Dans la paracha de Emor, la Torah nous enjoint de compter depuis le second jour de la fête de Pessah, chacun des jours nous séparant de celle de Chavouot et donc du don de la Torah. Les décisionnaires débattent quand à la source de cette mitsva, par suite de la destruction du temple et de la disparition de l’offrande qui constituait le point de départ de ce compte : Torah ou institution rabbinique.
En tout état de cause, s’agissant d’un commandement positif lié au temps, ils soulignent tous, que les femmes en sont dispensées.
Mais un point original se fait jour ici. En effet, dans ce type de cas, sauf quelques exceptions, la halakha ne s’oppose généralement pas à ce que les femmes accomplissent de leur propre initiative la mitsva. Telle est d’ailleurs l’opinion de nombreux décisionnaires, en particulier ashkénazes[1]. Mais d’autres (généralement séfarades[2]) s’y opposent. Ils se fondent en cela sur un texte issu du Zohar[3] « Et du fait que ces jours sont des jours du monde masculin, ce compte n’a été transmis qu’aux seuls hommes. ». On serait tenté de considérer ce texte comme d’ordre purement « kabbalistique, crypté, inaccessible ». Cependant il est bien cité à l’appui de décisions halakhiques les plus concrètes qui soient. Celles qui rapportent ce texte en déduisent que les femmes ne doivent pas compter le Omer. Qu’a cette mitsva de si particulier pour qu’il en soit ainsi ?
Nous souhaiterions pour approfondir le sujet, rapporter un autre texte également tiré du Zohar[4], également relatif au compte du Omer. Dans ce texte, le Zohar développe une analogie, un parallèle très détaillé, entre le compte réalisé par une femme pour sortir de sa période d’impureté et celui du Omer vécu par les enfants d’Israël à la sortie d’Égypte. Il semble donc ressortir de ce texte que le compte du Omer est fondamentalement une démarche relevant du féminin. Mais alors comment concilier cela avec le premier texte cité ? Celui-ci, à l’inverse, insistait sur l’aspect « masculin » du compte.
Peut-être peut on proposer une lecture «de type midrachique » de ces textes qui nous permettra de mettre en exergue quelques aspects importants de cette mitsva. Il apparaît dans une lecture « simple » de ces enseignements, qu’il existerait un aspect du compte du Omer qui constituerait une expression d’un principe féminin, et un autre constituant la traduction d’un principe masculin.
Compter le Omer « au féminin » c’est restituer à l’homme sa capacité d’être le réceptacle des enseignements divins. Reconstituer le keli qui seul offre la faculté d’être un auditeur du message d’En-haut.
La plupart des commentateurs soulignent que la période du Omer est tout particulièrement propice à la réparation des traits de caractère de chacun, c’est à dire à la constitution d’un socle susceptible de servir d’assise solide à la réception de la Torah. Il s’agit bien là d’une démarche de type féminin. Telle l’épouse égrenant ses jours d’impureté, s’extrayant pas à pas de tout ce qui fait obstacle à l’union avec son mari, Israël compte les jours qui le sépare du moment de proximité avec son Bien-aimé.
C’est peut-être la raison pour laquelle nos Maitres disent : « par le mérite des femmes justes de cette génération, nos Pères ont été libérés d’Égypte[5] ». Cela signifie que le rôle même du féminin est de permettre à l’homme de s’extraire de l’impureté égyptienne. Le principe féminin œuvre à permettre d’offrir à la Nation juive, la constitution de fondations morales saines : redevenir un réceptacle digne de la Parole divine.
Mais il ne faut pas omettre, que le Omer se compte aussi « au masculin ». Qu’est-ce que cela signifie ? Il existe un parallèle entre les 49 jours du Omer et les 48 « midot » nécessaires à l’acquisition (kinyan) de la Torah, outre une mida supplémentaire incluant toutes les autres soit 49 . Nous proposons de dire que ce point traduit parfaitement la « masculinité » de ces jours. Se préparer à recevoir la Torah, ce n’est pas seulement restaurer un socle, mais c’est aussi se placer dans une attitude de conquête de cette Torah, attitude si profondément masculine. Compter le Omer de la sorte, c’est lutter pour l’acquisition active des enseignements de Torah. Cette lutte, c’est le compte au masculin. Il n’est pas innocent qu’en l’espèce le terme retenu par la tradition soit celui de « kinyan », d’acquisition. Le contenu même de cette démarche est bien celui-là. Il s’agit d’être prêt non seulement à recevoir mais aussi à s’approprier la Torah. La faire sienne jusqu’à être en mesure d’innover dans l’étude dans cette Torah, jusqu’à ce que nos Maitres appellent le « hidouch ». Démarche d’acquisition si forte, que le dit hidouch devient alors partie intégrante de cette Torah.
« Même ce qu’un élève zélé enseignera devant son maitre a déjà été dit à Moché au Sinaï »[6]
Ce que nous enseignent ces décisionnaires en somme, c’est que nous ne devons pas caractériser le compte comme une démarche essentiellement, limitativement féminine mais lui conférer un caractère masculin capable d’intégrer cette dimension féminine et de la transcender.
[1] Choulkhan Aroukh O.H. Chap. 489 Cf le commentaire du Maguen Avraham au tout début du chapitre.
[2] Kaf Hahaim notamment. Voir également le Hida dans Birkei Yossef
[3] Zohar Emor 97b
[4] Zohar Tetsavé
[5] Sota 11b
[6] Talmoud Yerouchalmi Péa Chap. Hal. 2
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