’, il est possible de prier et de s’adresser au Très Haut. Nous voyons d’ailleurs cette nuance de putréfaction au sujet du terme Daga dans le verset (Chemot 7,21) :
והדגה אשר ביאור מתה ובאש היאור.
‘Et la Daga, la poiscaille qui est dans le Nil mourut et le Nil se putréfia.’

Ce n’est pas l’option de lecture prise par les ‘Ha’hamim.
Essayons d’entendre cette lecture.

Yona a été jeté par les marins par-dessus bord. Yona assumait de mourir. Il devait donc mourir dans cinq minutes.
Miraculeusement un énorme poisson l’avale.
Cela ne devait pas arriver et c’est arrivé. Eh bien Yona se porte bien et ne réagit pas, trois jours et trois nuits !
C’est bien ce point que Rachi veut nous mettre en exergue : même avec ce miracle invraisemblable Yona ne réagit pas.
Il me semble qu’à ce niveau nous ne pouvons pas nous satisfaire de la démarche que nous avions travaillée dans les chapitres précédents, la démarche de dire que Yona refuse de faire la volonté de D. pour ne pas accuser le peuple juif.
Ici c’est autre chose. Il est tranquille. Ce n’est que lorsqu’il ne peut pas respirer qu’il réagit et qu’il prie.
Si le problème traité était le refus de Yona, il nous semble qu’en réalisant le miracle que D. lui fait, Yona devrait abdiquer et s’avouer vaincu et se soumettre à la volonté de D. . Ce n’est pas ce qu’il y a l’air de ressortir de ces versets. Yona ne réagit pas.
Un autre problème est en jeu ici.

XIII. Commentaire du Gaon de Vilna, Yona c’est nous.

Yona, c’est l’âme juive, comme dit le Talmud (Chabbat 48a, Sanhédrin 95a) : ‘l’assemblée d’Israël est comparée à la Yona, la colombe’. (Commentaire du Gaon de Vilna sur Yona)

Dès le premier verset, Yona est appelé ‘ben Amitaï’. Nous avons cité le Pirké de Rabbi Eliézer et le Zohar qui nous enseignent que Yona est l’enfant que le prophète Elie avait ressuscité.
En fait nous aimerions dire que c’est une parabole de tout juif : nous sommes tous des ressuscités.
Il ne devrait plus y avoir de juifs. Le peuple juif a vécu tellement de transbahutassions, tellement d’épreuves. Tellement de cultures, de dictateurs, de visionnaires, ont voulu éradiquer ce pauvre petit peuple. Nous avons été séduits par tellement de mirages.
Chaque juif est un miraculé, physiquement et culturellement.
L’âme juive vient dans ce monde témoigner, être prophète.
Mais on s’en fout. Ce n’est pas notre problème. On s’engouffre dans des idées, des plans. On n’arrête pas de vouloir surmonter notre condition d’immigré, de vouloir se faire accepter par les gens biens, quand en fait notre condition d’immigré n’est pas tant notre origine ethnique que notre inadaptation métaphysique au monde trivial.
On veut se faire accepter par les gens normaux (normés) avec une telle énergie que lorsque ces personnes que nous envions se rendent compte que le monde va au naufrage, nous continuons nos simagrées ridicules à vouloir leur ressembler lorsqu’eux-mêmes en sont revenus depuis longtemps. C’est Yona qui dort profondément au fond de la cale, et le capitaine le presse de prier son dieu. Nous dormons. Nous sommes les seuls qui croient encore au progrès, aux vertus des finances, à la réussite sociale. ‘Mon fils fait finances à Dauphine, Madame !’ Quand le bateau coule.

On nous a balancés par-dessus bord et miraculeusement un poisson nous a gobés.
Peut-on vivre, ami lecteur, dans les entrailles d’un poisson ?
Qu’à cela ne tienne notre Yona respire, on ne sait pas comment, et tout va bien.

Rachi, rapportant l’enseignement des ‘Ha’hamim, nous dit : c’est lorsque Yona suffoque et ne peut plus respirer, alors seulement il craque, et se tourne vers D. et prie.
Quelle est la prière de Yona ?

XIV. La prière de Yona.

ויתפלל יונה אל ה’ אלקיו ממעי הדגה.
‘Yona pria vers l’Eternel son D. des entrailles du poisson.’
ויאמר קראתי מצרה לי אל ה’ ויענני מבטן שאול שועתי שמעת קולי.
‘Il dit : de ma détresse j’ai appelé D. et Il m’a répondu. Du ventre du néant j’ai imploré, tu as entendu ma voix.’
Ce dernier membre de phrase retient notre attention.
Premièrement, comment Yona sait-il que D. l’a entendu, Yona est encore au fond des mers ? Peut-être y restera-t-il ?
D’autre part quel est ce glissement syntaxique ? ‘J’ai imploré’ ne désigne pas d’interlocuteur et tout de suite le verset utilise le tutoiement qui désigne un interlocuteur très proche, particulièrement proche.
(Nous sautons deux versets)
ואני אמרתי נגרשתי מנגד עיניך אך אוסיף להביט אל היכל קדשך.
‘Je me disais : je suis chassé de devant Tes yeux et voici que je peux contempler le Sanctuaire de Ta sainteté.’
בהתעטף עלי נפשי את ה’ זכרתי ותבוא אליך תפילתי אל היכל קדשך.
‘Lorsque mon âme défaillit, de D. je me suis rendu compte. Est venue à Toi ma prière, vers le Sanctuaire de Ta sainteté.’

Quel est le contenu de la prière de Yona ?
[Nous avons rapporté les versets qui nous semblent les plus significatifs] Après toutes ses vicissitudes, est-ce que Yona reconnait enfin qu’il s’est trompé et qu’il s’est opposé vainement à la volonté de D. ?
Nous ne trouvons aucune trace de repentir, ce qui serait tout de même bienvenu dans un texte que nous lisons à Yom Kippour !

Paradoxalement nous voulons dire que cette prière de Yona, nonobstant le fait que ne s’y trouve aucune trace de repentir, nous définit avec la plus grande précision ce qu’est l’essence de la Techouva.

Dans sa détresse extrême, il s’est rendu compte de D. . Yona dit : ‘Du ventre du néant j’ai imploré, tu as entendu ma voix’.
Que signifie cette expression ‘tu as entendu ma voix’ ? Mais Yona est encore dans les entrailles du poisson ! Apparemment il n’est pas sorti d’affaire !
De même : ‘de ma détresse j’ai appelé D. et Il m’a répondu’. Où voit-on que D. lui ait répondu ?
La Tefila de Yona va nous définir à la fois ce qu’est la Techouva et à la fois ce qu’est la Tefila, la prière.

XV. ‘Et ‘Hana, elle parle à son cœur’.
La prière de ‘Hana au tout début du livre de Chemouel (I,1,13) est archétypique. Nos Maîtres, dans le Traité Bera’hot (31a et b), construisent à partir de chaque nuance du texte les fondements de ce qu’est une prière.
Le texte dit ‘Et ‘Hana, elle parle à son cœur’. A qui parle-t-elle ? A son cœur ou à D. ?

La Michna dans le Traité Bera’hot (34b) thématise cette ambiguïté.
אמרו עליו על רבי חנינא בן דוסא שהיה מתפלל על החולים ואומר זה חי וזה מת אמרו לו מנין אתה יודע אמר להם אם שגורה תפלתי בפי יודע אני שהוא מקובל ואם לאו יודע אני שהוא מטורף.
‘On rapporte au sujet de Rabbi ‘Hanina ben Dossa qu’il priait pour les malades et qu’il disait : celui-ci vivra, celui-ci mourra. Ils lui dirent : comment le sais-tu ? Il leur répondit : si ma prière est déliée dans ma bouche, je sais que le malade est agréé, sinon je sais qu’il est rejeté.’

Rachi explique.
‘Si ma prière est déliée, c’est-à-dire si elle est fluide dans ma bouche et qu’elle n’est pas chaotique. Si ma supplique jaillit de mon cœur dans ma bouche et les mots viennent dans leur justesse à l’envie.’
Rabbi ‘Hanina ben Dossa savait que sa prière était acceptée s’il sentait une justesse dans l’expression intime de son cœur. Parfois par contre les mots n’arrivaient pas à venir. Il n’arrivait pas à sentir dans son cœur la justesse de ce qu’il disait. Ça ne venait pas.

C’est ainsi que nous rendrons compte de l’expression ‘Et ‘Hana, elle parle à son cœur’.
Mais tout cela n’est pas clair, quel est le rapport entre parler à son cœur, c’est-à-dire une adéquation intime entre ce que l’on dit et ce que l’on ressent, et parler à D. ?
Les ‘Ha’hamim répondent à cette grande question (Chir HaChirim Rabba 5,2) :
אמר רבי חייא בר אבא איכן מצינו שנקרא הקב »ה לבן של ישראל מן הדן קרא צור לבבי וחלקי אלקים לעולם.
‘Rabbi ‘Hiya bar Abba dit : où trouvons-nous que D. soit appelé Le cœur d’Israël ? Dans le verset suivant (Tehilim 73,26) « Le rocher de mon cœur et mon partage, D. éternellement. »’

Pour donner un peu de corps à ces notions, revenons au livre de Yona.
‘Du ventre du néant j’ai imploré, tu as entendu ma voix’, nous avons demandé : comment sait-il que D. a entendu sa voix, mais Yona est encore au tréfonds de ce monstre marin !

Nous proposons de répondre ainsi. Au moment de sa suffocation, Yona a parlé à D. et il a senti que les mots qu’il disait étaient justes dans sa bouche. Le contact à D. a été rétabli, comme nos Maîtres nous l’enseignent : Hakadoch Barou’h Hou, D., Liban Chel Israël, ‘le cœur d’Israël’.
Yona peut dire alors avec assurance : D. m’a répondu.

XVI. Définition de la Techouva.

Le contact à D. a été rétabli. Au moment où l’essence même de sa vie est en jeu, Yona retrouve une relation simple, vraie avec son Créateur, une proximité.
Pour reprendre la démarche proposée par le Gaon de Vilna, Yona c’est l’âme juive. Chaque juif est là pour dévoiler la gloire de D., pour sanctifier le nom de D..
Yona ben Amitaï, le fils du vrai.
C’est justement parce qu’il est l’enfant qui a été ressuscité qu’il est récalcitrant à faire la volonté de D. !
Essayons d’expliquer ce paradoxe ! Au contraire il devrait être le plus reconnaissant à l’Eternel et courir faire Sa volonté !
Comme c’est un miraculé, comme le fait de vivre n’est pas pour lui une normalité, vivre pour lui touche une dimension de vérité, ben Amitaï, fils du vrai. Tant qu’il ne perçoit pas cette dimension existentielle, cela ne l’intéresse pas. Inconsciemment il préfère fauter, si l’on peut s’exprimer ainsi, car faire la volonté de D. et que ne s’y exprime pas une densité existentielle, ce n’est pas pour lui une sanctification du Nom mais l’expression morbide d’une norme.
Yona est le plus récalcitrant, tous reviennent à D. et lui dort.

C’est lorsque le profond de sa vie est en jeu que tout se repositionne.

Reprenons deux versets cités plus haut.
ואני אמרתי נגרשתי מנגד עיניך אך אוסיף להביט אל היכל קדשך.
‘Je me disais : je suis chassé de devant Tes yeux et voici que je peux contempler le Sanctuaire de Ta sainteté.’
בהתעטף עלי נפשי את ה’ זכרתי ותבוא אליך תפילתי אל היכל קדשך.
‘Lorsque mon âme défaillit, de D. je me suis rendu compte. Est venue à Toi ma prière, vers le Sanctuaire de Ta sainteté.’
Tout a basculé pour lui lorsque son cri a été juste dans son cœur et dans sa bouche. Alors il a perçu que sa vie, où ce qu’il en restait, existait, que sa vie le concernait. Bien qu’au tréfonds de l’abîme, il se retrouvait en face du D. Un, dans une proximité qu’il ne pouvait plus espérer.
Cette proximité est la définition même de la Techouva.
Revenir de ses fautes est fondamental mais ne caractérise pas l’essence de la Techouva. Les fautes font obstacle à cette proximité, le repentir de ses fautes s’impose mais ne définit pas ce qu’est la Techouva.
Voir Rambam (Hil’hot Techouva ch.7,§7):
כמה מעולה מעלת התשובה. אמש היה זה מובדל מה’ אלקי ישראל שנאמר עונותיכם היו מבדילים ביניכם לבין אלקיכם…והיום הוא מודבק בשכינה שנאמר ואתם הדבקים בה’ אלקיכם.
‘Combien sublime est le niveau de la Techouva ! Ne serait-ce qu’hier, il était séparé de l’Eternel, le D. d’Israël, comme dit le verset « vos fautes faisaient une séparation entre vous et votre D. » ; (…) et aujourd’hui il colle à la présence divine comme dit le verset « et vous, vous qui êtes collés à l’Eternel votre D. ».’
C’est cela la prière de Yona et c’est cela la Techouva de Yona :
‘Lorsque mon âme défaillit, de D. je me suis rendu compte. Est venue à Toi ma prière, vers le Sanctuaire de Ta sainteté.’

[Le grand Maître de notre génération Rav Chlomo Wolbe ז »ל a beaucoup œuvré pour trouver des mots pour définir la teneur de cette proximité, de cette complicité avec Notre Créateur. Nous rapportons ici une de ses explications.
La Guemara dans le Traité Sanhédrin (59b) nous enseigne :
רבי יהודה בן תימא אומר אדם הראשון מיסב בגן עדן היה והיו מלאכי השרת צולין לו בשר ומסננין לויין.
‘Rabbi Yéouda ben Téma dit : Adam trônait à son festin dans le jardin d’Eden et les anges du Service Divin lui grillaient de la viande et lui filtraient le vin.’

A part l’image vaguement Walt Disney de ce Midrach, que veulent nous enseigner ici les ‘Ha’hamim ?
Rav Wolbe explique ainsi. Ce Midrach nous explique la position originelle de l’homme dans le monde. Le monde est là pour l’homme, ou plutôt pour Adam car la connotation du mot ‘l’homme’ est trop grandiloquente, trop générique. C’est ce que le Midrach exprime en disant ‘les anges du Service (…)’ : les anges du Service, ce sont les différentes expressions de la nature qui sont des envoyés divins au service d’Adam.
Nous nous percevons dans un monde qui fonctionne pour lui-même et dans lequel nous essayons de manière fort darwinienne de nous faire une place au soleil.
Adam se délecte dans le jardin d’Eden, le jardin de douceur. Le monde est pour lui, il n’est pas étranger dans son monde. Il a une intimité avec ce qu’il vit. Il peut même parler avec Son Créateur puisqu’il est doué de parole.

C’est Yona, qui, du fond de l’abîme, peut dire : je suis en face du Sanctuaire de Ta Sainteté.

La Techouva, c’est le retour au délice d’Adam avant la faute.

XVII. Pourquoi lit-on le livre de Yona à Min’ha de Yom Kippour ?

Min’ha de Yom Kippour est le moment du ‘coup de pompe’. On aimerait aller dormir. Chaque année on se dit que l’on va suivre la lecture de Yona jusqu’au bout sans s’assoupir et malgré tout ‘on pique du nez’. Heureusement qu’il y a les enchères dans certaines synagogues pour mettre un peu d’ambiance !
C’est le moment vide.
Ne sommes-nous pas comme Yona qui défaille dans le cétacé femelle ? Nous n’avons plus de force, plus de ferveur. Avons-nous alors quelque chose d’intérieur à défendre ? Un appel sincère de quelque chose ? Un appel de notre âme de l’intérieur du vide, sans la belle mise en scène de Néïla.
De manière générale nous pouvons dire que c’est l’enjeu de la prière de Min’ha de toute l’année.
Dans un certain contexte nous pouvons comprendre qu’il y ait une prière le matin. ‘Le matin tout resplendit, tout chante’, la journée commence avec ses espérances. Le soir nous angoisse, nous pouvons aisément comprendre que l’on demande la protection divine.
Mais l’après-midi est un moment un peu creux, pourquoi prier ?
La prière de Min’ha est en quelque sorte ‘un moment de vérité’ : indépendamment des contingences qui nous manipulent, qu’investissons-nous dans notre existence ?
Traité Bera’hot 6b :
אמר רבי חלבו אמר רב הונא לעולם יאה אדם זהיר בתפלת מנחה שהרי אליהו לא נענה אלא בתפלת מנחה שנאמר ויהי בעלות המנחה ויגש אליהו הנביא ויאמר.
‘Rabbi ‘Helbo nous enseigne au nom de Rav Houna : Que l’homme fasse toujours attention à la prière de Min’ha car le prophète Elie ne fut écouté par D. qu’à la prière de Min’ha, comme dit le verset (Mela’him I,18,36) « Ce fut lorsqu’arriva le moment de Min’ha, Eliahou s’avança et pria (…) ».’
L’enseignement de Rabbi ‘Helbo est étonnant, quelle est cette manière de nous dire ‘que fasse toujours attention à la prière de Min’ha’, si cette prière est obligatoire il faut la faire, et l’on y fera attention !
Il nous semble que nos Maîtres viennent nous définir la spécificité de la prière de Min’ha, qui vient à un moment incongru et qui justement est la prière du prophète Elie, celui qui a fait justement revivre un certain mort et dont la parole est appelée ‘vraie’ (voir le tout début de notre étude au nom du Zohar).

XVIII. Yona a fait Techouva mais D. n’est pas d’accord avec lui. Essayons d’actualiser la problématique !

Yona ne voulait pas aller à Ninive car il savait que les idolâtres sont prompts au repentir, et que ce repentir outre le fait qu’il risque de mettre en porte à faux le peuple juif, peuple difficile comme nous l’avons vu, n’est en fait qu’un simulacre de repentir.
Mais D. n’est pas d’accord avec Yona et le somme, une fois que Yona est sorti du poisson, d’aller à Ninive.
[Cette partie de notre étude ne sera pas aussi développée que ce qui a précédé. Il faudrait une étude spécifique pour en développer toutes les nuances et analyser les versets des chapitres trois et quatre. Ces chapitres traitent de sujets fondamentaux mais notre but n’est que de traiter le sujet initial.]

Chapitre trois, verset 2 et suivants.

קום לך אל נינוה העיר הגדולה וקרא אליה את הקריאה אשר אנכי דובר אליך.

‘Lève-toi et va à Ninive la grande ville et proclame sur elle l’appel que je te dirai.’

ויקם יונה וילך אל נינוה כדבר ה’ ונינוה היתה עיר גדולה לאלקים מהלך שלשה ימים.

‘Yona s’est levé et il alla à Ninive comme la parole de D., et Ninive était une ville fantastiquement grande, il fallait trois jours de marche pour la traverser.’

ויחל יונה לבוא בעיר מהלך יום אחד ויקרא ויאמר עוד ארבעים יום ונינוה נהפכת.

‘Yona commença à avancer dans la ville une marche d’un jour en criant encore quarante jours et Ninive est détruite !

ויאמינו אנשי נינוה באלקים ויקראו צום וילבישו שקים מגדולם ועד קטנם.

‘Les gens de Ninive crurent en D., proclamèrent contrition et habillèrent de bure du plus grand au plus petit.’

 

Voilà ce que Yona ne voulait pas !

Il ne voulait pas de cette piété, de cette contrition générale ! Le nom de D. utilisé dans le verset n’est pas le Tétragramme qui nous a accompagnés tout au long de l’aventure de Yona, c’est le nom Elokim qui est ici utilisé, la dimension de rigueur, de justice et non de miséricorde. Les gens de Ninive ont peur du châtiment divin et changent leurs actes.

C’est ce que Yona refusait !

Et d’ailleurs Yona crie (ch.4, verset 3) :

ועתה ה’ קח את נפשי ממני כי טוב מותי מחיי.

‘Et maintenant D., prends mon âme de moi, meilleure est ma mort que ma vie !’

 

Quel est le problème ? Pourquoi Yona refuse la Techouva aux gens de Ninive ? N’est-ce pas dans une certaine mesure  totalitaire?

Essayons de comprendre et d’actualiser.

Nous prendrons un exemple de l’actualité.

Un nombre important de scientifiques et d’hommes politiques tirent la sonnette d’alarme face aux dégradations de notre environnement et des risques écologiques majeurs que ces dégradations annoncent.

Ces préoccupations interpellent bon nombre de nos contemporains.

Les angoisses de notre génération ressemblent à la prise de conscience des gens de la civilisation de l’époque, Ninive. Que penserait Yona des risques écologiques ? Nous nous permettrions de dire que Yona trouverait cela surement ridicule. Que signifie pour lui la peur de mourir ? De même que signifie pour nous juifs l’appréhension que les éléments s’emballent, ne sommes-nous pas des miraculés ? Le cataclysme ne s’est-il pas déjà abattu sur nous il n’y a pas si longtemps, quelle signification peut alors avoir pour nous la peur de mourir ? N’est-ce pas risible ? Ne vaudrait-il pas mieux nous interroger plus profondément sur les enjeux de notre existence plutôt que de savoir si les énergies renouvelables sont viables économiquement ?

Je sais que vous ne supporterez pas ces affirmations péremptoires, mais ces réflexions sur l’écologie ne concernent pas le judaïsme, notre vie n’est pas fondée sur la peur de mourir car nous sommes comme Yona, nous savons que la mort est possible. Nos enjeux sont autres.

 

Mais HaKadoch Barou’h Hou, D., n’est pas d’accord  avec Yona. Le quatrième chapitre du livre est consacré à ce terrible débat.

Nous pourrions essayer de synthétiser ainsi. Ta Techouva redoutable, Yona, doit te donner les moyens de comprendre qu’il y a des gens qui ne comprennent rien. Et que leurs démarches, aussi ridicules te semblent-elles, sont toutefois par rapport à ces personnes des démarches. Et sont à respecter.

Se rendre compte de cela fait partie de la démarche de Techouva de Yom Kippour et c’est sur cette compréhension intime que nous pourrons aborder la dernière Tefila, la dernière prière, de Yom Kippour, Néïla.



Voir l'auteur
avatar-author
Directeur de la Yéchiva des Etudiants

  1. Tyson

    J’ignorais qu’il fallait lire le livre de Jonas à kippour. Cependant j’ai constaté qu’il est des gens qui jettent beaucoup de choses et pourtant ne manquent de rien. Je l’ai expérimenté. Quand on est jeune et un peu livré à soi même, on essaie d’accumuler quelque chose. Les décennies passent et in est prêt à jeter tout ce à quoi on tenait. C’est comme si une nouvelle vie commence On doit s’alléger d’un fardeau pour accéder à une nouvelle vie. Le drame est qu’on ‘e sait pas trop de quoi elle sera faire. On n’a plus de certitudes et pourtant on sent bien que c’est un privilège de tout jeter soi même pour avoir la vie sauve. Autrement dit, qu’à d je jette tout par dessus bord, c’est pour avancer vers la vie ou une meilleure qualité de vie. c’est comme prier.