En marche ! sur les pas d’Avraham. Étude relative à la Mitsva de visiter les malades.
par: Mr Avi Bibaspublié le 5 Novembre 2020
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La Paracha de cette semaine met en avant, dans la continuité de celle qui précède, le personnage de Avraham Avinou, le premier de nos Patriarches.
Avraham incarne comme chacun le sait la dimension du ‘Hessed, de la Générosité, alors que Itshak et Yaakov représentent respectivement celles du Din (Justice) et du Emet (Vérité).
L’histoire de Avraham témoigne en effet d’un personnage concentré sur une recherche éperdue de miséricorde, de bonté et de générosité.
Les situations rapportées par la Thora sont nombreuses. Déjà dans lekh Leha, Avraham prend la défense de Yichmael et revendique son droit à la vie, et à un héritage, en dépit des circonstances que l’on connaît. Avraham avec l’aide de Sara se donne corps et âme(s) dans un prosélytisme bienveillant (c’est important !) et révolutionnaire (le monothéisme était une vraie Révolution !).
Et dans notre Paracha bien sûr, Avraham engage un véritable plaidoyer digne des plus belles joutes de prétoire, avec D lui-même pour défendre les indéfendables mécréants de Sodome et Gomorrhe
Dans le même registre, dès le début de la paracha, malgré sa souffrance (la scène se situe au troisième jour qui suivit la circoncision du jeune centenaire) Avraham « est assis, à l’entrée de sa tente » (verset 1, chapitre 18). Avraham en effet nous dit Rachi, guette le moindre visiteur pour accomplir la Mitsva de A’hnassat Or’him (accueillir des invités) car fidèle à la dimension de son personnage, Avraham ne conçoit pas de laisser de côté cette belle Mitsva fût ce en raison de sa maladie. Avraham est en manque !
De même et à l’inverse, Hachem lui-même fait preuve de ‘Hessed envers lui et apparaît à Avraham.
Le verset emploie une forme elliptique … « D lui apparut »… so what ? Il apparut et que se passa-t-il (aucune parole de prophétie ne fut prononcée, le verset semble comme inachevé) ?
De là nos Sages, dans le traité Sota 14a, tirent précisément l’enseignement du commandement lié au Bikour ‘Holim (« rendre visite aux personnes malades »), qui est bien entendu une des modalités qui nous est offerte dans ce bas monde pour faire preuve de ‘Hessed à l’égard d’autrui.
Ici, c’est D lui-même Qui, si l’on peut S’exprimer ainsi, effectue cette Mistva donnant par là même un cadre formel à l’obligation donnée à l’Homme lui-même envers ses semblables. C’est donc là l’objectif – et le seul – de cette apparition. Et, nous dit donc le Talmud, c’est de cette attitude divine que nous apprenons pour nous-mêmes l’existence d’un tel Commandement !
Rav Moche Feinstein zatsal va il me semble plus loin, et commente ce verset en relevant que l’on pourrait naturellement attribuer deux vertus, donc deux justifications (Taamim) à cette Mitsva de bikour ‘Holim : (1) en visitant la personne malade nous pouvons prier pour elle en sa présence et/ou (2) nous occuper de ses soins et ainsi la soulager. Dans la situation d’Avraham, il semble, avance le Rav Feinstein, qu’aucune de ces deux raisons ne soient valables et nous invite donc à entendre cette Mitsva comme un commandement absolu, déconnecté a priori d’une quelconque raison utilitaire ou pratique. C’est un commandement parce que c’est un Commandement ! Le sens de la Mitsva nous permet certes de mieux la comprendre mais il ne fait pas la Mitsva. Ici donc, aussi, Dieu nous enseigne la Mitsva elle-même mais aussi sa causalité première et ses modalités.
Le texte du Talmud que nous avons cité utilise d’ailleurs notre passage de Vayéra pour cet enseignement bien connu de Rabbi Hama au nom de Rabbi Hanina qui commente le verset de la Thora (Devarim 13, 5)
אַחֲרֵי יְקֹוָק אֱלֹהֵיכֶם תֵּלֵכוּ (Tu iras apres Ton Dieu)
En expliquant que le verset est à prendre au sens allégorique : la Thora nous enjoint à ressembler à D, c’est-à-dire à marcher dans Ses pas, à Imiter Ses actions à la mesure de ce dont l’Homme est capable.
Dieu est Hessed, et donc l’homme doit il s’efforcer de ressembler à son Créateur. D rend visite aux malades (cf. notre paracha), et ainsi en va-t-il du devoir de l’Homme
Nous retrouvons cette idée centrale dans le Tomer Devora, l’ouvrage célèbre de Rabbi Moche Cordovero (1522-1570). Selon le Rav David Cornglass, l’ouvrage est en fait tout entier consacré à la signification profonde du commandement de la Thora enjoignant l’Homme à marcher dans Ses Voies (idée que l’on retrouve formulée dans trois autres passages de la Thora ; Devarim chap. 8, verset 6, chap. 10 verset 12, et chap. 11 verset 22). Il est composé de 10 chapitres détaillant chacune des 10 sefirot (dix puissances créatrices citées dans la Kabala dans son approche mystique de la Création), et montrant ainsi pour chacune d’elles, comment l’homme doit et peut les atteindre.
Ainsi donc en particulier, le premier chapitre du Tomer Devora est consacré au ‘Hessed
Il développe chacun des 13 attributs de Générosité de Hachem (que nous lisons en boucle le jour de Yom Kippour pour invoquer la miséricorde divine), et s’efforce de décrypter, pour les hommes et femmes que nous sommes le pourquoi du comment de chacun de ces attributs divins, déclinés à l’humain.
Que signifie être créé à l’image de D ? Répond le Tomer Devora : c’est en imitant D que nous respectons cette injonction. L’idée même de tendre vers cet infini divin, cette Avoda (ce travail intérieur) consistant à « devenir » un « tselem Elokim », c’est justement l’objectif de toutes les Mitsvot que H nous a données (le Ramhal complète cette idée en rappelant la correspondance entre les 613 Mitsvot et les 613 membres de notre corps : chaque mItsva participe de cette élévation nécessaire pour que nous soyons un Tselem Elokim accompli).
Les premiers mots du Tomer Devora sont par ailleurs éclairants :
Haadam Raouy cheyitedame lekono – L ‘Homme est à même de ressembler à Son Créateur
Les commentateurs relèvent l’utilisation du mot Adam, qui immanquablement renvoie à l’Homme de la Création. L’Homme qu’il soit Juif ou non Juif, a en lui, en tant que Nivra betselem elokim (créé à l’image de D), cette capacité (raouy) à ressembler au divin.
Avraham en tant que Av Hamon Goyim – père de toutes les nations, incarne donc en puissance cette dimension du ‘Hessed consubstantielle à la Création du Monde. Dieu créa certes le Monde avec sa Dimension de Elokim (« berechit bara Elokim ») mais comme chacun sait, Il lui associa immédiatement celle du ’Hessed
Elé toledot hachamayim be-hi-baream (chap.2 Verset 4)
Le hé est écrit en petit caractère nous invitant à lire ce verset autrement : Be hé beraam, D a créé le Ciel et la Terre avec le Hé, dimension du ‘Hessed.
Mais, ajoute le Midrach Raba, BeHibaream est aussi l’anagramme de be-Avraham, afin de nous enseigner que le monde a aussi été créé grâce aux mérites de Avraham qui plus que tout être humain incarnera à jamais cette idéal de ‘Hessed.
Je voudrais conclure en ajoutant un enseignement que nous avions étudié il y a 3 ans à l’occasion de la bar Mistva de notre fils Samuel, et que nous avions dédiée à la mémoire de notre bien aimé Elie Goetschel Zal, Elie qui nous avait donné à réfléchir sur le bikour ‘Holim.
Le traité Nedarim (29b) aborde également le sujet du Bikour ‘Holim, mais à partir d’un passage différent et en première lecture très étonnant :
Bamidbar, chap. 16, 28-30 (Paracha Kora’h)
כט אִם-כְּמוֹת כָּל-הָאָדָם, יְמֻתוּן אֵלֶּה, וּפְקֻדַּת כָּל-הָאָדָם, יִפָּקֵד עֲלֵיהֶם–לֹא ה’, שְׁלָחָנִי.
si ces gens meurent comme meurent tous les hommes; si la commune destinée des hommes doit être aussi la leur, ce n’est pas D qui m’a envoyé
La Guemara explique, en rapportant un commentaire de Rava, que Moché fait une allusion à la Mitsva de Bikour ‘Holim lorsqu’il s’adresse à Kora’h et à son assemblée.
Rappelons les faits : Kora’h met Moché à l’épreuve en le suspectant publiquement de duplicité. Moché ne suivrait pas les commandements de Hachem, et réserverait ainsi tous les privilèges (Commandement du peuple , Kehouna) pour les siens, au détriment du Kelal Israel! Moché s’emporte violemment contre cette grave accusation et prévient cette assemblée qu’une fin terrible et surnaturelle les attend (ils finiront engloutis dans la Terre qui se dérobera sous leurs pieds), prenant le risque d’affirmer que si toutes ces gens mouraient de mort naturelle (donc après une maladie), au fond de leur lit – précise la Guemara – et que le souvenir [Pekouda] de chacun se portera sur eux, alors en effet, il ne serait pas l’envoyé de Hachem, mais un simple usurpateur.
Rava explique que cette « Pekouda », ce souvenir, n’est autre que cette démarche de Bikour ‘Holim, de sorte que si ces personnes mouraient d’une mort naturelle, ils auraient droit aux visites de leur entourage.
D’où l’allusion à notre Mitsva de Bikour ‘Holim, telle que recherchée par la Guemara.
Enfin notre Guemara ajoute, en citant Rabbi A’ha Bar ’Hanina que tout un chacun qui visitera un malade, lui retire un soixantième de la maladie.
Question évidente : si cela était vrai, il suffirait que 60 personnes effectuent Bikour ‘Holim, et alors, ipso facto, le malade serait guéri. Or, hélas, nous savons tous qu’il n’en est pas ainsi.
La Guemara répond avec deux réponses, que le Maharsha considère comme complémentaires l’une de l’autre.
D’une part, le retrait du soixantième doit s’entendre non comme un soixantième de la maladie initiale, mais comme un soixantième de ce qui reste, à ce moment de la visite. En ce sens quel que soit le nombre de visites, il en restera hélas toujours quelque chose.
D’autre part, la Guemara ajoute un détail fort étonnant. La réalité de cette action réparatrice du visiteur sur le malade … dépend du visiteur lui-même. Il est nécessaire en effet, que ce visiteur soit « Ben Guilo ». Que signifie Ben Guilo ?
Pour Rachi, cela signifie que le visiteur doit être du même âge que le malade (Guil = âge). Pour le Ran et le Roch, cela signifie qu’ils sont nés sous le même signe astrologique.
Ces deux conditions étant nécessaires, on comprend dès lors que la probabilité de guérison en est considérablement amoindrie (commentaire du Maharsha).
Cela étant, il nous reste à élucider deux points
1.comment et pourquoi le fait que le visiteur soit Ben Guilo (quelle que soit l’explication retenue) serait de nature à influer sur le malade ?
2.il est étonnant de constater que la référence principale retenue par le Talmud – outre celle de notre paracha – au Bikour ‘Holim soit extraite du passage de Kora’h. Quel rapport entre la révolte de Kora’h et cette Mitsva ?
Pour répondre à la première question, peut-être devons-nous commencer par nous interroger sur le sens du mot Bikour (‘Holim).
Le mot Bikour apparaît à quelques reprises dans le Tanakh. En particulier ce verset connu de Ezéchiel où Hachem témoigne de son affection pour le Peuple Juif, comparant sa préoccupation à celle du berger envers son troupeau.
יא כִּי כֹּה אָמַר, אֲדֹנָי הי: הִנְנִי-אָנִי, וְדָרַשְׁתִּי אֶת-צֹאנִי וּבִקַּרְתִּים. יב כְּבַקָּרַת רֹעֶה עֶדְרוֹ בְּיוֹם-הֱיוֹתוֹ בְתוֹךְ-צֹאנוֹ, נִפְרָשׁוֹת–כֵּן, אֲבַקֵּר אֶת-צֹאנִי; וְהִצַּלְתִּי אֶתְהֶם, מִכָּל-הַמְּקוֹמֹת אֲשֶׁר נָפֹצוּ שָׁם, בְּיוֹם עָנָן, וַעֲרָפֶל.
Oui, ainsi parle le Seigneur Dieu, me voici moi-même! J’aurai soin de mes brebis
et je les passerai en revue. 12 Comme un pasteur inspecte son troupeau, le jour où il est au milieu de ses brebis en désarroi, ainsi j’inspecterai mes brebis et les retirerai de tous les lieux où elles se sont dispersées en un jour de nuée et de brume.
Selon le Metsoudat Tsion, Bakarat signifie, ce souci permanent du berger envers son troupeau, s’assurant, au cas par cas que chaque brebis, chaque mouton, chaque animal soit là et en bonne santé. Ainsi en est-il de Hachem envers les Bné Israel, clame le Prophète Ezéchiel.
Le mot Bikour (qui renvoie également à Bikoret, le discernement, ou encore Boker, le matin, lorsque notre esprit est frais et disponible) ne correspond pas à une simple visite mais est un acte d’empathie, de sym-pathie au sens étymologique du terme qui se joue entre le malade et son visiteur !
Peut-être pouvons ainsi tenter de comprendre en quoi le Ben Guilo est-il un sujet plus à même que toute autre de rentrer en communion avec la personne malade.
Quant à la deuxième question, le Ben Yeoyada, apporte une explication lumineuse en insistant sur la dimension d’unité, de A’hdout, que la Mitsva de Bikour ‘Holim incarne et exige.
Le Bikour ‘Holim est par essence la manifestation authentique de l’Unité du Am Israel. Rendre visite à une personne malade, quelle que soit sa souffrance procède d’un élan de générosité intimement lié à cette notion d’appartenance à un même peuple, à cette idée que cet autre qui souffre est mon frère, mon semblable.
Or précisément, Kora’h feignait d’incarner cette dimension de A’hdout, d’Unité, il prétendait agir par compassion pour son peuple, alors que seul son ego dirigeait ses pulsions.
Kora’h était un imposteur, il prétendait être l’héritier spirituel de Avraham. Mais la réalité était tout autre.
Chacun d’entre nous est amené à interroger son quotidien en ces termes : suis-je digne du Tselem Elokim dont je suis dépositaire ? Suis-je capable du meilleur comme Avraham, ou du pire comme Kora’h ? Nous avons tous de multiples occasions de manifester nos devoirs de générosité, ou hélas aussi d’y manquer. Que ce soit envers nos amis, nos parents, nos voisins, nos concitoyens ou même nos conjoints : que faisons-nous pour tendre vers cette Infinie Bonté et nous distinguer ainsi du pouvoir reptilien (égoïste, hédoniste, jaloux, revanchard, orgueilleux etc..) qui est en nous ? Est-on capables de pardonner – un vrai et grand pardon ! – comme D le fait à notre égard et comme Avraham nous en a donné l’exemple ? Tout un programme …
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