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Le ‘hessed, enjeu de notre survie

par: Raphaël Bloch

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Shemot, chapitre II, verset 4 : « et sa sœur se tenait debout, de loin, pour savoir ce qu’on allait lui faire.

Shemot, chapitre II, verset 4 : « et sa sœur se tenait debout, de loin, pour savoir ce qu’on allait lui faire. »

Lorsque la mère de Moshé le mit à l’eau, ne parvenant plus à le dissimuler, Myriam restait dans l’expectative.
Dans le traité Meguila 14a, à propos du verset (Shemot, XV, 20) : « Et Myriam la prophétesse, sœur d’Aharon, prit le tambourin dans sa main » (juste après la traversée de la Mer Rouge), la question est posée : Myriam n’était-elle pas également la sœur de Moshé ? Rav Na’hman au nom de Rav dit : elle prophétisait déjà quand elle n’était que la sœur d’Aharon (avant la naissance de Moshé), elle disait : « ma mère va donner naissance à un fils qui sera le sauveur d’Israël ». Lorsque la maison se remplit de lumière (à la naissance de Moshé), son père l’embrassa sur la tête en lui disant : « ta prophétie s’est accomplie, ma fille. » Mais lorsque sa mère le jeta à l’eau, son père la frappa sur la tête en lui disant : « où est passée ta prophétie ? » C’est cela même qui est écrit : « elle se tenait de loin pour savoir ce qu’on allait lui faire. »

La Guemara dans le traité Sota 12a va jusqu’à attribuer à Myriam la naissance de Moshé. Lorsque Pharaon décréta de jeter à l’eau tous les enfants mâles, le père de Moshé s’était séparé de sa femme, et c’est Myriam qui l’incita à la reprendre, en lui disant : « tu es pire que Pharaon, lui n’a décrété que sur les garçons, et toi tu as décrété sur les garçons et les filles. »

Le Maharal demande : pourquoi est-ce Myriam la prophétesse, et non Aharon ? Et de répondre : la délivrance allait être accomplie par Moshé et Aharon réunis, et le prophète ne révèle que des choses qui ne le concernent pas personnellement, il était donc cohérent que Myriam prophétise sur Aharon et Moshé.

Nous allons essayer de proposer une autre explication.

La Guemara dans le traité Taanit 9a enseigne que le puits qui suivait les enfants d’Israël dans le désert était là par le mérite de Myriam, les nuées par le mérite d’Aharon et la manne par le mérite de Moshé. Les commentateurs font le rapprochement avec la Mishna dans le traité Avot (chapitre I, Mishna 2) : « Shimon Hatzadik disait : sur trois choses le monde tient, sur la Torah, sur le service du Temple et sur la bienfaisance. » Moshé représente le pilier de la Torah, Aharon le pilier du service du Temple, et Myriam celui de la bienfaisance. La source de cette explication, concernant Myriam, serait le verset suivant (Shemot, I, 17) : « les femmes ne firent pas ce que leur avait dit Pharaon, et elles firent vivre les enfants. » Ainsi que l’explique la Guemara Sota 11a, rapportée par Rashi, elles leur fournissaient de l’eau et de la nourriture. Elles ne se contentèrent pas de leur laisser la vie sauve, mais elles les assistaient dans leur développement. Or nous savons que l’une des sages-femmes était Myriam, qui personnalise donc la bienfaisance, le ‘hessed.

A propos de ‘hessed, la Guemara Pessa’him 118a enseigne au nom de Rabbi Yehoshoua Ben Levi : ces 26 versets (du psaume 136) qui se terminent invariablement par les mots « (remerciez D.) car sa bonté est éternelle », à quoi correspondent-ils ? Aux 26 générations (de la création du monde jusqu’au don de la Torah) que D. a créées dans Son monde à qui Il n’a pas donné la Torah et qu’il a nourries par bonté.

Le ‘hessed ne consiste pas seulement à donner parce que c’est justifié. C’est également accorder la vie jusqu’à l’émergence d’une justification. C’est l’espoir que survienne un sens à ce que nous vivons. C’est ainsi que D. a créé le monde, c’est ainsi que nous devons nous comporter en calquant notre démarche sur celle de D.

Lors de la création du monde, la Torah dit (Bereshit, I, 9) : « Et D. dit : que se rassemblent les eaux qui sont en dessous du ciel vers un seul endroit et qu’apparaisse la terre sèche, et ce fut ainsi. »
Le terme utilisé pour « se rassemblent » est « yikavou », le Midrash Rabba donne deux autres sens à ce mot : « kav » qui signifie « ligne », pour exprimer la limite posée par D. aux eaux, ou bien « tikva » qui peut se traduire par « attente », « espoir ».

Le Midrash illustre cela par une parabole : un roi avait construit un palais et y avait installé des habitants muets. Tous les matins, ceux-ci le saluaient en faisant des signes avec leurs doigts ou leurs chapeaux. Le roi se fit alors cette réflexion : si seulement j’avais installés des gens capables de parler, à plus forte raison m’auraient-ils honoré. Aussitôt dit, aussitôt fait. Qu’arriva-t-il alors ? Les nouveaux arrivés s’emparèrent du palais et déclarèrent : ce palais n’appartient pas au roi, c’est le nôtre ! Le roi décida alors que le palais redevienne comme il était.
Ainsi, dit le Midrash, en a-t-il été pour la création du monde. Au début, la louange de D. montait des eaux. D. dit : si cet élément qui n’a ni bouche, ni langue, Me loue, à plus forte raison ce sera le cas pour l’homme. La génération du déluge est venue et s’est rebellée, puis la génération d’Enosh est venue et s’est rebellée, puis la génération de la Tour de Babel est venue et s’est rebellée. Alors D. dit : qu’ils s’en aillent, et qu’ils laissent la place à ceux qui étaient installés avant eux.

En faisant surgir la terre, D. donne à l’homme une potentialité de vivre. Tant que l’homme ne réalise pas le projet divin inscrit dans la Torah, la menace des eaux perdure. Mais, à moins que l’homme ne se rebelle, le ‘hessed de D. consiste à juguler les eaux jusqu’à l’émergence d’un être accompli. C’est sur le modèle de ce ‘hessed que Myriam prophétise la venue de Moshé, qu’elle résiste au décret de Pharaon et qu’elle encourage son père à procréer même si les garçons sont noyés. C’est dans le même esprit que D. accorde un sursis de 120 ans à la génération du déluge avant de les noyer. Par le mérite de Moshé qui va vivre 120 ans, dont le nom signifie « tiré des eaux ».

Ainsi peut-on comprendre pourquoi c’est Myriam, associée au ‘hessed, qui prophétise la venue de Moshé et qui chante après lui la Shira, lorsque les eaux de la Mer Rouge se fendent pour laisser passer les enfants d’Israël.

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