Behoukotaï par Mme Nathalie Bibas, à partir d’une étude donnée par Mme Penina Bitton.
La terre et le peuple juif
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Cette paracha est surtout connue pour comporter un passage lourd de malédictions que nombre de communautés préfèrent lire rapidement pour ne pas accabler l’auditoire.
Mais au-delà de ce lieu commun, on pourrait rappeler que la paracha Behoukotaï est traditionnellement couplée avec celle de Behar, sauf les années embolismiques et qu’elle relève d’une même parole divine débutée au début du chapitre 25 par l’expression
1 L’Éternel parla à moïse au mont Sinaï, en ces termes | א וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה, בְּהַר סִינַי לֵאמֹר |
Et se terminant au perek 26 par la phrase
46 Telles sont les ordonnances, les institutions et les doctrines que l’Éternel fit intervenir entre lui et les enfants d’Israël, au mont Sinaï, par l’organe de Moïse. | מו אֵלֶּה הַחֻקִּים וְהַמִּשְׁפָּטִים, וְהַתּוֹרֹת, אֲשֶׁר נָתַן יְהוָה, בֵּינוֹ וּבֵין בְּנֵי יִשְׂרָאֵל–בְּהַר סִינַי, בְּיַד-מֹשֶׁה. {פ} |
Comment comprendre cela ? Ces paroles ont-elles donc été prononcées au Har Sinaï ? Et dans ce cas pourquoi la Thora les a-telle placées ici, après les multiples règles sur les sacrifices et pas à la suite de Matan Thora ? Nous reviendrons sur ce point par la suite
Un texte accablant
Poursuivons encore nos interrogations par le texte lui-même. Le chapitre 26 évoque brièvement les bienfaits qui attendent les Bné Israël s’ils suivent les voies tracées par Hachem et évoquées dans Behar. Mais l’essentiel du chapitre est davantage consacré à des malédictions progressant en intensité dramatique. Schématiquement, il se décompose comme suit :
– Bénédictions – versets 3 à 13
– Malédictions – versets 14 à 33
– Réaction de la terre entrainant l’exil – verset 34 et 35
– Menaces contre les survivants exilés – verset 36 à 39
– Regret et humilité des Bné Israël – verset 40 et 41
– Souvenir de l’alliance avec les Avot et de la sortie d’Egypte – verset 42 à 45
– Verset conclusif sur ces Houkim et le lieu où ils ont été prononcées – verset 46
L’essentiel du chapitre 26 est donc scandé par cette escalade dramatique de malédictions frappant les Bné Israël. Elles font suite à leurs fautes réitérées exprimées par 7 reprises du terme « וְאִם / et si », les Bné Israël persistant dans leurs fautes malgré l’accumulation de malheurs comme autant de signes d’une colère divine.
Ces 7 expressions de « וְאִם » peuvent être rapprochées de la lecture de Rachi[1] qui voit à l’origine de ces malédictions 7 fautes s’entrainant les unes dans les autres : pas d’étude, pas de pratique, dédain, haine des sages, empêchement de la pratique des autres, négation des commandements, négation de la divinité
Cette escalade fait cependant une pause au verset 34, quand la terre devient sujet. Le terme « אָז/ alors » apparait pour la première fois dans ce chapitre. Comme si la terre réagissait à tous ces drames et s’exprimait à son tour. Mais elle s’exprime pour exploiter les conséquences des malheurs décrétés par Hachem, car désolée de ces habitants, elle acquittera la dette de ses chômages.
Des récurrences surprenantes
Cette notion d’acquittement est ainsi répétée dans les versets 34 et 35 avec 7 allitérations de termes issus de la racine שבת
לד אָז תִּרְצֶה הָאָרֶץ אֶת-שַׁבְּתֹתֶיהָ, כֹּל יְמֵי הָשַּׁמָּה, וְאַתֶּם, בְּאֶרֶץ אֹיְבֵיכֶם; אָז תִּשְׁבַּת הָאָרֶץ, וְהִרְצָת אֶת-שַׁבְּתֹתֶיהָ. לה כָּל-יְמֵי הָשַּׁמָּה, תִּשְׁבֹּת, אֵת אֲשֶׁר לֹא-שָׁבְתָה בְּשַׁבְּתֹתֵיכֶם, בְּשִׁבְתְּכֶם עָלֶיהָ.
|
Pourquoi cette répétition d’expression sur les acquittements sur les deux versets ? Et pourquoi ces répétitions de termes à 7 reprises ou en lien avec le chiffre 7 sur un bref extrait du texte :
– 7 occurrences de la racine שבת – verset 34 et 35
– 7 termes « וְאִם / et si » – versets 14 à 33
– 7 fautes évoquées par Rachi
Peut être faut il y voir un lien direct avec la multiplication par 7 des punitions évoquées par Hachem dans cette paracha ?
18 Que si malgré cela vous ne m’obéissez pas encore, je redoublerai jusqu’au septuple le châtiment de vos fautes (chap 26)
21 Si vous agissez hostilement à mon égard, si vous persistez à ne point m’obéir, je vous frapperai de nouvelles plaies, septuples comme vos fautes. 24 Moi aussi je me conduirai à votre égard avec hostilité, et je vous frapperai, à mon tour, sept fois pour vos péchés. 28 Je procéderai à votre égard avec une exaspération d’hostilité, et je vous châtierai, à mon tour, sept fois pour vos péchés. |
יח וְאִם-עַד-אֵלֶּה–לֹא תִשְׁמְעוּ, לִי: וְיָסַפְתִּי לְיַסְּרָה אֶתְכֶם, שֶׁבַע עַל-חַטֹּאתֵיכֶם. כא וְאִם-תֵּלְכוּ עִמִּי קֶרִי, וְלֹא תֹאבוּ לִשְׁמֹעַ לִי–וְיָסַפְתִּי עֲלֵיכֶם מַכָּה, שֶׁבַע כְּחַטֹּאתֵיכֶם. כד וְהָלַכְתִּי אַף-אֲנִי עִמָּכֶם, בְּקֶרִי; וְהִכֵּיתִי אֶתְכֶם גַּם-אָנִי, שֶׁבַע עַל-חַטֹּאתֵיכֶם. כח וְהָלַכְתִּי עִמָּכֶם, בַּחֲמַת-קֶרִי; וְיִסַּרְתִּי אֶתְכֶם אַף-אָנִי, שֶׁבַע עַל-חַטֹּאתֵיכֶם. |
Hachem punit au septuple les fautes commises sur la terre car il lui accorde une attention particulière. Le verset (11,12) de la paracha Ekev exprime particulièrement bien cette notion :
« La terre où vous allez là-bas, pour hériter … est une terre qu’Hachem examine en permanence, les yeux d’Hachem y sont fixés tout le temps, du début de l’année à la fin de l’année. »
Ce que le Ramban commente ainsi :
« Hakadoch Baroukh Hou regarde la terre d’Erets Israël en permanence pour constater tous ses besoins et renouveler en permanence des guzérote (décrets) parfois agréables, parfois non. Il y a un grand secret dans cette terre et tout ce que reçoivent les autres terres découlent d’elle »
Il en ressort que la terre d’Erets Israël a, comme particularité, d’être restée dans la possession initiale d’Hachem et d’être une terre dans la quelle Sa Providence, actions et décrets est beaucoup plus intense et palpable que dans tout autre pays.
Les versets qui suivent sont consacrés au sort peu enviable des survivants exilés. Sur eux aussi, les malédictions pèsent –versets 36 à 39- jusqu’à la prochaine apparition du terme אָז également répété à deux reprises :
מא אַף-אֲנִי, אֵלֵךְ עִמָּם בְּקֶרִי, וְהֵבֵאתִי אֹתָם, בְּאֶרֶץ אֹיְבֵיהֶם; אוֹ-אָז יִכָּנַע, לְבָבָם הֶעָרֵל, וְאָז, יִרְצוּ אֶת-עֲוֹנָם. |
Ce second infléchissement dans le texte apaise la colère divine. Hachem se souviendra alors de son alliance avec les patriarches mais aussi de la terre. Et dans le verset 43 apparaissent alors, tant pour le peuple que pour la terre la même racine « רצה, acquitter / purger sa peine »pour évoquer la réparation :
וְהֵם, יִרְצוּ אֶת-עֲוֹנָם | מג וְהָאָרֶץ תֵּעָזֵב מֵהֶם וְתִרֶץ אֶת-שַׁבְּתֹתֶיהָ |
Les Bné Israël réparent leurs fautes, la terre rattrape ses chômages. Parallèle frappant comme si la réparation de la terre se couplait forcément à la réparation des fautes des Bné Israël, ou l’inverse, d’ailleurs dans une relation bijective ! Cette relation circulaire pourrait aussi évoquer un partenariat avec Hachem où les 2 parties terre et peuple doivent conjointement réparer le préjudice commis pour mériter de retourner dans l’alliance.
Le peuple et sa terre
Mais le lien intrinsèque entre le maintien du peuple sur sa terre et son comportement ne se déduit pas seulement de cette lecture littérale du texte. A de nombreuses reprises, la Thora évoque explicitement le respect des commandements prescrits comme condition au maintien sur la terre :
28 Craignez que cette terre ne vous vomisse si vous la souillez, comme elle a vomi le peuple qui l’habitait avant vous. (Vayikra 18,28)
20 et vous vous épuiserez en vains efforts, votre terre refusera son tribut, et ses arbres refuseront leurs fruits. . (Vayikra 26,20)
47 Car ce n’est pas pour vous chose indifférente, c’est votre existence même! Et c’est par ce moyen seul que vous obtiendrez de longs jours sur cette terre, pour la possession de laquelle vous allez passer le Jourdain. » (Devarim 32,47)
Exprimés au conditionnel dans la Thora, ce lien de cause à effet se vérifie ensuite en pratique dans les textes du Nah. Ainsi, l’un des derniers versets des Chroniques (36, 21) évoque en clair l’acquittement des chômages de la terre comme le préalable à l’autorisation de Cyrus de laisser repartir les juifs pour y construire le temple[2] !
21 afin que s’accomplît la parole de l’Eternel, annoncée par Jérémie: « Jusqu’à ce que la terre eût acquitté la dette de son chômage, dans toute cette période de désolation, elle chôma, pour remplir la période de soixante-dix ans ». 22 Dans la première année de Cyrus, roi de Perse, à l’époque où devait s’accomplir la parole de l’Eternel, annoncée par Jérémie, l’Eternel éveilla le bon vouloir de Cyrus, roi de Perse; et celui-ci fit proclamer, dans tout son royaume, par la voix [des hérauts] et aussi par des missives écrites, ce qui suit |
כא לְמַלֹּאות דְּבַר-יְהוָה בְּפִי יִרְמְיָהוּ, עַד-רָצְתָה הָאָרֶץ אֶת-שַׁבְּתוֹתֶיהָ: כָּל-יְמֵי הָשַּׁמָּה שָׁבָתָה, לְמַלֹּאות שִׁבְעִים שָׁנָה. {ס} כב וּבִשְׁנַת אַחַת, לְכוֹרֶשׁ מֶלֶךְ פָּרַס, לִכְלוֹת דְּבַר-יְהוָה, בְּפִי יִרְמְיָהוּ–הֵעִיר יְהוָה, אֶת-רוּחַ כּוֹרֶשׁ מֶלֶךְ-פָּרַס, וַיַּעֲבֶר-קוֹל בְּכָל-מַלְכוּתוֹ, וְגַם-בְּמִכְתָּב לֵאמֹר. |
Le remplissage de la période de chômage évoqué dans le texte correspond bien sûr à la mitsva de Chemita. Pourtant la paracha de Behoukotaï ne le dit pas si clairement. Elle l’évoque en creux comme une conséquence des fautes accumulées des Bné Israël ayant conduit à abandonner cette loi. Toute autre est la lecture de la paracha Behar, texte prescriptif, qui décrit clairement la mitsva et son application sans l’assortir de menaces en cas de non respect.
La plupart du temps, la lecture conjointe des parachas Behar et Behoukotaï permet de réunir ces deux approches du texte : prescription – faute – conséquences. Mais cette année, la lecture isolée de Behoukotaï donne une occasion rare de se poser la question du sens de cette lecture en creux de la Chemita
Prescriptions « hors sol » et règles liées à la terre
Et pour commencer, on peut se demander pourquoi le lien du peuple avec la terre est aussi marqué dans le texte. Avec comme un leitmotiv cette menace d’exil, de rejet de la terre si les Bné Israël fautent. Cette question est d’autant plus sensible que la Thora comporte surtout des commandements fondamentaux liés au comportement (Croyance, mœurs, lois sociales) ou encore des rituels liés au temps et faisant complètement abstraction de la terre, notamment le respect du Chabat qui prend le pas sur la construction du Michkan[3] ou encore la prescription sur les fêtes enchevêtrées au milieu de celles sur les sacrifices, intimement liés au Michkan[4]. La liste des Mitsvot de ce type étant finalement bien plus longue que celles liées à la terre, comme si le lieu avait une importance moindre pour le peuple juif. Un peuple juif d’ailleurs connu pour être le premier peuple sans terre…
L’importance des prescriptions non liées à la terre amène même à se demander ce qui a la priorité pour le peuple juif. Car après tout, sa survie depuis l’exil de Rome est bel et bien due au respect de fondamentaux (croyance, mœurs, Mila, rituels liés au temps etc.) qui lui ont permis de ne pas se dissoudre dans le concert des nations. Au final, le nombre et l’importance des prescriptions « hors sol » amène même à se demander si l’exil n’était pas déjà prévu avec tous les moyens de le traverser [5] ?
Comment donc comprendre l’accent particulier donné malgré tout aux mitsvot liées à la terre alors que le peuple juif compte bien plus d’année en exil que sur sa terre ?
Pour apporter une réponse à cette question, un détour par les sous jacents des règles de la Chemita reste nécessaire. Pour commencer, rappelons que le verset 34 à l’origine de notre étude n’évoque pas clairement le non respect des règles de Chemita. Il fait suite à une accumulation de fautes des Bné Israël et l’on devine, en creux, que ces fautes ont conduit la terre à se voir priver des années de chômage qui lui sont dues. Mais par quel processus ?
Rappelons le contexte de l’époque de la Thora. A la veille de l’entrée du peuple en Eretz Canaan, tout membre du peuple ou presque a vocation à détenir des terres et à les utiliser pour l’agriculture ; l’économie de cette période ne laissant encore guère de place à l’artisanat, l’industrie et encore moins les services purs. Les règles de Chemita vont donc concerner quasiment tout le peuple. Et elles sont lourdes de conséquences. Elles imposent l’arrêt de toute activité agricole tous les 7 ans, la mise à disposition de toute production spontanée à tous pendant cette année et indiquent que l’année suivante, la terre non travaillée produira d’elle-même largement de quoi nourrir ses habitants. Enfin, la Thora précise qu’à l’issue de cette 7ème année tout le peuple se rassemblerait à Jérusalem à Soucot pour une lecture publique de la Thora (Hakel).
Chemita : confiance et valeurs morales
De nombreux commentateurs se sont penchés sur le sens profond de ces règles.
Ibn Ezra, dans son commentaire du chapitre XXX de Devarim, y voit là une occasion de se consacrer à des activités spirituelles et de renforcer la confiance en Son Créateur.
« La raison profonde de ce commandement est de faire pénétrer dans nos cœurs et d’imprimer dans notre esprit l’idée que le monde tel qu’il existe a un commencement, qu’en six jours l’Eternel a fait le ciel et la terre et qu’Il s’est reposé le septième » (…) si d’autre part, l’Eternel nous a prescrit non seulement de laisser reposer la terre pendant cette année mais d’abolir tout droit de propriété sur ces produits, c’est pour que l’homme se souvienne que la nature du sol et ses propriétés ne sont pas la raison suffisante des produits qu’il nous donne, que la terre a un maître supérieur à ses possesseurs et que lorsqu’Il le désire, Il commande à ces derniers d’en abandonner les fruits »
Le Rav Salomon Ephraim de Luntschitz, auteur du Keli yakar, ajoute que cette mitvsa est une occasion forte de créer ou de récréer des liens de solidarité entre le peuple grâce à la règle de Hefker, de mise à disposition des productions spontanées aux uns et aux autres. Et à cette solidarité, s’ajoute celle de renouer le lien spirituel par la lecture publique de la Thora faite lors du Hakel.
Il précise également que cette mitsva est un signe fort de la manière surnaturelle dont Hachem veut agir envers son peuple. S’il s’agissait d’une simple jachère, la prescription aurait du être de 3 ans, temps admis dans les standards agricoles pour respecter le rythme productif de la terre avant de lui donner un repos. Mais au regard de cette pratique, la Chemita apparait comme une hérésie aux pratiques agricoles puisqu’elle prévoit une exploitation intensive de 6 ans et présuppose que la 7ème et 8ème année donneront des productions spontanées abondantes après cette surexploitation ! Mais comme le précise l’auteur du Kli Yakar, l’acceptation de ces règles à contre courant suppose de s’imprégner de l’idée que ‘’yech Adon lekol haarets – la terre a un Patron’’.
Dans son ouvrage, Chabat Haaretz, le Rav Kook explicite par ailleurs le lien entre ce repos septennal et la progression de la spiritualité et des rapports sociaux. Il voit dans la Chemita un shabbat à l’échelle du peuple visant à restaurer la spiritualité et la bienveillance de l’homme écornée par des rapports sociaux basés sur la propriété
« L’agitation matérielle de cette vie cache la splendeur spirituelle de l’âme divine (qui réside dans le peuple) et entrave la projection de sa claire lumière dans la réalité profane environnante. (…) L’individu se dégage de la vie de tous les jours à intervalles rapprochés chaque Shabbat… cette action que le Shabbat exerce sur chaque individu, l’année sabbatique l’exerce sur le peuple tout entier. Ce peuple a un besoin particulier de voir se manifester dans toute sa splendeur la lumière d’en haut qui l’éclaire (le Shabbat) sans que vienne l’interrompre la vie de tous les jours avec ses fatigues, ses soucis, ses luttes, afin de permettre à son âme de s’épanouir dans toute sa pureté (…) L’intransigeance habituelle de l’instinct de propriété ne vient plus profaner la loi sainte concernant tous les produits du sol de cette année et la convoitise aiguisée par le commerce tombe dans l’oubli (…) »
Enfin, pour revenir à la question d’origine sur le lieu de proclamation de ces paroles[6] on peut s’inspirer du commentaire du Sfat Emeth qui s’est particulièrement intéressé à la mitsva du Hakel et à son lien avec la Chemita. Selon lui, le Hakel est un renouvellement de l’expérience du Sinaï. Mais pour cette réception renouvelée de la Thora, on ne revient pas au Sinaï mais à Jérusalem pour renouveler son engagement envers la loi orale qui éclaire les générations suivantes. La Thora réaffirmée à Jérusalem éclaire celle reçue au Sinaï.
Solidarité, spiritualité, confiance, fonctionnement hors des règles naturelles établies sont donc bien les maîtres mots pour comprendre la Chemita et ce qu’elle doit réinsuffler au peuple régulièrement. Sans ses valeurs, la morale décline, la cohésion nationale s’effrite, la confiance en D. s’affaiblit et peu à peu le peuple juif perd le sens de sa vocation. Dans ces conditions, il est rejeté de la terre qui le porte car il n’est plus digne de sa mission. Soumis au bon vouloir des nations, il doit attendre que la réparation s’opère pour retourner sous la protection de l’alliance divine.
Mais une question persiste. Au-delà des valeurs que la mitsva de Chemita aide à porter et que l’on comprend bien, on reste toujours dubitatif sur l’emphase mise par le texte à dresser tant de parallèles entre le destin du peuple et celui de la terre. Car un tel lien n’existe avec aucun autre peuple. Aucun peuple n’est menacé d’exil s’il ne respecte pas les 7 lois noahides. Alors pourquoi une telle menace de rejet de sa terre repose-t-elle sur les seules épaules du peuple d’Israël ?
De la terre maudite à la terre en repos
Les origines du monde pourraient apporter un éclairage intéressant à ce lien.
L’homme universel, Adam, a été créé à partir de la terre quelque part en Eretz Israël. A son arrivée au monde, Hachem le charge de deux missions : travailler la terre du jardin d’Eden et s’abstenir de consommer le fruit de l’arbre du bien et du mal. Mais l’homme faute bien vite. Il rejette la responsabilité de sa faute sur la femme qui renvoie à son tour vers le serpent. Sa punition est alors liée à la matière dont il est issu « maudite est la terre à cause de toi, c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras ». Et l’homme et sa compagne sont chassés du « jardin d’Eden pour cultiver la terre d’où il avait été tiré »
Après la faute, la punition de l’homme est double : condamné à l’exil, il doit désormais travailler la terre dont il est issu pour en tirer sa nourriture.
Toute autre est la perspective qui s’offre au Bné Israël s’ils respectent les prescriptions divines : la terre ne sera pas travaillée la 7ème année et produira d’elle-même des récoltes en quantité abondantes pour nourrir ses habitants au-delà même de cette période, et c’est le respect de cette loi qui conditionne le maintien sur la terre.
Tout se passe comme si, la 7ème année, la Mitsva de la Chemita venait, dans une symétrie parfaite, apporter une rédemption à la malédiction primitive d’Adam. En la respectant les Bné Israël recréent les conditions de vie du paradis perdu. Ils subliment le matériel terrestre dont ils sont issus et s’élèvent spirituellement vers leur Créateur. Mais ce respect suppose de s’affranchir mentalement de la malédiction originelle dont l’homme est tellement imprégnée qu’elle est devenue sa seconde nature !
Dans l’histoire, le non respect de ces prescriptions s’est soldé par l’exil de Babylone. Et la rédemption est venue au terme de ce délai de carence de 70 ans mais aussi de la capacité qu’ont eu les juifs à se prendre en main de manière solidaire et autonome pour faire face à la menace de génocide prévu par Haman.
La Chemita « contemporaine »
Que nous réserve alors notre époque ? Le retour des juifs en Eretz Israël au début du siècle a créé une situation inédite qui a mené les décisionnaires à se repencher sur la question de la Chemita. Ils ont convenu de remettre ces règles en pratique mais dans un cadre « Derabanan ». Elles s’appliquent donc à la fois pour des raisons pédagogiques et pour se préparer au moment où cette règle redeviendra Dehoraïta. Et quelle sera la raison de ce changement ? Le moment où un basculement démographique conduira à ce qu’une majorité de juifs vivent en Eretz Israël.
Tous les bouleversements contemporains donnent à penser que cette tendance est bien irréversible et proche. A ce moment, quand ces règles seront applicables Deoraïta, le peuple juif souverain dans sa « version 2.0 » sera confronté à des défis aigus de solidarité, spiritualité et de confiance nationale. Après avoir survécu aux vicissitudes de son histoire par le respect de valeurs morales et de prescriptions liés au temps le voilà de plus en plus intimement confronté à son lien charnel et spirituel avec sa terre promise. Et c’est de son attitude que dépendra la suite : le rayonnement universel comme à l’époque glorieuse de Shlomo Hamelekh peu après la construction du Temple ? Ou la seule logique de survie parmi les nations ? Espérons que les gestes individuels de bienveillance fraternelle et d’étude nous aident collectivement à être à la hauteur de cette responsabilité et ambition trimillénaire « Goy Kadoch, Mamléhet Kohanim »
[1] Commentaire sur verset 15, perek 26
[2] Prophétie initialement annoncée par Jérémie (25,11-12 et 29,10)
[3] Paracha Ki tissa
[4] Paracha Emor
[5] Selon le Hafets Haïm le nombre de mitsvot liées à la terre est de 26, soit moins de 4% des 613 !
[6] Chapitres 25 et 26 constituant une seule parole divine prononcée au Sinaï
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