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« Parachat TAZRIA » De la bête à l’homme

par: Rav Yehiel Klein

23 Avril 2020

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Notre péricope (Lévitique, ch. XII – XVI 1) qui traite des préceptes relatifs à la naissance d’un enfant, des affections pseudo-lépreuses, puis des diverses sources de pureté et d’impureté pouvant s’écouler du corps humain, se trouve suivre directement les lois alimentaires.

 

Ce singulier voisinage n’a pas laissé indifférents les Sages du Midrach, qui l’analysent ainsi (Vayikra Rabba XIV, 1) :

« ‘‘Lorsqu’une femme concevra, etc’’ (Lévitique XII, 1) à cela se réfère le verset (Psaumes CXXXIX, 5) : ‘’Tu m’as créé de face, et de l’arrière’’ [אָחוֹר וָקֶדֶם צַרְתָּנִי]

Rabbi Yohanan enseignait : ce verset des Psaumes signifie que si l’homme se montre méritant, il jouira des deux mondes : le monde ici-bas et le monde futur [de face, c’est le monde dans lequel on naît 2 ; de l’arrière, c’est celui qui nous attend, à la toute fin]

Reich Lakish interprétait : de l’arrière, c’est le dernier jour de la Création, où il fut physiquement créé, et de face, c’est le premier jour. Car selon ce Maître, ce qui y est écrit (Genèse I, 2) : ‘’Et l’esprit de Dieu planait à la surface de l’eau’’ se réfère à l’esprit du roi Messie.

C’est la raison pour laquelle si l’homme se trouve être méritant on peut lui dire : tu as été prioritaire lors de la création ; s’il ne l’est pas, on lui dira : même les moustiques et les mille-pattes t’ont précédé (Cf. Sanhedrin 38a)

Rabbi Simlaï enseignait : de même que la création de l’homme eut effectivement lieu après celle des animaux domestiques, des bêtes sauvages et des volatiles, de même les lois le concernant [littéralement : sa Torah] est énoncée à la suite de celle concernant les animaux domestiques, les bêtes sauvages et les volatiles.

C’est ainsi qu’il faut comprendre l’enchaînement : ‘’voici les lois relatives aux animaux’’ (Lévitique XI, 2), suivi de : Lorsqu’une femme concevra… »

 

Rachi ramène cette dernière interprétation de Rabbi Simlaï  pour ouvrir notre péricope, comme si elle lui semblait de nature à résumer l’intégralité du message de ce long Midrach.

Mais il convient de se pencher un peu plus sur celui-ci, de le considérer dans son ensemble.

En particulier sur le sens précis de cet étonnant verset des Psaumes : ‘’Tu m’as créé de face, et de l’arrière’’

 

Pour ce faire il convient de consulter les maîtres du H’assidisme, car c’est toujours vers eux qu’il faut se tourner en matière de Midrach.

 

Le Sfat Emeth 4 (année 5634 [1874]) explique que le décalage dont nous fait part le midrash correspond à une double dimension de l’homme lui-même, que l’on perçoit dès sa création

En effet le fait que l’être humain soit la dernière créature à voir le jour renvoie à sa dimension corporelle.

En ce sens, ‘’Tu m’as créé de l’arrière’’ signifie bien que l’homme est le résultat de tout ce qui précède et qu’en lui se trouve résumé et même concentré tous les animaux créés auparavant.

(De sorte à ce que chez chacun de nous il y’a un peu de lion, d’aigle, d’ours, voire même de chauve-souris…5)

Et parallèlement ‘’Tu m’as créé de face’’ se réfère aux niveaux spirituels les plus élevés que recèle l’âme humaine, qui le place au premier rang des êtres créés. Mais tout cela uniquement en potentiel, par l’étude de la Torah.

C’est cela que désirait signifier Rech Lakich lorsqu’il distinguait entre le projet de la Création et la réalisation de celle-ci.

Dès lors, les paroles de Rabbi Simlaï peuvent s’entendre ainsi :

Il incombe à l’homme en tout premier lieu d’amender sa part ‘’bestiale’’ qui correspond à la Néfesh haBéhemit  (Cf. Maïmonide, ‘’Traité des huit chapitres, chapitre I 6), l’âme instinctive, qui est la partie la plus naturelle de notre être. Et seulement ensuite il pourra se consacrer à ce qui le distingue en tant qu’Homme, la Loi de Moïse (‘’Torat haAdam’’), en ce que celle-ci a en premier lieu vocation à améliorer la part de l’âme la plus élevée – la Néchama.

 

On remarquera avec intérêt que le Maharal de Prague dans le Gour Arié, son commentaire sur Rachi, explique d’une manière similaire : La Torah est elle-aussi une ‘’création’’, et c’est pour cela que Rabbi Simlaï peut les comparer, parce qu’elle permet à l’homme de se créer une personnalité supplémentaire, équivalant à un véritable changement de nature qu’il n’aurait jamais pu obtenir s’il n’en disposait pas, et si il ne se conformait pas à la Loi révélée.

 

Un autre grand Maître du H’assidisme, le Chem miChmouel 7 (année 5671 [1911]) perçoit le message du Midrach différemment, dans la forme presque à l’opposé :

La Torah en réalité depuis la Genèse ne cesse de nous parler de l’homme. Dans le lévitique tout ce qui précède les péricopes de Chemini et de Tazri’a-Métsor’a ne concerne-t-il pas les moyens par lesquels l’homme peut se défaire de ses péchés à travers le système complexe des sacrifices ?

(Et il est exact que c’est une question que l’on peut poser au Sfat Emeth également)

C’est donc que par la loi de l’homme Rabbi Simlaï entend uniquement les lois qui concernent le corps de l’homme. Ce qui est bien le cas de cette péricope, à travers l’accouchement, la circoncision, la lèpre et autres fluides organiques.

Puisque c’est bien ce que préalablement nous avait enseigné le Midrach : seul le corps de l’homme a été créé en dernier juste avant l’entrée du Chabbat. Son âme, elle, se situe ailleurs, bien avant tout animal et tout végétal.

De ce point de vue uniquement corporel, on comprend en effet que cela puisse passer après les lois relatives aux animaux, et conformément à l’ordre de la Création, puisque cela aussi nous a été expliqué précédemment dans le Midrach : si l’Homme n’est pas méritant – c’est-à-dire qu’il reste au niveau corporel et s’y complaît -, alors on lui fait remarquer que les moustiques les mille-pattes (et certainement les pangolins) l’ont précédé.

(Cela, il est vrai, paraît véhiculer une idée négative du corps.

C’est ici indéniablement le cas, mais il faut nuancer en s’attachant à ce dont on parle précisément : les accidents corporels dont traite notre péricope, sont en effet perçu par la Tradition comme autant de symptômes qui sont des rappels de notre nature la plus primaire, celle qui par essence est l’étape préalable et indispensable à toute progression vers la plénitude de l’âme)

Ce Midrach, on le pressent, est encore empli de mystères et d’interrogations 8.

Mais il est un point qu’il semble nécessaire d’éclaircir en priorité :

Si on comprend bien en quoi débute ici la loi de l’Homme, en revanche, en quoi le passage précédent (Lévitique, ch. XI) constitue-t-il la loi des animaux ?

Les lois alimentaires sont avant toute chose elles aussi destinées à l’homme !

Cependant, si l’on intègre l’idée selon laquelle en termes de Torah il faut comprendre amendement (ce que d’aucuns dans la H’assidout appelleraient tikkoun), de perfectibilité de la matière, alors on acceptera l’idée qu’à travers le respect général des lois alimentaire les concernant, les animaux aussi ont leur Torah. C’est-à-dire une possibilité d’évolution à travers leur consommation par les êtres humains 9

De sorte à ce que dit Rabbi Simlaï se vérifie : l’ordre de la Création et celui de la Loi se trouvent bien absolument parallèles.

Ce qui est l’objet même de notre Midrach.

 

 


1 Les péricopes de Tazri’a et de Métsor’a forment un seul ensemble, que l’on lit le plus souvent l’une à la suite de l’autre.

2 On a alors toute la vie devant soi.

3 Version du Midrach Téhilim (Matnot Kéouna)

4 Rabbi Yehuda Aryeh Leib Alter (Varsovie 1847 – Gour 1905), le Rabbi de Gour.

5 Selon les sources kabbalistiques (Ets H’aïm).

6  Ce thème, sous les vocables de Néfesh-Rouah’-Néchama, est extrêmement important dans toute la littérature hassidique. Les sciences modernes nous ont permis de mieux percevoir de quoi il s’agit…

7 Rabbi Chmouel Bornsztain (1855 – 1926), Rabbi de la H’assidout de Soh’atchov.

8 Cf. Nah’manide (Iguéret haKodech) entre autres.

9 Selon l’enseignement du Ari Za’’l sur Deutéronome VIII, 3 : ‘’Car ce n’est pas seulement sur le pain que vit l’homme’’ – mais bien sur la parole de Dieu qui se trouve dans ce pain. En ce qu’elle est Création permanente, que l’homme peut ainsi consommer. Idée qui, au fond des choses, est au coeur des lois alimentaires.

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