Parachat Vayétsé Le renoncement sublime et raisonné de Rachel
par: Rav Raphaël Blochpublié le 25 Novembre 2020
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C’est dans cette Paracha que la Torah relate les naissances successives des enfants de Yaakov qui vont constituer la genèse du peuple d’Israël en cela que tous, malgré leurs différences, seront des justes et pourront constituer par leurs complémentarité un ensemble cohérent et parfait.
L’enjeu est tellement important qu’il va introduire une rivalité positive au sein du foyer de Yaakov entre les Matriarches Rachel et Léa.
Au moment du passage que nous allons citer, Rachel est encore désespérément stérile: Chap 30 Verset 40: “Et Reouven alla à l’époque de la moisson des blés et il trouva des Doudaïm dans les champs et il les apporta à sa mère Léa, Rachel dit à Léa: Donne moi les Doudaïm de ton fils.”
Les commentateurs débattent de l’identité des Doudaim mais il semble clair que cette plante aurait des vertus concernant la relation conjugale.
Rachi explique à partir du Midrach que l’attitude de Rachel, en négociant la couche de Yaakov, démontre une certaine déconsidération. Et par cela, elle n’eut pas le mérite d’être ensevelie avec Yaakov.
Pourtant une toute autre raison est évoquée à ce sujet par Rachi, lui même au Chap. 48 Verset 7: Rachi à propos du discours de Yaakov envers Yossef: “Je sais que tu m’en veux (pour l’avoir enterrée sur le chemin de Beth Lechem), mais sache que c’est par un ordre Divin que je l’ai enterrée là-bas, pour être une aide pour ses enfants lorsqu’ils seront exilés par Nevouzaradan et qu’ils passeront par là. Alors Rachel sortira de sa tombe, plaidera et demandera pour eux la clémence divine […] ; voir Jérémie chapitre 31.
כֹּה אָמַר ה, קוֹל בְּרָמָה נִשְׁמָע נְהִי בְּכִי תַמְרוּרִים–רָחֵל, מְבַכָּה עַל-בָּנֶיהָ; מֵאֲנָה לְהִנָּחֵם עַל-בָּנֶיהָ, כִּי אֵינֶנּוּ
טו כֹּה אָמַר ה, מִנְעִי קוֹלֵךְ מִבֶּכִי, וְעֵינַיִךְ, מִדִּמְעָה: כִּי יֵשׁ שָׂכָר לִפְעֻלָּתֵךְ נְאֻם-ה, וְשָׁבוּ מֵאֶרֶץ אוֹיֵב
Ainsi parle Dieu: « Une voix retentit dans Rama, une voix plaintive, d’amers sanglots. C’est Rachel qui pleure ses enfants, qui ne veut pas se laisser consoler de ses fils perdus! Or, dit Dieu, que ta voix cesse de gémir et tes yeux de pleurer, car il y aura une compensation à tes efforts, dit l’Eternel, ils reviendront du pays de l’ennemi.
Cette question a été posée par le Reem, commentateur bien connu de Rachi. La réponse est brève: les deux raisons peuvent se conjuguer. Néanmoins, si la source de ce dernier Rachi est le Midrach Rabba, les choses ne paraissent pas si simples.
Apparemment ce Midrach fait l’éloge de Rachel. Lorsqu’il s’agira de plaider la cause du peuple d’Israël, ni les patriarches ni Moïse lui-même ne trouvent d’arguments de plaidoirie jusqu’à l’intervention de Rachel.
Midrach Rabba Introduction à ECHA chapitre 24:
Maître du monde, tu sais que ton serviteur Yaakov m’aimait d’un grand amour et qu’il a travaillé pour moi au service de mon père pendant sept années et qu’ensuite lors de mes épousailles, mon père a comploté afin de m’échanger avec ma sœur.
Cela m’a été très difficile car je savais qu’il complotait, je l’avais dit à mon (futur) mari et je lui avait transmis des signes afin d’empêcher mon père de m’échanger. Mais ensuite j’ai changé d’avis, j’ai contrôlé mes pulsions et j’ai eu pitié de ma sœur en pensant à la honte qu’elle allait subir. Au soir, lorsque c’est ma sœur qui prit ma place, je lui transmis tous les signes convenus avec mon mari pour qu’il pense que c’était moi. […] Si moi qui ne suis que chair, sang et poussière, je ne me suis pas montrée jalouse à l’égard de ma rivale et je ne lui ai pas procuré de la honte et de l’infamie, alors toi Qui est Roi Éternel et Miséricordieux pourquoi te montre tu jaloux de l’idolâtrie qui n’a aucune réalité? Pourquoi as-tu exilé mes enfants, tués par le glaive et livrés à leurs ennemis ?
Immédiatement D. est pris de pitié et lui dit: ”Pour toi, Rachel, Je ramènerai Israël à sa place ainsi qu’il est dit: Jérémie chapitre 31. “Une voix se fait entendre des hauteurs… Cesse de pleurer… Ton œuvre sera récompensée. Les enfants reviendront dans leurs frontières. ”
Il apparaît que c’est par le mérite des “signes” transmis à sa sœur que se justifie le fait d’être postée sur la route de l’exil de notre peuple. Rachel est ainsi, elle-même, exilée de sa place légitime aux côtés de Yaakov, afin de plaider notre cause grâce à ses mérites.
Le Maharal développe en expliquant que Rachel a compris et accepté l’idée que le destin du peuple d’Israël ne peut se réaliser qu’à partir des femmes différentes qu’épouserait Yaakov.
A l’instar de la création qui par définition est une pluralité issue du D. unique.
Toute la difficulté repose dans l’effort consenti pour retrouver cette Unicité. Mais ceci expose au risque de l’idolâtrie.
Ce concept s’impose à Rachel par la pitié que lui inspire le sort qui attend sa sœur. Rachel ne peut se résoudre à ce que ce mariage qui va fonder le peuple Juif passe pour une telle humiliation. Mais cette pitié n’aurait pas sa place si elle n’était fondée sur une compréhension et une acceptation de la situation. C’est cette soumission au projet Divin qui donne l’argument de la plaidoirie de Rachel.
Mais, alors, comment concilier les deux explications que nous trouvons dans Rachi. Le fait de ne pas avoir été ensevelie avec Yaakov était-ce une punition ou tout au contraire une “récompense” ainsi que Jérémie le dit: “Ton œuvre sera récompensée”?
D’autre part Rachel n’a-t-elle pas cherché simplement à agir pour procréer? Peut-on parler de déconsidération de la couche de Yaakov?
Il semble que c’est justement parce que Rachel était à un tel niveau de soumission au projet Divin en le faisant passer devant toute son aspiration qu’il peut lui faire reproche d’avoir tenté une autre voie.
On reprochera plus tard à son fils Yossef d’avoir tenté de sortir de prison par l’entremets du grand échanson de Pharaon. Ce qui peut sembler justifié pour des hommes ordinaires. C’est une chose qu’ont souvent soulignée les sages à propos des grandes figures du peuple Juif: Baba Kama 50a: D. se montre pointilleux avec ceux qui sont proches de Lui comme un fil de l’épaisseur d’un cheveu. Finalement, ce sera cette soumission de Rachel, qui transmet à sa sœur des signes, qui permet la naissance de Yossef ainsi que Rachi le rapporte au chapitre 30 verset 22. C’est alors seulement que Yaakov prépare son départ parce que Rachel a enfin donné vie au projet Divin. Cette capacité de soumission à cette pluralité qu’a voulu le Créateur doit nous permettre de nous fédérer sous Sa bannière. C’est ce qui a été réalisé par son fils Yossef en Egypte. C’est également ce que nous espérons voir le plus tôt possible dans les temps messianiques.
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