Le personnage de Tsipora apparaît à trois moments dans la Torah : au moment de la rencontre amoureuse avec Moché, autour d’un puit ; au moment où ils sont en chemin et se trouvent devant l’auberge et où Moché risque de mourir, et au moment où Myriam questionne la séparation de Moché avec Tsipora, appelée ici, Icha kouchite.
Mais si Tsipora apparaît trois fois, rien dans le texte ne nous montre qui elle est. En effet, ce qui la définit c’est d’être la femme de Moché.
Le premier moment : Chemot, chap. 2, v. 15 à 22.
La rencontre entre Tsipora et Moché fait penser à celle de Rachel et Yaakov. Rachi dans ses commentaires va dans ce sens. Moché s’enfuit tout comme Yaakov. Il s’installe, vayechev (chapitre 2, verset 15) comme Yaakov. Ce terme est répété deux fois :
« Vayechev, beerets Midian, va yechev al habeer » ; « Il demeura dans le pays de Midyan, il demeura sur le puits ». (Chemot, 2, verset 15)
Rachi compare le premier terme à l’installation de Yaakov « Yaakov demeura (vayechev) dans le pays des pérégrinations de son père ». Le second signifie d’après Rashi « il s’assit ». Moché a retenu la leçon de l’expérience de Yaakov : c’est près d’un puit qu’il allait rencontrer celle qui allait devenir sa femme. » (Mekhilta 10)
L’eau du puits fait un mouvement du bas vers le haut, elle prend de la terre et fait émerger une lumière, (dans le mot beer, il y a le mot or, la lumière). Le puits fait émerger la présence divine. Lorsqu’Avraham creuse des puits au cours de ses pérégrinations de missionnaire, c’est pour faire émerger la chehina. Rachi dira que creuser des puits, c’est ouvrir des cœurs. Itshak reprendra ce travail tout en nommant les puits, ce qui signifiera trouver la présence de Dieu par un travail plus individuel, car nommer c’est déjà mettre ce que l’on nomme à sa juste place (shem, le nom a pour même racine, sham, le lieu). Itshak reviendra d’ailleurs du puits du vivant qui me voit, beer lahaï rohé, lorsqu’il rencontre pour la première fois Rivka.
Yaakov, rencontre Rahel près du puits. Il y rencontre des bergers mais au contraire de Moché, ces bergers ne sont ni agressifs, ni offensifs. Dans l’épisode de Moché, Rachi nous informe que les bergers attaquent les sept filles de Mydian (Yitro), car celui-ci avait abjuré l’idolâtrie et que ses concitoyens en avaient fait un proscrit (Midrach tanhouma 11).
A l’image de Yaakov qui avait abreuvé le troupeau de Rahel, après avoir soulevé tout seul la grosse margelle qui se trouvait sur le puits, Moché abreuve le troupeau des filles de Mydian.
Reouel, le grand-père des filles de Mydian, s’offusque que celles-ci aient abandonné Moché afin de lui raconter ce qui s’est passé, « Où est –il ? Pourquoi avez- vous abandonné l’homme ? Appelez- le et il mangera du pain ! » (Chemot, 2, 20). Rachi commente ce verset en expliquant que Reouel a reconnu un descendant de Yaakov, les eaux du puits étant montées à son approche.
La comparaison que fait Rachi entre ces deux rencontres amoureuses indique que Moché, futur guide d’Israël, se construit avant tout de manière intime et personnelle, comme le patriarche Yaacov.
Les versets concernant la rencontre de Moché et Tsipora sont cependant très concis, comme si le texte ne voulait pas s’attarder sur leur relationnel. Le Maharal de Prague va dans ce sens. Pour lui, Moché représente la nation d’Israël en entier ; il fallait qu’il épouse une non- juive pour avoir le complément moral. Tsipora est la fille du plus grand théologien de son époque, elle peut donc être l’épouse du plus grand prophète.
Le lien dans le texte est très rapide puisque dès lors que Moché épouse Tsipora et qu’ils ont ensemble leur premier enfant, Guershom, il est question de l’oppression des benei Israël en Egypte.
C’est ainsi que lorsque nous rencontrons le personnage de Tsipora dans la deuxième partie, nous comprenons qu’elle doit maintenant aider Moché à devenir ce grand prophète.
Le deuxième moment : Chemot, chap 4, v. 22 à 26 :
C’est après la rencontre près du buisson ardent, lorsque Dieu demande à Moché d’aller sauver son peuple, et qu’il lui montre sa capacité à accomplir des prodiges, que Moché se met en chemin. La dernière chose que Dieu lui indique, c’est que si Paro refuse de faire sortir le peuple hébreu, il fera mourir les premiers nés égyptiens.
« Tu diras à Paro : « Ainsi parle l’Eternel : Israël est mon fils, mon aîné ; et je t’avais dit : laisse partir mon fils, pour qu’il me serve ; et tu as refusé de le laisser partir. Voici, je fais mourir ton fils, ton aîné. ». Ce fut en chemin dans l’auberge, Hachem le rencontra, il réclama sa mise à mort. Tsipora prit un caillou, elle retrancha l’excroissance de son fils, elle la jeta à ses pieds, elle dit : Car tu es un époux de sangs pour moi. Il le relâcha, elle dit alors : un époux de sangs pour les circoncisions. » (Chemot, 4, 22 à 26).
Rachi nous rapporte que Dieu a voulu faire mourir Moché parce qu’il avait négligé la brith mila de son fils Eliezer :
Une barayetha nous apprend : Rabbi Yossi a enseigné : loin de nous l’idée qu’il ait pu se montrer négligent ! Mais il a fait le raisonnement suivant : « Vais-je circoncire l’enfant et me mettre en route ? L’enfant sera en danger pendant trois jours ! Vais-je le circoncire et attendre trois jours pour la guérison ? Le Saint-Béni soit-il m’a pourtant ordonné : « Va, retourne en Egypte ! » Pourquoi, alors, a-t-il été puni ? Parce qu’il s’est préoccupé d’abord de son hébergement au lieu de procéder immédiatement à la circoncision. (Nedarim 31b). L’ange avait pris la forme d’un serpent et il avalait Moché en commençant par la tête jusqu’aux hanches, puis il rejetait et recommençait par les pieds jusqu’au membre viril. C’est ainsi que Tsipora a compris que c’était à cause de la circoncision (Nedarim 32a)
C’est donc Tsipora qui agit pour sauver Moché. Moché au moment du buisson ardent a du mal à croire en sa propre parole. Ici, il repousse l’acte. Son cheminement pour aller en Egypte manque de spontanéité. Avraham Ben David Halévi montre, dans son traité philosophique Emounah Ramah , qu’il y a un rapport direct avec l’avertissement solennel adressé à Paro au verset précédent. Cette menace visait aussi Moché qui n’arrivait pas à se persuader que les benei Israël l’écouteraient ; c’est pour cela que son fils est en danger.
Tsipora vient du mot tsipor, l’oiseau mais aussi tsefira, l’alarme, et tsafra, le matin. Moché se doit d’être un être de lumière en lumière. L’acte de Tsipora est une alarme pour Moché. Une alarme qui signifie qu’il est temps de sortir de l’obscurité et de se mettre en lumière, qu’il est temps que les benei Israël sortent de l’obscurité de l’esclavage et aillent vers la lumière de la liberté.
Tsipora emploie dans ce passage deux fois le terme : hatan damim, l’époux des sangs.
« Tsipora prit un caillou, elle retrancha l’excroissance de son fils, elle la jeta à ses pieds, elle dit : » Car tu es un époux de sang pour moi” ». Il (l’ange) le relâcha, elle dit alors : « un époux de sangs pour les circoncisions ». (Chemot, 4, 2)
Tsipora agit et parle. Elle comble ce que Moché a du mal à faire. Si elle le sauve, c’est surtout de ses hésitations. La première occurrence de hatan damim, s’adresse à son fils Eliezer. Rachi commente : car tu as été la cause que mon époux ait pu se faire tuer à cause de toi. Tu aurais été le meurtrier de mon mari ! La seconde occurrence parle de Moché lui-même, qui a manqué d’être tué à cause de la circoncision. Mais le pluriel de dam, le sang, damim, montre aussi une parole personnelle et individualisée. La prophétesse Avigail utilise ce pluriel pour évoquer le sang du crime (celui de David envers Naval) et le sang des menstruations (puisque David voulait avoir une relation intime avec elle) : « Et maintenant seigneur, par Hachem et par ta propre vie, Hachem qui t’aura préservé de t’engager dans le sang (damim) et de le venger par ta propre main, oui ils seront comme Naval, les ennemis, ceux qui veulent du mal à mon serviteur ». (Chmouel 1, 25, 26) Tsipora par ce pluriel, montre qu’elle est l’épouse de Moché, elle met en avant le lien intime qui existe avant tout.
Si Tsipora ne parle pas dans le premier passage où elle apparaît, et s’il n’existe aucune communication entre elle et Moché, ce n’est pas le cas dans la deuxième partie.
Il est à noter que la circoncision se dit en hébreu brith mila, l’alliance du mot. L’alliance passe par une césure, un en moins. Comme si la mesure des paroles à émettre permettait la vraie alliance, la vraie relation. Moché a peur de ses mots, Tsipora en faisant l’acte de la circoncision, montre qu’il est temps pour Moché d’accepter sa mission, celle d’amener les bnei Israël à leur liberté. Aussi, le désert se dit en hébreu midbar, et ce terme porte en lui, le mot, davar, la chose, et le verbe medaber, dire. Car trouver sa liberté, c’est passer de l’être objet à l’être sujet, en recevant, les asseret hadibrot, les 10 paroles.
Tsipora en sauvant Moché de la mort, fait le choix de la vie. Faire une alliance, c’est rester en vie. En effet, cette alliance demandée à l’homme au huitième jour de sa naissance, l’installe dans l’action personnelle. C’est ce que nous montrera d’ailleurs Moché, dans la paracha Chemini. En effet, dans la paracha précédente (Tsav) il est question des sept jours d’intronisation des cohanim. Moché répond à l’ordre divin d’un protocole détaillé de leur intronisation. A la paracha Chemini, c’est Moché qui prend l’initiative, sans ordre divin, de rajouter un huitième jour. Les sept jours d’inauguration sont à l’image des sept jours de la création. Tout processus qui renferme le sept souligne l’obligation faite à l’homme de chercher à connaître le but de sa création. Le huitième jour est le symbole d’une démarche humaine de rapprochement vers Dieu. Nous pouvons ajouter que le chiffre sept représente l’intervention divine dans les lois immuables de la nature et le chiffre huit, l’action humaine de parachèvement de la construction du monde. Comme le souligne le Maharal de Prague, le huit est au-delà de la nature. Cela veut dire que notre engagement dans le monde doit être au-delà de la nature, c’est ça le miracle. D.ieu au bout des 7 jours de la création se montre comme le D.ieu Shakaï, le Dieu qui dit stop, qui pose une limite. C’est comme cela qu’il se présente devant Avraham au moment de la demande de faire la brith mila. La brith mila est l’action humaine de poser un daï, un stop à la création.
Ainsi, Tsipora en faisant l’acte de la brith mila, permet aussi à Moché un dépassement de lui-même qui lui permettra d’accepter son engagement personnel dans son rôle de guide d’Israël.
Après cet épisode, apparaît Aharon.
« Hachem dit à Aaron : va à la rencontre de Moché vers le désert ! Il alla, il le rencontra dans la montagne de Ha Eloquim, il l’embrassa ». (Chemot, 4, 27)
Aharon sera celui qui aidera Moché à parler, à s’engager ainsi personnellement dans son rôle.
Mais c’est au troisième passage où apparaît le personnage de Tsipora que nous comprenons ce que D.ieu attend véritablement de Moché dans sa mission de prophète des prophètes et de guide du peuple.
Le troisième moment : Behaalotekha, chap 12, v. 1 à 8 :
À la troisième partie, de l’évocation du personnage de Tsipora, cette dernière ne se trouve pas là. Elle est appelée icha kouchite.
« Myriam parla, et Aharon, contre Moché au sujet de la femme, la Kouchite, qu’il avait prise, car il avait pris une femme kouchite. Ils dirent : Est-ce cependant seulement à Moché qu’a parlé Hachem ? Ne nous a-t-il pas parlé aussi ? Hachem entendit. Et l’homme Moché était très humble, plus que tout homme qui fût sur la face de la terre. (…) il dit : Ecoutez donc mes paroles : S’il y avait votre prophète, moi, Hachem, dans une vision je me ferais connaître à lui, dans le rêve je parlerais avec lui. Mon serviteur Moché n’est pas ainsi, dans toute ma maison il est fidèle. Bouche vers bouche je parlerai avec lui, et me révélant dans une vision et non dans des énigmes, et il contemplera l’image de Hachem, et pourquoi n’avez-vous pas craint de parler contre mon serviteur, contre Moché ? (Behaalotekha, 12, 1 – 8).
Le texte se veut être très éloquent au sujet de la parole, celle de Myriam envers Tsipora, celle d’Hachem envers Myriam et Aharon.
Le Talmud prouve également qu’il s’agit de la parole de Tsipora qu’a entendue Myriam et que c ‘est pour cela que cette dernière a parlé.
Rabbi Nathan a enseigné : Myriam se trouvait à côté de Tsipora lorsqu’on a annoncé à Moché que Eldad et Meidad prophétisaient dans le camp. Entendant cela, Tsipora s’exclama : « Malheur à leurs femmes s’ils s’occupent de prophétie ! Ils se sépareront d’elles tout comme mon mari s’est séparé de moi. » C’est ainsi que Myriam l’a appris, et elle l’a raconté à Aharon. Et si Myriam qui n’avait pas l’intention de le dénigrer a été punie, à plus forte raison le sera-t-il celui qui médit avec malveillance. (Sifri).
La parole de Tsipora écoutée par Myriam qui au final ne la falsifie pas donne un autre statut à Moché grâce à l’intervention de D.ieu. Celui du prophète des prophètes, celui pour qui la parole divine est reçue de la manière la plus directe qui soit. Ce qu’on nomme le motsi shem ra, la médisance de Myriam, amène D.ieu à définir l’idée de la parole entre lui et Moché, à savoir une parole qui ne nécessite aucune interprétation, une parole de compréhension directe. La mise en abyme de cette parole (Myriam entend ce que Tsipora dit et le relate à Aharon avec son interprétation), met en exergue la parole de D.ieu face à Moché et place ce dernier comme le plus grand des prophètes.
Rachi commente : Bouche vers bouche : je lui ai dit de se séparer de sa femme. Et où cela ? Au Sinaï : « Va, dis leur : retournez pour vous à vos tentes ! Et toi, tiens-toi ici avec moi » (Devarim 5, 27 et 28).
Une vision et non dans des énigmes : La vision désigne ici la clarté de la parole ; Je lui explique clairement ma parole et je ne la dissimule pas sous des énigmes comme celles dont il est question chez Yehezkel : Propose une énigme (Yehezkel 17,2).
Ce que propose D.ieu ici comme idée fondamentale, c’est qu’une parole claire est signe d’une juste vision du monde ; qu’être visionnaire c’est avoir avant tout une pensée claire et non confuse. La parole construit ou détruit, c’est en cela qu’elle est le fondement d’un juste rapport au monde.
Le serpent de la création du monde est le premier être parlant à avoir fait du motsi chem ra, de la médisance. Ce qu’il propose à Hava est une clairvoyance nouvelle sur le monde : « Vous ne mourrez point ; car D.ieu sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux seront dessillés, et vous serez comme D.ieu, connaissant le bien et le mal » (Berechit, 3, 4 et 5). On peut se demander pourquoi D.ieu n’intervient pas comme il est intervenu pour Myriam. Le serpent fait pourtant de la médisance sur lui. Pourquoi laisse-t-il faire alors que la vision de Hava se modifie instantanément ? « La femme vit que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; elle cueillit de son fruit et en mangea, elle en donna aussi à son époux, et il mangea » (Berechit, 3, 6). Sa parole semble claire et pourtant, elle propulse Adam et Hava dans un monde de confusion où la différence entre le bien et le mal d’une part et le vrai et le faux d’autre part, est difficile à identifier. Ainsi, la parole claire que propose D.ieu à Myriam, est une parole qui empêche la confusion du monde et le motsi shem ra, la médisance qu’on nomme plus souvent le lachon hara, est une parole de fusion et de confusion à l’autre car je vois l’autre en fonction de moi. C’est bien ce que Rachi explique sur Myriam dans son commentaire cité plus haut. Elle se sait prophétesse comme Moché, son frère, celui qu’elle a fait naître grâce à sa parole de conviction, qu’elle a sauvé dans l’épisode du Nil ; ce frère là pourrait-il être différent d’elle ? Surtout que son enjeu principal dans le désert, est que les femmes aient une relation intime avec leur époux afin d’avoir des enfants. Aussi, ce que dit Tsipora et qu’elle entend lui est insupportable. On peut rajouter que la « maladie », la tsaraat, qu’elle reçoit en guise de réponse de D.ieu, peut se lire « mal à dire ». Le mal dire, c’est le dire sans l’idée individualisée de l’autre, c’est l’autre avec un trop plein de moi.
Il est d’ailleurs étonnant que Tsipora fasse la même erreur en pensant que les femmes de Eldad et Meidad auraient le même sort qu’elle au sujet de la séparation physique avec leur mari. Elle diffère du personnage de Tsipora au moment de l’épisode de l’auberge, cette Tsipora qui agit et qui parle à la place de Moché, celle qui l’aide à devenir ce grand guide pour Israël. Il est possible que venant d’une nation idolâtre, elle ne comprenne pas l’idée de la prophétie et de la clairvoyance, elle reste terrestre. Le serpent qui engloutit Moché jusqu’à sa partie intime, montre que pour faire alliance (brit mila, l’alliance du mot), il faut un manque, ce serpent est le contre exemple du serpent du Gan Eden, mais il en est aussi l’allusion. Il est possible que pour Tsipora, ce lien ne soit pas explicite.
Tsipora met en lumière l’idée d’une parole juste même si elle n’en n’a pas conscience dans le sens où elle aide Moché à cela sans vraiment l’identifier. Tsipora est le vécu intime de Moché, elle est son épouse. Elle permet à Moché la montée des eaux lors de la rencontre amoureuse, elle lui permet aussi de comprendre la spontanéité de l’acte sans tergiversation, elle le hisse au sommet des prophètes, où la parole de Dieu, devient de plus en plus claire ; et cela pour guider le peuple à trouver sa juste liberté.
Élaborer, construire sa parole tout en regardant le monde avec humilité « et l’homme Moché était très humble, plus que tout homme qui fût sur la face de la terre » (Behaalotekha, 12, 3) ; c’est offrir une place à l’autre. Ce don de soi dans l’agir et dans le parler, permet d’être visionnaire d’une juste cause, celle de notre liberté individuelle et collective.
En effet, nos tergiversations, nos hésitations, sont le reflet de nos peurs, de notre incapacité à avancer et à renouveler, se renouveler. Cette opacité de notre pensée, est notre esclavage, elle nous rend objet de nos fantasmes et ne permet donc pas une clairvoyance et une juste vision de la réalité. Elle crée du « hors réalité ». Elle vient aussi souvent d’une vénération de notre manque existentiel, de nos frustrations. Comme si ce manque devait se soumettre à cette profusion de paroles de soi. Ce manque de paroles en soi, cet en moins, permet à contrario, une plénitude existentielle et donc la liberté. Parler de soi, en soi ou aux autres fait souffrir, elle nous rend esclave d’une parole extérieure à nous, d’une parole qui nous est étrangère. Elle nous aliène à l’idolâtrie d’une pensée qui nous domine.
Être libre c’est trouver une juste parole surtout libre de soi-même.
Les plus beaux discours ou divrei torah sont ceux des gens libres, à savoir ceux dont l’esprit est vidé d’eux-mêmes ou de l’enjeu de parler d’eux. Ces discours sont d’ailleurs toujours énoncés d’une manière douce qui donne la possibilité à celui qui écoute d’un moment de silence où le temps semble être suspendu . D.ieu ne parle t-il pas à Moché avec le verbe lemor, dire, qui est un dire doux ? Cela permet à ce qui est dit, de résonner en nous-mêmes et de nous libérer.
Une parole libératrice est une parole sans égo.
Lorsqu’on entend le chant de l’oiseau du tsipor , nous ressentons l’écho d’un son ( d’une parole ?) authentique, qui à la lueur du matin, tsafra, nous apporte la douce alarme tsefira, d’une volonté d’une relation qui n’est que don de soi.
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