img-book
Catégories : , ,

Parachat Behar – La Chemita, un repos pour D.ieu ?

par: Micho Klein

Revenir au début
Print Friendly, PDF & Email

A partir d’un enseignement de Rav David Sintzheim (le premier Grand Rabbin de France, il y a deux siècles), je vous propose cette semaine une réflexion sur le Chabbat de la terre.

Introduction

Dans notre sidra sont consignées les règles concernant l’année sabbatique (Chemita), qui sera observée aussitôt après la prise du pays. Celles concernant l’année jubilaire (Yovel) qui, au bout de quarante-neuf ans, entraînera le rachat des propriétés foncières et la libération définitive des esclaves. Et enfin quelques mesures en faveur du pauvre et la défense du prêt à intérêt (Ribit).

Nous nous intéresserons tout particulièrement au commandement de Chemita, dont voici une brève présentation.

Tous les sept ans, la terre d’Israël doit se reposer et être en jachère. Il est interdit à l’agriculteur de planter, de semer ou de labourer et il doit compter sur la générosité du Tout-puissant qui, la sixième année lui assurera une triple récolte pour le soutenir jusqu’à celle de la huitième année. Les produits « spontanés » de la septième année étaient considérées comme la propriété de tous : riches et pauvres, étrangers et esclaves. Une fois les parts distribuées, le restant était abandonné aux serviteurs et aux bêtes sauvages. Cette année là, toutes les dettes étaient remises…

  1)        

Voici comment notre paracha aborde le commandement de Chemita :

וידבר ה׳ אל משה בהר סיני לאמר.

דבר אל בני ישראל ואמרת אלהם כי תבאו אל הארץ אשר אני נתן לכם ושבתה הארץ שבת לה׳.

Et Dieu a parlé à Moïse à la montagne du Sinaï en disant :

Parle aux fils d’Israël et tu leur diras : quand vous viendrez dans la terre que moi je vous donne, la terre se reposera un Chabbat pour Dieu. (Levitique 25, 1-2)

Commentaire de Rachi :

שבת לה׳. לשם ה׳ כשם שנאמר בשבת בראשית

Un Chabbat pour dieu : En l’honneur de Dieu, ainsi qu’il est dit à propos du Chabbat de la Création (NdA : c’est-à-dire à propos du Chabbat hebdomadaire, lui-même en souvenir du Chabbat de la Création).

Rachi, à qui le Sifra sert de base, note donc une similitude de langage entre les versets concernant ces deux sujets. Mais il est légitime de se demander, au-delà des termes et au-delà du chiffre sept, quelle corrélation existe entre la Chemita et le Chabbat. Qu’est-ce que Rachi a vraiment voulu dire ?

2)

 

ואתה שכב על צדך השמאלי ושמת את עון בית ישראל עליו מספר הימים אשר תשכב עליו תשא את עונם.

ואני נתתי לך את שני עונם למספר ימים שלש מאות ותשעים יום ונשאת עון בית ישראל.

וכלית את אלה ושכבת על צדך הימיני שנית ונשאת את עון בית יהודה ארבעים יום יום לשנה יום לשנה נתתיו לך.

Et toi, couche-toi sur le côté gauche, et tu y placeras l’iniquité de la maison d’Israël ; pendant le nombre de jours où tu seras couché sur ce côté, tu porteras leur iniquité.

Et moi je te compte en jours les années de leur iniquité, trois cent quatre-vingt-dix jours, et ainsi tu porteras l’iniquité de la maison d’Israël.

Quand tu les auras accomplis, tu te coucheras – en second lieu – sur le côté droit et tu porteras le pêché de la maison de Juda pendant quarante jours ; c’est jour pour année, jour pour année que je te l’impose. (Ezéchiel 4, 4-6)

Nous comprenons que les deux sanctions infligées au prophète sont en relation avec les fautes commises par les deux « moitiés » du peuple de Judée (Israël et  Juda), à qui on reproche de ne pas avoir observé le commandement de l’année sabbatique depuis leur entrée en terre d’Israël jusqu’à l’exil des dix tribus. (D’après Rachi)

En relation avec ces versets d’Ezéchiel, la Guemara (Sanhedrin 39a) nous conte l’histoire suivante :

 Un incroyant a dit un jour à Rabbi Abbahou : votre Dieu est un plaisantin : il a dit à Ezéchiel « couche-toi sur le côté gauche », et puis : « couche-toi sur le côté droit ». [Sur ces entrefaites], un disciple est venu et a demandé : quel est le motif de l’année sabbatique ? Le Maître a dit alors : maintenant je vais vous dire une chose qui vous donnera satisfaction à tous les deux. Dieu a dit à Israël : « ensemencez [votre terre] six [années], et laissez-là au repos la septième, afin que vous sachiez que la terre est à Moi. Et eux ne l’ont pas fait, mais ils ont pêché et ils ont été exilés. Selon la règle en usage dans le monde, un roi de chair et de sang contre qui le royaume s’est révolté, s’il est cruel, il les tuera tous. S’il est clément, il ne tuera que la moitié de ses sujets. S’il est rempli de miséricorde, il n’en châtiera que les personnages les plus importants. De même Dieu a châtié Ezéchiel, afin d’effacer les fautes d’Israël.

 Plusieurs questions se posent :

Si l’hérétique connaît le début du verset, il en connaît aussi la fin – qui contient la réponse à sa question. Pourquoi alors la poser ?

Que signifie cette intervention impromptue de l’élève qui vient demander la raison du commandement de Chemita ?

Pourquoi Rabbi Abbahou dit-il : « Je vais vous dire une chose qui vous donnera satisfaction à tous les deux », alors qu’il donne en réalité une réponse distincte à chacun ? A l’élève il répond que Dieu a ordonné la Chemita afin que nous sachions que la terre est à lui. À l’incroyant il oppose la parabole du roi de chair et de sang ?

 

3)

Peut-être est-il possible de répondre à ces questions grâce aux commentaires de deux des élèves de Rabbi Yossef Caro : Rabbi Yossef Mitrani, le Ma’arit (Tsafnat panéa’h) et Rabbi Chemouel Laniado (Keli ‘Hemda), sur ce verset de la paracha Be’houkotaï.

 

כל ימי השמה תשבת את אשר לא שבתה בשבתתיכם בשבתכם עליה.

Tous les jours de sa désolation, elle (la terre) chômera pour ce qu’elle n’aura pas chômé dans vos années sabbatiques, alors que vous l’habitiez. (Levitique 26, 35)

Les soixante-dix années de l’exil de Babylone, dont il s’agit ici, correspondent aux soixante-dix années de Chemita et de Yovel (jubilé) qui auraient du être observées au long des quatre cent trente années – depuis leur entrée en terre d’Israël jusqu’à la destruction de Jérusalem – pendant lesquelles ils ont irrité Dieu en n’observant pas le repos de la terre. (D’après Rachi)

Commentaire des rabbins précités :

Le mot « בשבתתיכם », « dans vos années sabbatiques », apparaît comme superflu.

Or, il semblerait que la terre se soit en réalité effectivement reposée plusieurs années. Car – comme le dit le Talmud à plusieurs reprises – les agriculteurs ont pour habitude de laisser la terre en jachère une année entière, afin qu’elle y gagne en vigueur. Pourquoi alors ces années ne compte-elles pas comme années de Chemita ?

Seulement, eux ont laissé se reposer la terre à leur convenance, les années qui les arrangeaient. Et, d’après la raison au commandement de Chemita invoquée par le verset et rappelée par Rabbi Abbahou dans la Guemara, « afin que vous sachiez que la terre est à Moi », malgré le fait que la terre se reposa en effet, il est impossible que les années où elle le fit comptent comme années où fut respectée la Chemita.

C’est ce que le verset nous signifie en employant les termes « בשבתתיכם », « dans vos années sabbatiques » : les années de repos « dans vos années sabbatiques » ne s’appellent pas véritablement « repos » et seules les années de repos effectuées en leurs temps, au nom du commandement divin, peuvent prétendre au statut d’années de Chemita !

Nous comprenons maintenant la question de l’hérétique. Bien entendu il connaissait les versets dans leurs globalité, mais lui pensait qu’un motif « scientifique » sous tendait le commandement de Chemita : pour que la terre se renforce. Il est donc logique qu’il ne comprît pas le sort réservé au prophète Ezéchiel. Pourquoi tant de jours ? Un certain nombre d’années, où un repos de la terre a été respecté, devraient être décomptées ?

Arrive alors tout à fait à propos la question de l’élève, grâce à laquelle sera induite la réponse « afin que vous sachiez que la terre est à Moi » qui servira également de réponse à l’incroyant.

C’est donc bien une seule et unique parole qui donne satisfaction à nos deux protagonistes : En donnant au disciple comme raison pour laquelle a été ordonné le commandement de Chemita : « afin que vous sachiez que la terre est à Moi », il affirme par là même à l’hérétique que seules comptent les années où le repos de la terre a été respecté de la manière voulue par Dieu. Le châtiment réservé au prophète est donc juste !

Rabbi Abbahou rapporte ensuite, de son propre chef, la parabole du roi, pour expliquer pourquoi Ezéchiel fut puni.

 

4)

Une autre démarche s’offre à nous pour résoudre les questions précédemment posées sur le passage du traité Sanhédrin.

« Ils se tinrent dessous la montagne » (Exode 19,  17). Rabbi Avdimi fils de ‘Hama fils de ‘Hassa dit : le texte nous enseigne que Dieu renversa sur eux la montagne comme une cuve et leur dit : Si vous acceptez la Torah, c’est bien, sinon, là sera votre sépulture. Rav A’ha bar Yaakov dit : C’est une communication importante concernant la Torah ! (Chabbat : 88a)

Une communication importante : Si Dieu nous cite en justice, nous accusant de ne pas avoir réalisé notre engagement, on répondrait qu’il fut pris sous la contrainte. (Rachi)

Les commentateurs demandent : Pourquoi alors Israël fut-il puni par l’exil ?

Le Ramban répond (Hidouché Haramban sur Chabbat 88a) : Concernant la terre d’Israël, l’argument ne tient pas car la terre d’Israël ne leur a été donnée qu’à condition d’y accomplir les commandements divins, comme il est dit dans les Psaumes : « Et il leur a donné les terres des nations et le labeur d’autres peuples en héritage. Afin qu’ils gardent ses lois et qu’ils préservent ses enseignements. Alléluia ». (Psaumes 105, 44-45)

Nous savons également ce qu’a enseigné Rachi dans son tout premier commentaire sur la Torah : Puisque c’est Dieu qui a créé le monde, la terre lui appartient et il lui échoie donc de la donner à qui bon lui semble.

Si les Juifs avait eu cette conscience – que toute la terre est la propriété de Dieu et qu’il ne leur a donné la terre d’Israël qu’à condition qu’ils gardent la Torah –, alors ils auraient su qu’il était vain d’arguer : « mais nous avons été contraints d’accepter la Torah ».

Seulement, ils pensaient  que la terre, une fois donnée, leur appartenait, et que donc nul besoin de respecter la Thora, elle qui leur fut imposée.

Voilà pourquoi Dieu institua la Chemita, pour qu’ils sachent que la terre est à Lui. Ainsi toute réclamation liée à la « contrainte » devient irrecevable !

Nous comprenons maintenant – dans cette seconde démarche – que la question de l’hérétique, qui connaît les versets, fut en fait celle que posent tous le commentateurs : pourquoi punir un peuple qui peut se prévaloir d’une excellente ligne de défense – la « contrainte » ? Survient alors l’élève, qui lui signifie qu’au titre du motif du commandement de Chemita, il leur était impossible de faire jouer une telle argumentation.

 

5)

Rappelons-nous les paroles de Rachi : « ainsi qu’il est dit à propos du Chabbat de la Création ».

De la même manière que le Chabbat hebdomadaire fut instauré pour témoigner de la Création et que, comme nous l’avons rapporté au nom de Rachi, puisque c’est Dieu qui a créé le monde alors la terre lui appartient, ainsi la Chemita témoigne elle aussi que la terre est sa propriété et que nous ne pouvons pas réclamer : « mais nous avons été contraints », sous prétexte que la montagne du Sinaï nous fut renversé dessus comme une cuve…

 

Conclusion

 Le Hatam Sofer – qui rendit à Rabbi David Sintzheim un hommage exceptionnel dans l’oraison funèbre qu’il lui consacra – nous dit la chose suivante :

Le commandement de Chemita est la preuve irréfutable que la Torah fut révélée par Dieu au Sinaï et ne fut pas « inventée » par Moïse lui-même. En effet, nul être humain n’est en mesure de donner la garantie d’octroyer, dans la sixième année, une récolte pour trois ans. Seul une intervention providentielle peut réaliser une telle promesse.

Il ressort de notre étude que la Chemita est tout d’abord caractérisée par un Chabbat en faveur de l’Eternel. L’idée qui se manifeste à travers cette institution, nous dit le rabbin Elie Munk, est immédiatement perceptible : c’est l’hommage de la nation qui remet le sol national à Celui dont elle le détient. Elle exprime ainsi la conviction que la terre nationale ne peut devenir propriété complète du peuple que dans la mesure où Dieu la lui accorde.

Le Chabbat de la semaine et l’année sabbatique se situent sur le même plan ; dans les deux circonstances se reflète la conception éminemment juive de Dieu, Créateur et Maître absolu de toute création : Dieu n’est pas seulement à l’origine de toutes choses, mais il en reste le seul propriétaire. Lui remettre notre œuvre de la semaine, ou nos produits de l’année, signifie Sa reconnaissance  comme véritable chef, qui détient seul tout pouvoir productif et qui est la seule source de bénédictions.

 

 Chabbat Chalom / Gout Chabbes à toutes et à tous.

 

 

Micho KLEIN

 

________________________________________________________________________________

 

*  Joseph David Sintzheim [1745 (Trèves) ? –1812 (Paris)], Premier Grand rabbin de Strasbourg, Président du Sanhédrin sous Napoléon 1er, Premier Grand Rabbin de France.

Voir l'auteur
avatar-author
Enseignant à la Yéchiva des Etudiants Psychanalyste et talmudiste, Micho a été formé à l'ecole de la rue Pavée puis aux Yechivot des Étudiants de Strasbourg et Paris. Il enseigne auprès de Gérard Zyzek depuis une quinzaine d'années. Spécialiste du commentaire de Rachi sur la Torah, il a écrit de nombreux articles et donne régulièrement des conférences à travers la France.

“Parachat Behar – La Chemita, un repos pour D.ieu ?”

Il n'y a pas encore de commentaire.