Début du livre de Chemot. De quoi sommes-nous le Nom ? Par F. M.
Nous avons commencé la semaine dernière la Parachat Chemot, l’ouverture d’une nouvelle ère dans l’histoire des enfants d’Israël. L’Egypte, cette terre qui a permis à Joseph de se hisser au plus proche de Pharaon et devenir son conseiller, vice-roi d’Egypte ! Lui, dont l’histoire commença bien mal : chassé et vendu par ses frères, croupissant dans les cellules de Pharaon. Autant dire qu’il n’était personne ! Le voici devenu vice-roi ! Ses conseils furent pour le moins précieux pour Pharaon et l’Egypte toute entière doit à Joseph de ne pas avoir sombré dans les heures les plus sombres de son histoire par une famine dévastatrice. Personne dans tout le royaume d’Egypte, malgré leurs sciences élevées, n’avait réussi à interpréter correctement ce que Pharaon prophétisait. Certes, il prophétisait mais il ne possédait pas les clés de ses prophéties.
Qui était le seul à pouvoir interpréter les rêves de Pharaon ? Joseph, l’héritier direct de Jacob et des Avot par leur expérience de la Présence Divine qu’ils transmettent à leurs descendances. Cette lignée dont le rêve est à la source ! Le rêve dans lequel l’expression divine s’invite pour délivrer ses messages. Un rêve prophétique qui se transmet à travers les générations. Cette expérience, les Avot en ont fait leur science propre. Décodé le message divin pour le rendre concret dans le monde. La prophétie est leur science. Ainsi, le don de Joseph pour interpréter les rêves, lui a permis de se faire un Nom en Egypte dans les plus hautes sphères du pouvoir. Cette terre sur laquelle il peut désormais retrouver ses frères et leurs familles pour qu’ils s’y installent, prospèrent et se multiplient. Une terre de paix :
« Toutes les personnes issues du flanc de Jacob étaient soixante-dix âmes et Joseph était en Egypte »
« Joseph mourut ainsi que tous ses frères et toute cette génération. Et les enfants d’Israël fructifièrent, pullulèrent, se multiplièrent et se fortifièrent prodigieusement et le pays en fut rempli »
L’Egypte, cet Eldorado ! On peut y être étranger, esclave, prisonnier et devenir vice-roi ! Une terre hospitalière sur laquelle on peut y prospérer. Les enfants de Jacob s’y sont installés, « chacun avec sa maisonnée ». L’Egypte, à ce moment de l’histoire, est cette terre qui permet de s’y retrouver et mourir en paix en voyant la nouvelle génération se développer ‘’prodigieusement’’.
« Un nouveau roi se leva sur l’Egypte, qui ne connaissait pas Joseph.
Il dit à son peuple : ‘’Voici, le peuple des enfants d’Israël est plus nombreux et puissant que nous.
Allons, usons de sagesse envers lui, de peur qu’il ne s’accroisse et il se pourrait, si une guerre survenait, qu’il se joigne lui aussi à nos ennemis et nous combatte, et sorte du pays »
Comment expliquer ce revirement de situation? D’une terre d’accueil, l’Egypte devient une terre d’asservissement et d’esclavage. Mettons de côté l’aspect historique de cette succession de pouvoir entre deux Pharaons pour nous concentrer sur ce que les versets nous disent :
« Un nouveau roi se leva sur l’Egypte, qui ne connaissait pas Joseph. » Pourtant Joseph était devenu un homme illustre en Egypte, comment ce nouveau roi ne pouvait pas connaitre Joseph et les bienfaits qu’il avait apportés à l’Egypte ? Bien qu’il y ait plusieurs éléments de réponses à cette question, un point est marquant : la rupture. Il y a absence de transmission. D’un roi, l’autre. Chaque roi n’a qu’un but, assoir son pouvoir et imposer son règne sans s’inscrire dans une continuité, une mémoire. Sans doute, cela est-il représentatif de la conception qu’on les Hakhamim à propos de l’Egypte :
« Il n’y a pas de père pour l’Egyptien »
Comprenons par là, qu’il n’y a pas de mémoire, de transmission pour l’Egyptien. Ils ne sont que les sujets de la volonté de Pharaon. Quand bien-même les pères seraient des géniteurs, la fonction de père est absente. Le seul pouvoir est à Pharaon. Son règne ne permet pas la réalisation des volontés individuelles propres à chacun. La rupture est de ce fait d’ordre spirituel : D’une part, les enfants d’Israël, dont la singularité est la transmission d’une mémoire jusqu’alors individuel, de père à enfant, pour devenir une réalité collective en Egypte. D’autre part, l’Egypte qui représente ce foyer de modernité mais dont le Père est absent de la société.
« Et voici les noms des fils d’Israël qui vinrent en Mitsraïm ;
avec Yaacov, chacun vint accompagné de sa maison »
Rav S.R. Hirsch rapporte à propos de ‘’avec Yaacov’’ :
« Cet esprit de famille que chaque fils édifie en tant que rameau issu de la maison paternelle, que chaque père voit survivre en ses enfants et ses petits-enfants, et qui unit pour toujours les parents aux enfants ainsi que les enfants aux parents, cet esprit constitue la racine de l’éternelle floraison d’Israël. C’est là le secret du peuple juif. »
Ainsi, le secret du peuple juif réside alors dans sa transmission au sein de la cellule familiale, chose qui était étrangère aux Egyptiens ! Sans doute est-ce la principale haine à l’encontre d’Israël : là où les Nations cherchent à former des sujets qui servent leurs intérêts propres, la vocation d’Israël est d’apprendre à être père.
L’Egypte, comme la Grèce ou Rome qui représentent la puissance militaire et intellectuelle, ont ce point commun d’avoir voulu détruire Israël. Ces empires qui ont atteint cette forme d’excellence et dont le savoir a rayonné à travers le monde n’ont pas cherché à détruire Israël pour des raisons « antisémites » mais bien parce qu’Israël apporte au monde une question difficile qui selon leur conception est insupportable : Qu’est-ce qu’être Père ? Certes, cette question se pose pour tout individu, toute société et chacun tente d’y répondre selon ses propres projections, mais la particularité du Judaïsme tient dans la transmission de cette question.
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