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Parachat Devarim, Des amis bienveillants

par: Rav Yehiel Klein

publié le Mercredi 22 Juillet 2020

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A – Le calendrier est ainsi fait que la lecture de la parashat Dévarim coïncide toujours avec la semaine dans laquelle se situe le jeûne du 9 Av, commémorant la Destruction du Temple de Jérusalem.

B – Nos Sages semble justifier cette institution, en s’exprimant ainsi dans le Midrash (Eih’a Rabba I, 1) :

« Ils furent trois à prophétiser avec le terme ‘’Eïh’a’’ (איכה) : Moïse, Isaïe et Jérémie.

Moïse dit (Deutéronome I, 12) : ‘’Comment donc supporterais-je seul votre labeur, votre fardeau, et vos contestations ?’’

Isaïe s’exclama (Isaïe I, 21) : ‘’ Ah! Comment est-elle devenue une prostituée, la Cité fidèle ? Jadis pleine de justice, c’était l’asile de la vertu, et maintenant elle est un repaire d’assassins!’’

Jérémy s’ écria (Lamentations I, 1) : ‘’Hélas! Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse! Elle, si puissante parmi les peuples, ressemble à une veuve; elle qui était une souveraine parmi les provinces, a été rendue tributaire!’’

Rabbi Lévi enseignait : cela ressemble à une dame qui avait trois amis intimes : le premier l’a connu lorsqu’elle était à son zénith, le deuxième lorsqu’elle était dévergondée, et le dernier assista à sa déchéance.

Ainsi, Moïse vit Israël au sommet de leur honneur, et s’exclama : ‘’Comment donc supporterais-je seul votre labeur, votre fardeau, et vos contestations ?’’

Isaïe les vit impétueux, et dit : ‘’ Ah! Comment est-elle devenue une prostituée, la Cité fidèle ? etc…’’

Et Jérémie observa leur déchéance, et s’écria : ‘’Hélas! Comme elle est assise solitaire, la cité naguère si populeuse! Etc…’’ »

C – Ces trois étapes de la vie d’une femme n’ont certainement pas été choisis par hasard.

Il s’agit d’un destin tout entier, de la jeunesse où tous les espoirs sont permis, riche du potentiel et des espoirs de cet âge, puis du passage à la maturité où les promesses d’alors doivent se confronter à la réalité, jusqu’à l’issue tragique, où l’on a du mal à se souvenir du début sans avoir mal au cœur.

D – C’est cela que vient mettre en évidence le terme ‘’Eïh’a’’, qui selon le Rada’’k dans le Séfer haChorachim, s’apparente à l’exclamation ‘’Eïh’ ?’’, ‘’Comment ?’’, et vient décrire une situation extraordinaire.

Dans le cadre de notre Midrach, cela signifie que les Prophètes d’Israël, à des périodes différentes, sont ainsi spirituellement sensibilisés à des moments particulièrement remarquables de l’histoire du peuple d’Israël.

De fait, à l’époque de Moïse, les Enfants d’Israël étaient au summum de leurs capacités spirituelles.

A l’époque du prophète Isaïe, les contemporains des descendants du roi David sont depuis plusieurs siècles installés en Israël, jouissent d’un temple miraculeux à Jérusalem – mais malheureusement ils ont perverti ce capital extraordinaire, et l’on peut à juste titre parler de ‘’dérèglement’’, comme le fait le Midrach, puisque les Hébreux d’alors se livraient sans vergogne à l’idolâtrie, au meurtre et à la luxure.

Enfin, Jérémie doit assister à la chute de Jérusalem, et prévenir son souverain que bientôt, le terrible Nabuchodonosaure s’emparera de la Ville Sainte, car il est trop tard…

L’idée exprimée ici pourrait être alors que c’est dans ces occasions précises, où l’on est témoin d’ événements inouïs, que l’on est à même de découvrir la nature profonde de ce que l’on observe.

D –  Le Séfat Emet (année 5640) pour sa part ramène notre Midrach, et permet de jeter une nouvelle lueur sur l’enchaînement des étapes évoquées, ainsi que de rendre encore plus pertinente l’identité des termes utilisés par les prophètes.

Si les trois éminents prophètes peuvent utiliser la même expression, ‘’Eïh’a’’, c’est parce qu’en réalité, il fut question pour eux d’analyser le même phénomène.

Autrement dit, il s’agit de trois étapes d’un même processus.

Dès le départ – dès cette jeunesse flamboyante et pleine d’espoir – étaient déjà présents les traits de caractères qui pouvaient amener à tous les débordements.

Ce sont exactement les mêmes qualités qui prévalent au zénith que celles qui seront à l’œuvre lors du désastre…

E – De quoi peut-il bien s’agir ?

On peut supposer que la réponse se trouve dans le verset du Deutéronome lui-même, et est à chercher à l’aide du Commentaire de Rachi :

אֵיכָה אֶשָּׂא, לְבַדִּי, טָרְחֲכֶם וּמַשַּׂאֲכֶם, וְרִיבְכֶם

’Comment donc supporterais-je seul votre labeur, et votre fardeau, et vos contestations ?’’

Le Maître de Troyes commente à ce sujet :

« Votre charge – cela nous apprend qu’Israël était composé de gens exténuants. Si quelqu’un voyait son adversaire sur le point de gagner son procès, il disait [aux juges] : « J’ai des témoins à citer, j’ai des preuves à administrer, je vais vous adjoindre d’autres juges. »

Et votre fardeau –  cela nous apprend qu’ils étaient hérétiques. Si Moïse sortait de bonne heure [de sa tente], ils disaient : « Pourquoi le fils de ‘Amram sort-il ? Serait-ce parce qu’il n’est pas à l’aise chez lui ? » Tardait-il à sortir ? « Pourquoi le fils de ‘Amram ne sort-il pas ? Qu’en pensez-vous ? Il est assis à manigancer contre vous de sombres desseins et à élaborer des projets contre vous ! »

Et vos contestations – cela nous apprend qu’ils étaient procéduriers »

F – Ainsi, à demi-mots, c’est Moïse lui-même qui nous édifie quant à la situation réelle du Peuple d’Israël : leur zénith spirituel ne doit pas nous cacher qu’ils demeurent d’une certaine manière un ensemble d’individus, et qu’ils vont entre autre profiter de la Loi qui leur a été donnée au Sinaï (précisément des Michpatims, des préceptes qui suivent immédiatement les Dix Commandements, édictés  pour permettre la vie en société, c’est-à-dire à ces individualités de faire Peuple) pour tenter de s’imposer par tous les moyens.

En d’autres termes, c’est bien l’unité du Peuple qui est menacée.

Alors qu’elle nous est présentée dès le départ ( cf. Rachi sur Exode XIX, 2 : « Israël campa [au pied du Sinaï] –  comme un seul homme, d’un seul cœur [d’où l’emploi du singulier], tandis que les autres étapes ont eu lieu dans des récriminations et des querelles ») comme la condition indispensable à la formation du Peuple Hébreu, l’unité de celui-ci en vérité n’a jamais été totalement assurée…

F – Or on sait qu’une des grilles de lecture possible des raisons ayant entraîné la Destruction du Temple telles que nous les dévoile la Guémara de Yoma 9b, est le délitement progressif de l’identité d’Israël comme étant un Peuple uni, que ce soient l’idolâtrie et les unions interdites, le meurtre (égoïsme fondamental de l’homicide), et, évidemment, la haine gratuite…

G – C’est cela qu’ont dû constater à leur grand dam les plus grands Prophètes à travers les siècles, comment est ce que l’unité d’Israël s’est délitée au fur et à mesure du temps, jusqu’à que le Peuple soit méconnaissable…

 


 

 

1 Rabbi David Kimh’i, Narbonne 1160 – 1235, un des plus grands grammairien et exégète du Moyen Age.

2 Cette graphie néanmoins ne peut pas ne pas nous rappeler l’appel du Créateur au Premier Couple pécheur : ‘’Ayéka’’, ‘’Où es-tu ?’’ (Genèse III, 9). Le premier interrogerait la destinée particulière de chaque individu, et son homonyme, les événements que l’on doit toujours interpréter…

3 Cf. Maharal Nétsah’ Israël, ch. 9 ; Séfat Emet Dévarim année 5643, et ‘Akédat Itsh’ak essai 87.

4 Il est vrai que ce Midrach nous donne une impression des Prophètes comme spectateurs…

5 Cf. notre article sur Parachat  Béa’alotéh’a, http://yechiva.com/product/parachat-beaaloteha-eldad-et-meidad-ou-eloge-de-la-marge/

6 Rabbi Yehuda Aryeh Leib Alter (Varsovie 1847 – Gour 1905), le Rabbi de Gour.

7 Cf. Rabbi Tsaddok haCohen, Pri Tsaddik Dévarim 15, et Séfat Emet année 5637.

8 Comparons ce Rachi avec celui qui commente le verset 9, qui est très semblable au notre (v. 12) Une analyse plus large de ce passage mettra en évidence le problème de fond qui est en jeu ici : le conseil de Jéthro (Cf. Exode ch. XVIII), que l’on est contraint de percevoir sous un jour bien moins favorable que ce dont on a l’habitude.

En fait, c’est le problème de la rupture direct du lien entre le maître et les disciples…

9 Exode ch. XXI – XXIV.

10 Méh’ilta.

11 Qui évidemment doit nous faire penser à l’Unicité du Créateur.

12 Cf. notre dernier article : http://yechiva.com/product/pinhas-pretextes/ sur la perception de ces deux fautes comme rupture du lien avec l’Unique…

 

 

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