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Hanna a-t-elle prié seule ?

par: Stéphanie Allali-Klein

Publié le 23 Janvier 2022

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La prière individuelle est différente de la prière collective. Cependant, il est important de prier avec la collectivité mais comment y trouver son individualité ?

Le Rambam (Moshe Ben Maïmon, Andalousie, 1138-1204) dans son ouvrage Michne Torah, souligne qu’il est préférable de prier berabim, avec les autres, car si quelqu’un a fauté, sa prière se mêlant à celle des autres, sera entendue par D.

Prier avec les autres, n’enlève en rien notre histoire individuelle et notre rapport à D. La collectivité permet de cacher en quelque sorte, les actes individuels qui sont condamnés par D.

« La Tefila d’une communauté est toujours écoutée (par Hashem). Même s’il y a des fauteurs parmi eux. Hashem ne rejette pas la prière collective. C’est pourquoi, il faut s’associer aux autres pour prier et ne pas prier en solitaire, si l’on a la possibilité de s’associer à la communauté. » (Rambam, Lois concernant la Tefila, 7, 1)

Le partage de la prière dépasse l’unité de chacun et forme une énergie supérieure.

Toujours selon lui :

« Comment concevoir la prière collective ?

L’un d’entre eux priera à voix haute et tous les autres écouteront » (ibid, 7,2)

Le sheliah tsibour (l’officiant), celui qui fait la Amida tout seul est missionné pour prier à la place de ceux qui ne savent pas prier.

Ainsi prier de manière collective est un partage, une association. Chacun consulte l’autre et le sheliah tsibour consulte l’assemblée qui lui répond amen comme pour se rendre yotse (acquittée).

Cependant, il existe une divergence d’opinion dans la Mishna Rosh Hashana, (4,9) entre Rabban Gamliel et les sages du Talmud. Si pour ce premier, le sheliah tsibour acquitte l’assemblée ; pour ces derniers, chacun doit s’acquitter soi-même. Le sheliah tsibour n’acquitte que celui qui ne sait pas faire la prière. La halakha est établie selon Rabban Gamliel pour la tefila de Roch Hachana et de Yom Kippour uniquement, car les prières sont longues ce jour-là.

La prière collective n’efface pas la prière individuelle car chacun prie non pas à la place de l’autre mais à côté de l’autre. Que ce soit l’avis de Rabban Gamliel ou des sages du Talmud, prier ensemble c’est savoir s’accompagner les uns les autres avec nos différences, avec nos individualités.

Par le biais de cette association, nous demandons trois choses à Hashem :

Shevah, louange sur Hashem.

Bakacha, demande à Hashem.

Odaya, remerciement à Hashem, reconnaissance envers Hashem.

Bien sûr, notre prière individuelle se construit également autour de ces trois thèmes et cela se retrouve dans la structure de la Amida.

De nombreuses lois ont été déduites de la prière de Hanna (Berakhot 31 a et b), prière qui est associée à la Amida non pas par le contenu de sa prière mais par sa manière de la réciter. Hanna était concentrée, elle se tenait debout, elle faisait bouger ses lèvres, elle disait sa tefila à voix basse, elle n’était pas ivre… Et nous devons faire comme elle, quand nous faisons notre Amida.

Amida a pour racine omed qui signifie, être debout, se tenir debout ; il est obligatoire de faire la Amida debout.

Le terme omed, se tenir debout, se retrouve dans un verset de la Torah au moment où D. va à la rencontre d’Avraham afin de le prévenir de la destruction de Sodome et Gomorrhe :

« L’Eternel dit : « Comme le cri de Sodome et de Gomorrhe est grand ; comme leur perversité est excessive, je veux y descendre ; je veux voir si, comme la plainte est venue jusqu’à moi, ils se sont livrés aux derniers excès ; si cela n’est pas j’aviserai. » Les hommes quittèrent ce lieu et s’acheminèrent vers Sodome ; Avraham était encore en présence (omed) d’Hashem. Avraham s’avança (vayigach) et dit : « Anéantirais-tu, d’un même coup, l’innocent avec le coupable ? » (Berechit, 18, 20-23)

Les commentaires de Rachi (Rabbi Chlomo ben Itshak Hatsarfati, Troie, 1040-1105) nous éclairent sur les deux positions d’Avraham face à D. : être debout (être en présence) et avancer.

Rachi mentionne trois sortes « d’avancées » :

Pour la guerre : Yoav s’avança » (II Chemouel, 10, 13).

Pour la réconciliation : « Yehouda s’avança » (Vayigach, 44,18)

Et pour la prière « le prophète Eliyahou s’avança » (I Melakhim 18, 36).

Il rapporte au nom du Berechit Raba (49, 7), qu’Avraham a utilisé ces trois moyens : il s’est exprimé avec dureté, il a cherché la conciliation, et il eut recours à la prière.

 

S’avancer c’est donc aller à la rencontre de D. afin de l’interpeller, de le confronter mais c’est aussi se trouver dans un espace (makom) commun, afin d’établir une compréhension et une écoute réciproque.

 

Le commentaire de Rachi sur le verset « Et Avraham était encore en présence (omed) devant Hachem » questionne de manière profonde. Le voici :

 

« Ce n’est pas lui, pourtant, qui s’était levé pour se tenir debout devant D., mais c’est le Saint béni soit-il qui était venu chez lui pour lui dire : « comme le gémissement de Sedom et Amora est grand ». Le texte aurait dû donc dire : « et Hachem était encore debout devant Avraham », mais il s’agit là d’une correction des scribes, (destiné à prévenir une éventuelle interprétation irrévérencieuse. (Berechit Rabba 49)

 

 

Leitpalel, prier, a pour racine, palal, qui signifie juger. Prier c’est demander à D. d’amoindrir son jugement afin de le transformer en miséricorde.

 

Les sages du Talmud vont encore plus loin et expriment que D. lui-même prie dans ce sens. Cela donne une explication au commentaire de Rachi à propos de la confusion du verset entre D. et Avraham : qui est debout face à qui ?

 

« Rabbi Yohanan dit au nom de Rabbi Yossi : d’où savons-nous qu’Hachem prie ?

Il est écrit (Isaïe 16, 7) je les amènerai sur ma sainte montagne, je les comblerai de joie dans ma maison de prières. Le verset ne dit pas leurs prières mais ma prière ; c’est la preuve qu’Hachem prie. Quelle est sa prière ? Rav Zoutra fils de Rav Touvia dit au nom de Rav :

Puisse cela être ma volonté agrée (par moi-même) que ma bienveillance dépasse ma colère et que mon empathie « viscérale » soit plus forte que mes attributs « plus sévères », que ma conduite soit de l’ordre de l’empathie et que je puisse les juger en allant en deçà de la stricte justice ». (Traité Berahot, 7a)

 

Si D. se met debout face à Avraham c’est pour « le prier » de l’aider à éprouver de la miséricorde envers les habitants de Sodome et Gomorrhe car dans le monde de justice, cette ville doit être détruite.

 

C’est dans cet ordre d’idées que Hanna, la prophétesse s’adresse à D. dans sa prière.

 

Hanna est stérile, Hanna est femme, Hanna est seule dans sa souffrance. Son mari Elkana l’aime mais il pense lui suffire :

« Hanna, pourquoi pleures-tu ? pourquoi ne manges-tu point, et pourquoi ton cœur est-il affligé ? Est-ce que je ne vaux pas, pour toi, plus que dix enfants, » (I Samuel, 1,8).

Hanna suit son mari au Michkan (sanctuaire) qui se trouve à Shilo et épanche son cœur devant D. Elle balbutie des paroles, bougeant son corps, le prêtre Eli pense même qu’elle est ivre.

Elle est debout devant D. En allant au sanctuaire à Shilo, elle s’avance vers lui, comme Avraham afin de trouver un espace commun et une compréhension commune. Elle en appelle à sa rahmanout, sa miséricorde, elle le supplie d’adoucir son din, son jugement. Elle le met face à lui-même.

 

« L’âme remplie d’amertume, elle pria devant Hachem (al Hachem) et pleura longtemps. Puis elle prononça ce vœu : « Hachem Tsevakot ! si tu daignes considérer l’affliction de ta servante, te souvenir d’elle et ne point l’oublier ; si tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le vouerai à Hachem pour toute sa vie, et le rasoir ne touchera point sa tête ». (I Samuel, 1, 11)

 

Hanna est akara, stérile. Le mot akara a pour racine ikar qui signifie principal (elle est la femme aimée, principale d’Elkana face à sa rivale Penina), mais a aussi pour racine akar qui signifie un déracinement. Elle est comme une terre stérile sans racines sans possibilité d’avancer, de se recycler, de porter ses fruits.

Elle prie non pas devant Hachem mais plus exactement sur Hachem, à propos de lui. Elle le met face à ses responsabilités d’où le terme employé d’Hachem Tsevakot, le D. des armées.

 

Rachi rapporte qu’elle s’est exprimée ainsi :

Maître de l’Univers, tu as créé deux armées dans ton monde. Celle d’en haut ni ne se reproduit, ni ne se multiplie et finit par mourir. Si j’appartiens à celle d’en bas, que je ne me reproduise et me multiplie, puisque je meure ! Si je fais partie de celle d’en haut, que je sois immortelle ! »

Les sages du Talmud rajoutent : « Maitre de l’Univers ! parmi toutes les légions que tu as crée dans ton monde, te serait-il difficile de m’offrir un fils »

Elle en appelle à sa bienveillance, ne répond-elle pas ainsi à la prière de D. d’amoindrir son attribut de justice et de le transformer en miséricorde ?

Rabbi Haïm de Volojine (Biélorussie, 1749-1821) explique qu’elle ne se fait pas de souci pour elle-même, elle ne pense pas à elle, mais s’inquiète de D. Elle éprouve le besoin de sanctifier son nom sur terre. Elle ne réclame pas un enfant pour elle mais pour le bien du peuple puisqu’elle promet que son fils deviendra nazir et donc consacré à D.

Elle construit une relation avec D. Elle exprime qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans leur relation. Elle exprime sa colère afin de changer leur relation.

Hanna n’est pas seule puisqu’elle parle à D.

Elle fait appel au pouvoir transformateur de D. Il est pour elle comme un artisan, tsayar qui peut modeler son corps autrement.

Il est aussi un artisan pour lui-même puisqu’il peut modifier, modeler son jugement et le rendre miséricordieux.

Hanna prie al liba, sur son cœur. Elle domine ses émotions, elle ne parle pas à D. de manière impulsive. Elle sait que c’est le moment de prier.

 

Prier, leitpalel, est à la forme réflexive en hébreu et signifie donc se juger.

Le traité Berahot sur la prière de D. ne signifie-t-il pas aussi et peut-être de manière profonde que prier c’est avoir conscience de la partie divine qui est en nous ?

 

Voici la Beraïta qui suit ce Traité :

Rabbi Yshmael fils d’Elisha dit :

Je suis entré une fois à Yom Kippour pour faire fumer l’encens dans le « Saint des Saints » et j’ai vu devant moi « Hachem Tsevakot » assis sur un trône haut et élevé. Il m’a dit : Yshmael mon fils, donne-moi une Beraha. Je lui ai dit alors :

Puisse cela être ta volonté agréée que ta bienveillance dépasse ta colère et que ton empathie « viscérale » soit plus forte que tes attributs « plus sévères », que tu te conduises envers eux avec empathie et que tu puisses les juger en allant en deçà de la stricte justice et il a acquiescé d’un mouvement de tête.

 

Que doit-on en déduire :

Ne considère jamais avec dédain la Beraha d’un être ordinaire.

Si D. demande une bénédiction, c’est pour que nous prenions conscience de notre part divine. Nous qui sommes ordinaires. Rabbi Yshmael ne s’adresse pas à D. mais à lui-même, à son âme

Que ma bienveillance dépasse ma colère. Que mon âme reçoive amour et discernement. Ce n’est pas D. qui demande une Beraha mais c’est ma partie divine en moi qui appelle de la miséricorde envers moi-même.

Prier D. c’est prier nous-mêmes afin de nous sortir de notre propre jugement qui pose des limites à ce dont nous sommes véritablement capables. Nous avons le potentiel de sortir de n’importe quelle impasse, de nous sortir du vide.

Hanna est seule car en priant, elle se transforme déjà. Être seul ne veut pas dire être sans D.

Cela signifie se connaitre assez pour trouver les mots justes qui vont nous pousser à sortir de l’épreuve.

La Amida nous connecte avec notre histoire, celle de nos patriarches et matriarches, (cf :la première bénédiction de la Amida) elle nous permet d’avancer et de nous tenir debout. Elle n’est pas imploration ou cri ; elle est cheminement pour parler en soi et trouver sa propre miséricorde afin de s’accepter et d’accepter de modifier son histoire.

Parfois, il n’est plus temps de prier mais d’avancer simplement pour fuir, échapper aux idolâtres de notre vie à savoir ceux qui tentent d’amoindrir notre identité.

Au moment de la traversée de la mer Rouge, les Égyptiens arrivant, les bene Israël commencent une prière :

« Comme Pharaon approchait, les enfants d’Israël levèrent les yeux et voici que l’Egyptien était à leur poursuite ; remplis d’effroi, les bene Israël jetèrent des cris vers Hachem » (Chemot, 14, 10)

Rachi explique qu’ils ont fait comme Avraham, Itshak et Yaakov. Au sujet d’Avraham, Rachi rapporte le verset suivant :

« Avraham se leva de bon matin pour aller vers l’endroit où il se tenait à la face d’Hachem (el hamakom acher amad sham) (Berechit, 19,27)

Mais plus loin, c’est Moche qui implore D.

« L’Eternel dit à Moche : « Pourquoi m’implores-tu ? Ordonne aux enfants d’Israël de se mettre en marche » (Chemot, 14, 15)

Rachi :

Que cries tu vers moi : Ceci nous apprend que Moche se tenait debout et priait. Le Saint béni soit-il lui a dit : « Ce n’est pas le moment de se répandre en prières, maintenant qu’Israël est dans la détresse. » (Mekhilta). Autre explication : « Qu’as-tu à crier vers moi ? C’est de moi, pas de toi, que dépendent les choses ! » comme il est écrit, (Yechaya 45, 11) : « Me donneriez-vous des ordres pour l’œuvre de mes mains ? » (Mekhilta)

 

Parle aux fils d’Israël, et qu’ils partent : Ils n’ont rien d’autre à faire que de partir, car la mer ne se dressera pas contre eux. Le mérite de leurs pères et la foi qu’ils m’ont vouée en quittant l’Egypte suffiront à leur ouvrir les portes ».

 

Ce n’est pas seulement Paro qui s’approche d’eux mais l’Egypte, ce n’est pas l’égyptien (hamitsri), mais l’Egypte (mitsraïm). C’est ce que véhicule l’Egypte qu’ils doivent fuir afin de se rapprocher de D. en faisant le premier pas dans la mer.

 

Prier, c’est élaborer une parole en soi, par soi et pour soi. Mais souvent dans l’urgence, il faut adopter une autre démarche. Ne plus prier. S’arrimer à notre identité profonde Avraham, Itshak et Yaakov et agir.

D. voit nos mérites comme il a vu le mérite de nos pères. A nous d’agir en conséquence car notre nechama, notre âme, est aussi mouvement, dans ce monde qui a été créé pour nous. Notre corps contient aussi une parcelle divine qui nous permet d’avancer afin de nous trouver au bon endroit, celui où D. se trouve. (On nomme D. aussi Hamakom)

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Stéphanie Allali Klein est enseignante au primaire et au secondaire. Elle est aussi formatrice de l’enseignement de la Shoah à l’école. Elle enseigne depuis de nombreuses années les personnages féminins et différents textes de notre tradition. Elle est également maman de 3 filles.

“Hanna a-t-elle prié seule ?”

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