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Les huit derniers versets de la Torah

par: D. Scetbon

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La Guemara, dans le traité Baba Batra 15a (un texte similaire se situe dans le traité Menahot 30a) aborde le sujet suivant. Dans les huit derniers versets de la Torah, sont relatés les derniers instants de vie de Moché et sa disparition de ce monde. Il Il existe une divergence dans la Guemara quant à savoir qui a porté par écrit ces versets. La difficulté est évidente : si Moché a écrit tout le texte de la Torah sous la dictée divine, il n’a forcément pas été en mesure d’évoquer sa propre mort.

Un premier avis soutient que cette partie du texte a été « rédigée » par Yehochoua, toujours sous la dictée d’Hachem, l’élève relayant le maître décédé. Un second avis énonce que Moché, prophétisant sa propre fin, a malgré tout écrit ce texte, mais en larmes (ou avec pour encre ses larmes comme le lisent certains commentateurs). Ce texte, de nature aggadique, extrêmement célèbre a été très commenté par les différents maîtres de la tradition (en particulier le Maharal de Prague). Mais la suite en est souvent omise. C’est ce point, en particulier, que nous souhaitions analyser.

« Les huit derniers versets de la Torah, c’est un seul qui doit les lire », nous dit la suite du texte, et la Guemara de conclure que cette règle est également valable pour celui qui considère que ces versets ont été mis par écrit par Moché.

Nous entrons cette fois dans le strict domaine de la halakha, autrement dit ce texte franchement homélitique prend tout-à-coup une tournure normative. Que signifie cette règle ? Cela fait l’objet d’un débat dans les Richonim.

Tosfot, sur place, au nom de Rabenou Tam explique ces mots ainsi : lors de la lecture publique de ces versets, ces derniers ne doivent pas être répartis entre deux lecteurs distincts mais plutôt être lus par une seule et même personne. Cette lecture ne doit pas souffrir d’interruption, mais être réalisée d’un seul trait. Tosfot lit donc le texte de la Guemara en comprenant les termes « un seul » comme signifiant « un seul mais pas deux ». Cette première lecture peut de prime abord paraître évidente, mais d’autres Richonim proposent des approches très différentes.

Le Ri Migach (rapporté dans le Chita mekoubetset) en propose deux autres. Dans une première option, le texte exigerait de faire monter à la Torah un nouveau lecteur qui serait chargé de lire uniquement ces huit versets « de façon à ce qu’il soit reconnu qu’ils n’ont pas été écrits par Moché mais par Yehochoua ».

La seconde lecture est radicalement opposée : « un seul doit les lire » veut dire qu’il ne doit pas y avoir d’interruption, entre la lecture des versets précédents et les huit versets de sorte qu’ « il ne soit pas perceptible que c’est Yehochoua qui les a écrits ».

Rambam (Hilkhot Tefila, Perek 13, Halakha 6) tranche d’une toute autre manière. Pour lui, le texte doit être compris comme « même un individu [seul] peut les lire ». En d’autres termes, la lecture publique de ce passage ne requiert pas le quorum de dix, habituellement exigé pour pouvoir prononcer les bénédictions sur la Torah.

Il ajoute « bien que tout soit Torah, et de la bouche de Moché [prise à celle] et de celle d’Hachem, du fait que leur sens est qu’ils ont été écrits après le décès de Moché, ils ont été différenciés, c’est pourquoi un individu même seul peut les lire ».

Enfin, le Mordekhi apporte également une autre lecture forte. Pour lui, ce n’est pas « un seul » qu’il faut comprendre, mais bien « l’unique », à savoir l’érudit en Torah, le Talmid Hakham. Seul celui-ci est autorisé à lire ce texte en public.

Le Choulkhan Aroukh (O.H. Chap. 628, Par. 7) tranche de la manière suivante : « Les huit derniers versets de la Torah on ne s’y interrompt pas, mais un seul les lit tous ».

Il est intéressant de noter que le Rama (O.H. 669) cite notre sujet comme source fondamentale de la coutume dite du Hatan Torah lors de la fête de Simhat Torah. Une personne de l’assemblée étant désignée pour lire tout particulièrement ces mêmes textes.

Il rapporte également (sans trancher ainsi) un usage consistant à faire monter à la Torah, pour lire ces mêmes versets, uniquement un érudit. Cette coutume prend sa source dans l’avis du Mordekhi cité plus haut.

Pour synthétiser, il parait utile de s’interroger sur la nature même de la lecture publique de la Torah. La lecture du Chabbat est une institution que nous devons à Moché lui-même (Rambam, Hil. Tefila, Chap. 12 sur la base du traité Baba kama 82b). Certains Richonim, mais également un texte du Zohar (Parchat Vayakhel p. 206a), voient cette lecture comme une sorte de « kabalat hatora », une réception de la Torah chaque fois renouvelée.

L’enjeu de fond de notre texte serait donc : de quelle manière devons nous recevoir ce passage un peu particulier de la Torah ?

Pour certains Richonim (Ri migach, Rambam) ce texte doit être comme mis en exergue et distingué du reste de la Torah.

Pour d’autres (2ème lecture du Ri migach), c’est le contraire, ce passage doit être perçu comme ne se distinguant en rien d’autres versets de la Torah et doit être transmis comme tel.

Pour certains commentateurs (Mordekhi), enfin, ce passage ne peut être rendu dans ses particularités sans craindre d’en trahir le contenu, que s’il est dit par un sage en Torah.

Si le Choulkhan Aroukh ne retient en définitive qu’une seule opinion, il n’en reste pas moins que la grande diversité des opinions des Richonim confère un éclairage particulier à ce texte, et ce dans le cadre d’une analyse strictement halakhique.

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