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Tou Bichvat ou la fête du vide.

par: Rav Gerard Zyzek

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Tou Bichvat est mentionné deux fois dans la Hala’ha. La première au sujet des prélèvements du Maasser en Israël (Choul’han Arou’h Yoré Déah 331 §125), la deuxième au sujet de Nefilat Apaïm (Choul’han Arou’h Ora’h ‘Haïm 131 §6).

La Torah confère une sainteté à la Terre d’Israël. Cette sainteté se concrétise (entre autres) par le fait que toute récolte en Israël ne peut être consommée que si certains prélèvements ont été effectués au préalable. Ces prélèvements sont multiples : Terouma, Maasser Richon, Maasser Chéni, Maasser Ani, Teroumat Maasser. Notre propos n’est pas de les détailler. Le point qui nous concerne est le suivant. La Torah (Devarim 14,22) nous dit que lorsque l’on prélève le Maasser, la dîme, des produits de la terre, on ne peut pas prélever cette dîme des récoltes d’une année pour les récoltes d’une autre année. D’autre part, ces prélèvements s’inscrivent à l’intérieur de cycles d’années. Ces cycles sont de sept ans : les premières, secondes, quatrièmes et cinquièmes années c’est le Maasser Chéni que l’on doit prélever ; les troisièmes et sixièmes années c’est le Maasser Ani ; les septièmes années sont les années de Chemita, de jachère.

La question qui se pose à propos de ces prélèvements est de savoir comment définir une année : à quel moment passe-t-on d’une année à une nouvelle année ? La première Michna du traité Roch HaChana nous enseigne que le premier jour du mois de Tichri sera le premier jour de l’année pour les récoltes de légumes. En revanche, le premier jour de l’année pour les récoltes des fruits des arbres est sujet à discussion : l’école de Chammaï dit que c’est le premier jour du mois de Chvat ; l’école d’Hillel dit que c’est le quinze de ce mois. La conclusion légale suit l’avis de l’école d’Hillel.

Pourquoi le jour clef est-il le Premier Tichri pour les légumes et le Quinze Chvat pour les fruits de l’arbre ? D’autre part, comment distingue-t-on un fruit d’un légume ? Le fruit vient d’un arbre, alors qu’un légume vient d’une tige ou d’un bulbe. Le légume nécessite un arrosage constant, alors que l’arbre est défini par son tronc. La vitalité de l’arbre, et donc du fruit de l’arbre, vient de la montée de la sève. A partir de la montée de la sève l’arbre peut vivre, quand bien même ne pleuvrait-il plus. Le fruit se développe à partir de la montée de cette sève.

Or la Guemara (traité Roch HaChana 14a) nous enseigne que le quinze du mois de Chvat en terre d’Israël « la majorité de la pluie de l’année est tombée » et, explique Rachi, « la sève commence alors à monter dans les arbres et les fruits vont commencer à bourgeonner ». Nous comprenons maintenant clairement en quoi le Quinze Chvat est, si nous pouvons nous exprimer ainsi, la ligne de partage des eaux entre la production des fruits d’une année par rapport à une autre année.

Les légumes, ayant besoin d’une irrigation constante suivront par contre la date du Premier Tichri, jour de jugement de l’homme qui, lui aussi, a besoin de recevoir sa subsistance jour après jour.

Pour résumer : le Quinze Chvat, Tou Bichvat en hébreu, est appelé Roch HaChana des arbres. Est-ce à dire qu’il faille ce jour-là souhaiter une bonne année aux arbres ? Non ! Cela signifie qu’à partir de cette date le statut juridique des fruits récoltés en Israël change.

II.

On ne trouve en vérité rien d’autre dans le Talmud au sujet de Tou Bichvat. Mais y a-t-il alors une source au caractère festif de ce jour ? Ou bien serait-ce une invention pure et simple du Keren Kayemet LeIsraël ?

[Notre démarche, comme nous l’ont enseignée nos Maîtres, est de toujours rechercher les sources dans les textes de base, le Talmud et le Choul’han Arou’h, et une fois l’infrastructure conceptuelle définie, de pouvoir alors avoir des éléments pour réfléchir.]

Rabbi Yossef Caro, dans la section Ora’h ‘Haïm du Choul’han Arou’h (131 §6) rapporte que nous avons l’habitude de ne pas faire Nefilat Apaïm le jour de Tou Bichvat. (De même ne dit-on pas Tsidkate’ha Tsédèk si Tou Bichvat tombe le jour de Chabbat.) Nefilat Apaïm sont les Ta’hanounim, les supplications que nous disons après les prières quotidiennes où nous demandons à D. qu’Il pardonne nos fautes. Le Gaon de Vilna explique dans son commentaire que comme Tou Bichvat est, comme nous l’avons rapporté plus haut, un jour de Roch HaChana, ce jour sera considéré comme un jour de fête où l’on ne dit pas de supplication.

Donc, pour résumer, à part le côté juridique du Quinze Chvat défini succinctement dans la première partie de notre étude, nous pourrons dire que Tou Bichvat est un jour où on ne dit pas Ta’hanoun. Mais qu’est-ce que cela nous apporte ?

III.

On ne dit pas Ta’hanoun à Tou Bichvat car c’est comme un jour de fête, dit le Gaon de Vilna. Mais pourquoi ne dit-on pas Ta’hanoun les jours de fête, Chabbat et Yom Tov ? D’autre part le Choul’han Arou’h écrit que l’on ne dit pas Ta’hanoun dans la maison d’un endeuillé. L’argument est que le verset (Amos, chapitre 8, verset 10) dit « je renverserai vos fêtes en deuil », d’où nous apprenons que le deuil est mis en relation avec les jours de fête. Mais quel est le rapport ? Quel est le lien entre les jours de deuil et les jours de fête ?

Il nous semble devoir expliquer ainsi : les jours de deuil sont des jours très particuliers. Les ‘Ha’hamim ont institué que, si quelqu’un perd un proche, il doit pendant sept jours cesser toute activité professionnelle, s’asseoir par terre, ne pas dire bonjour, etc. Tout cela pour donner du poids au départ de ce proche, et ne pas continuer sa vie comme si de rien n’était. Si l’on peut s’exprimer ainsi, il faut mettre les pendules à l’heure. Il s’agit de donner de l’importance et un poids central au départ d’un proche, et il faut changer son quotidien pour cela. Les gens de la communauté accompagnent les endeuillés et viennent s’associer à eux, qui ne peuvent pas sortir de leur maison, en venant faire les prières chez eux. Il y a comme une période de grande proximité avec les choses importantes de la vie, une grande proximité avec D.

C’est la raison pour laquelle on ne dit pas Ta’hanoun. Dans la proximité avec D. on ne mentionne pas les fautes, comme dit le verset (Téhilim chapitre 5, verset 6) :
לא יגורך רע
« Ne résidera pas avec Toi le mal. »
C’est-à-dire que le moment de proximité intime avec D. n’est pas un moment où parler de nos fautes, des choses plus fondamentales étant en jeu.

Les jours de fête du calendrier juif, de même, ne sont pas des commémorations vides, ce sont des jours de Moèd, de rencontre, avec ce qui est important et élevé, avec les enjeux centraux de notre vie, ce sont des jours de proximité avec D. C’est pour cela qu’il n’est pas adéquat de dire des supplications les jours de fête et les jours de Chabbat.

IV.

Si, comme nous venons de le définir, les jours « où nous avons l’habitude de ne pas dire Ta’hanoun » (pour reprendre l’expression du Choul’han Arou’h) sont des jours de proximité particulière avec D., en quoi notre cher jour de Tou Bichvat a-t-il une telle caractéristique ? Comme nous l’avons appris plus haut, Tou Bichvat est le jour à partir duquel nous comptons une nouvelle année pour les récoltes des fruits en terre d’Israël. En quoi ce jour est-il un jour particulier de proximité avec D. pour qu’on n’y dise pas Ta’hanoun, et que ça en devienne sa caractéristique centrale : « Tou Bichvat est un jour où l’on ne dit pas Ta’hanoun » ?

Rabbi Tzvi Eliméle’h de Dinow, dans son livre Bené Issas’har (Maamaré Av, Maamar 4 §2), propose la démarche suivante. Il y a une discussion entre Rabbi Eliezer et Rabbi Yéochoua pour savoir quand le monde a été créé (traité Roch HaChana 10b). Rabbi Eliezer dit que le monde a été créé en Tichri, Rabbi Yéochoua dit que le monde a été créé en Nissan. Mais en vérité lorsque l’on dit « le monde a été créé en Nissan ou en Tichri », il s’agit de la Création de l’homme, qui a été créé le sixième jour de la Création. Donc le début de la Création du monde a eu lieu le 25 Eloul d’après Rabbi Eliezer et le 25 Adar d’après Rabbi Yéochoua. La Guemara dans le traité Sotha (2a) nous dit que quarante jours avant la conception de l’enfant, une voix sort du ciel et dit « la fille d’untel sera pour untel ». Et quarante jours avant le début de la conception du monde, avant le début de la Création du monde, c’est-à-dire le 25 Adar d’après Rabbi Yéochoua, une voix sort du ciel et dit : « Israël se liera avec le Roi de Gloire ». Or quarante jours avant le 25 Adar, c’est Tou Bichvat.

V.

Ce commentaire est un commentaire ‘hassidique. A première lecture il peut paraître loufoque, et j’en suis persuadé, d’aucuns le penseront encore en seconde lecture. Nous en proposons la lecture suivante.

Que veulent nous dire les ‘Hahamim dans le traité Sotha lorsqu’ils nous disent que quarante jours avant la conception de l’enfant une voix sort du ciel et proclame que la fille d’untel sera pour cet enfant ? Nous pouvons tout d’abord dire que nos Maîtres nous enseignent ici que l’homme ne vient pas au monde comme un être perdu, seul, étranger (pour reprendre l’expression d’Albert Camus). Avant même que ne se concrétise quoi que ce soit de son être, était déjà conçue, pensée, ce qui sera sa complémentarité.

Nous nous percevons comme des individus autonomes. A partir d’un certain âge, l’homme ressent le besoin de partager sa vie avec une femme, une compagne. Que veut-il ? Ne plus être seul ? Avoir des enfants ? Nos Maîtres nous enseignent qu’un homme n’est pas un être fondamentalement seul, il est accompagné, par un être qui l’attend et que lui-même attend. La matière, la conception, ne prend sa dimension de nécessité que si elle s’inscrit à l’intérieur d’un désir, d’une attente. Le début d’une concrétisation ne prend existence que si elle s’inscrit dans un projet, dans une pensée.

C’est ce que dit Rabbi Tsvi Eliméle’h de Dinow. D’après Rabbi Yéochoua, la dimension centrale de la Création est la formation du peuple juif, c’est-à-dire la sortie d’Egypte. D. va faire des miracles, il va y avoir les moments constitutifs de l’histoire juive, Pourim, Pessa’h… D. va intervenir dans l’histoire humaine. Mais s’il n’y a pas d’attente de cette délivrance, s’il n’y a pas émergence en nous d’une attente ardente, à quoi rimerait l’intervention de D. dans l’histoire humaine ? D. est libre dans sa Création. Rien ne Le contraint. Le monde n’est pas une machine implacable qui agit à vide. Ce qui va rendre nécessaires les miracles et les délivrances c’est l’attente ardente que les enfants d’Israël en ont, c’est Tou Bichvat.

HaKadoch Barou’h Hou, D., a créé une alternance d’été et d’hiver. Une saison où tout ressort à l’extérieur, une saison lumineuse, et une saison où tout paraît mort, terne, inerte. Tou Bichvat est la fête de l’ennui, où il n’y a rien de spécial à faire. La fête du vide, du cœur de l’hiver. Mais cet ennui est fondamental. C’est du cœur de l’ennui que les choses se décantent et que des idées neuves peuvent monter délicatement, comme cette sève qui commence à monter et va revitaliser toute la création. C’est le jour où, la majorité de la pluie étant tombée en terre d’Israël, la sève commence à monter dans les arbres, où émerge en nous un désir, une aspiration. « La fille d’untel sera pour untel » est dit avant que rien n’ait encore émergé à l’extérieur. Ce n’est pas le jour de la proximité intense avec notre Créateur, mais le jour de l’attente de cette proximité intense. Et s’il n’y a pas cette attente, alors le reste n’a pas de sens, ne signifie rien. A quoi bon Pourim, à quoi bon Pessa’h !

[Prenons un exemple dans la vie de tous les jours. On ne peut apprendre que si on a envie d’apprendre. Souvent, des enfants ont envie d’apprendre s’ils sentent qu’ils sont aimés, qu’ils sont portés par un désir.]

L’école de Chammaï dit que le nouvel an des arbres est le Premier du mois de Chvat, l’école de Hillel dit que c’est le Quinze, Tou. Traditionnellement l’école de Chammaï est présentée comme l’école la plus exigeante intérieurement. Nous pouvons dire quant à notre sujet que pour l’école de Chammaï, le jour de fête sera juste avant que la sève ne monte, dans le creux du vide. Pour l’école d’Hillel ce sera quand la sève commence à monter, ce n’est pas encore une concrétisation, mais un mouvement qui s’initie. Ce mouvement tempère la dureté de l’exigence intérieure de cette fête.

Peut-être est-ce pour cela que l’on accumule du folklore à Tou Bichvat. Il faut à tout prix combler le vide. La nature a horreur du vide.

VI. Etude sur un passage de Parachat Bechala’h. La prière, son fondement et ses limites.

Livre de Chemot, chapitre 14, verset 10 :
ופרעה הקריב וישאו בני ישראל את עיניהם והנה מצרים נוסע אחריהם וייראו מאד וצעקו בני ישראל אל ה.
« Et Pharaon rapprocha. Les enfants d’Israël levèrent les yeux : voici, les Egyptiens les poursuivent ! Ils eurent très peur et les enfants d’Israël hurlèrent vers D. »

Le Midrach (Chemot Rabba 21§5) relève une anomalie. Le texte ne dit pas que Pharaon s’approcha mais dit qu’il rapprocha. Que rapprocha-t-il ? Le Midrach répond : « Il rapprocha Israël de la Techouva ». Le Midrach continue : « Rabbi Bera’hia dit : Pharaon a mieux rapproché les enfants d’Israël de leur Créateur que cent jeûnes et prières. Lorsqu’ils virent qu’il les poursuivait, ils eurent très peur, levèrent les yeux vers en haut, firent Techouva et prièrent, comme dit le verset et les enfants d’Israël hurlèrent vers D. (…) La mer les bloquait, l’ennemi approchait, les bêtes sauvages du désert les guettaient. Et pourquoi D. fit ainsi ? D. désirait leur prière. Rabbi Yéochoua ben Lévy dit : à quoi tout cela ressemblait ? A un roi qui allait en voyage. Il entendit une fille de rois qui hurlait : Sire, sauvez-moi des brigands ! Le roi entendit et la sauva. Les jours passèrent et il voulait la prendre pour femme mais il désirait qu’elle lui parle et elle ne se manifestait pas. Que fit le roi ? Il envoya sur elle des brigands pour qu’elle hurle et qu’il l’entende. Dès que les brigands arrivèrent, elle se mit à hurler. Le roi lui dit : je désirais tellement entendre ta voix ! De la même manière les enfants d’Israël, lorsqu’ils étaient en Egypte et qu’ils les asservissaient, commencèrent à hurler et à tendre les yeux vers HaKadoch Barou’h Hou, comme dit le verset ce fut dans ces longs jours, ils hurlèrent. Aussitôt D. vit les enfants d’Israël. D. commença à les faire sortir avec une main forte et un bras étendu. Mais D. voulait à nouveau entendre leurs voix et eux ne voulaient pas. Que fit-il ? Il fit en sorte que Pharaon ait l’idée de les poursuivre, comme dit le verset : et Pharaon rapprocha, tout de suite le verset dit : et les enfants d’Israël hurlèrent vers D. A ce moment D. dit : c’est ce que je désirais, écouter votre voix. »

Outre son côté “contes et légendes d’Israël”, ce Midrach nous enseigne un point fondamental : nous percevons a priori que les difficultés de notre existence, les impasses dans lesquelles nous nous trouvons parfois, font que, lorsque nous ne leur trouvons pas de solution, nous nous tournons vers la prière, à défaut d’autre chose. Avec le risque que cela soit une sorte d’opium auquel on s’adonnerait, une fois les autres analgésiques épuisés.

Les ‘Ha’hamim nous enseignent ici une toute autre approche : le but, c’est la prière. Comme les ‘Ha’hamim le disent dans le traité Yévamot (64a) :
אמר רבי יצחק למה היו אבותינו עקורים מפני שהקב »ה מתאוה לתפלתן של צדיקים.
« Rabbi Its’hak dit : pourquoi nos pères étaient stériles ? Parce que D. désire la prière des justes. »

D., dans une certaine mesure, manipule Pharaon (le problème de la liberté de Pharaon n’est pas le sujet de cette étude) pour que les enfants d’Israël prient. La Mer Rouge, le désert, les ennemis, tout est pour que les enfants d’Israël prient.

Mais si la prière est si fondamentale, pourquoi, juste après, D. somme-t-il Moché de ne pas prier ? Verset 15 :
ויאמר ה’ אל משה מה תצעק אלי דבר אל בני ישראל ויסעו.
« D. dit à Moché : que cries-tu vers moi ? Parle aux enfants d’Israël et qu’ils avancent ! »

Quelle est la récrimination de D. à l’égard de Moché si la prière est le but recherché ?

VII.

Beaucoup de démarches ont été proposées pour répondre à cette question. Regardons le commentaire de Rachi : « Que cries-tu à moi : Ceci nous enseigne que Moché était en train de prier. D. lui dit : ce n’est pas le moment, lorsque les enfants d’Israël se trouvent dans la détresse, de faire une longue prière. » Ce commentaire de Rachi est stupéfiant : n’est-ce pas justement à ce moment qu’une longue prière est particulièrement bienvenue ?

[Cette question nous rend heureux. En effet la prière est pour nous une souffrance, une souffrance en cela que lorsque l’on touche aux choses religieuses, voire bigotes, tout est permis, car de toute façon on ne sait pas de quoi on parle. C’est pourquoi il nous parait du plus grand intérêt de voir qu’une fois D. a dit « stop ! » à la prière de Moché.]

Nous avons trouvé une explication sublime à ce commentaire de Rachi dans le Béèr Moché de Rabbi Moché Yé’hiel Epstein de Ojrow :

La Guemara dans le traité Bera’hot (32b) enseigne :
אמר רבי חייא בר אבא אמר רבי יוחנן כל המאריך בתפילתו ומעיין בה סוף בא לידי כאב לב שנאמר תוחלת ממושכה מחלה לב, מאי תקנתיה יעסוק בתורה שנאמר ועץ חיים תאווה באה, ואין עץ חיים אלא תורה.
« Rabbi ‘Hyia bar Aba dit au nom de Rabbi Yo’hanan : toute personne qui fait une longue prière et scrute cette prière en viendra à souffrir au cœur, comme dit le verset (Michlé 13,12) : «une attente prolongée donne une maladie de cœur». Que doit-il faire alors ? Qu’il s’investisse dans l’étude de la Torah, comme dit le verset (suite du verset de Michlé) : «et l’arbre de vie, le désir vient». L’arbre de vie étant la Torah. »
Rachi explique en quoi une longue prière peut être « source de maux au cœur » : « Il scrute sa prière : C’est-à-dire qu’il attend que sa requête soit entendue tellement il a prié longuement. Et finalement sa prière ne sera pas écoutée. Il se trouvera donc qu’il aura attendu pour rien et c’est une souffrance qui lui prendra le cœur, d’attendre et que ce qu’il désire ne vienne pas. »

L’explication est la suivante : la prière est l’expression d’un désir, Taava תאווה en hébreu, qui est une expression très forte. C’est tendre son désir vers HaKadoch Barou’h Hou qui attend Lui-même que l’on se tourne vers Lui. Parfois notre attente est tellement forte que l’on est prisonnier de cette attente. Il n’y a plus de désir, et il faut arrêter de prier, prendre du recul par rapport à son attente : c’est l’étude de la Torah qui est un arbre de vie, où il faut laisser à la sève la possibilité de monter en son temps.

Les enfants d’Israël étaient en détresse. Il y a urgence. Il faut prier, et c’est même le but que D. désire. Mais juste un peu, car si la prière est longue, si c’est une insistance, ce n’est plus une relation à D., c’est comme si D. était soumis à notre demande. Il faut alors arrêter sa prière et recréer une relation. C’est ce que dit le verset : « parle aux enfants d’Israël » : tisse une relation détendue avec les enfants d’Israël, avec des mots de confiance, c’est comme cela qu’ils pourront avancer.

VIII.

La Prière est un paradoxe. Notre tradition nous enseigne de demander jusqu’au moindre de nos besoins à notre Créateur. Mais si je demande ce dont j’ai besoin, je me sers moi-même ! Pourquoi donc la prière est-elle appelée Avoda, service ?

Le Maharal de Prague dans le Netivot Olam (Netiv HaAvoda ch.1) explique que la prière s’appelle Avoda, service de D., justement parce qu’en demandant nos besoins, individuels ou collectifs, nous exprimons que nous sommes entièrement dépendant de D., comme un serviteur qui dépend entièrement de son maître. Mais une demande insistante transforme ce qui peut être une relation riche en mécanisme stérile. C’est l’étude de la Torah qui permet de prendre du recul par rapport à nos attentes, à nos désirs, comme l’hiver où la pluie tombe et qu’un renouvellement émerge dans le vide.

C’est pourquoi les ‘Ha’hamim disent (Michlé 28,9) :
מסיר אזנו משמוע תורה גם תפילתו תועבה.
« La personne qui détourne son oreille d’écouter la Torah, sa prière aussi est écoeurante. »
Ecoeurante, car elle est mécanique, comme si D. était notre objet. Elle transforme D. en objet, comme il y a des femmes-objets, sans désir.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Tou Bichvat ou la fête du vide.”

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