le 19 Octobre 2006
Adam était jardinier dans l’Eden et Noa’h gardien de zoo dans l’Arche…
Cette vue du récit biblique peut vous sembler réductrice… Pour dépasser cela, nous devons, chaque année, retrouver de la matière vivante à travers l’étude de ces récits. Nous allons donc nous atteler à cette tâche.
Nous commencerons par une étude d’un Midrach avant d’en venir à la Paracha de cette semaine, Parachat Berechit.
Le Midrach (Torat Kohanim chapitre 19) enseigne :
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Vayikra, chapitre 19, verset 18) : Rabbi Akiva dit qu’il s’agit d’un grand principe de la Torah. Ben Azaï dit : « voici le livre des engendrements d’Adam » (Berechit, chapitre 5, verset 1) est un plus grand principe.
L’opinion de Rabbi Akiva est bien connue : le fondement de la Torah est l’amour du prochain. Ben Azaï rapporte lui un verset de Parachat Berechit, qui d’après lui renvoie à un principe plus fondamental encore : la Torah est le livre des engendrements de l’homme.
Ce passage du Midrach appelle deux questions : de quoi discutent ces maîtres, et en quoi les versets qu’ils rapportent expriment leur thèse ?
Nous nous aiderons de l’interprétation du Maharal de Prague, ou du moins de ce que nous en avons compris (Netiv Ahavat Re’a 1)
Selon le Maharal, Rabbi Akiva et Ben Azaï sont en train de réfléchir à la grandeur de l’homme. Certes, l’interdiction de tuer son prochain est compréhensible pour beaucoup de gens, mais elle n’exprime pas la puissance que devrait dégager un homme aux yeux de son voisin. Ces Sages semblent chercher un verset qui formule implicitement une représentation forte de l’humain (nous reviendrons plus tard plus largement sur ce point). Rabbi Akiva dit qu’aimer son prochain comme soi-même n’est possible que si on s’identifie à lui (une des formes d’amour pousse vers ce qui nous ressemble, voir Netiv Ahavat Hachem 1). Et penser que je dois l’aimer parce qu’il a deux bras ou deux jambes comme moi n’est pas suffisant. Mais si je pense qu’on possède le même « tselem » (« tselem Elokim » : figure, image divine, reflet de D., qui caractérise le genre humain), le rapprochement est plus évident. Mieux encore : c’est seulement si j’ai une conscience aiguë de mon propre tselem que je peux l’envisager chez mon prochain. Et à ce moment là, l’amour est envisageable.
Toute la Torah n’est là que pour développer à l’infini ce tselem et le préserver. Ainsi, aimer son prochain comme soi-même est un principe général, car il implique que j’adhère à la Torah qui ne me parle qu’en tant que tselem. Voilà en quoi ce verset englobe tous les principes de la Torah d’après Rabbi Akiva.
Ben Azaï voit encore plus grand dans le verset qu’il rapporte. Car la notion de « tselem » est rattachée à l’engendrement. Se soucier d’avoir une progéniture correspond à un souci de pérennisation, d’étendue du tselem. Nos Sages disent que celui qui ne se préoccupe pas d’assurer une descendance (dans la mesure de ses possibilités) diminue l’image de D. qu’il a en lui. Ce verset marque davantage la conscience du tselem, car il va au-delà du partage avec l’autre, ce qui peut donner une vision restreinte du tselem. Par exemple, si je souffre, comment aimer autrui comme moi-même ? Celui qui en a pleinement conscience va engendrer. Non pas pour assurer la continuité du genre humain (ou le versement des futures retraites) mais par sentiment de sa propre grandeur, parce qu’un tselem ne peut être limité par la matière. Et ce verset conclut effectivement par « Il (D.) l’a fait à l’image de D. »
Ces Sages cherchent donc un verset qui englobe une large partie de la Torah, voire toute la Torah. Un élément qui serait à l’origine des autres. On aurait pu dire que le principe de base est un verset qui énonce l’obéissance à D. Mais ce n’est pas une manière de formuler un principe. Nous cherchons à comprendre ce qui fait que nous devrions obéir, ou encore que nous apporte cette obéissance. Car la Torah doit se faire comprendre, il ne s’agit pas de paroles imposées n’offrant pas de sens à celui qui les applique.
Que la Torah nous montre-t-elle alors ? (la racine de « Torah » vient d’un verbe pouvant signifier « montrer »). Ces deux Sages affirment que la Torah s’adresse au tselem de chacun, à l’étincelle divine présente en chaque homme. On ne peut étudier ce livre sans prendre conscience de son tselem. Leur discussion porte alors sur les versets qui expriment le plus fortement les implications de cette réalité du tselem.
L’étude de nos textes réveille en nous une forme ou des formes de sensibilité. Et si jamais nous ne sentons rien, c’est que peut-être, nous imaginons malheureusement que ce n’est qu’une question de capacité intellectuelle. Ce qui nous importe, est de percevoir dans le texte ce à quoi il fait écho. Nos maîtres nous ont appris à chercher autant en nous que dans le texte. Ben Azaï a donc trouvé dans un verset de notre Paracha un grand principe.
Nous pouvons aborder notre première interrogation. Qu’est ce que le travail au jardin d’Eden ? Adam était-il vraiment horticulteur ? Ces questions tout à fait justifiées ne sont probablement pas à notre portée. Il faudrait que nous soyons en mesure de comprendre en quoi ce travail développait-il son tselem.
On peut toutefois en dire un peu plus. L’avantage de l’Eden est qu’il n’existe pas là-bas les distances que nous vivons quotidiennement. On peut toujours dire que le travail c’est la santé, mais on ne le sent pas instantanément. Au jardin d’Eden, on peut sentir cela instantanément. Le temps, l’espace, etc. n’imposent pas les écrans que nous connaissons actuellement. Ainsi, on peut imaginer que le travail qu’Adam réalisait afin de se nourrir et de préserver le jardin lui offrait un développement et un plaisir quasi instantanés. En bref, le paradis ! Comme ce qui est dit à propos de la manne qui ne produisait aucun déchet organique : une nourriture qui se passe d’enveloppes, et autres moyens d’existence et d’assimilation (voir Ramban sur Berechit chapitre 2, verset 17 et Sforno sur Berechit chapitre 2, versets 8 et 15).
L’homme moderne veut aussi tout, tout de suite, partout, tout le temps… mais en quoi son tselem en profite-t-il ? Peut-on vraiment brûler certaines étapes sans regarder autrement la réalité ? Ce que cette Paracha peut nous montrer c’est que la conscience de son propre tselem est un moyen de ressentir que le monde peut fonctionner autrement. Si c’est mon souci de pourvoir au développement de mon tselem, je peux imaginer ou ressentir qu’il existe des éléments d’une autre teneur, dont je profite plus directement.
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