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‘Entre ce qui est fréquent et ce qui ne l’est pas, ce qui est fréquent a la priorité’ (Ber. 51b)

par: Micho Klein

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À mon épouse sans qui cet article aurait quand même vu le jour, mais dans beaucoup plus longtemps. À mon épouse sans qui cet article aurait quand même vu le jour, mais dans beaucoup plus longtemps.

Aussitôt après la prise de possession de son pays, Dieu désigne l’endroit où s’élèvera son sanctuaire, et où le peuple viendra recueillir les enseignements de ses chefs. Une mesure particulière prévoit la permission d’abattre les bêtes pour la consommation en dehors des limites du Temple, contrairement à la pratique dans le désert. La Torah prononce des paroles sévères à l’égard de tout faux prophète et de toute personne qui voudrait introduire un culte étranger dans la nation. Quelques lois suivent, qui ont trait aux animaux purs et impurs, aux dîmes, à l’année sabbatique et à l’esclave. A la fin de la Sidra se place l’ordre de célébrer les trois fêtes de pèlerinage et de rassembler en ces occasions à Jérusalem tous les hommes d’Israël.

Si la Torah désigne les fêtes de Chavouoth et Souccoth par les termes « ‘Hag HaChavouoth » et « ‘Hag HaSouccoth », la fête de Pessa’h, quant à elle, est désignée uniquement par le terme « Pessa’h », omission faite du mot « ‘Hag » (fête) !

S’il est vrai que dans l’avant-dernier verset de la Paracha – celui ordonnant à tous les hommes d’Israël de se rassembler à Jérusalem en ces occasions – les trois fêtes de pèlerinages sont désignées précédées du mot « ‘Hag », la fête de Pessa’h n’est alors pas désignée par le terme de « ‘Hag HaPessa’h » mais par celui de « ‘Hag HaMatsoth » ! Il en sera ainsi, à une exception près, dans toute la Bible.

Nous ne pouvons suspecter le hasard d’être à l’origine de cet état de fait et puisque qu’il y a certainement ici volonté de la part de la Torah, il nous faut comprendre ses motivations.

Remarquons dans un premier temps que les deux versets qui présentent respectivement la fête de Chavouoth et celle de Souccoth, sont chacun immédiatement suivis par l’ordre intimé à Israël de se réjouir durant les dites fêtes. Pour Pessa’h, rien de tel.

Il apparaît donc que le terme « ‘Hag » est profondément lié à la notion de joie.

Mais pourquoi alors – demande, entre autres, le Yalkout Chimoni (Emor, 654) – à aucun moment n’est-il fait mention de cette notion à l’occasion de la fête de Pessa’h ? Constatons d’ailleurs que seul à Pessa’h le Hallel (louanges de joie) complet n’est pas récité !

Parmi les réponses rapportées par Rabbenou Be’hayé, une retient l’attention de la plupart des commentateurs : tout est une affaire de culture. Si l’on ne se réjouit pas à Pessa’h, c’est qu’à cette période les récoltes nouvelles n’ont pas encore été moissonnées (et elles sont donc encore sous la menace d’intempéries ou d’animaux divers) alors que le stock de celles de l’année passée est déjà écoulé. Au moment des deux autres fêtes les denrées sont déjà bien à l’abri ou en passe de l’être.

À moins d’être agriculteur dans le Berri, ce dont se vantent peu de mes connaissances versées dans l’étude, cette réponse du secteur primaire paraît quelque peu désuète, peu pertinente. En quoi, à vrai dire, parle-t-elle aux « Hommes modernes » – citadins et pensants – que nous sommes ?

Si le mot « ‘Hag » est synonyme de joie, il est aussi homonyme de « ‘Haguiga », le sacrifice offert le premier jour des Chaloch Regalim, les fêtes de pèlerinages.

Rachi d’ailleurs nous le confirme. Sur le verset de notre Paracha : « Et tu sacrifieras à Hachem ton Dieu un Pessa’h de menu ou de gros bétail », il s’étonne de voir le texte nous donner la possibilité d’apporter comme sacrifice pascale un animal de type « gros bétail » (vache, taureau, etc.) alors qu’il est dit ailleurs que ce sacrifice doit provenir du « menu bétail » (agneau, chevreau, etc.).
Il répond qu’en vérité « menu bétail » s’applique au Korban Pessa’h alors que « gros bétail » s’applique au Korban ‘Haguiga offert avec lui.
En effet, au cas où se trouverait autour du Korban Pessa’h une foule trop nombreuse, on pourrait alors sacrifier le Korban ‘Haguiga pour le consommer d’abord afin que le Korban pessa’h soit – comme il est obligatoire – mangé dans un état de satiété.
Et Rachi d’ajouter : Et nos Sages apprennent encore beaucoup de choses de ce verset…

Justement, parmi ces nombreuses choses, il se trouve une Michna qui pourrait bien nous aider à rendre la réponse de Rabbenou Be’hayé plus éloquente.

[ Il est dit (dans le verset) : « Et tu sacrifieras à Hachem ton Dieu un Pessa’h de menu ou de gros bétail ». Seulement le Korban Pessa’h ne peut provenir que d’agneaux ou de chevreaux. Alors pourquoi le verset dit-il « de menu et de gros bétail » ? C’est pour mettre en relation tout ce qui provient du menu ou du gros bétail avec le Korban Pessa’h !
De la même manière que le Korban Pessa’h – qui est une obligation – doit provenir d’animaux profanes, toute chose (tout sacrifice) obligatoire (en opposition aux sacrifices volontaires) doit provenir d’animaux profanes (et non pas d’animaux consacrés comme ceux provenant de la dîme, par exemple.) ] (Mena’hot 82a)

Ainsi la Michna affirme ici un principe fondamental : Toute chose obligatoire doit provenir du profane. Et c’est en vérité une règle de vie admirable qui nous est enseignée ici.

Tout commandement divin, toute chose qui nous unit à Dieu transcendant notre condition « matérielle » doit trouver sa motivation dans l’ordinaire. Le quotidien prime toujours sur l’évènement.

Là, la réponse « primaire » prend une toute autre dimension. Les récoltes représentent notre quotidien et les fêtes en sont à l’image. Elles sont le reflet de la vie mais la vie ne tourne pas toute entière autour d’elles.
Et il devient clair que si la Torah prive la fête de Pessa’h de sa dimension de ‘Hag, c’est parce que c’est précisément à elle que le ‘Haguiga est associé (rappelez-vous Rachi) ; c’est parce qu’elle porte en elle le pouvoir de nous faire chavirer, de nous faire nous abandonner à cette si facile exaltation illusoire des séjours à la montagne ou des réunions familiales. Dès que c’est au Matsoth (pains azymes) et aux privations qu’elles représentent que nous sommes confrontés, la Thora s’autorise à nouveau à affubler la fête du terme « ‘Hag » !

Construisons pas à pas, jour après jour notre quotidien, notre vie, notre intimité et nourrissons-nous en pour profiter pleinement de ces moments privilégiés avec notre Créateur.
Les évènements de l’année juive ne sont pas uniquement une source de motivation, ils attendent peut être au contraire d’être portés par nous…

Chabbat Chalom / Gout Chabbes à toutes et à tous.

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Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“‘Entre ce qui est fréquent et ce qui ne l’est pas, ce qui est fréquent a la priorité’ (Ber. 51b)”

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