Chelah-leha: Envoie toi même/ En »vois » toi-même, et réflexions sur le 9 Av.
D. demande à Moshé d’envoyer des explorateurs pour observer la terre d’Israel et rapporter à l’ensemble du peuple juif comment est celle-ci. Au début de cette Paracha, on s’aperçoit que le champ lexical lié à la notion de « voir » prédomine un peu, ainsi :
Ch13, v18: « vous observerez l’aspect de ce pays et le peuple qui l’occupe[…]
Ch13, v33, les explorateurs en parlant des Nefilîm, les enfants d’ Anak : « Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ainsi étions-nous à leurs yeux ».
Malgré la promesse de D. d’être à côté des bnei israel pour combattre ce peuple de géants, les explorateurs se sentent ,en les voyant, à leurs propres yeux comme des sauterelles et concluent qu’ainsi ils étaient comme cela aux yeux des Nefilîm.
Le talmud (Sota 35 b) interprète la 2ème partie du verset « :Les géants s’étaient assis sous des cèdres pour un repas funèbre; lorsqu’ils les aperçurent, les explorateurs grimpèrent aux arbres et y prirent place. Ils entendirent alors les géants qui disaient : il y a des sauterelles dans les arbres. » Mais qu’en est-il de la 1ère partie du verset ? : « Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles ». De plus, il semblerait plus logique ,que parce que les géants les voient comme des sauterelles alors ils se sentent ainsi et non parce qu’ils se sentent ainsi, alors les géants les considèrent comme tels ,si on lit de manière littérale ce verset. Aussi à aucun moment, Moshé leur demande de se cacher pour explorer le pays, voici, ch13,v17 : « Moshé les envoya explorer le pays de Canaan, et il leur dit : « Dirigez-vous de ce côté ,vers le sud ,et gravissez la montagne. Vous OBSERVEREZ l’aspect de ce pays et le peuple qui l’occupe: s’il est robuste ou faible, peu nombreux ou considérable; et comment est le pays des villes ouvertes ou des places fortes; quant au sol, s’il est gras ou maigre, s’il y a des arbres ou non. Vous vous efforcerez d’emporter des fruits du pays ».
Dans l’acte même de se cacher dans les arbres, par la vision qu’ils ont d’eux-mêmes, il y a comme une défaillance, une trahison dans leur mission d’explorateurs: ils ont un rapport à leur découverte non par ce qu’ils ont vu mais par la manière dont ils se sont vus face à cette découverte.
Rentrer en terre de Canaan était le point culminant et la fin de leur errance. Ils s’étaient travaillés de nombreuses années pour accepter cela ,car s’il y a eu des miracles les bnei israel savaient qu’ils vivaient sous la menace de midat hadin et peut -être espéraient-ils un peu au fond d’eux ,trouver dans cette terre ,une sensation qu’ils avaient mieux connue avant la traversée, d’être des hommes normaux, sans lien direct avec le surnaturel.
Talmud Derekh Eretz,zouta 9 : « Ce monde ressemble au globe oculaire de l’homme. Son blanc est l’océan qui entoure le monde entier.
Son iris est le monde.
Sa pupille est Jérusalem.
L’image de cette pupille est le temple. »
Nous savons qu’à la suite du récit des explorateurs, les bnei israel ont gémi toute une nuit et qu’en conséquence de cela, D. a dit qu’il ferait de ce jour un jour de souffrance: le 9 av. Les 2 temples furent détruits à cette date.
Le Temple, image de Jérusalem !.
La vision erronée des explorateurs a engendré des larmes, comme si leur récit avait posé une brume sur le regard des bnei israel; ces gémissements ont mis un brouillard sur le « globe oculaire de l’homme » sur le monde.
On dit qu’un regard ne trompe pas; il est difficile d’opérer un changement sur la vision qu’on a des choses qui nous entourent. Derrière nos yeux, il y a notre être, nos désirs car ce que nous observons de manière « sélective » est souvent en adéquation avec ce que nous ressentons. Avoir une vision commune et d’ensemble, objective à ce qui nous arrive de manière individuelle ou collective est sans doute le travail d’une vie… Attachons-nous maintenant à ce qu’était la fonction du temple : Au temple, on y faisait les 3 fêtes de pèlerinages, appelées Moadim (moed) , qui signifie rencontre avec D. . Moed a la même racine que Vaad qui signifie direction.
Le temple n’était pas seulement un lieu de rencontre mais aussi une direction. D. n’a eu de cesse pendant la période de la traversée du désert d’éduquer son peuple à regarder dans la même direction pour suivre une voie, avoir un projet commun et un espoir commun. L’autre fonction du temple était d’intégrer la transcendance en nous: D. l’a construit pour cela; Exode, 25. 8 : « Qu’ils fassent pour moi un sanctuaire et je résiderai à l’intérieur d’eux »Il n’est pas la résidence de D .mais un moyen de par sa fonction d’être sans cesse une direction pour nous, de construire notre intériorité, notre vision, en y faisant résider D. Sa destruction parce qu’ils restent des ruines qui permettent d’avoir un repère a en quelque sorte la même fonction. Lorsque sous la Houppa, le Hatan brise le verre, ce n’est pas seulement pour mêler dans un moment de joie un moment de peine. Rabbi Avigdor Miller offre une vision de cela bien plus positive: cela demande aux mariés de regarder dans la même direction, celle du temple, dans un espoir de reconstruction.
De plus, le 9 av a été décrété par nos sages: moed et nous ne faisons pas tahanoum. Pendant cette période, on nous demande de réduire notre joie et non de la faire disparaître. Nous pouvons prolonger cette notion en considérant le rôle de la prière(qui remplace les korbanot): parce qu’elle est avodat hashem (un service divin),et qu’ elle émane de nous, nous pouvons nous considérer comme un sanctuaire sans cesse à construire. C’est pour cela que nous rejetons la avoda zara, l’idolâtrie; car pour nous rien ne se fige, ni les lieux, ni les temples; ils ne sont que les témoins(èd,de la même racine que moèd et vaad) de ce que nous devons sans cesse réactualiser en nous: la bonne vision, le juste équilibre entre un désir floué(que l’on retrouve dans les gémissements des bnei israel )et un désir intègre ,pertinent et honnête vis à vis de D.,de s’améliorer, d’espérer et surtout d’avoir confiance.
Nous pouvons rajouter qu’avoir eu peur, c’était déjà arriver sur la terre en pensant que tout aurait du être simple par rapport à soi-même, que tout serait accessible dans l’immédiateté. La confiance aurait du prendre son essort dans l’idée qu’on ne jouit pas d’une terre sans distance, comme le souligne le grand rabbin de France Gilles Bernheim dans son livre « le souci des autres » (en témoignent les berahot que nous faisons avant de consommer).L’interprétation qu’ils font de leur exploration fait miroir à un désir jamais assouvi. Car pendant la traversée du désert les bnei israel n’ont fait que prendre ,à partir du don de la Tora, ils doivent apprendre à donner et à maîtriser la nature et les explorateurs au lieu de maîtriser cette nature se cachent dans les arbres . La destruction du temple nous questionne sur nos gémissements ,sur nos peurs car, à aucune époque, nous n’avons eu la force de ne pas être alarmiste; parce que l’indécence que nous créons en montrant l’épreuve ,en la disséquant, en la détaillant, nous permet d’avoir le sentiment de prendre le dessus, de se sentir fort d’avoir dévoilé. A la venue du Mashiah, tous les animaux demanderont au serpent de quoi il se délecte, lui qui mord sa proie sans pour autant la manger. Quel plaisir, la langue retire-t-elle de la morsure? Qu’a fait le serpent à Adam et Hava, il les a « mordu » pour les effrayer, les décourager; pour que le désir qui existait en eux et qui tendait vers le bien devient un doute, une impudeur. Alors ils se vêtissent.
A la fin de la paracha, un commandement est demandé après la faute des explorateurs, le port des tsitsiths:ch15,v39 : »cela formera pour vous des franges ,vous les regarderez et vous vous rappellerez tous les commandements de l’éternel, afin que vous les exécutiez et ne vous égariez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux, qui vous entraînent à l’infidélité ».Nous seuls sommes les garants de cette fidélité. Rav Avigdor propose que le temple »est une manifestation étonnante du principe que les intérêts de D. ne reposent pas sur de vastes étendues spatiales et des millions d’univers planétaires, mais sur l’homme seul. »
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