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Pinha’s: Prétextes?

par: Rav Yehiel Klein

Publié le 9 Juillet 2020

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1 – La parashat Pinh’as s’inscrit dans un contexte tragique, lorsque sur les conseils de Bil’am l’impie les Enfants d’Israël se livrèrent à la débauche avec les filles de Midian (Nombres XXV, 1-9), dépravation qui s’accompagnait d’idolâtrie envers la divinité des séductrices.

2 – Nos Sages sont particulièrement sensibles à ce rapport apparent entre la luxure et l’idolâtrie, et voici ce qu’ils en disent dans le traité Sanhédrin 63b :

Rav Yéhouda enseignait au nom de Rav : Les Enfants d’Israël savaient pertinemment qu’il n’y a aucune réalité dans l’idolâtrie, et  si ils s’y livrèrent ce n’est que pour pouvoir se permettre publiquement toute sorte de relations interdites.

Constate qu’il n’en est pas ainsi, car au sujet du verset (Lévitique, XXVI 30) ‘’Je placerai vos cadavres sur les débris de vos abominations’’, on raconte la chose suivante : le prophète Elie errait parmi les victimes de la faim lors de la destruction [du Premier Temple *1] de Jérusalem. Il trouva un jeune enfant  affalé dans une décharge. Il lui demanda :

– De quelle famille es-tu ?

– De la famille unetelle.

– Combien étiez-vous ?

– Nous étions trois mille.

– Combien en reste t’il à présent ?

– Je suis le seul survivant…

– Puis-je t’apprendre quelque chose qui te maintiendra en vie ?

– Oui, je veux bien.

– Répète chaque jour : ‘’Ecoute, Israël: l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un!’’ *2

– Tais-toi ! s’exclama t’il

Il ne supportait en effet pas que l’on prononce le Nom de D., parce que son père ne lui avait jamais appris…  Aussitôt – car il sentait sa dernière heure approcher – il extirpa une petite idole personnelle de son sein, l’enlaça et l’embrassa jusqu’ à ce que son ventre explose et qu’il meure de faim. Sa statuette tomba alors à terre et il s’écroula dessus, accomplissant alors la malédiction exprimée dans le verset. [On voit donc bien que les enfants d’Israël étaient plus qu’adeptes convaincus de l’idolâtrie]

Le Talmud répond : certes, mais cette histoire se passe après qu’ils s’y soient eux-mêmes liés : à ce moment-là, ils développèrent un réel attachement (Rachi)

Constate encore qu’il n’en est pas ainsi : A quoi correspond le verset (Néhémie IX, 4)*3 : ‘’Et les gens de la Grande Assemblée crièrent, implorant d’une voix forte l’Eternel leur Dieu’’ ?

Rav Yéhouda – ou Rabbi Nathan – explicitait : [Ils suppliaient ] ‘’Vaï Vaï !*4 C’est celui-ci *5 le penchant envers l’idolâtrie ? Celui qui a détruit le Temple de Jérusalem, qui a brûlé le Sanctuaire, assassiné nombre de Justes et abouti à exiler Israël de sa terre – et voici qu’il est encore présent, dansant parmi nous ? Il ne nous a été donné que pour le surmonter et en percevoir un salaire *6 . Or [tout bien réfléchi], nous ne voulons ni de lui ni de la récompense qu’il peut nous apporter !

Le Talmud répond là encore : cet épisode a eu lieu après que les Enfants d’Israël se soient eux-mêmes liés à l’idolâtrie, etc…

Par ailleurs, le texte continue, et raconte donc qu’ensuite, les Sages d’israël parvinrent à force de jeûnes et de prières à éliminer ce penchant-là *7 , et que forts de leur succès, ils en profitèrent pour demander la disparition de cet autre penchant qu’est celui envers les unions interdites. Ils eurent gain de cause, mais ils constatèrent qu’il n’y avait alors même plus d’oeufs dans les poulaillers… Ils comprirent que ce dernier instinct était nécessaire à la propagation de la vie, et ne purent agir à son encontre que partiellement, en annihilant au moins les désirs incestueux…

3 – Cet enseignement nous renseigne quant au lien effectif entre l’idolâtrie et la débauche, mettant en évidence l’interaction toute particulière qui les relie.

Les deux fautes sont perçues ici comme les deux penchants principaux qui peuvent amener l’homme à transgresser,  comme les deux menaces principales qui guettent le Juste.

Rav Yéhouda au nom de Rav nous explique que la Communauté d’Israël, en son for intérieur, n’est pas susceptible d’être séduite par le penchant de l’idolâtrie, mais qu’elle y voit une possibilité de se livrer légalement et ouvertement par son intermédiaire à l’autre penchant, celui de la licence de mœurs, auquel a contrario elle est sensible.

Mais dans un second temps, cette immunité a ses limites.

L’idolâtrie a malheureusement la capacité, à force d’être pratiquée ne serait-ce que formellement, de pervertir la nature des Enfants d’Israël, et les siècles d’idolâtrie qu’ils ne cessèrent d’adorer tout le long de l’époque du Premier Temple ne purent que les dénaturer, et aboutir au désastre du Neuf Av.

En d’autres termes, les Hébreux crurent pouvoir manipuler la tentation pour obtenir ce qu’ils désiraient vraiment, mais ils se trouvèrent tragiquement pris à leur propre jeu.

4 – Le Maharal de Prague (Nétsah’ Israël, ch. 23), entre autres *8, explique de quoi il en retourne :

Il existe bien en effet deux mauvais penchants principaux :

Celui vers l’idolâtrie – qui correspond à l’esprit ;

Celui vers la luxure – qui correspond au corps.

Et de fait, la situation des Enfants d’Israël à cet égard est très particulière.

Etant le peuple le plus naturellement proche de Dieu, parce que c’est lui qui lui a donné naissance en les faisant sortir d’Egypte, ils sont de tous les moins attirés par l’idolâtrie.

En leur for intérieur, cette proximité naturelle leur faire comprendre ‘’qu’il n’y a aucune réalité dans l’idolâtrie’’.

Cela cependant ne joue pas sur leur corporalité, et leur sensualité naturelle reste à sa place.

C’est donc celle-ci qui est leur principale motivation pour transgresser les ordres divins, et c’est pour cela qu’ils se jettent dans la turpitude du culte idolâtre.

Malheureusement, ils se firent prendre au jeu, comme le souligne le Talmud ‘’après qu’ils s’y soient attachés’’, parce que, continue le Maharal, se met alors en place un autre phénomène paradoxal. Plus quelque chose est élevé, plus elle est attaquée par des forces spirituelles opposées *9. Elle devient donc vulnérable, au point que les contemporains du Premier Temple ne pouvaient se passer de l’idolâtrie, comme en témoigne tragiquement l’épisode avec le prophète Elie.

C’est en d’autres termes bien à un regrettable processus en deux temps auquel nous avons affaire ici :

Certes, initialement les Enfants d’Israël sont immunisés spirituellement face à l’idolâtrie. Ils ne sont pas attirés par celle-ci parce qu’ils comprennent qu’elle n’est qu’une coquille vide, autant que de par leur attachement inné à l’Unique. Mais si jamais ils se mettent à s’y livrer, ils trahissent leurs saines certitudes, et permettent à ce mal de pénétrer en eux. Alors celui-ci les attaquera d’autant plus qu’ils demeurent simultanément des gens de qualité.

5 – On ne peut pas s’empêcher de penser que ce que décrit ici le Maharal peut parfaitement s’appliquer au phénomène des addictions, auxquelles la Yéchiva des Etudiants a consacré il y a quelques années de cela une journée d’étude *10 .

6 – Fort de tout cela nous sommes en mesure de mieux comprendre l’enseignement principal de notre Guémara :

Parce qu’en réalité plusieurs questions importantes peuvent être posées quant à sa formulation :

Premièrement, que signifie : ‘’les enfants d’Israël savaient etc…’’ ?

Deuxièmement, si les Israélites désirent avant toute chose se livrer à la débauche, alors pourquoi ont-ils besoin d’un prétexte ?

Troisièmement, quel est le sens de cette prétention incongrue de ‘’se permettre les relations interdites’’ ?

Enfin, pourquoi insister sur le fait qu’il désirait y avoir droit publiquement ?

7 – La réponse à toutes ces interrogations se trouve dans les quelques mots du commentaire de Rachi (Cf. aussi Yad Ram’’a) :

Comme leur penchant les attirent non vers l’idolâtrie mais vers la luxure, ils se dirent : « libérons-nous du joug de la Torah et des Commandements, afin de nous livrer à une existence débridée, et que personne [c’est-à-dire aucun prophète] ne vienne nous le reprocher »

8 – Ces paroles mettent en évidence un lien inédit entre ces deux interdits que sont l’idolâtrie et la débauche.

Si jusqu’ à présent nous les avions étudiés sous l’aspect du penchant qui y incite, Rav Yéhouda au nom de Rav semble dire que dans les faits, les deux fautes vont de paire, au point que se crée entre eux une identité certaine.

Si on se livre à l’idôlatrie – on se débauche *11 ;

Si on s’y refuse – alors la débauche devient inconcevable.

Dès lors pour les Enfants d’Israël ce lien inné avec le Créateur qui les empêche d’être ne serait-ce qu’attirés par le polythéisme les empêche par là même de se livrer aux excès de la chair.

Mais pour s’être élevé au niveau des Anges lors du Don de la Torah, ils n’en demeurent pas moins hommes et femmes, et d’une certaine manière c’est comme si une autre partie de leur personne  désirait quant à lui mener une vie moins contrôlée.

La seule solution pour sortir de ce dilemme existentiel *12 , c’est bien alors de se trahir soi-même en commettant ce dont on n’a pas réellement envie, mais qui de facto permet  autre chose qui en revanche est l’objet de notre désir.

Il est à supposer que cette trahison est exprimée par Rachi, à travers l’intervention des prophètes (dont le Talmud ne parle pas, mais peut-être cela va t’il de soi : Dieu ne peut donner Sa Loi à une entité vivante sans porte-parole pour la faire entendre), qui sont en vérité, comme le montre  tout le canon biblique, de magnifiques agents de mauvaise conscience …

9 – Tout porte à croire que le lien intrinsèque entre idolâtrie et débauche est aussi simple que complexe :

A la croyance en une force unique au niveau de l’esprit *13 , correspond  la nécessité pour le corps d’avoir un partenaire unique (‘’[l’homme] s’unit à sa femme, et ils deviennent une seule chair’’ *14, etc…)

Plus on se persuadent que ‘’ l’Éternel est notre Dieu, l’Éternel est un’’, plus il ne fait aucun doute qu’il est nécessaire de contrôler ses mœurs *15.

10 – Par contre, il est évident que pour la Tradition (cet épisode des filles de Midian en faisant foi, mais également l’introduction aux lois des unions interdites *16), la mentalité idolâtre est synonyme de dépravation des mœurs *17, car comme nous le fait comprendre Rachi, abandonner le Dieu d’Israël, ce n’est pas le remplacer par d’autres divinités (puisqu’elles ne sont que des forces à Son service *18), mais bien Le remplacer par le néant par une déresponsabilisation *19 totale dans laquelle l’homme serait à ses yeux libres de disposer comme il l’entend de son corps.

11 – Pour revenir à notre paracha, le Talmud précise à un autre endroit (Sanhédrin 106a), que Bil’am l’impie était parfaitement au courant (comme il était de nombre de choses d’ailleurs) de ce lien entre l’idolâtrie et la licence de mœurs, puisque c’est lui qui donna le conseil d’envoyer les filles de Midian tenter les Enfants d’Israël, disant au roi Balak : ‘’Le Dieu de ceux-ci déteste la débauche’’…

*********

12 – La leçon pratique que l’on peut tirer de cet enseignement talmudique, c’est que l’on ne doit pas se fourvoyer soi-même, en étant aveugles à nos désirs réels, et en s’égarant dans d’autres qui ne nous correspondent pas du tout, mais qui sont l’expression de passions inavouées parce qu’inavouables.

Mais surtout, il semble alors que cela peut constituer une grille de lecture intéressante pour appréhender l’histoire de l’Occident depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale *20, à travers la libéralisation des moeurs que celui-ci a connu depuis.

Car on ne peut pas nier qu’il fut plus facile d’aborder une jeune femme pour une femme dans les années 70 que ce n’était le cas encore vingt ans plus tôt dans les années 50 …

 


 

*1  Torah Témima. (Cf. Nah’manide sur Lévitique XXVI)

*2  Deutéronome VI, 4

*3 Ezra et Néhémie sont les deux dirigeants du Peuple Juif qui obtinrent de Cyrus le Perse le droit de procéder à la Reconstruction du Temple de Jérusalem. On peut supposer qu’ils eurent à cœur de le faire sur de nouvelles bases, afin d’éviter les errements ayant conduits à la première ruine de Jérusalem. C’est tout l’objet de ce passage…

*4 Ou : ‘’Oï vaVoï’’ – malheur.

*5 De versets parallèles (Zacharie V, 8), on comprend qu’ils purent voir ces réalités spirituelles, par vision prophétique. Cf. aussi Souccah 52a sur la Fin des Temps.

*6 Cf. Bérah’ot IX, 5.

*7 Cela correspond au fait qu’après l’époque biblique, les Juifs ne sont plus soumis aux tentations de l’idolâtrie, et qu’à partir de l’époque d’Alexandre le Grand, on passe à tout à fait autre chose dans la grande histoire des idées…

*8 Cf. Rabbi Tsaddok haCohen, Dover Tseddek 4.

*9 Cf. Souccah 52a.

*10 http://yechiva.com/cours-audio-video/cours-videos/les-addictions-gje-2013/

*11 Bien sûr, la plupart des cultes idolâtres vont requérir une pureté de mœurs (pensons aux vestales sous la Rome Antique) Mais nos Sages, et le Maharal qui sait les lire, ont la prétention de nous décrire la réalité des choses, au-delà de ce qui est conscientisé par les acteurs eux même (cf. § 12)

*12 De cette frustration ?

*13 C’est pour cela que Rav Yéhouda au nom de Rav peut affirmer que ‘’Israël savaient que l’idolâtrie ne recouvre aucune réalité’’ – parce que cela se joue au niveau de la conscience, de certitudes innées que l’on ne peut que ressentir au fond de soi-même.

*14 Genèse II, 24.

*15 On retrouve ce thème au début même de notre Paracha : cf. ‘’Certifiés conformes’’ http://yechiva.com/product/parachat-pinhas-certifies-conformes/

*16 Lévitique XVIII, 3 : ‘’ Les pratiques du pays d’Egypte, où vous avez demeuré, ne les imitez pas, les pratiques du pays de Canaan où je vous conduis, ne les imitez pas et ne vous conformez point à leurs lois’’

*17 Et en cela, ils se permettent les unions interdites en public, puisque cela participe de l’identité du dieu local.

*18 Cf. Maïmonide, ‘’Lois relatives à l’idolâtrie’’ I, 1.

*19 Héfkérout.

*20 Et peut-être en réalité l’art occidental dans son ensemble…

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