Etude croisée : Parachat Bo et tehilim 24 : les portes de la prière
par: Stéphanie Allali-KleinPublié le 5 Janvier 2022
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A la fin de la Parachat Bo, D. par le biais de Moche demande aux bene Israël de sacrifier un agneau pascal et d’y teindre les poteaux (mezouzot) et le linteau (mashkof) de leur maison du sang de l’animal afin qu’il passe au-dessus de leur maison et les épargne ; puisqu’il va tuer les premiers nés garçons égyptiens.
« Ils prendront du sang, ils donneront sur les deux poteaux (mezouzot) et sur le linteau (mashkof), sur les maisons dans lesquelles ils le mangeront. » (Bo, 12,7)
Le parallèle entre les maisons des bene Israël et le tabernacle, le mishkan construit par la suite dans le désert peut déjà se faire. En effet, lors de l’inauguration du tabernacle, les fils d’Aaron feront usage du sang du sacrifice afin de l’appliquer sur les cornes de l’autel.
« Les fils d’Aaron lui présentèrent le sang, et il trempa son doigt dans ce sang, qu’il appliqua sur les cornes de l’autel » (Chemini, 9,9)
Si la maison des bene Israël au moment où ils doivent cuire l’animal et le manger est une représentation de ce que sera le tabernacle, à savoir faire des sacrifices pour D., la cellule familiale joue en quelque sorte le rôle du Cohen gadol, du grand prêtre.
En effet, lorsque Moche demande à chaque famille de recouvrir les linteaux de leur maison du sang de l’animal, il emploie des termes similaires :
« Vous prendrez un bouquet d’hysope, vous tremperez dans le sang qui sera dans le récipient, vous approcherez vers le linteau et vers les deux poteaux du sang qui sera dans le récipient, et vous, vous ne sortirez pas, chaque homme, de l’entrée de sa maison jusqu’au matin. » (Bo, 12, 22)
Mais ce qui questionne est l’endroit où le sang se pose à savoir les poteaux et le linteau de la maison. Que devons-nous comprendre de cet espace de l’entre-deux, de ce passage entre l’extérieur et l’intérieur, entre le monde céleste (puisque D. sera à l’extérieur) et le monde terrestre (puisque les hommes seront à l’intérieur), entre D. et les hommes ?
Le Tehilim 24 composé le jour où David a acheté le terrain de l’emplacement du Beith hamikdach et qu’il devait réciter le jour de son inauguration nous apporte par certains de ces versets une réponse.
Le voici :
« De David, psaume. A Hachem appartient la terre et ce qu’elle renferme, les pays habités et ceux qui y demeurent, car il l’a fondée sur les mers et affermie sur les fleuves. Qui s’élèvera sur la montagne de Hachem ? Qui se tiendra à l’endroit de sa sainteté ? Celui dont les mains sont sans tâches, le cœur pur, qui n’a pas juré en vain par mon âme et n’a pas prêté de serment frauduleux : il obtiendra une bénédiction de Hachem, la bienveillance du D. de son salut. Telle est la génération de ceux qui le cherchent, qui tendent vers ta face, de Yaakov, Séla !
Elevez, ô portes (shaarim), vos frontons, soyez élevées, portails éternels (pithei olam), pour qu’il entre, le Roi de gloire ! Qui est ce Roi de gloire ? Hachem, fort et puissant, Hachem, héros dans la guerre. Elevez, ô portes (shaarim), vos frontons, élevez-vous, portails éternels (pithei olam), pour qu’il entre, le Roi de gloire ! Qui donc est ce roi de gloire ? Hachem des légions, c’est lui qui est le Roi de gloire, Séla ! »
Pour les sages du Talmud, il est question de manière certaine des portes du beith hamikdach, car ce psaume a été institué pour l’entrée du Cohen gadol, le grand prêtre, au sein du kodech hakodachim, le Saint des Saints à Jérusalem.
De nombreux versets de ce psaume expriment la gloire de D, son attachement à la terre d’Israël mais aussi la lumière de l’homme, son essence qui tend vers le bien et qu’il doit retrouver aidé par D.
Le Ibn Ezra (Avraham ibn Ezra, rabbin andalou, 1089-1167) explique que le roi David s’adresse à la génération après lui, celle qui a gravi la montagne de Hachem pour y construire le beith hamikdach, génération pure et intègre comme l’était Yaakov.
« Qui s’élèvera sur la montagne de Hachem ? Qui se tiendra à l’endroit de sa sainteté ? » […] Telle est la génération de ceux qui le cherchent, qui tendent vers ta face, de Yaakov, »
Mais le Malbim (Meïr Leibush ben Yehiel Mikhael, rabbin russe, 1809-1879) apporte ici, un élément intéressant. En effet, selon lui, si le roi David fait référence à Yaakov c’est pour mettre en avant le rêve de l’échelle de Yaakov. Dans ce rêve, des anges descendent vers la terre et remontent vers D.
Le rabbin, Elie Munk (rabbin français, 1900-1981) rapporte dans son ouvrage la voix de la Torah que selon plusieurs commentateurs, « Yaakov aurait prié à l’endroit du Michkan, du sanctuaire, où prièrent ses pères et où « la prière monte au Ciel », l’échelle qu’il vit en songe représentant l’ascension de la prière vers les sphères célestes. Les anges s’élèvent de la terre, portant les suppliques des hommes jusqu’au trône céleste et ils redescendent ensuite vers eux, comblés des bénédictions du Ciel. »
Elie Munk continue en citant Maïmonide (Moché ben Maïmon, rabbin andalou, 1138-1204) qui indique que l’échelle comportait quatre degrés qui « correspondent aux quatre stades que la pensée doit franchir ».
Il poursuit en citant Rav Isaïe Halévy Horowitz (rabbin pragois, 1555-1630) qui dans son ouvrage le Chlah Hakadoch fait référence aux quatre mondes de la Cabbale qui « représentent les échelons du développement de l’émanation divine » et qui sont le monde des phénomènes matériels (olam haassia), le monde de la formation (olam hayetsira), le monde de la création ou des forces (olam haberia) et le monde des idées (olam haatsilout).
L’homme en prière doit traverser ces quatre mondes, qui correspondent aux quatre parties principales que l’on peut distinguer dans la prière quotidienne : la première partie jusqu’à barouh sheamar (olam haassia), la deuxième partie par le monde de l’action et des phénomènes naturelles, jusqu’à barehou (olam hayetsira) , la troisième partie par le monde de la nature et des formes : le shema et ses bénédictions (olam haberia) et la quatrième partie par le monde des forces agissantes de l’Univers qui sont rapportées à l’unique D., créateur du ciel et de la terre : le chemona essre (olam haatsilout), là où nous y trouvons D. devant qui nous épanchons notre cœur. (Elie Munk, la voix de la Torah, vayetse, commentaires p.291)
Le chiffre quatre est aussi présent dans la Parachat Bo et évoque le nombre de jours entre la prise de l’agneau, le dix du mois de Nissan :
« Parlez à toute la communauté d’Israël en disant : au dix de ce mois-ci, qu’ils prennent pour eux, chaque homme un agneau pour une maison paternelle, un agneau par maison » (Bo, 12, 3)
Et l’examen de l’animal jusqu’au quatorze Nissan :
« Il sera pour vous à garde jusqu’au jour quatorze de ce mois-ci, toute l’assemblée de la communauté d’Israël l’égorgera entre les deux soirs » (ibid, 12, 6)
Rachi (Rabbi Chlomo ben Itshak Ha Tsarfati, rabbin français, 1040-1105) rapporte au nom de Rabbi Mathia ben Harach qu’il fallait quatre jours pour vérifier que l’agneau était sans tâche pour pouvoir l’égorger et qu’ils aient le mérite de faire des mitsvot pour être délivrés, par le sang de la circoncision et celui de l’agneau. Il rapporte aussi au nom du traité Pessahim, 96a, que comme les bene Israël avaient sombré dans l’idolâtrie, ces quatre jours leur servaient à s’en éloigner en faisant la mitsva de l’agneau pour se rapprocher de D.
Si Yaakov est mentionné selon le Malbim dans le psaume 24 pour son rêve de l’échelle qui fait référence au chiffre quatre : monde de la pensée, monde de la Cabbale, monde de la prière ; dans Parachat Bo, le chiffre quatre fait référence au temps d’adaptation pour rencontrer D. et pour s’éloigner de l’idolâtrie. N’est-ce pas finalement ce que propose les quatre étapes de la prière ? La prière a remplacé les sacrifices. Les linteaux teints par le sang sur le linteau intérieur de la maison symbolisent sans doute l’achèvement d’un long processus pour rencontrer D. Comme si chaque être représenté par le mandataire de la famille ressentait ce long processus en lui mais extériorisé par les poteaux et le linteau. Comme si D. voyait, lorsqu’il passait devant les portes des maisons des hébreux leur intériorité. Comme si le sang sur ce passage entre l’extériorité et l’intériorité était adhésion profonde à l’alliance. Mais il y a des étapes importantes avant cela.
Dans le psaume 24, le Malbim fait mention de deux étapes importantes : étapes qui se concrétisent par le biais d’une Techouva plus passive, et d’une plus active.
Le psalmiste dialogue avec les portes du Temple. Il s’adresse à elles comme si elles étaient humaines : Élevez, ô portes, vos frontons, soyez élevées, portails éternels (verset 7).
La forme passive, au verset 7, soyez élevées, vaïnassou, montre qu’il faut forcer les portes à s’ouvrir, car elles doivent reconnaître que D. gouverne et qu’il peut détruire l’ordre de la nature. La relation à ce D. là est une relation de contrainte ; le désir d’un retour vers D. se basant sur un sentiment de crainte et de peur. C’est un premier pas vers D. mais le processus n’est pas complet.
Au verset 9, la démarche est différente, élevez-vous, séou, les portes sont actives et reconnaissent d’elles- mêmes la grandeur de D. La relation à D. devient volontaire et le retour vers lui se fait par amour, dans un désir d’une soumission naturelle : « À Hachem appartient la terre ». (Ps.24,1)
Si par cet anthropomorphisme, il est plus facile de comprendre les deux étapes de notre relation à D., les mots shaar, la porte et patah, le portail, évoqués dans le psaume 24, nous y aident également.
Selon le Radak, (David Kimhi, rabbin provençal, 1160-1235) shaar, représente le chambranle de la porte, le seuil, les montants et le linteau. shaar, semble être le terme qui rassemblerait, les mezouzot (poteaux) et le mashkof (linteau) mentionnés dans la Parachat Bo.
Toujours, selon le Radak, patah, le portail, est l’espace vide qui constitue l’ouverture de la porte. Cet espace crée un potentiel, car même lorsque les portes sont fermées, il y a toujours une possibilité d’ouverture. Ces portails expriment le but essentiel du Temple. Ce monde ci est temporaire et matériel, il est connu sous le terme de haye shaa, existence temporaire. La vie de l’au-delà est éternelle et spirituelle, elle est appelée haye olam, existence éternelle. Le Temple a pour fonction de canaliser les forces spirituelles éternelles du monde d’en haut qui descendent dans le monde d’en bas et leur donne cette possibilité de cohabiter avec lui, comme un invité à qui on ouvrirait la porte de chez soi.
Les pithei olam, les portails éternels sont des voies d’entrée vers l’éternité. Et si Israël doit forcer les portes à s’ouvrir afin de permettre à la sainteté d’entrer, le psalmiste sait que les portes, dans un second temps, s’ouvriront ainsi d’elles-mêmes pour accueillir D.
Si nous revenons au verset de la Parachat Bo, un commentaire de Rachi nous éclaire sur ce que sont les poteaux et le linteau. Les deux poteaux sont les deux montants qui se dressent de part et d’autre de la porte. Toujours selon Rachi, le linteau est la partie supérieure de la porte, là où elle frappe (choqef) quand on la ferme. Ainsi le mot mashkof, vient du verbe chkof qui signifie frapper. La Mekhilta enseigne également, comme dit plus haut, que le linteau mentionné est le linteau intérieur car le sang posé dessus sera un signe pour les bene Israël : « Le sang sera pour vous un signe ». (Bo,12, 13) Le linteau porte en lui le même potentiel que le portail, le patah du psaume, une possibilité d’ouverture (ou de fermeture) qui frappe, comme une porte qui claque, comme un coup porté et qui renforce cette idée de passage entre l’intérieur, la maison et l’extérieur, là où se trouve D. Mais ici, ce sont les bene Israël qui doivent voir et comprendre ce que signifie pour eux, symboliquement le linteau, le sang étant visible pour eux et non pour D.
A l’intérieur, que ce soit dans la maison ou au sein du beith hamikdach, c’est l’homme qui agit et qui montre son dévouement à D. A l’extérieur, c’est D. qui agit et qui promet son attachement et sa protection à celui qui le cherche.
C’est dans ce potentiel d’ouverture que nous pouvons montrer notre confiance en D. car comme l’évoque le Rav Chimchon Raphaël Hirsch (rabbin allemand, 1808-1888) :
« Ce ne sont pas les murs qui protègent contre les puissances humaines adverses, ni le toit contre les puissances naturelles hostiles, c’est Hachem qui protège, dans des murs et sous un toit devenu le symbole de la kedoucha, à l’instar de l’autel sur lequel on offrait, les korbanot (les sacrifices).
D. à l’extérieur protège les bene Israël qui s’attachent à lui par le biais de l’agneau pascal. Consommable, car enlevé de son sang, il devient Pessah pour Hachem comme dit dans le verset 11 :
« Et ainsi vous le mangerez : vos hanches ceintes, vos chaussures dans vos pieds, et votre bâton dans votre main, vous le mangerez à la hâte, c’est Pessah pour Hachem. » (Bo, 12,11)
Pessah est le nom de l’agneau consommable mais signifie aussi le passage de D. au-dessus des maisons hébraïques afin de les épargner. Le sang sur le linteau et les poteaux représentant comme un lien entre ce passage qui est protection et la consommation de l’animal qui est adhésion.
C’est une première démarche pour faire résider D. parmi eux. C’est d’ailleurs ce que dira D. plus tard au sujet du Michkan.
« Ils me feront un sanctuaire, et je résiderai parmi eux » (Terouma, 25, 8).
Il est des moments dans la vie, où les portes se ferment. La prière donne beaucoup de forces pour rester connecté à D. afin de le laisser gérer ce qui est en dehors de notre portée. D. passe devant nos prières et nous épargne peut-être du pire.
Les fermetures font mal car elles symbolisent la fin de quelque chose et plus profondément la mort, le deuil et l’envie malgré tout d’espérer. D. a demandé aux bene Israël de manger l’agneau à la hâte, behipazon, pour ne pas douter, pour rester dans l’unité de soi et ne pas se morceler ou s’effondrer. Tout est un d’ailleurs dans l’agneau pascal, de sa cuisson bouillie et en entier, à son âge d’un an, consommé par famille, tout est unité comme une volonté de s’éloigner du morcellement qui empêche d’être pleinement soi.
Mais l’éternité réside dans l’espoir d’une ouverture, d’une rencontre, d’une union nouvelle. D. fait sa part, toujours. D. réside parmi les hommes et n’est jamais bien loin. S’élever c’est lui laisser la place afin d’ouvrir les yeux aux miracles cachés.
Il y a des portes qui claquent et d’autres qui se referment plus doucement, des portes forcées et d’autres plus accessibles, mais chacune d’entre elles ont une structure solide et un potentiel de réouverture. S’élever c’est avoir confiance en la structure, les fondements et le potentiel. Pour que D. ne cesse jamais de passer au-dessus de nous, heureux et confiant de ce qui se passe derrière la porte à savoir l’unité et la prière.
Merci à Emmanuel Vaniche pour son aide à traduire et comprendre le Malbim sur Tehilim.
Judith Barda –
Je viens de lire votre texte, qui m’éclaire et m’inspire sur la notion de porte de manière inattendue, et m’a donné envie de participer à une havroutah collective avec vous. Merci Stéphanie de partager votre brillant travail. À bientôt, j’espère.