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Pinhas – La critique de la raison (im)pure

par: Mr Avi Bibas

Publié le 1e Juillet 2021

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Notre Paracha clôt une série d’événements liés au peuple d’Israël particulièrement saisissants sur le plan de la dramaturgie humaine. Drames endogènes (les explorateurs dans la Paracha Chelah Leha, la révolte de Korah, la quête de viande dans behaalotekha, etc) ou exogènes provoqués par nos ennemis, avec Balak et Bilaam et, en point d’orgue, cette terrible tragédie du Baal Peor par laquelle s’achève la Paracha de Balak et démarre celle de Pinhas.

L’un de mes vénérés maîtres le Rav Gabriel Ittah (Chlita) me l’a souvent enseigné : il faut lire et relire ces passages de la Torah qui nous parlent, nous concernent, aujourd’hui encore.

Je voudrais précisément m’inspirer ici d’enseignements sur Pinhas que j’ai reçus du Rav Ittah (et en partie repris dans le livre vraiment extraordinaire que le Rav a publié et que je recommande [Yeerav Alav Sihi] ), enseignements que j’ai souvent l’occasion de méditer tant ils sont percutants et incisifs.

Rappelons brièvement le sujet par lequel débute donc notre Paracha. La Thora nous relate à la toute fin de la Paracha précédente la débauche dans laquelle le peuple d’Israël s’est laissé entraîner sous l’effet des Moabites. Le Midrach rapporte que les femmes de Moav – inspirées par les sages de Midian  – ont entrepris de séduire les Hébreux, afin de les entraîner avec elles vers des actes de débauche et d’idolâtrie. Rachi, qui reprend les enseignements du Talmud (chapitre ‘Helek du traité Sanhédrin), précise sur place qu’une fois que les hommes étaient tombés sous leur charme, elles les incitaient à se prosterner vers leur idole (Baal Peor) précipitant ainsi leurs victimes vers ces deux péchés capitaux.

Le stratagème fonctionne hélas parfaitement et nombre d’entre eux succombent… Pire, un de ses plus illustres représentants, le Prince de la Tribu de Simon, Zimri Ben Salou, donne l’exemple. Il prend publiquement pour partenaire une princesse de Midyan (Cozbi Bat Tsour).

Spectacle abject et infernal auquel met fin Pinhas qui s’empare d’une lance et transperce mortellement, devant le peuple, le Prince d’Israël et la Princesse de Midyan.

Notre Paracha démarre alors par un véritable plaidoyer de Hachem en faveur de Pinhas. Hachem légitime l’acte de Pinhas, qualifié de « vengeance pour Hachem (Kanaout)», et lui promet une alliance éternelle (il pourra être Kohen Gadol, bien qu’ayant fait couler le sang).

Rachi, cite le Midrach (Talmud Sanhedrin, page 82b) et rapporte que cette intervention Divine était nécessaire car les Tribus méprisaient (Mevazin) Pinhas et d’une certaine manière interrogeaient la légitimité de son meurtre exécuté sans autre forme de procès !

 הַרְאִיתֶם בֶּן פּוּטִי זֶה שֶׁפִּטֵּם אֲבִי אִמּוֹ עֲגָלִים לַעֲבוֹדַת אֱלִילִים וְהָרַג נְשִׂיא שֵׁבֶט מִיִּשְׂרָאֵל

 Avez-vous vu ce Ben Pouti  [petit-fils de Pouti, surnom de Yitro [Pinhas était le fils de Eliezer qui avait épousé une fille de Yitro]] celui dont le grand-père maternel, [Yitro], engraissait (pitèm) des veaux pour l’idolâtrie, tuer le prince d’une tribu d’Israël ?!

Ainsi donc, D. en personne intervient et rend grâce à Pinhas faisant ainsi taire toutes les critiques qui s’abattaient sur lui.

Ce Midrach est étonnant à double titre. Tout d’abord, comment comprendre que Pinhas puisse faire l’objet d’un tel mépris ? N’aurions-nous pas dû nous attendre au contraire à ce que cet acte soit imité et répété par centaines ? Pinhas a agi en héro … et le voilà au contraire mis à l’index !

Par ailleurs, le langage du Midrach interpelle : quel est le sens de ce reproche ? Pinhas est-il responsable des agissements de son grand-père ? Et pourquoi user de cette métaphore en évoquant ces « veaux que Yitro engraissait pour son autel » ?

Pour avancer dans notre étude nous devons auparavant nous pencher sur le personnage de Zimri. Nous parlons là d’un prince d’Israël, fonction qui ne devait rien, ni au hasard, ni au quelconque privilège d’une bonne naissance. Un prince de cette génération du désert, c’était la crème de la crème, le top du top¸ bref nous parlons ici d’un Sage d’Israël. Comment comprendre cette déchéance absolue ?

Le traité Nazir ose une comparaison étonnante en assimilant l’acte de débauche de Zimri à celui de Tamar, future épouse de Yehouda, et dont la séduction auprès de Yehouda est jugée positivement par nos Sages (voir Paracha Vayichlah, et le traité Sota page 10a).

Étonnante comparaison qui interpelle et éclaire justement notre sujet. Il y a, dans cet atroce comportement, comme une intention pure chez Zimri. Celle d’un homme d’abord obsédé par la réprobation de l’idolâtrie. Hachem EL Kana, Hachem est un D. jaloux et, on le sait, l’idolâtrie est sévèrement réprimée par la Thora, maintes fois dénoncée comme relevant d’un acte incompatible avec l’être Juif. Nos sages nous enseignent (Sanhédrin, page 63b),

אמר רב יהודה אמר רב: יודעין היו ישראל בעבודה זרה שאין בה ממש, ולא עבדו עבודה זרה אלא להתיר להם עריות בפרהסיא

Rav Yehouda dit au nom de Rav : Les bene Israël connaissaient la vacuité de l’idolâtrie ; mais ils ne l’ont pratiquée que pour in fine s’autoriser la débauche …

Vient alors Zimri, et il commet publiquement son acte de façon à éviter le pire comme on dirait aujourd’hui. La fin ne justifie-t-elle pas les moyens ? Je légitime les Arayot, mais je sauve l’essentiel.

On comprend donc mieux la réprobation du peuple à l’égard de Pinhas : « tu es un petit fils d’idolâtre. Tu ne peux pas comprendre la gravité de cette faute. Zimri a commis son acte « lechem chamayim » mais toi, Pinhas, tu n’as rien compris ! »

Le message divin est alors clair : on ne fait pas son supermarché dans les règles que Hachem a données à son peuple ! Rien ne peut autoriser la débauche, pas même la cause de la Avoda Zara.

Il reste à comprendre l’usage de cette étrange métaphore. Que viennent faire les veaux engraissés dans notre histoire ?

Je me souviens avoir entendu Rav Ittah développer l’idée suivante. Pinhas a agi en tant que Kanaï, ce qui signifie vengeur de Hachem.  A ce titre, et conformément au droit que le Talmud consacrera plus tard, Pinhas était légitime pour assassiner de son proche chef un boel Aramit (boel aramit Kanaïn pog’in Bo). Cependant, pas moins de 5 conditions très précises devaient être réunies pour qu’il soit permis de tuer sans sentence préalable d’un Tribunal. Et l’une d’entre elles stipulait que l’exécuteur devait être totalement désintéressé, uniquement mû par le seul désir de servir D, rien d’autre. Le moindre intérêt ou motivation personnels rendrait la démarche … passible de meurtre au premier degré ! Les chevatim contestaient donc les intentions pures de Pin’has, et par la même la légalité de son meurtre.

Héritier de son grand-père, n’en a-t-il pas gardé quelques subsides ? Yitro engraissait les veaux avant de les offrir en sacrifices sur son Autel car il fallait que la bête soit belle. Le souci de l’apparence était/est chez les idolâtres un souci obsédant, à telle enseigne que selon la halakha, même les intestins d’une bête qui a fait l’objet de Avoda Zara sont interdits, car eux même ont fait l’objet d’un culte particulier.

Pinhas était donc suspect, non pas de cautionner la Avoda Zara, mais d’avoir été sous influence de la cause esthétique, du culte du beau. Et ce qui indisposait ici Pinhas n’était peut être pas tant l’affront qui était fait à Hachem – la seule cause qui puisse justifier sa démarche – mais davantage son propre malaise face au désordre et cette scène abjecte à laquelle il assistait.

Nous sommes, il me semble, régulièrement confrontés à des réflexions de cet ordre, ce, même pour les très bonnes causes – et a fortiori pour les moins bonnes.

Je donne de la Tsedaka. Est-ce que je le fais pour la Mitsva ou par intérêt pour mon ego? Je prends une décision importante dans ma vie car je recherche le meilleur pour ma famille, ou pour moi … Est-ce vraiment le cas ? Ne suis-je pas insidieusement influencé par quelque chose d’impur qui m’échappe ou que je refuse de voir ? Suis-je vraiment capable de répondre honnêtement à cette question ?

N’est-on pas prisonnier de son passé, sinon dans nos actes mais à tout le moins dans nos pensées ? Peut-on échapper à cette emprise inconsciente qu’exerce notre histoire personnelle voire même notre ascendance dont nous ne sommes pourtant pas comptables ?

Pinhas était démuni face à ces accusations.

Seul Hachem, חוקר כליות, qui scrute notre intérieur, est capable de répondre. Et la sentence tombe ! Pin’has a agi lechem chamayim ; בקנאו את קנאתי en assouvissant avec zèle Ma vengeance. Il est à ce titre le petit fils de Aharon (פיניחס בן אלעזר בן אהרון הכהן), Aharon qui incarne mieux que quiconque cette qualité de désintéressement, cette intériorité par excellence (les lettres du Nom אהרן rendent compte de cette idée ; le א = l’unité, le ה, le נ et le ר correspondent respectivement au médian des unités (5), des dizaines (50) et des centaines (200) de l’alphabet [Enseignement du Maharal] (les centaines étant bornées au ת 400).

Les intentions de Pinhas sont pures.

לָכֵן, אֱמֹר: הִנְנִי נֹתֵן לוֹ אֶת-בְּרִיתִי, שָׁלוֹם

C’est pourquoi, tu annonceras que je lui accorde mon alliance de paix

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“Pinhas – La critique de la raison (im)pure”

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