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Qu’est-ce qu’un acte ? Qu’est-ce qu’un interdit ?

par: Rav Gerard Zyzek

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Traité Ketoubot 9a.
אמר רבי אלעזר האומר פתח פתוח מצאתי נאמן לאוסרה עליו.
‘Rabbi Elazar dit : celui qui dit qu’il a trouvé la porte ouverte est cru pour se l’interdire’.

I.

De quoi s’agit-il ?
La majeure partie du premier chapitre du Traité Ketoubot a pour sujet les problèmes qui peuvent se soulever à la suite de la première nuit de noce. Les problèmes peuvent être de différents ordres, pénaux, civils ou rituels comme nous allons le définir.
Le mariage dans la Torah s’effectue en deux temps. Une première procédure, appelée Kidoushin, consiste en un acte d’acquisition par lequel la femme devient femme mariée, mais la cohabitation n’est pas encore licite. La vie commune commencera avec la seconde étape appelée Nissouïn, où le marié fait entrer symboliquement son épouse dans son domaine. C’est le dais nuptial, ‘Houpa, de nos jours qui symbolise le domaine du marié.

A l’époque du Talmud, un laps de temps séparait les Kidoushin des Nissouïn. Les Kidoushin ressemblent donc un peu à ce que nous appelons de nos jours les fiançailles, à la différence majeure que par les Kidoushin la femme est considérée mariée. Cette situation peut être à l’origine de plusieurs types de problèmes, notre passage du Traité Ketoubot soulève le suivant :
le lendemain matin de la nuit de noce, le jeune marié vient au tribunal rabbinique et affirme qu’en s’unissant avec sa jeune femme il n’a pas ressenti l’obturation de l’hymen[1]. Cette certitude soulève alors un doute : quand a-t-elle perdu cet hymen ? Et c’est ce que nous enseigne ici Rabbi Elazar : ‘celui qui dit qu’il a trouvé la porte ouverte est cru pour se l’interdire’, nous comprenons bien que l’expression ‘porte ouverte’ est un euphémisme.
Effectivement elle pourrait être interdite à son mari car une femme qui aurait trompé son mari lui devient interdite. Mais ici la question se pose encore une fois : quand et comment a-t-elle perdu son hymen ? Et du fait de ces questions la Guemara conteste l’enseignement de Rabbi Elazar :

En effet il est possible qu’elle ait perdu sa virginité avant l’acte de Kidoushin, mais cela n’invaliderait en rien le mariage. Il y aurait eu peut-être tromperie car le marié pouvait s’attendre à ce qu’elle fût vierge mais manifestement ce n’est pas ce dont parle Rabbi Elazar, son sujet étant l’interdit. Une telle duperie ne touche pas un problème d’adultère.
D’autre part une femme mariée n’est interdite à son mari que s’il y a eu adultère, or quand bien même aurait-il été avéré qu’elle aurait eu un rapport après les Kidoushin, c’est-à-dire après qu’elle fût mariée, peut-être fut-elle contrainte, violée, ce qui n’interdirait pas cette femme à son mari !
Reprenons la question. Le mari indubitablement se rend compte qu’elle n’est pas vierge, il se pose un problème : que s’est-il passé ? Rabbi Elazar dit que dans le doute elle lui est interdite. La Guemara demande : mais c’est un doute sur un doute, ce que le Talmud appelle Safèk Sféka ! Or lorsqu’un doute se greffe sur un autre doute il n’y a pas lieu d’interdire !

 

II.

Deux choses.
Premièrement, qu’est-ce qu’un doute sur un doute ?
Deuxièmement, pourquoi un doute sur un doute rend permis ?
Cette interrogation de la Guemara ‘ mais c’est un doute sur un doute !’ est une phrase très célèbre du Talmud. Le cas présent est le suivant : peut-être a-t-elle eu un rapport avant le mariage, auquel cas elle ne serait pas interdite à son mari, peut-être fut-ce après. Et s’il s’avère que ce fut après, peut-être fut-ce sous la contrainte, peut-être fut-ce sciemment, volontairement !
En substance,  la Guemara s’exclame sur l’affirmation de Rabbi Elazar en disant qu’a priori il ne devrait pas y avoir d’interdit car c’est un doute qui se greffe sur un doute. Mais interrogeons-nous ! D’après notre approche simple à nous, qu’il y ait doute ou doute sur un doute, quelle différence y a-t-il, il n’en reste pas moins qu’il y a un risque qu’elle l’eût trompé sciemment, au quel cas elle lui serait interdite ? Et d’autre part les différents aspects du doute tel que la Guemara les présente ne sont pas d’ordre statistique mais prennent en compte les différents aspects d’analyse du problème qui effectivement sont de l’ordre d’un doute qui s’ajoute sur un autre, à un niveau analytique donc et non quantitatif, ce qui est très étonnant.
Tous les grands commentateurs se sont attachés à répondre à ces questions et la réflexion sur le sujet force à définir avec précision ce que la Torah recherche en disant que telle chose est interdite ou ne l’est pas.

 

Mais pour le moment portons notre attention aux réponses de la Guemara.

לא צריכא באשת כהן ואיבעית אימא באשת ישראל וכגון דקביל בה אבוה קידושין פחותא מבת ג’ שנים ויום אחד.

‘Nous serons obligés de dire que l’enseignement de Rabbi Elazar ne s’applique que dans deux cas précis, soit dans le cas où la femme est mariée à un Cohen, soit dans le cas où cette femme a été donnée en mariage à cet homme par son père et que cette fille avait moins de trois ans lors de son mariage’.

[Notre objectif est de faire goûter les profondeurs de pensée des maîtres talmudiques mais cette pensée se laisse difficilement saisir. La pensée talmudique n’aborde pas les choses de manière thématique comme nous y sommes habitués en Occident. La pensée talmudique n’est pas spéculative, son objectif majeur est de définir la Halakha, la loi. C’est pourquoi elle aura comme souci de décortiquer des cas pratiques. Mais ces cas pratiques et leur analyse seront alors révélateurs de cette pensée. La personne non affranchie ne voit alors qu’un ramassis de cas plus obscurs les uns que les autres.
Nous aimerions ajouter plus. La pensée de nos Maîtres ne se donne pas à voir. Elle est de l’ordre de ce que notre tradition appelle Or HaGanouz, ‘la lumière cachée’.]

 

Analysons les deux cas d’application de l’enseignement de Rabbi Elazar.
La question initiale de la Guemara est qu’a priori nous sommes dans un cas de doute sur lequel se greffe un autre doute, ce qui aurait comme conséquence qu’il n’y aurait pas d’interdit.
Par contre si le mari est un Cohen il n’y aura qu’un doute simple.
Une partie du peuple d’Israël est composée de descendants d’Aaron le frère de Moshé. Ces descendants d’Aaron sont appelés les Cohanim, leur fonction au sein du peuple d’Israël est de servir au Temple. De ce fait les Cohanim ont des restrictions qui leur sont spécifiques, eu égard à la grandeur de leur sacerdoce. La Torah spécifie qu’un Cohen ne peut vivre maritalement avec une femme qui a eu ne serait-ce qu’une fois une relation intime prohibée, eut-elle été sous la contrainte. Donc dans le cas qui nous occupe, si le mari est persuadé que sa femme n’était pas vierge le soir de noce, pour un Cohen il n’y a plus qu’un doute simple car aurait-elle été violée après les Kidoushin n’est pas un argument permissif car un acte avec une femme mariée est un acte prohibé, cet acte eut-il été sous la contrainte.

Autre possibilité de trouver un champ d’application de l’enseignement de Rabbi Elazar, le cas où elle aurait été mariée avec cet homme dès sa prime enfance (on ne parle plus d’un mari Cohen). Dans un tel cas, il n’y a plus à se demander si elle perdit son hymen avant qu’elle eût été mariée car elle a toujours été mariée à cet homme. Nous sommes donc en face d’un doute simple : elle a eu un rapport après le mariage indubitablement, mais ce rapport fut consentant ou sous la contrainte ?
Mais comment un tel cas est-il possible ? Un mariage est une procédure juridique, une femme devient mariée, pour que cette procédure puisse se sceller la capacité de vouloir est nécessaire et du côté de l’homme et du côté de la femme !
Nous sommes donc obligés de dire que nous sommes dans le cas où son père l’a donnée en mariage à cet homme lorsqu’elle était bébé. En effet la Torah donne la possibilité au père de donner sa fille en mariage à celui que lui veut [voir Rambam Hilkhot Hishout chapitre 3, Halakha 11][2]. Cette possibilité existe jusqu’à la puberté de l’enfant.

Ces éléments étant posés, nous allons pouvoir commencer notre étude proprement dite.

 

III.

Nous sommes donc en face d’un doute simple : était-elle consentante ou a-t-elle été contrainte ? Dans le doute, Rabbi Elazar nous dit : elle est interdite à son mari[3].

Rashi sur cette réponse de la Guemara soulève un énorme problème.

פחותה מבת ג’ שנים . ועכשיו היא גדולה ופיתויה פיתוי ואינו אונס הלכך חד ספק איכא ספק אונס ספק רצון אבל ספק תחתיו ספק אין תחתיו ליכא שאילו נבעלה קודם לכן היו בתוליה חוזרין כדתנן במסכת נדה פחות מכאן כנותן אצבע בעין שהדמעה יוצאת וחוזת.

‘Le père l’a donnée en mariage alors qu’elle avait moins de trois ans. Mais nous parlons [du cas où] elle a maintenant plus que douze ans car avant on ne peut parler d’être consentante, car l’acquiescement d’une petite est considéré comme une contrainte (…).’

 

Rashi explique donc que le cas dont on parle est le suivant : certes les Kidoushin ont été effectués par le père avant qu’elle n’ait trois ans, mais pour qu’on se pose la question si le rapport qu’elle a eu après ces Kidoushin fut avec son acquiescement, au quel cas elle serait interdite à son mari, ou sous la contrainte, au quel cas elle lui serait permise, on est obligé de dire que le mariage lui-même, c’est-à-dire la nuit de noce, fut après qu’elle eût douze ans. En effet les ‘Hakhamim disent dans plusieurs endroits dans le Talmud (Yévamot 33b, 61b) que séduire une enfant est comme la violer.

פיתוי קטנה אונס הוא

‘La séduction d’une enfant est un viol[4].’

Essayons de réaliser concrètement de quoi on parle. Un type dit à une petite fille : oh comme tu es jolie, j’aimerais te faire des cadeaux etc… elle dit : oh comme le monsieur est gentil ! Les Maîtres du Talmud disent qu’en fait c’est juridiquement un viol et que si cette petite fille est mariée[5] elle restera permise à son mari car cela ne s’appelle pas être consentante, mais être manipulée, abusée. Apparemment elle a l’air content d’aller avec cet homme qui n’est pas son mari, mais veut-elle vraiment aller avec lui ? Peut-on parler de volonté chez une enfant [6]?

IV.

On a coutume de dire que Rashi est un commentaire simple mais nous voyons sa complexité car en fait sans crier gare il bouleverse ici le sens simple de la Guemara. En effet la Guemara ne précise pas. Le second cas proposé pour expliquer l’enseignement de Rabbi Elazar est présenté simplement comme le cas d’une petite fille mariée par son père lorsqu’elle avait moins que trois ans. Rien n’est précisé d’autre. L’on comprend alors que le mariage a été consommé après qu’elle ait trois ans[7].

Rashi commente : ‘nous parlons du cas où elle a été mariée par son père à moins de trois ans et que le mariage a été consommé (nuit de noce) après qu’elle eût douze ans (âge où émerge une certaine maturité et où la personne commence à être considérée comme une personne autonome juridiquement)’.

Evidemment la lecture de Rashi est justifiée mais le texte n’en laisse rien percevoir.

 

Tossephot pose une grande question sur la lecture de Rashi (תוס’ דה »מ ואי בעית אימא באשת ישראל) :
‘si nous suivons la démarche de Rashi, nous sommes encore, dans le cas de la petite fille mariée par son père à moins de trois ans, en face d’un Safèk Sféka, d’un doute sur lequel se greffe un doute ! En effet nous pouvons décortiquer le cas ainsi :

Le marié est allé avec elle après ses douze ans, âge de majorité juridique. Il n’a pas senti d’obstruction lors de leur rapport intime. Elle nie avoir eu précédemment une relation, il ne la croit pas. Le problème se pose : quand a-t-elle eu un rapport ? Avant le mariage ? Impossible puisqu’elle a été mariée par son père avant l’âge de trois ans, où quand bien quelqu’un serait allé avec elle il n’en serait pas resté une trace, les sages attestant que l’hymen ne devient mature qu’à trois ans. Donc la relation a été post-mariage. La question alors peut être la suivante : a-t-elle été contrainte ou consentante ? Mais, comme nous l’enseigne Rashi, une petite consentante est un peu comme forcée alors le problème est le suivant :

A-t-elle été consentante ou a-t-elle été forcée ? Et si tu me dis qu’elle a été consentante, peut-être le fut-elle alors qu’elle était petite et que cet assentiment reviendrait à une contrainte, ou peut-être après l’âge de douze ans où on peut commencer à dire que véritablement elle aurait voulu cette relation !

Tossephot répondent (réponse célèbre dans le monde talmudique !) :

שם אונס חד הוא.

‘Le nom contrainte est le même.’

C’est-à-dire que, que l’on aborde les choses d’une manière ou d’une autre, finalement qu’elle soit violée ou séduite lorsqu’elle fut mineure, dans les deux cas c’est une contrainte et elle est permise à son mari.

Que veulent dire Tossephot ? On dirait qu’ils enfoncent des portes ouvertes ! Et si la réponse parait si évidente, quelle était leur question ?

Notre étude consistera à tenter de rendre compte de la pertinence de la problématique de ce Tossephot. L’étude de plusieurs enseignements de Rambam nous aidera dans cette tâche.

 

 

  1. Démarche de Rambam.

 

Comme d’habitude le Rambam va nous surprendre.

Rambam Hilkhot Issouré Biah, troisième chapitre, Halakha 2 :

הבא על הקטנה אשת הגדול אם קדשה אביה הרי זה בחנק והיא פטורה מכלום ונאסרה על בעלה.

‘Si un homme va avec une mineure mariée par son père à un homme majeur, cet homme est condamnable en pénal mais pas la petite, par contre elle devient interdite à son mari.’

 

Cette phrase est courte mais est une vraie bombe atomique ! Un tonnerre dans un ciel radieux ! Comment Rambam peut-il dire que la petite devient interdite à son mari, mais nos Maîtres ne nous enseignent-ils pas en de multiples endroits que l’assentiment d’une petite revient à un viol et qu’elle reste permise à son mari ? Et d’ailleurs c’est ce que conteste le Révèd dans ses annotations.

כתב הראב »ד ז »ל לא ידעתי למה נאסרה על בעלה ישראל שהרי אמרו פיתוי קטנה אונס הוא.

‘Le Révèd écrit : je ne sais pas pourquoi elle serait interdite à son mari Israël (et non Cohen), mais nos Maîtres disent que la séduction d’une petite est une contrainte !’

Le Maguid Mishné prend ses armes et part vaillamment au secours de Rambam. Nous en rapportons la synthèse.

Il faudrait dire que les arguments de Rambam sont de deux ordres, l’un textuel, l’autre théorique.

Premièrement, la première preuve pour Rambam est la lecture simple et linéaire du passage qui nous occupe au Daf 9 du traité Ketoubot. En effet la lecture que nous en avons eu jusqu’à maintenant est celle de Rashi, or nous avons déjà fait remarquer que Rashi dans une certaine mesure force le texte. Certes il y était obligé pour rendre compte de la notion de פיתוי קטנה אונס הוא, ‘l’assentiment d’une petite est une contrainte’, mais la lecture la plus simple du texte n’a pas l’air d’être celle-là.

Deuxièmement, d’un point de vue théorique, il faudrait dire que Rambam penserait comme l’hypothèse de Tossephot citée plus haut que si l’on dit que le mariage proprement dit a lieu après l’âge de douze ans on reviendrait à une situation de Safèk Sféka, de doute sur lequel se greffe un autre doute. Ce qui reviendrait à dire que Rambam s’opposerait à la réponse de Tossephot, de dire que Chem Oness ‘Had Hou, ‘le nom contrainte est le même’.

Mais où y aurait-il matière à discussion, l’affirmation de Tossephot (de dire que contrainte avec des coups ou bien avec des séductions finalement est estimée par nos Maîtres comme étant la même contrainte) parait évidente et implacable !’

J’ai vu rapporté au nom de Rav Shlomo Berman ז »ל de la Yéshiva de Ponioviez la démarche suivante.

Il ne faut pas déduire du Maguid Mishné dans sa lecture de Rambam qu’il penserait que l’on peut prendre en considération la permissivité de Safèk Sféka, de doute sur un doute, même si l’aspect permissif n’est que d’un seul ordre. Non ! En vérité ici les aspects permissifs dans le cas de la petite sont de deux ordres radicalement différents, même si la conséquence légale est la même. En effet, dit Rav Berman, il faudrait dire que Rambam analyse les choses de la manière suivante : dans le cas d’une femme forcée, violée, l’aspect contrainte s’exprime par le fait qu’elle n’agit pas. Elle ne fait aucune Avèra, aucune faute. Elle est dans la passivité même. Par contre si l’on tenait la notion de ‘la séduction d’une petite est une contrainte’, l’aspect permissif serait alors d’un tout autre ordre : en effet, la petite séduite agit. Elle ne se laisse pas faire sous les coups, elle va vers celui qui la séduit, mais ce qui va la permettre à son mari est son immaturité qui va nous faire considérer son acquiescement comme un pseudo acquiescement, et elle restera permise à son mari. Elle agit, mais sa volonté est abusée, elle est irresponsable, donc elle restera permise à son mari. Ce sont donc deux causalités pour la permettre absolument distinctes l’une de l’autre, cela reviendrait donc à un Sfèk Sféka. Donc, dira Rambam, si la Guemara affirme dans le passage que nous étudions dans Ketoubot 9a, que dans le cas d’une petite mariée à moins de trois ans il y a un simple Safèk, un simple doute, et non un Safèk Sféka, c’est  que le concept avancé dans le Traité Yévamot de Pitouï Ketana Onèss Hou, ‘la séduction d’une petite est une contrainte’, ne reste pas dans la conclusion légale[8].

 

Deux questions se posent maintenant.

Forts de cette magistrale lecture du Rambam de Rav Berman, comment alors Tossephot peuvent-ils s’y opposer ?

Et d’autre part, comment Rambam peut-il sans preuves textuelles franches réfuter une notion répétée plusieurs fois dans le Talmud ?

 

  1. Proposition du Yéshouoth Yaakov pour défendre l’opinion de Rambam à partir de la  Guemara du Traité Sanhédrin 55b.

 

Le problème récurrent avec le Mishné Torah est que le Rambam tranche la loi mais ne rapporte pas ses sources. Rav Yaakov Ohrenstein, dans son ouvrage le Yéshouoth Yaakov, propose de dire qu’une des sources claires pour la décision du Rambam qui nous occupe (Issouré Biah 3,2) est un passage du Traité Sanhédrin 55b.

De quoi s’agit-il ?

A la fin de la Parashat Kedoshim (Vayikra chapitre 20), la Torah recense les châtiments relatifs aux interdits sexuels. Les versets disent (20,15 et 16)[9] :

ואיש אשר יתן שכבתו בבהמה מות יומת ואת הבהמה תהרוגו.

‘Et un homme qui donnera sa couche avec un animal sera condamné à mort et l’animal vous tuerez.’

ואשה אשר תקרב אל כל בהמה לרבעה אותה והרגתה את האשה ואת הבהמה מות יומתו דמיהם בם.

‘Et une femme qui se  serait approchée de tout animal pour que cet animal s’accouple avec elle, tu tueras la femme et l’animal ils seront exécutés, ils sont condamnables à mort.’

Tout d’abord il est posé en préliminaire qu’il n’y a de condamnation à mort dans la Torah que si la personne a fauté de manière consciente et volontaire. Ce étant, la Mishna demande (Sanhédrin 54a, Rashi sur les versets en rapporte l’essentiel) :
אם אדם חטא בהמה מה חטאה אלא לפי שבאה לאדם תקלה על ידה לפיכך אמר הכתוב תסקל דבר אחר שלא תהא בהמה עוברת בשוק ויאמרו זו היא שנסקל פלוני על ידה.

‘Si l’homme a fauté, quelle faute a commise l’animal ? Il faut dire que comme l’homme  a trébuché par cet animal, pour cela la Torah a dit : tue cet animal ! On peut donner une autre explication : c’est par égard pour le fauteur, pour qu’on ne dise pas : tiens voici l’animal à cause de qui untel a été lapidé !’

Les ‘Hakhamim donnent deux explications :

Premièrement, parce que cet animal a été une embûche pour l’homme[10].

Deuxièmement, par égard vis-à-vis de fauteur. Cette explication est très émouvante. En effet, nous parlons ici de quelqu’un qui, sciemment et volontairement, s’est accouplé avec un animal. Je ne sais quelles peuvent être ses motivations mais un fait est, qu’indubitablement, il y a ici confusion des genres, mélange d’humanité et d’animalité. La Torah nous dit : il a fauté, ou elle a fauté, cette personne doit être condamnée à mort, mais respectons cette personne, elle est une personne humaine et non un animal, quand bien cette personne en ait revendiqué le contraire !

La Guemara demande (55b) si la connexion de ces deux raisons est nécessaire ou bien si l’une en l’absence de l’autre impose malgré tout d’éliminer l’animal.

Quel est le cas pratique révélateur de cette question ?

La Guemara répond : c’est le cas de quelqu’un qui serait allé avec un animal בשוגג, BeShogueg. Comment rendre compte du terme BeShogueg ? La manière habituelle est de traduire ‘par erreur’ mais nous avons du mal à réaliser comment quelqu’un pourrait aller avec un animal ‘par erreur’. Un des cas plausibles peut être celui de quelqu’un qui ne savait pas que la Torah interdisait de telles pratiques.

La Guemara analyse :

Dans un tel cas, il y a une dimension éminemment honteuse pour la personne d’avoir fait quelque chose s’aussi avilissant, mais par contre, et telle est l’affirmation de la Guemara, il n’y a pas chute ni embûche[11] car la personne n’était pas consciente de la faute ! La Torah nous enjoint-elle d’éliminer l’animal dans un tel cas ou non ?

Pour répondre à cette question la Guemara veut apporter une preuve de la Mishna du cinquième chapitre du Traité Nidda (44b) :

בת שלש שנים ויום אחד אם בא עליה אחד מכל עריות האמורות בתורה מומתין על ידה.

‘La relation intime avec une petite fille de trois ans et un jour s’appelle une relation, à tel titre que tous les cas d’interdits sexuels de la Torah pourront être condamnés à mort par son biais.’

Que signifie l’expression :’ tous les cas d’interdits sexuels de la Torah pourront être condamnés à mort par son biais.’
Cette phrase sous-entend elle que même un animal serait à éliminer par son biais ? Mais affirmer cela serait nous dire que l’on élimine un animal même dans un cas où il n’y pas embûche, car manifestement la petite n’a aucune conscience d’un quelconque interdit ! La Guemara veut donc déduire de cet enseignement qu’il suffit qu’il y ait trace d’un acte avilissant, honteux, pour que la Torah nous oblige à éliminer l’animal, quand bien même n’y aurait-il pas embûche, et faute manifeste.

La Guemara réfute cette déduction, et là se trouve le cœur de notre sujet :

כיון דמזידה היא תקלה נמי איכא ורחמנא הוא דחס עלה עלה דידה חס אבהמה לא חס.

‘Non, en fait elle est volontaire dans son acte, et puisqu’elle est volontaire, il y a eu embûche. Elle n’est pas condamnable car la Torah a eu pitié d’elle. Ce n’est que sur elle que la Torah a eu pitié, sur l’animal la Torah n’a pas eu pitié (et c’est la raison pour laquelle la Beraïta citée plus haut nous enseigne qu’un animal qui serait allé avec cette petite doit être lapidé).’

Il ressort donc clairement de ce passage qu’une enfant mineure peut être parfois considérée comme consciente et volontaire dans une certaine mesure de ses actes, ce qui serait une preuve puissante pour la démarche de Rambam.

 

VII. Résumons.

 

Rambam tranche dans les Hilkhot Issouré Biah, troisième chapitre, Halakha 2, qu’une enfant mineure (moins de douze ans) qui aurait trompé volontairement son mari lui est interdite (de même dans Hilkhot Sotha, deuxième chapitre, Halakha 4). Ceci impliquerait que l’on prendrait en compte la volonté d’un ou d’une mineure au niveau juridique. Cette décision légale de Rambam ne cesse de surprendre en cela que le Talmud en moult endroits affirme qu’une enfant même si elle semble volontaire dans une situation d’adultère n’est en fait que manipulée, donc fondamentalement irresponsable.

Le Maguid Mishné cherche à justifier la démarche de Rambam en disant que la lecture simple du passage du Traité Ketoubot semble aller dans le sens de sa décision, mais comment s’opposer sans preuve formelle à des enseignements répétés dans plusieurs endroits du Talmud ?

Et bien, nous avons trouvé ! Le passage de Sanhédrin nous enseigne qu’une enfant peut être considérée comme volontaire dans son acte de bestialité, et que ce serait pour cela  que l’on pourrait considérer qu’une faute a été commise avec cet animal, et pas seulement un acte avilissant.

La différence entre un mineur et un majeur sera donc qu’un majeur sera pleinement considéré comme responsable et qu’un mineur sera considéré comme ayant conscience de ses actes mais pas de manière complète, donc non condamnable en pénal.

On pourrait dire que la conscience est en maturation, elle évolue. A l’âge dit de la majorité[12], la personne est considérée suffisamment consciente de la portée de ses actes pour être, le cas échéant, condamnable au pénal. Ce qui ne signifierait pas qu’avant cet âge il n’y aurait pas de volonté quelque peu autonome. D’où l’affirmation du passage du Traité Sanhédrin : ‘elle est volontaire dans son acte, et puisqu’elle est volontaire, il y a eu embûche. Mais elle n’est pas condamnable car la Torah a eu pitié d’elle.’

 

VIII. Tentative d’explication de la discussion entre Rambam et Tossephot sur le Safèk Sféka.

 

Comme nous l’avons vu plus haut, le Maguid Mishné, de manière particulièrement fine, argumente dans le sens de Rambam en disant qu’il ne serait pas d’accord sur l’affirmation de Tossephot que dans le cas qui nous occupe ‘le nom contrainte est le même’. Sur quoi porterait la discussion ? Pourquoi l’un penserait blanc et l’autre penserait noir ?
Nous avons vu plus haut [explication rapportée au nom de Rav Berman] que pour Rambam il faudrait dire que même si nous disions que ‘l’assentiment d’une petite est une contrainte’, פיתוי קטנה אונס הוא, la contrainte exercée dans ce cas ne serait pas du même ordre que celle exercée lors d’un viol, où la personne est éminemment passive. Et effectivement le passage de Sanhédrin nous aide à concevoir ce distinguo. Nous aimerions innover en disant que pour Tossephot il faudrait dire le contraire. Lorsque Tossephot disent ‘le nom contrainte est le même’, il faut prendre ces termes au sens strict, et dire qu’une petite séduite a l’air d’agir, elle avance avec un sourire, mais ce n’est pas un acte. Lorsque nos Maîtres disent que l’assentiment d’une petite est une contrainte, cela signifie que c’est comme un viol. Ah, mais tu vas me dire qu’elle n’est pas passive ! Qu’elle agit ! Tossephot nous disent qu’étant petite et immature, ce n’est pas un acte. Cela ne s’appelle pas agir. Elle bouge mais à ce niveau, structurellement, il n’y a pas de différence entre être violée ou être séduite : ‘le nom contrainte est le même’.

D’après cette analyse, nous sommes ici en face d’une compréhension très innovante de ce que peut être un acte. Un acte est un geste mu par une volonté. Un enfant, tant qu’il n’a pas atteint l’âge de maturité, fait moultes choses. Mais cette absence de positionnement, de דעת, de Daat, fait qu’on pourrait considérer comme si ce n’était pas lui qui agissait, mais que les choses se faisaient[13].

Cette démarche, que nous proposons de dire dans Tossephot, rend magnifiquement compte d’une autre question. La Guemara dans le Traité Yévamot 114a (mais aussi Shabbat 121a) conclut :

קטן אוכל נבלות אין בית דין מצווין להפרישו.

‘Si un enfant mange quelque chose qui n’est pas Casher (Névélot), il n’incombe pas au tribunal rabbinique de l’en empêcher.’

Nous n’entrerons pas dans tous les problèmes complexes posés par cette phrase célèbre du Talmud. Il ressort toutefois des commentateurs et décisionnaires que l’expression ‘tribunal rabbinique’ n’est pas restrictive et en fait concerne toute tierce personne. Si donc je ne suis pas enjoint d’empêcher un enfant de manger quelque chose qui n’est pas Cacher, je le serai par contre par rapport à un adulte, par rapport à quelqu’un qui aura atteint l’âge de maturité.

Mais d’un autre côté, la Guemara (idem) apprend des versets de la Torah qu’il est interdit pour un adulte de donner à manger à un enfant des aliments qui ne sont pas Cashers.

La question se pose : de deux choses l’une s’il existe des interdits pour un enfant, et que ce serait la raison pour laquelle je n’aurais pas le droit de lui donner à manger quelque chose d’interdit, alors pourquoi n’aurais-je pas l’injonction de l’en en séparer ? Et si je dis qu’il n’existe pas d’interdits pour un mineur, pourquoi me serait-il interdit de lui en donner à manger ?

D’après la démarche que nous proposons dans Tossephot, nous pouvons résoudre la contradiction de la manière suivante. Nous pouvons dire qu’il y a dans un interdit de la Torah une certaine objectivité, ce qui ferait qu’il me serait interdit d’en donner à manger à un mineur. Mais par contre, si je vois un enfant en manger par lui-même, je n’aurais aucune obligation de l’en empêcher car si je suis enjoint d’intervenir c’est pour l’empêcher de fauter, qu’il ne commette une faute, or étant mineur, il ne faute nullement, il a ingéré quelque chose d’interdit, et alors ! On ne peut pas dire qu’il ait fait un acte répréhensible car le concept d’acte n’existe pas chez un enfant.

D’où aurais-je l’injonction d’empêcher que de l’interdit soit ingéré [14]?

Par contre nous pouvons concevoir que la Torah enjoigne à un adulte de ne pas donner d’aliment interdit à un enfant car l’acte prohibé sera alors l’acte de l’adulte.

Cette démarche résout beaucoup de difficultés sauf une : comment Tossephot rendront compte de la Guemara du Traité Sanhédrin 55b ?

 

Comment Rambam rendra-t-il compte du sujet de ‘si un enfant mange quelque chose qui n’est pas Casher (Névélot), il n’incombe pas au tribunal rabbinique de l’en empêcher’,קטן אוכל נבילות  ? En effet d’après Rambam, la volonté de l’enfant est considérée malgré tout comme une certaine volonté, donc il y aura faute, à tel titre que Rambam dira qu’une femme mariée mais mineure qui tromperait son mari lui deviendra de ce fait interdite !

Il faudra répondre que le fond de l’obligation d’intervenir et d’empêcher autrui de fauter est à titre que ta faute, ta responsabilité est dans une certaine mesure la mienne (notion de ערבות). Or la Guemara dit que cette personne mineure, quand bien même aurait-elle une certaine volonté, n’est pas condamnable au pénal. Pourquoi la responsabilité de l’adulte à son égard serait-elle plus exigeante que ce que cet enfant aurait à son propre égard, et que l’adulte aurait une responsabilité telle qu’elle devrait se concrétiser par un acte d’intervention ?

 

  1. Démarche de Rabbi Akiva Eiger (Shéélot OuTeshouvot Taniana 134).

 

Rabbi Akiva Eiger va lire le passage du Traité Sanhédrin d’une autre manière que celle que nous avons proposée au nom du Yéshouoth Yaakov.

Pour Rabbi Akiva Eiger, si la conclusion légale est qu’on n’intervient pas pour empêcher un enfant de manger un aliment non Casher, cela signifie que le concept d’interdit n’existe pas au sujet d’un mineur. Contrairement à ce  que nous avons proposé pour rendre compte de Tossephot, il n’y a ni acte ni interdit. Et c’est ce que le passage de Sanhédrin est en train de nous dire (nous citons ici les termes du responsum de Rabbi Akiva Eiger): ‘la Torah a eu pitié de l’enfant, c’est-à-dire que la Torah a eu pitié de l’enfant en ne lui faisant incomber ni commandements ni responsabilités. Si nous voyons un enfant aller se prosterner à une idole ou lui servir des sacrifices, nous n’avons aucune injonction d’intervenir, car l’enfant ne commet rien, et la Torah ne lui exige rien. Ce que la Guemara dit ici qu’il y a embûche (si l’enfant s’accouple avec un animal) est à comprendre de la manière suivante : vu le sujet précis dont il est question ici, si nous voyons cet enfant aller avec cet animal sans aucune contrainte, en toute tranquillité, attitude qui serait absolument répréhensible si c’eût été un adulte, alors cela sera considéré quand même embûche et l’animal sera lapidé.[15]’

 

Laissons-nous interpeler par cette démarche ! Nous avons vu précédemment que d’après Tossephot, l’acte d’un mineur était considéré comme insignifiant. D’après Rabbi Akiva Eiger cela va plus loin. On ne peut même pas parler d’interdit lorsqu’il s’agit d’un mineur. Quel univers de pensée est capable d’assumer et de porter une telle idée ? Et que se passerait-il lors de la puberté pour que tout d’un coup émerge la prégnance de ce qui pourrait être un interdit ?

Les ‘Hakhamim nous disent qu’à la puberté commence chez l’enfant la dimension appelée דעת, que nous traduisons par positionnement. Le début de l’autonomie émotionnelle et reproductive commence avec la puberté. Avec cette autonomie émerge une certaine individualisation. S’il n’y a pas cette perception intime d’autonomie, on ne peut parler d’interdit.

Quel univers peut supporter de dire qu’il n’y aurait pas d’interdit de type normatif [16]?

 

[ Deux questions néanmoins se posent par rapport à la démarche de Rabbi Akiva Eiger.

Premièrement, si on ne peut parler d’interdit au sujet d’un enfant mineur, pourquoi y aurait-il un interdit de lui en faire consommer ?

Deuxièmement, comment rendra-t-il compte de l’enseignement de Rambam, qui considère qu’une petite qui aurait volontairement trompé son mari lui serait interdite ?

 

La démarche du Teroumat HaDéshen (Psakim 62) peut aisément répondre à notre première question. Le Teroumat HaDéshen affirme et prouve que la notion de faute n’existe pas chez un mineur. Pourquoi, dès lors, un adulte serait enjoint de ne pas donner un aliment interdit à un enfant ? Il répond : שלא ירגיל אותו לעבור עבירות וכשיגדיל יבקש לימודו , ‘ car il l’habituerait à transgresser des interdits , et il y aurait à craindre que plus tard il ne recherche ce dont il était habitué.’

Rabbi Akiva Eiger répond lui-même à la seconde question en disant que l’on peut rendre compte de la démarche de Rambam, en se basant sur l’innovation du Maharik, Rabbi Yossef Kolon (Klal 167). Le Maharik veut dire, et ainsi explique-t-il les débats entre notre Rambam et les autres commentateurs, qu’il faut faire une distinction entre l’interdit d’adultère et  les autres interdits. Si une femme trompe son mari sciemment, la Torah dit qu’elle devient lui devient interdite. Le Maharik veut dire qu’elle lui devient interdite même si elle n’a pas conscience de la faute, car elle verset ne dit pas qu’elle lui est interdite si elle faute par rapport à D. mais si elle trompe son mari. Il rend compte ainsi du cas de l’enfant qui pourrait avoir conscience de se détourner de son mari, combien même n’aurait-elle pas conscience de la faute.]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1] Pourquoi parle-t-il du manque de résistance à la pénétration et non de l’absence d’écoulement de sang qui aurait dû être provoqué s’il y avait eu effleurement ? Les Rishonim, commentaires premiers, donnent plusieurs réponses à cette question, une des réponses de Rashi est que la problématique posée parle du cas où le drap témoin aurait été égaré, ce dont il est certain, dit-il, est qu’il n’y avait pas obturation.

[2] Evidemment un tel mariage dépasse totalement notre entendement. Il ne rentre pas dans le cadre de cette étude d’approfondir ce point précis.

[3] Les Rishonim, commentateurs premiers du Talmud, posent une question qui s’impose : et elle que dit-elle ? Il faudra répondre que le cas dont parle Rabbi Elazar est le cas où elle nie radicalement et dit qu’il se trompe et qu’elle était indubitablement vierge le soir du mariage.

[4] En clair, séduire une enfant serait juridiquement comme la violer, serait considéré comme une contrainte.

[5] Comme nous venons de le voir, un mariage d’une mineure est envisageable s’il est conclu par son père.

[6] Nous tenons à mettre en exergue la modernité de cet enseignement car l’homme se trouve être responsabilisé et la femme protégée par le droit dans une certaine mesure. Les Maîtres du Talmud relèvent de manière puissante qu’une manipulation peut être considérée comme une contrainte, à l’avantage juridique de la femme.

[7] En effet l’âge présenté ici est trois ans car nos Maîtres nous enseignent qu’avant l’âge de trois ans quand bien même y aurait-il pénétration cela ne s’appellerait pas un rapport, une Biah. On ne considère une pénétration comme étant un rapport qu’à partir de l’âge de trois ans. Il est vrai que nous avons du mal à concevoir qu’à partir de trois ans il puisse y avoir une quelconque relation intime entre un homme et une petite mais le Talmud analyse, et ne rentre pas, en tout cas dans ce passage du Traité Ketoubot, dans des considérations morales. La préoccupation est juridique.

[8] Voir la proposition de lecture alors des passages du Traité Yévamot dans le Maguid Mishné.

[9] Les sujets que nous allons aborder sont insupportables pour des esprits occidentaux et policés, la Tradition Juive les aborde sans problème, la seule question étant : comment définir avec précision la volonté de D. ? Il ne nous reste qu’à méditer pourquoi est-ce intolérable pour l’esprit occidental et sujet digne d’analyse pour notre tradition.

[10] En quoi est-ce une raison pour éliminer cet animal ? Nous proposons de nous fonder sur la première Mishna du cinquième chapitre de Pirké Avot pour répondre à cette question. La Mishna dit : ‘(…) pour demander des comptes aux impies qui détruisent le monde qui a été créé en dix paroles et pour donne une bonne récompense aux justes qui maintiennent le monde qui a été créé en dix paroles.’ Nous voyons d’ici qu’un des buts de notre vie est de donner un maintien au monde, et que la faute participe par contre de sa destruction. Tous les éléments du monde dans sa richesse quasi infinie et dans son immense diversité participent du positif exprimé dans la Création, et qu’en fait ce monde dans lequel nous vivons est le lieu par prédilection de la Présence Divine. Qu’un de ces éléments ait été utilisé pour casser ce monde, pour l’abimer nous donne l’idée que ce monde pourrait être laid et lieu d’avilissement. Enlève cela, nous enseigne la Torah ! Eliminer cette chose est, dans une certaine mesure, construire le monde. Ce n’est pas une pulsion destructrice.

 

 

[11] Bien que dans un cas de Shogueg, d’erreur, la personne ne soit pas condamnable au pénal, elle doit toutefois apporter au Temple de Jérusalem un sacrifice expiatoire. Il faudra expliquer que lorsque la Guemara dit qu’il n’y a pas faute, cela signifie que cette faute n’est pas du type destruction, du type nihilisme puisque la personne n’en était pas consciente.

[12] Douze ans pour une fille, treize ans pour un garçon, s’il y a début de signes de puberté.

[13] Nous nous permettons d’extrapoler un peu. Nous sommes dans une grande ville, le métro est assailli en heure de pointe par une foule nombreuse. Plein de personnes bougent dans tous les sens, ils bougent, mais qui agit ? Nous courrons pour aller au boulot, mais est-ce moi qui courre ou bien ne suis-je finalement que programmé pour courir comme une fourmi travailleuse ?

[14] Nous avons conscience de l’aspect choquant de cette affirmation.

[15] Rabbi Akiva Eiger nous propose une lecture éminemment paradoxale. Car la Guemara affirme qu’un adulte qui irait par erreur avec un animal, par inconnaissance de l’interdit, n’impliquerait pas que cet animal soit lapidé, quand bien même aurais-je l’obligation de prévenir cette personne et de la faire prendre conscience de l’interdit qu’elle va faire. Par contre un enfant qui irait avec cet animal en toute tranquillité, cas où je n’aurais aucunement l’obligation de l’empêcher car il n’y aurait aucune faute, l’enfant étant mineur, toutefois l’animal serait lapidé ! Paradoxe ! Rabbi Akiva Eiger souligne lui-même la difficulté, mais il est absolument remarquable qu’il l’assume du fait que pour lui il est d’une clarté absolue qu’il n’y a aucun interdit d’aucune sorte relatif à un mineur.

[16] En effet, d’après cette démarche percutante, il n’y a pas d’interdit en soi. L’interdit émerge dans la capacité qu’a l’individu de s’y positionner, ce positionnement venant lui-même de l’intime et de l’émotionnel.

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Directeur de la Yéchiva des Etudiants

“Qu’est-ce qu’un acte ? Qu’est-ce qu’un interdit ?”

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