Un Tossefot en marge d’une discussion sur la cacherout d’un abattage de viande par un Samaritain, cite un étonnant Midrach, qui lie expressément un épisode de la paracha Vayichla’h à l’idolâtrie.
Pour en arriver à explorer ce Midrach sur la paracha Vayichla’h, il faut donc préalablement accepter de faire un détour, que l’on espère pas trop laborieux, par le labyrinthe de la Guemara.
La Guemara (‘Houlin 5b) discute l’opinion de Tannaim selon laquelle la cherita, l’abattage rituel, réalisé par une personne issue d’une population allogène convertie au judaïsme, un Samaritain, serait acceptable à la condition d’avoir été supervisée par un Juif. Elle énonce que le tribunal rabbinique de Rabban Gamliel (le fils de Rabbi Yehuda HaNassi, le rédacteur de la Michna), a renversé la jurisprudence antérieure en décrétant l’interdiction de l’abattage réalisé par un Samaritain. Il semble, d’après la suite du texte, que cette décision n’aurait pas été suivie par Rabbi Yohanan et par Rav Assi et que, par conséquent, la décision du Bet-Din de Rabban Gamliel n’aurait pas eu de force obligatoire à l’époque où elle a été instaurée.
Puis la Guemara (‘Houlin 6a) s’intéresse aux raisons pour lesquelles le Bet-Din de Rabban Gamliel a jugé bon de prendre ce décret d’interdiction. Elle rapporte une haggada fort singulière.
Rabbi Meir a envoyé Rabbi Shimon ben Eléazar chercher du vin chez un marchand Samaritain. En chemin, Rabbi Shimon ben Eléazar a rencontré un « vieil homme ». Tossefot indique qu’il s’agit du Prophète Eli. Le vieil homme s’est adressé à Rabbi Shimon ben Eléazar par ces mots : : ושמת סכין בלועך אם בעל נפש אתה (Et mettez un couteau sur votre gorge, si vous êtes un homme qui a de l’appétit) (Proverbes 23,2). Cette phrase curieuse est extraite des Proverbes de Salomon. Elle pourrait vouloir dire : « Résistez à la tentation de consommer le vin des Samaritains, puisque vous avez de hautes valeurs morales ».
Rabbi Shimon ben Eléazar a rapporté l’incident à Rabbi Meïr, qui a jugé sur cette base que la consommation du vin des Samaritains devait dès lors être interdite. D’après Rabbi Nahman Bar Itzhak, ce décret d’interdiction serait motivé par la découverte d’un culte mené par certains Samaritains au sommet du Mont Guerizim au cours duquel le vin servait à des libations idolâtres à une colombe. Selon Rabbi Meïr, ce culte idolâtre, même s’il était le fait d’une minorité de Samaritains et non de leur majorité, suffisait à disqualifier leur vin.
En effet, Rabbi Meir tenait de manière constante la position selon laquelle on doit toujours prendre en compte l’attitude de la minorité. Ainsi, à propos de l’institution du lévirat (Yibum) (Deutéronome 25 : 5-10), par laquelle la veuve d’un homme décédé sans avoir laissé d’enfant mâle a l’obligation d’épouser le frère du défunt afin de concevoir des enfants qui prolongeront la lignée de son mari, sauf si la veuve se délie de cette obligation en déplaçant la sandale de son beau-frère lors du cérémonial judiciaire de la Halitza. Alors que le texte biblique exclut qu’une mineure d’âge puisse procéder à la Halitza, Rabbi Meir a légiféré qu’une veuve mineure d’âge ne pouvait pas davantage procéder au Yibum, pour le cas où elle n’aurait pas atteint un stade de maturité physiologique suffisant, susceptible d’entraîner la nullité du mariage avec son beau-frère. Même si ce risque ne concerne qu’un petit nombre de personnes, Rabbi Méir a étendu l’interdiction du yibum à toutes les mineures d’âge en tenant compte de cette minorité de personnes (Yévamot 24a).
De même, Rabbi Meir a tenu compte du nombre réduit des Samaritains qui procédaient à des libations de vins lors du culte de la colombe du Mont Guerizim pour interdire le vin de la totalité des Samaritains ; et la Guemara d’e conclure que Rabban Gamliel et son Bet-Din tenait la même position que Rabbi Meir au sujet de la prise en compte de la minorité et que c’est sur cette même base de l’existence d’un culte idolâtre au Mont Guerizim par un petit nombre de Samaritains que la chehita des Samaritains avait été prohibée.
Au-delà de la discussion juridique sur la base légale d’une interdiction, d’où vient cette histoire de colombe du Mont Guerizim ?
Tossefot, sur place, renvoie à un Midrach qu’il rattache à la Paracha Vayichla’h :
בראש הר גריזים – במדרש יש שהיא עבודת כוכבים שהטמין יעקב תחת האלה בהר בשכם (בראשית לה)
Dans le Midrash, il est question d’objets supports d’idolâtrie que Jacob a enterrés sur une montagne à Naplouse (Berechit 35).
En effet, dans la paracha Vayichla’h, alors que Dina vient d’être violée par Sch’hem et que Schimon et Lévi ont passé tous les habitants de la ville au fil de l’épée, Jacob reçoit l’ordre d’aller accomplir sans délai le serment qu’il avait souscrit vingt-deux ans plus tôt d’ériger un sanctuaire à Beth-El (Berechit 28 :2). A titre de purification préalable à l’érection de ce sanctuaire, Jacob enjoint notamment « à sa maison et à tous ceux qui étaient avec lui » de se « débarrasser des dieux étrangers qui sont au milieu (d’eux) », de se purifier et de changer de vêtements ; et le texte de poursuivre :
וַיִּתְּנ֣וּ אֶֽל־יַעֲקֹ֗ב אֵ֣ת כׇּל־אֱלֹהֵ֤י הַנֵּכָר֙ אֲשֶׁ֣ר בְּיָדָ֔ם וְאֶת־הַנְּזָמִ֖ים אֲשֶׁ֣ר בְּאׇזְנֵיהֶ֑ם וַיִּטְמֹ֤ן אֹתָם֙ יַעֲקֹ֔ב תַּ֥חַת הָאֵלָ֖ה אֲשֶׁ֥ר עִם־שְׁכֶֽם׃
« Ils remirent à Jacob tous les dieux étrangers qui étaient en leur possession et les boucles qui étaient à leurs oreilles et Jacob les enfouit sous l’arbre qui était près de Sch’hem. » (Berechit 35 :4)
C’est à ce verset que se rattache le Midrach rapporté par Tossefot à propos du culte d’une colombe par des Samaritains sur le Mont Guezirim. En effet, selon Bereshit Rabbah 81,3, les divinités étaient des images ou des répliques tridimensionnelles de colombes qui ont été retrouvées plus tard sur le mont Guezirim.
Quel rapport entre l’enfouissement par Jacob de boucles d’oreilles et le culte d’une idole de colombe, des siècles plus tard, par une poignée de Samaritains ?
Voilà qui mérite assurément tentative d’élucidation. En examinant les détails et nuances du verset, sous le regard de notre tradition herméneutique.
Tout d’abord, écartons l’ambiguïté qui pourrait naître d’une lecture trop rapide du verset précité. Non, la maison de Jacob n’était pas un repère de receleurs d’idoles ; non, les 12 pères des tribus d’Israël n’étaient pas des païens déguisés en enfants d’Israël. Mais cette épisode de purification intervient immédiatement après que Shimon et Lévi ont passé les habitants de Sch’hem de vie à trépas et se sont emparé de leurs possessions. Shimon et Lévi détenaient donc, à cet instant, des biens qui provenaient de Sch’hem. Ces biens pouvaient être des idoles, comme l’indique Rachi, ou des « dieux d’extranéité », selon Rav Shimshon Raphaël Hirsch, c’est-à-dire des dieux de cultes étrangers à la terre d’Israël comme, par exemple, les térafim que Rachel avait dérobé à son père (Berechit, 31,19).
De manière singulière, le verset précise que, parmi les biens enfouis par Jacob se trouvent des « boucles d’oreilles ». D’après le Targoum Yonathan, il s’agit effectivement de bijoux qui ornaient les oreilles des habitants de la ville de Sch’hem et qui représentaient leurs idoles. Pour le Hizkouni, il s’agit plutôt d’anneaux qui étaient aux oreilles des idoles.
Si le rapport entre les boucles d’oreilles et l’idolâtrie ne nous apparaît pas immédiatement, on se souvient néanmoins que, pour fabriquer le veau d’or, Aaron ordonnera « Détachez les pendants d’or qui sont aux oreilles de vos femmes, de vos fils et de vos filles et apportez-les moi. »וַיֹּ֤אמֶר אֲלֵהֶם֙ אַהֲרֹ֔ן פָּֽרְקוּ֙ נִזְמֵ֣י הַזָּהָ֔ב אֲשֶׁר֙ בְּאׇזְנֵ֣י נְשֵׁיכֶ֔ם בְּנֵיכֶ֖ם וּבְנֹתֵיכֶ֑ם וְהָבִ֖יאוּ אֵלָֽי( ׃ )) (Chemot 32,2). Les boucles d’oreilles constituent donc un objet précurseur d’idolâtrie. Ibn Ezra indique d’ailleurs que les Égyptiens avaient l’habitude de placer des anneaux dans leurs oreilles et que les Madianites imitaient cette coutume parce qu’ils étaient Ismaélites (Jud. 8:24).
Quoi qu’il en soit, on peut se demander pourquoi Jacob, qui comme Itzhak et Avraham appliquait toute la Thora, a enterré ces artefacts idolâtres au lieu de les détruire ainsi que le prescrit la halakha. En effet, les idoles doivent être réduites en miettes et dispersées au vent ou jetées à la mer (Avoda Zara, 43b ; Yoreh De’ah 146:14 ; Mishneh Torah Hilkhot Avoda Zara 8:6).
Le Ramban explique que les fils de Jacob avaient seulement pris des objets dont le statut de support d’idolâtrie avait été annulé par les habitants de Sch’hem eux-mêmes, « car un païen peut annuler une idole contre la volonté de celui qui l’adore » (Avoda Zara, 52b). De ce fait, ces objets avaient perdu leur caractère idolâtre et étaient devenus permis. « Jacob, cependant, par souci de pureté des choses saintes, ordonna qu’ils l’enlèvent afin d’être en mesure d’adorer D-ieu et de sacrifier devant Lui, tout comme Il leur avait ordonné concernant l’immersion et le changement de vêtements. L’enterrement était donc suffisant pour les idoles, et il les cacha donc sous le térébinthe dans un endroit qui ne sera ni cultivé ni semé ».
Sforno a la même lecture : « ויטמון אותם יעקב, il les enterra au lieu de les détruire. Puisqu’ils n’avaient plus le statut halakhique d’objets idolâtres, il n’était pas nécessaire de les détruire ».
Le Tur (Tur HaAroch, un commentaire sur la Torah, est écrit par R’ Jacob ben Asher (c. 1269 – c. 1343), connu sous le nom de Ba’al haTurim. ) va plus loin. Selon lui, « la raison pour laquelle Jacob n’a pas brûlé ces objets [ce qui les aurait éradiquées en tant qu’idole] était de démontrer à la population cananéenne qu’elle avait violé l’alliance que D-ieu avait faite avec Noach après le déluge de ne pas pratiquer l’idolâtrie. Nahmanide écrit que l’entourage de Yaakov n’avait pas pris, comme butin ou pour toute autre raison, d’images idolâtres, ni de biens ayant servi à l’idolâtrie, de sorte qu’il aurait fallu les détruire complètement. Ils n’avaient rien pris à Sichem avant que ces objets n’aient complètement perdu leur fonction d’objets interdits parce qu’ils avaient été utilisés dans le cadre de l’idolâtrie. Lorsqu’un idolâtre détruit ses divinités, même sous l’influence d’une force supérieure, c’est-à-dire sans le vouloir, le fait qu’il les ait détruites suffit à les priver de toute restriction halakhique en raison de leur utilisation antérieure. Ce que Yaakov a fait, c’est de permettre à ces objets qui avaient servi à des idoles d’être qualifiés pour un usage sacré sur l’autel. Pour obtenir ce statut, ils devaient d’abord être enterrés. Ce n’est qu’après ces préparatifs que lui et sa famille ont pu se rendre à Beit El. ».
Le Tur semble ainsi avoir totalement synthétisé la question et l’on pourrait donc s’arrêter là dans l’étude.
Pas tout à fait. Un détail de l’histoire n’a pas encore été abordé ici : quel est cet arbre sous lequel Jacob enterre les objets dont nous discutons ? Rachi traduit : « האלה » : le térébinthe – une sorte d’arbre qui ne porte pas de fruits. » Autrement dit, un arbre condamné à une forme de stérilité ; un arbre qui ne porte pas la possibilité de sa descendance ; un arbre pauvre, sec, impuissant, en quelque sorte. D’un mot, Rachi esquisse ici par la métaphore une ébauche de définition de l’idolâtrie : une idole est stérile. Comme l’arbre qui la cache pour mieux la signifier.
A ce stade, une question subsiste : Comment les objets d’idolâtrie enterrés par Joseph à Sch’hem ont-ils pu devenir l’idole d’une colombe vénérée par des Samaritains des siècles plus tard ?
Faute d’avoir exhumé un support textuel qui réponde directement à cette question, qu’il soit permis ici de formuler une hypothèse. Le lecteur voudra bien la considérer avec la circonspection qui sied aux simples conjectures.
Avant la paracha Vayichla’h, une colombe apparaît déjà une première fois dans l’épisode fameux de l’arche de Noé. Pour s’assurer que le déluge a cessé et que la terre est asséchée, Noah envoie une première, puis une seconde colombe en exploration. La seconde colombe revient, porteuse d’un rameau d’olivier. Ce qui atteste que la végétation repousse et que l’époque du déluge est révolue.
Depuis, l’image de la colombe porteuse du rameau d’olivier est devenue une image quasi-universelle pour évoquer la paix.
Ainsi, celui qui vénérerait une idole de colombe rendrait un culte à la messagère de la fin du déluge. La colombe est une représentation de l’absence de déluge, depuis que le Déluge lui-même s’est achevé. La colombe représente la promesse divine qu’il n’y ait plus jamais de Déluge (Béréchit 9,11).
Cette promesse divine était supportée par un signe, celui de l’arc-en-ciel (Béréchit 9,11 – 17). Le verset 13 (אֶת־קַשְׁתִּ֕י נָתַ֖תִּי בֶּֽעָנָ֑ן וְהָֽיְתָה֙ לְא֣וֹת בְּרִ֔ית בֵּינִ֖י וּבֵ֥ין הָאָֽרֶץ׃ – J’ai placé mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre.) spécifie bien que l’arc-en-ciel apparaît dans le ciel ou, plus précisément, dans la nuée (בֶּֽעָנָ֑ן).
Ce mot est très fortement connoté dans la Thora. Il désigne généralement une des manifestations de la présence divine, par exemple lors de la sortie d’Egypte. Ainsi : ( וַֽיהֹוָ֡ה הֹלֵךְ֩ לִפְנֵיהֶ֨ם יוֹמָ֜ם בְּעַמּ֤וּד עָנָן֙ לַנְחֹתָ֣ם הַדֶּ֔רֶךְ וְלַ֛יְלָה בְּעַמּ֥וּד אֵ֖שׁ לְהָאִ֣יר לָהֶ֑ם לָלֶ֖כֶת יוֹמָ֥ם וָלָֽיְלָה׃ – L’Éternel les guidait, le jour, par une colonne de nuée qui leur indiquait le chemin, la nuit, par une colonne de feu destinée à les éclairer, afin qu’ils pussent marcher jour et nuit) (Chemot, 13, 21).
Ainsi, la colombe serait une manière dévoyée de dire la manifestation de l’alliance éternelle contractée par D-ieu de ne plus jamais anéantir l’humanité. A propos du caractère perpétuel de cette alliance, rendue par les mots « לְדֹרֹ֖ת עוֹלָֽם » (Beréchit 9,12), Rachi souligne que le mot » לדרת « pour les générations » est écrit défectueux (sans les deux Vav) ; ce qui implique que le signe sera nécessaire seulement pour les générations qui sont « défectueuses » dans la foi parce qu’il y aura des générations qui ne nécessiteront aucun signe puisqu’elles étaient complètement justes, comme la génération d’Ezéchias, roi de Juda, et la génération de R. Siméon ben Yochai (Genèse Rabba 35:2).
Une population peu sûre de son alliance avec D-ieu ne se serait-elle pas inquiétée de l’absence d’apparition de l’arc-en-ciel ?
Si déjà les Hébreux, inquiets de ne pas voir Moché redescendre du Sinaï au terme des 40 jours annoncés, ont cédé à la tentation de se fabriquer un substitut de Moché avec le veau d’or, ne peut-on concevoir qu’une population allogène enjuivée comme les Samaritains aient cédé à la tentation de se fabriquer avec la colombe un substitut d’arc-en-ciel « dans la nuée » ?
Ainsi, la colombe serait la substitution humaine d’un signe divin. Elle serait l’archétype même de l’idole.
Elle est de ce fait même la représentation idéale d’une population « défectueuse » pour reprendre le mot de Rachi. Elle est le signe, la signature, l’authentification du défaut de ceux des Samaritains qui se livrent à l’idolâtrie.
En effet, les Samaritains ne se seraient pas converti au judaïsme par désir de partager le sort du peuple Juif et de suivre la voie de la Torah, mais par crainte d’être dévorés par des lions :
« Le roi d’Assyrie amena des gens de Babylone, de Ceuta, d’Ave, de Hamat et de Sefarvayim et les établit dans les villes de la Samarie pour remplacer les Israélites; ils prirent possession de la Samarie et habitèrent les villes. Or, au commencement de leur séjour, ils n’adoraient pas l’Éternel. Aussi Dieu lâcha-t-il contre eux des lions, qui exercèrent des ravages parmi eux.
On dit alors au roi d’Assyrie: « Les nations que tu as transportées et établies dans les villes de la Samarie ne connaissent pas le culte du Dieu du pays. C’est pourquoi il a lancé contre eux des lions, qui les font périr à cause de l’ignorance où ils sont du culte à rendre au Dieu du pays. »
Le roi d’Assyrie édicta cet ordre: « Ramenez l’un des prêtres que vous avez exilés de ce pays; qu’il y retourne pour s’y établir et qu’il leur enseigne le culte du Dieu de ce pays. »
Un des prêtres exilés de Samarie vint s’établir à Béthel, et il leur enseigna comment ils devaient adorer l’Éternel.
Mais chaque nation se confectionna ses divinités et les érigea dans les maisons des hauts-lieux édifiées par les Samaritains, chacune dans les villes qu’elle habitait.»
(Melakhim II, 17, 24-29)
Ainsi l’idolâtrie serait demeurée au sein des Samaritains en dépit de leur conversion. Le traité Kiddushin fait d’ailleurs état d’une controverse entre Tanaïm à propos de l’insincérité de leur conversion (Kiddushin, 75b). D’ailleurs le traité Houlin relève que si, de manière générale, les Samaritains respectaient les mitzvot, certaines de leurs pratiques restaient défectueuses du fait d’avoir rejeté la Loi orale et l’autorité des Sages (‘Houlin, 4a).
Mieux encore, cette conversion défectueuse a eu lieu « à Béthel », c’est-à-dire à l’endroit même où Jacob se prépare à aller ériger un sanctuaire au moment où il procède à l’enfouissement des idoles de Sch’hem à titre de purification préalable.
La Torah ne méconnaît aucune des turpitudes de l’humain et, singulièrement, du Juif. Au point que d’aucuns pourraient la réduire à une anthropologie des tours, retours et détours, de l’homme. Mais il est une faute sur laquelle il est incessamment revenu : l’idolâtrie. Depuis le début du sefer Berechit jusqu’aux prophètes, en passant évidemment par l’épisode du veau d’or, l’idolâtrie est l’ennemie public numéro 1, le mal suprême, la faute d’entre les fautes ; le corpus biblique y retourne sans cesse pour l’interdire, la dénoncer, avertir de son caractère presque inéluctable. Ainsi, la paracha Béréchit attribue l’invention de l’idolâtrie à Enoch, dès l’aube des temps. Enoch et les hommes de sa génération ont introduit une rupture dans la rapport des hommes à D.ieu. « A Seth lui aussi, naquit un fils et il le nomma Enoch. Alors, invoquer le nom de Hachem devint profane. » (לְשֵׁ֤ת גַּם־הוּא֙ יֻלַּד־בֵּ֔ן וַיִּקְרָ֥א אֶת־שְׁמ֖וֹ אֱנ֑וֹשׁ אָ֣ז הוּחַ֔ל לִקְרֹ֖א בְּשֵׁ֥ם יְהֹוָֽה) (Berechit 4, 26).
Le Targoum Yonathan indique sur place « A Seth, lui aussi, il naquit un fils ; il lui donna pour nom Enoch. C’est cette génération qui commença à se tromper, servant leurs erreurs (idoles) et les nommant du nom de Dieu. ».
Rambam commente : « Au temps d’Enoch les hommes commirent une grande erreur. Cette génération pervertit le conseil des sages et Enoch lui-même fut parmi les égarés. Et voici leur erreur. Les hommes se dirent: Dieu a créé les étoiles et les planètes pour diriger l’univers. Il les a placées dans les hauteurs et leur a fait honneur. Il est juste que ces étoiles et ces planètes qui sont ses serviteurs servant devant sa face soient honorées. Car c’est la volonté de Dieu, béni soit-Il, que l’on exalte et honore ceux qui font Sa grandeur et Sa gloire comme un roi prend plaisir à voir honorés ses serviteurs, et pense qu’en les honorant on honore le roi. A partir de ces pensées, les hommes commencèrent à bâtir des temples aux étoiles et leur offrirent des sacrifices, à les louer et les exalter par des paroles, à se prosterner face à elles, afin d’accomplir la volonté divine selon leur fausse conception. Et c’est cela l’essentiel de l’idolâtrie. » (Michné Tora. Halakhot Avodat Ko’havim 1,1)
Autrement dit, l’idolâtrie est une décision. Elle est la décision d’accorder la primauté à sa pensée et aux fausses conceptions qui peuvent en émaner ; et l’on voit à quel point le choix d’une colombe comme représentation, comme substitut, comme ersatz, de l’alliance divine, soit avec l’humanité entière (l’arc-en-ciel) soit avec les Hébreux (la colonne de nuée), lorsque le signe divin n’est plus manifeste illustre la définition de Rambam. La volonté de l’homme (le Samaritain idolâtre) substitue le signe de la volonté divine lorsque ce signe n’est plus manifeste.
Dans son Guide des perplexes (3:37), Rambam étaye son affirmation selon laquelle les sacrifices rituels sont destinés à empêcher les Juifs de s’engager dans des pratiques idolâtres courantes en faisant valoir que d’autres commandements de la Torah ont été donnés pour la même raison. Ces commandements suivent le thème « ne faites pas ce qu’ils ont fait ». Par exemple : l’interdiction de se raser les coins de la tête et la barbe (Lev. 19:27) vise à éviter d’imiter l’apparence des anciens prêtres idolâtres ; l’interdiction de porter des mélanges de laine et de lin (Lev. 19:19, Deut. 22:11) vise à éviter d’imiter les vêtements des prêtres idolâtres, qui mélangeaient la laine et le lin dans leurs vêtements pour unir les forces de la flore et de la faune. En somme, toutes les mitzvoth, selon le Rambam, auraient pour vocation d’écarter l’idolâtrie.
En enfouissant l’idolâtrie sous le térébinthe, c’est-à-dire littéralement à la racine de l’arbre, Jacob manifeste que l’idolâtrie et la Torah ont à faire l’une avec l’autre. Idolâtrie et Torah sont aussi intimement liés que les racines puisent dans l’humus les nutriments nécessaire à la vitalité de l’arbre. En les modifiant évidemment par un processus physico-chimique qui rend le corps étranger compatible avec le processus vital.
D’après le Midrash Hagadol, les habitants des contrées aux alentours de Sch’hem furent pris de terreur d’avoir vu Jacob déraciner le térébinthe d’une seule main, enfouir les idoles de l’autre main et replanter l’arbre d’un même geste.
Ainsi, la pédagogie de Jacob qui, selon le Tur, visait les habitants de Sch’hem, s’adresse également aux lointains descendants de Jacob que nous sommes.
Ainsi se mène le combat contre l’idolâtrie. D’une main forte et résolue. La main de Jacob. La main d’Israël.
ברוך אתה ה’ אלקינו מֶֽלֶךְ הָעוֹלָם שֶׁלֹּא עָשַֽׂנִי גּוֹי
Marc LIPSKIER
16 novembre 2021
Ce texte est destiné à contribuer à l’élévation de la neshama de ma maman, Hélène Léa bat Hava.
Il n'y a pas encore de commentaire.