le 4 Janvier 2006
Paracha des retrouvailles, des larmes de retrouvailles, avant les bénédictions et l’advenue du peuple d’Israël. Comment Yossef, Binyamin, et Yaacov vivent-ils ces émotions violentes ?
Quand Yossef se découvre à ses frères, ne se contenant plus, « il élève sa voix en pleurs »[[Gen 45-2]]. Il s’approche alors de Binyamin, puis « tomba sur les cous de Binyamin son frère et pleura. Et Binyamin pleura sur son cou »[[Gen 45-14]]. Puis il pleure sur ses frères en les embrassant. Rachi explique que « les cous », au pluriel inattendu, fait référence aux Temples. Et en effet, on pourrait dire que le Temple est comme le cou du monde, qui fait le lien entre le corps et la tête, la pensée. Et par ailleurs, après avoir comparé la beauté du Temple à la beauté du cou d’une femme, le Zohar fait remarquer un point : les pleurs mentionnés ici sont liés à des visions prophétiques.
1. Yossef voit que les deux Temples, appartenant au territoire de Binyamin, seront détruits.
2. Binyamin, qui a pleuré aussi, voit que le Sanctuaire de Shilo, du territoire de Yossef, sera détruit.
3. Yossef, pleurant sur ses frères, voit que leurs descendants seront exilés parmi les nations.
Et nous nous souvenons aussi de Yaacov, qui avait pleuré en rencontrant Ra’hel, et dont Rachi avait donné comme première explication qu’il avait vu qu’ils ne seraient pas enterrés ensemble. Or, le Zohar remarque qu’il n’est pas dit que les frères de Yossef ont pleuré. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas eu de vision prophétique.
Enfin, quand Yaacov revoit Yossef son fils bien aimé devenu roi d’Egypte qu’est-il dit : « Yossef attela son carrosse, il monta à la rencontre d’Israël, son père, en Gochen. Il lui apparut, tomba à son cou, pleura à son cou encore. » [[Gen 46-29]].
Ramban explique que c’est Yaacov qui pleura encore, car depuis le jour où il apprit que Yossef avait disparu et était peut-être mort, il « le pleura »[[Gen 37-35]] sans cesse. Car, dit-il, si l’on explique qu’il s’agit à nouveau de Yossef, cela aurait été un manque d’honneur pour son père que de lui tomber au cou, au lieu de se prosterner devant lui. Et de plus le terme « encore » serait alors difficile à comprendre, car on ne voit pas que Yossef aie déjà pleuré à propos de Yaacov.
Mais Rachi explique différemment. C’est bien Yossef qui pleura à nouveau.
Je voudrais rendre compte de la suite de l’explication de Rachi. Il dit :
« Pleura à son cou encore : c’est-à-dire beaucoup,( …)Yossef a pleuré beaucoup, il rajouta des pleurs plus que de manière habituelle. Quant à Yaacov, il n’est pas tombé au cou de Yossef et ne l’a pas embrassé. Nos Maîtres disent qu’il récitait le Chema »
Premièrement, on aurait pu penser que « encore » est en relation avec « tomba sur les cous de Binyamin…et pleura » du début de la paracha, mais non. Rachi préfère trouver un autre sens, plus problématique, car il va chercher un verset de Iyov, que lui-même commente autrement sur place et qui dit : car Il ne place pas sur l’homme encore (‘od), c’est-à-dire plus que nécessaire. La raison est, il me semble, qu’il s’agit à nouveau d »une vision prophétique, mais d’un autre ordre que les précédentes.
Deuxièmement, Rachi s’efforce de raconter ce que faisait Yaacov. Pourquoi donc ? Est-ce vraiment une nécessité du verset que d’appeler, et de mentionner, en creux, la réaction de Yaacov ? Car ce n’est pas la manière de Rachi de commenter sans exigence du verset. Je crois comprendre que si Rachi n’avait rien dit, on aurait nécessairement compris, d’après la remarque du Zohar, que du fait que le verset ne parle pas de sa réaction, Yaacov n’avait pas eu de vision prophétique, ce qui doit être exclu ici.
Troisièmement, Rachi dit que nos Maîtres disent qu’il récitait le Chema. La source reste introuvable par les commentateurs. Le Maharal explique que dans ce moment de joie immense, Yaacov a ressenti un amour et une crainte redoutable d’Ha Kadosh Baroukh Hou, qui lui avait fait vivre ce moment, et que par gratitude, ou par volonté de se rapprocher de D., il avait voulu recevoir le joug de Sa Royauté par le Chema.
Quatrièmement, le Zohar dit : « encore », qu’est-ce que signifie le mot ? « Le dernier exil ».
On peut donc peut-être, si l’on rassemble ces éléments, et même si ce n’est explicite dans aucun commentaire, comprendre ceci : Yaacov et Yossef ont eu à ce moment privilégié une vision prophétique. Mais cette vision prophétique était au-delà des larmes prophétiques habituelles. Celles-ci expriment généralement le débordement d’une émotion qui se traduit finalement, malgré la conscience de la grandeur du moment, comme une forme d’impuissance (ce sont ces images de peine qui habitent toutes ces visions prophétiques alors que les événements vécus sont heureux), comme si le fait d’être submergé par la grandeur du vécu exprimait à la fois la hauteur de vue, mais aussi l’inconscience du sens profond de l’histoire, du sens au-delà de la peine. Yaacov a vu, dit le Zohar, « que l’agencement d’en bas était accompli selon l’agencement de l’en haut ». Nous interprétons cela en disant qu’il a vu l’unité de sens de tout, le « dernier » exil, le fait que l’exil se terminerait pour le bien. Ou encore, sans pleurs, dans la droiture et une retenue, ( comme le dit Rachi Yaacov n’est pas tombé sur le cou de Yossef et ne l’a pas embrassé , c’est-à-dire qu’il est resté immobile et figé ) en retrouvant son fils, il a vu le sens de la fin. D’où, le verset suivant : « Cette fois je peux mourir puisque j’ai revu ta face et que tu vis encore »[[Gen 46-30]]. C’est cela qu’exprime le Chema, le sens de l’Unité de tout.
Et Yossef pleura plus encore, car il vit ce que son père avait vu. Ce sont des larmes d’un autre ordre, à la mesure de la berakha, comme le dit Rachi, « arbé », beaucoup, car la berakha est un « lachon ribouï ».
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