Le second verset de notre paracha s’exprime de la manière suivante : « Parle aux enfants d’Israël et tu leur diras : un homme (Adam), parmi vous, lorsqu’il approchera un sacrifice à l’Eternel, c’est d’une bête, petit ou gros bétail que vous approcherez votre sacrifice.
Le second verset de notre paracha s’exprime de la manière suivante : « Parle aux enfants d’Israël et tu leur diras : un homme (Adam), parmi vous, lorsqu’il approchera un sacrifice à l’Eternel, c’est d’une bête, petit ou gros bétail que vous approcherez votre sacrifice. »
Rachi, sur place, s’arrête sur le terme « Adam » (un homme) pour apporter le commentaire suivant : « Pourquoi le terme Adam est-il utilisé dans ce verset ? [Pour nous enseigner que] de même que le premier homme (Adam) n’a pas apporté de sacrifice issu d’un vol, puisque tout lui appartenait, de même vous ne devez pas apporter de sacrifice volé. »
Rachi nous invite donc à lire le mot « Adam », employé dans verset, non comme une référence à l’humanité, mais comme un renvoi au personnage d’Adam, le premier homme.
Quel est le sens de cette lecture ?
Bien que plusieurs commentateurs de Rachi analysent ce point sous un angle pragmatique, je vais avoir recours à d’autres lectures plus allusives.
Le Sfat Emet [[Rabbi Yehouda Aryeh Leib Alter (1847-1905), dirigeant de la cour hassidique de Gour. Auteur de plusieurs ouvrages dont un recueil de ses commentaires sur la Torah et de ses enseignements sur les fêtes : le célèbre « Sfat Emet ». Son commentaire sur le Talmud porte le même nom.]] se penche sur ce Rachi et lui donne un sens très particulier. Je souhaite en tirer quelques éléments, sans toutefois m’attarder sur les points les plus ésotériques de ce passage.
Une question fondamentale se pose : à quel titre l’homme a t-il le droit d’utiliser la vie d’un animal pour expier ses fautes ? Et en quoi prendre cette vie peut-il lui permettre d’effacer ses errements ?
Le Sfat Emet répond de la manière suivante : c’est parce que c’est à travers l’Homme que se diffuse la vitalité au Monde. En d’autres termes, l’Homme tel que créé par D.ieu occupe la place la plus haute dans l’Univers, la vie de toute la Création dépendant de lui. C’est cette place qui lui confère une capacité à se servir de cette Création pour se rapprocher de D.ieu. Mais ce niveau-là est celui d’Adam Harichon, le premier homme. L’homme, en tant qu’individu, s’il n’occupe pas sa place de « Adam », réalise un vol en s’appropriant une vie.
Cette explication paraît assez mystérieuse.
Nous allons tenter de la décrypter à l’aide d’autres commentaires.
Le Zohar (Tazria 48a) énumère quatre termes par lesquels la Torah appelle l’Homme « … le plus grand d’entre eux est Adam car il est écrit : Hachem créa Adam à son image ».
Le Tsror Hamor [[Rabbi Avraham Sebbah, grand maître de la génération de l’expulsion d’Espagne.]], citant ce passage du Zohar, l’utilise pour éclairer notre verset. D’après lui, c’est la raison pour laquelle le passage relatif aux sacrifices commence par le terme « Adam », car quiconque souhaite apporter un sacrifice doit s’élever au rang de « Adam » (j’ai là encore éludé les aspects cabalistiques de ce commentaire très profond).
Que signifie « s’élever au rang de Adam » ?
Il ne faut en aucun cas voir ici une tentative de hiérarchisation à l’intérieur du genre humain. En réalité, l’Homme-Adam, se caractérise (ainsi que l’expose magistralement Rambam dans les premiers chapitres du Guide des Egarés) par le regard qu’il porte sur le Monde, non en termes de Bien et de Mal, mais de Vrai et de Faux (nous reviendrons sur ce point).
La différence entre l’homme d’avant la faute et celui d’après la faute réside donc bien dans son rapport à ses erreurs (le Tsror Hamor relève qu’Hachem, après la faute, n’appelle plus jamais l’homme « Adam », comme s’il n’était plus digne de cette appellation).
C’est ce que signifie notre Rachi (tel que compris par le Sfat Emet) : apporter un korban (un sacrifice), suppose préalablement, pour un homme, de retrouver sa place au sein de la Création.
Comment donc ?
La Guemara dans le traité Pessa’him (49b) nous donne une réponse. « Un ‘am haaretz (ignorant en Torah) a l’interdiction de consommer de la viande […] Quiconque s’occupe de Torah a le droit de manger de la viande, quiconque n’étudie pas la Torah, il lui est interdit de manger de la viande ».
Ce texte est très surprenant. En quoi l’érudition en Torah serait-elle liée au droit de manger de la viande ? Est-ce donc un privilège réservé à une élite ? J’ai entendu l’explication suivante : l’ignorant ne peut consommer de la viande car c’est sa place par rapport à l’animal qui est faussée. Il se situe, toutes proportions gardées, dans la même logique instinctive, immédiate, que lui, et ne peut donc prendre le pas sur cette bête en s’en nourrissant. Celui qui étudie n’a pas cette difficulté, son étude lui permet de recentrer sa place au sein de la Création.
Pourquoi ? Parce qu’étudier suppose de repenser les catégories de Bien et de Mal, en tentant de déceler dans chaque chose la dimension du Emet (la vérité), autrement dit, de redevenir un « Adam ». C’est-à-dire quitter le rapport de culpabilité que nous entretenons avec nos fautes pour tendre vers une logique de recherche perpétuelle de vérité [[Cette conception est radicalement différente de celle d’autres cultures, plus tournée vers le poids des fautes et la culpabilité.]] (il me semble que ce point permet de faire le lien avec le passage du Guide des Egarés précité).
Apporter un sacrifice en tant que « Adam », c’est comprendre que la bête n’est pas là pour me permettre de me déculpabiliser. Ne pas intégrer cela me conduit, en la sacrifiant, à une appropriation illégitime de son existence, de sa vie. En d’autres termes, une usurpation : un vol.
L’étude de la Torah force l’homme à approfondir les enjeux de son existence. Il devient alors digne d’apporter un korban, terme dont la racine hébraïque signifie rapprochement. Bien entendu, il s’agit là de tendre vers cette manière d’appréhender le monde, non de prétendre l’atteindre.
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