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Pourquoi les femmes ont-elles pu entrer en terre d’Israël ?

par: Jérôme Bénarroch

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Chapitre 27, versets 64-65, le texte de la Tora dit : « Parmi eux ne se trouvait pas un seul homme de ceux qu’avaient recensés Moïse et Aaron le Cohen, lorsqu’ils avaient dénombré les enfants d’Israël dans le désert de Sinaï. Chapitre 27, versets 64-65, le texte de la Tora dit : « Parmi eux ne se trouvait pas un seul homme de ceux qu’avaient recensés Moïse et Aaron le Cohen, lorsqu’ils avaient dénombré les enfants d’Israël dans le désert de Sinaï. Car D. avait dit à leur propos qu’ils devaient mourir dans le désert, et aucun n’avait survécu, excepté Calev, fils de Yéfouné, et Josué, fils de Noun. »


Rachi commente l’expression superflue « Parmi eux pas un seul homme », car on aurait dû dire plus simplement : « Parmi eux aucun n’avait été recensé au recensement du Sinaï… », et dit : « Mais contre les femmes, le décret de mort des explorateurs n’avait pas été prononcé, parce qu’elles chérissaient le Pays. Les hommes avaient dit : « Donnons-nous un chef et retournons en Egypte. » ; les femmes avaient dit : « Donne-nous une propriété… ». C’est pourquoi suit ici le chapitre des filles de Tséloph’had. »

On apprend donc que contrairement aux hommes sortis d’Egypte qui moururent dans le désert sans voir la réalisation de la promesse divine de s’établir dans un Pays « ruisselant de lait et de miel », les femmes vécurent, parce qu’elles aimaient le Pays.

Pourquoi cette différence ? Pourquoi les femmes aimèrent-elles le Pays alors que les hommes se découragèrent et se révoltèrent ? La Guemara Sota 11a dit même : « Par le mérite des femmes justes Israël a été délivré d’Egypte ». Et le roi David dit dans le psaume 90 : « les générations ne sont délivrées que par le mérite des femmes justes ».

La réponse à cette question nécessiterait un long développement. Avançons-en quelques éléments.

1. Est-ce à dire que par nature les femmes seraient moins pécheresses que les hommes, plus proches de la volonté divine ? Ainsi, la bénédiction quotidienne concernant le fait d’avoir été créée selon Sa volonté, pour une femme, indiquerait en allusion cette immédiate et naturelle proximité avec le projet de D.. Mais ne voit-on pas au contraire que la faute primordiale, même si elle concerne le premier couple, intervint par le truchement de la femme, Eve la vivante ?

Il faut convenir de cette distinction : les Sages semblent dire que lorsque la situation est d’ordre messianique, ou Edénique, dans ce cas la femme est plus exposée que l’homme à la faute ; alors que lorsque la situation est d’ordre exilique, en Egypte, dans le désert, ou dans l’Histoire, dans ce cas la femme est plus à même d’être garante de l’Idée.

2. Les hommes de la génération du désert, qui meurent par le décret de D. pour s’être rebellés contre l’Idée, ont une caractéristique essentielle, établies en Deutéronome 2 : ce sont « les hommes de guerre ». Rachi explique qu’il s’agit de ceux qui avaient été comptés à la sortie d’Egypte, au-delà de vingt ans, car ce sont eux seuls qui étaient aptes à la guerre.

D’autre part le décret a été scellé à l’occasion de l’épisode des explorateurs, qui ont fait montre par leur rapport défaitiste d’une peur coupable pour la conquête du Pays. Ils avaient dit : « Nous ne pouvons marcher contre ce peuple, car il est plus fort que nous…Nous y avons même vu les Néfilin… ».

Dans les lois sur l’habillement, parachat KiTetsé, on lit qu’un homme ne doit pas se vêtir d’habits de femme, et qu’une femme ne doit pas porter de « parure de guerre » comme un homme.

Ou bien encore, au début de la création de l’homme et de la femme, Chapitre 1, verset 28, D. dit : « fructifiez et multipliez, et conquérez la terre. » Rachi commente le terme « conquérez » en le rapportant à l’homme.

L’homme est donc lié, en pensée, à la notion de conquête et de guerre. La malédiction du labeur incessant lui est associée. Il doit sortir de soi et conquérir l’extériorité. Ce n’est pas qu’il faut qu’il soit belliqueux, c’est bien tout le paradoxe et la tension de l’homme. Belliqueux : c’est Essav, au mont Séïr, mont qu’il faut contourner quarante ans pour évacuer de soi son image.

C’est aussi de là que l’on tire l’idée de responsabilité. A vingt ans, il atteint l’âge de la pleine responsabilité de ses actions. L’acte, qui est toujours une force, doit être « juste ».

La faute des explorateurs est liée à la fascination du regard par la visibilité extérieure. Car la guerre exacerbe l’attention sur le visible. Le danger, l’inconnu, et l’absence d’ordre font fonctionner l’extérieur comme un plan de projection des peurs et des fantasmes intérieurs. Les explorateurs ont « vu » « les Néfilin », peuples fantasmatiques d’avant le Déluge, et possesseurs imaginairement originels de la terre, que les Cananéens ou les Babyloniens, peuples violents de l’Histoire, avaient pourtant déjà défaits.

Faute féminine de l’Eve primordiale, qui avait « vu » que l’arbre était bon…

Or, la fidélité à D. consiste au contraire à vivre que la visibilité de l’être n’est pas essentielle, car l’être n’est que créé. La capture du regard par le visible signe la forclusion de la confiance et de la fidélité. Au chapitre 16, les révoltés diront à Moïse : « Crèveras-tu les yeux à ces hommes ? » : n’est-ce pas visible que le Pays est rocailleux et qu’il ne ruisselle pas de lait et de miel… « Donnons-nous un chef et retournons en Egypte » : Rachi explique : « il s’agit d’idolâtrie ».

3. Nous apprenons la fidélité des femmes, dans le désert, des filles de Tseloph’had. « Filles de Tseloph’had, fils de ‘Héfer, fils de Makhir, fils de Ménaché, des familles de Ménaché, fils de Yossef » Rachi commente : « pour te dire que comme Yossef, ses filles aimaient le Pays ». Yossef était le Tsadik, qui avait su rester fidèle à D. dans l’exil oppressant.

Or, le prophète Habakuk, chapitre 2-4, dit : « le Tsadik, dans sa Emouna vivra ».

La Emouna est le lien avec l’invisible, confiance et fidélité envers le Créateur pourtant intangible. Le lien avec l’Idée, première, aveugle.

Les femmes de l’exil gardent ce lien. Pourquoi ?

Paradoxalement, d’être moins à même d’agir, de par leur construction intérieure propre, n’ayant pas le pouvoir et le devoir des actes, elles sont plus immédiatement tournées vers D., « homme de guerre » par excellence, pouvoir des actes réels.

On peut dire aussi que la garde féminine, d’inscrire le Vrai dans la naturalité de la vie, par la tradition, est plus facilement transmissible que le sens du Vrai, le renouvellement de la pensée du Vrai, guerre de l’homme.

On peut dire encore que la femme a un lien plus immédiat à la Emouna, la confiance intérieure, parce que sa constitution la pousse à une écoute intérieure d’elle-même. Sa vie sensible se construit déjà à l’intérieur, concrètement. Elle est alors plus directement à l’écoute de l’invisible.

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1990
Agrégé de lettres et Docteur en philosophie, Jérôme Benarroch est un ancien élève puis enseignant de la Yechiva des Étudiants de Paris. Il est actuellement professeur de philosophie et de français au lycée Ozar Hatorah Paris 13ème. Enseignant à l’Institut Elie Wiesel, à l’Institut Universitaire Rachi de Troyes, au SNEJ de l’Alliance Israélite Universelle, dans le cadre du cycle ACT de la Yechiva des Etudiants de Marseille, au Collège des Bernardins, et à l’Université Catholique de Louvain, il a publié des articles au sein des Cahiers d’Etudes Lévinassiennes, des revues La Règle d’Abraham, Orient-Occident les racines spirituelles de l’Europe, et des Cahiers philosophiques de Strasbourg et intervient régulièrement sur Akadem.

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