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Parashat Chela’h, la Halla et l’entrée dans la terre. par Mme Nathalie Bibas

par: Nathalie A

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Article Chela’h –

Juin 2019 / 5779

Nathalie Bibas

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Si la paracha Chela’h brille par le récit du tournant historique du décret de l’errance de quarante années dans le désert elle n’en recèle pas moins quelques sujets d’importance souvent éludés. Le thème choisi pour cet article porte sur la prescription de prélever la ‘Halla formulée peu après le décret d’errance.

 

Cette Mitsva est contenue dans quelques versets laconiques, l’essentiel étant dit dans le verset 19, chapitre 15 du livre de Bamidbar.

 

20 Comme prémices de votre pâte, vous prélèverez un gâteau en tribut; à l’instar du tribut de la grange, ainsi vous le prélèverez

 

יט וְהָיָה, בַּאֲכָלְכֶם מִלֶּחֶם הָאָרֶץ–תָּרִימוּ תְרוּמָה, לַיהוָה. כ רֵאשִׁית, עֲרִסֹתֵכֶם–חַלָּה, תָּרִימוּ תְרוּמָה

 

En pratique, cette ‘Halla était apportée au Cohen par toute personne réalisant une pâte de plus d’un certain poids. De cette façon, D-ieu fait dépendre les prêtres des dons du peuple. Il lie ainsi le destin des uns et des autres : ceux qui jouissent de l’abondance de la terre soutiennent ceux qui se consacrent à l’étude de la Thora, au service du Temple et aux valeurs spirituelles. La Thora ne spécifie pas de quantité, celle-ci a dû être déterminée par les Sages : 1/48 de pâte pour le boulanger, 1/24 pour le particulier. Cette prescription est encore pratiquée de nos jours pour des raisons d’ordre rabbinique, tant en Israël qu’en dehors pour que cette Mitsva ne tombe pas dans l’oubli.

 

La question fréquemment posée par les commentateurs est celle du choix de cette paracha pour une telle prescription. N’aurait-elle pas trouvé sa place parmi les mitsvot liées à la terre ? Au prélèvement des récoltes ?

 

Sforno explique que cette Mitsva a été énoncée à ce moment du texte pour redonner un espoir à la génération condamnée à périr dans le désert. Ils ne rentreront pas en terre promise mais leurs enfants y accéderont. Et voici un des commandements qu’ils auront à charge d’appliquer à leur arrivée. Cette explication s’inscrit dans le même registre d’espoirs que le commandement sur les sacrifices, à l’arrivée sur la terre énoncée dans la même paracha.

 

On note par ailleurs que la prescription de la ‘Halla est donnée en lecture directe dans la Thora et qu’il ne s’agit pas d’un commandement dérivé. Cette insistance du texte pose question à elle seule. Elle rejoint cette phrase du Midrash Rabba, Berechit (15) qui précise que « c’est en vue du mérite futur de Maasser, Bicourim et ‘Halla que le Monde a été créé »

 

Pourquoi la ‘Halla fait-elle expressément partie de ces trois piliers du monde ?

 

Une première explication intuitive serait de la ranger dans les Mitsvot ben adam la’havero qui participent à l’équilibre moral et social d’une collectivité. Elle s’inscrit également dans le registre de la guemilout Hassadim, un autre pilier du monde selon les Pirké Avot

 

Mais une lecture plus symbolique peut être faite à partir de la Guemara Sota 34B-35A . Celle-ci apporte des compléments au récit du parcours des explorateurs relaté de manière très laconique par la Thora. On en apprend un peu plus sur les géants croisés à ‘Hebron par les explorateurs. Ainsi, alors que la Thora se contente de décrire cette confrontation par une phrase laconique « Ils montèrent au Sud et il parvint à ‘Hébron, où demeuraient Ahimân, Chêchaï et Talmaï, descendants du géant. ‘Hébron avait été bâtie sept ans avant Tsoan d’Egypte[1]» cette Guemara la détaille avec précisions.

 

Emmanuel Levinas a fait de ces pages de Guemara le socle de l’une de ses lectures talmudiques « Terre promise Terre permise ». Il analyse les ressorts du discours négatif des explorateurs et met en avant trois explications à leur attitude. La première est la peur physique de se confronter à ces géants, la seconde la peur d’être influencés par leur manière d’être et de devenir à leur tour des individus sans foi ni loi. Enfin la troisième interroge sur la légitimité de cette conquête. En comparant ‘Hébron à Tsoan le texte de la Thora compare en fait la ville la plus pauvre de la terre de Canaan réputée pour ses cimetières et la ville la plus développée de l’Égypte antique. Et malgré ce décalage, le texte de la Guemara explique que ‘Hebron était 7 fois plus développée que Tsoan d’un point de vue civilisationnel.

 

La crainte possible des explorateurs est ainsi celle de la légitimité.

 

Quelle est la légitimité des Bné Israël face à un peuple dont le niveau de développement est largement plus avancé que la brillante civilisation égyptienne qu’ils ont laissée ?

 

Et c’est à ce point que tente de répondre le Talmud et que Levinas explicite : La légitimité repose non pas sur le haut niveau civilisationnel mais dans le fait de fonder une société juste.

 

Cette justice qui repose sur l’équité et le droit à chacun de disposer de ce dont il a besoin. C’est précisément là que le drame des explorateurs rejoint la prescription de la ‘Halla. Assurez-vous de la subsistance des prêtres qui sont garants du lien entre le peuple et son créateur dit la Thora. C’est cela qui participe d’un modèle de société qui ne se détermine pas que par des valeurs matérielles.

 

Cette prescription de la ‘Halla est d’ailleurs à inscrire dans la grande famille des lois liées à la terre dans la Thora. Vaste ensemble dans lequel on trouve notamment les lois relatives à la glane, à la parcelle laissée non récoltée, aux prémices des récoltes, ainsi qu’à celles de la Chemita et du Yovel.

 

Toutes participent du partage de la richesse issue de la terre et permettant d’œuvrer à une société juste.

 

La fête de Souccot illustre à merveille le lien logique entre ces sujets. A Souccot, au moment où le cœur de l’homme se réjouit de la récolte amassée, le risque est grand de voir le soulagement se muer en orgueil du possédant. Pour contrecarrer cette inclinaison possible des sentiments humains injonction est faite au propriétaire foncier de quitter sa demeure pour vivre pendant 8 jours dans un habitat précaire. Telle une cure intensive de modestie pour éviter les travers de la possession. La possession qui certes met à l’abri du besoin mais peut se muer en orgueil si elle n’est pas canalisée.

 

Souccot c’est aussi la célébration du tikoun Haguechem quand l’homme se tourne vers le ciel pour demander sa subsistance, posture qui équilibre encore le risque d’orgueil du possédant foncier susceptible d’oublier la source de ses richesses.

 

A Souccot encore, à l’époque du Temple à Jérusalem, on offrait 70 sacrifices en hommage aux nations. Plusieurs commentaires expliquent ce sacrifice particulier. Retenons celui de Rachi qui voit dans cet hommage aux nations leur attente d’un geste des Bné Israël. Ce geste c’est celui de prier pour la pluie. L’attente de la pluie est un point commun à tous les peuples mais les nations comprennent que les Bné-Israël ont une force particulière pour l’obtenir.

 

Cet hommage des nations à Israël pour son rôle d’entremetteur entre le Ciel et la Terre est peut-être la réponse au dilemme des explorateurs. Ils ne se voyaient pas légitimes sur la terre promise. Leur légitimité viendra de leur capacité à se faire entendre du Ciel. Une capacité issue de la société juste qu’ils auront bien voulu mettre en place avec le partage de la ‘Halla.

 

Partager la ‘‘Halla c’est partager le pain, le Le’hem. Le’hem est de la même famille sémantique que Mil’hama, la guerre. La plupart des guerres dans le Monde s’expliquent par la recherche de ressources… Partager le Le’hem pour éviter la Mil’hama semble évoquer ce texte en creux. Et peut-être qu’alors le ‘Halom, le rêve de la légitimité, se réalisera avec l’hommage des nations à Souccot, à Jérusalem.

 

Shabbat Shalom

 


[1] Bamidbar, 13, 22


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