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L’arche perdue

par: Franck Benhamou

Publié le 24 Février 2023

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Rambam. Michne Torah Beth habéhira 4.1

אֶבֶן הָיְתָה בְּקֹדֶשׁ הַקָּדָשִׁים בְּמַעֲרָבוֹ שֶׁעָלֶיהָ הָיָה הָאָרוֹן מֻנָּח. וּלְפָנָיו צִנְצֶנֶת הַמָּן וּמַטֵּה אַהֲרֹן. וּבְעֵת שֶׁבָּנָה שְׁלֹמֹה אֶת הַבַּיִת וְיָדַע שֶׁסּוֹפוֹ לֵחָרֵב בָּנָה בּוֹ מָקוֹם לִגְנֹז בּוֹ הָאָרוֹן לְמַטָּה בְּמַטְמוֹנִיּוֹת עֲמֻקוֹת וַעֲקַלְקַלּוֹת וְיֹאשִׁיָּהוּ הַמֶּלֶךְ צִוָּה וּגְנָזוֹ בַּמָּקוֹם שֶׁבָּנָה שְׁלֹמֹה שֶׁנֶּאֱמַר (דברי הימים ב לה ג) « וַיֹּאמֶר לַלְוִיִּם הַמְּבִינִים לְכָל יִשְׂרָאֵל הַקְּדוֹשִׁים לַה’ תְּנוּ אֶת אֲרוֹן הַקֹּדֶשׁ בַּבַּיִת אֲשֶׁר בָּנָה שְׁלֹמֹה בֶן דָּוִיד מֶלֶךְ יִשְׂרָאֵל אֵין לָכֶם מַשָּׂא בַּכָּתֵף עַתָּה עִבְדוּ אֶת ה’ אֱלֹהֵיכֶם » וְגוֹ’. וְנִגְנַז עִמּוֹ מַטֵּה אַהֲרֹן וְהַצִּנְצֶנֶת וְשֶׁמֶן הַמִּשְׁחָה וְכָל אֵלּוּ לֹא חָזְרוּ בְּבַיִת שֵׁנִי. וְאַף אוּרִים וְתֻמִּים שֶׁהָיוּ בְּבַיִת שֵׁנִי לֹא הָיוּ מְשִׁיבִין בְּרוּחַ הַקֹּדֶשׁ. וְלֹא הָיוּ נִשְׁאָלִין בָּהֶן שֶׁנֶּאֱמַר (עזרא ב סג) (נחמיה ז סה) « עַד עֲמֹד כֹּהֵן לְאוּרִים וְתֻמִּים ». וְלֹא הָיוּ עוֹשִׂין אוֹתָן אֶלָּא לְהַשְׁלִים שְׁמוֹנָה בְּגָדִים לְכֹהֵן גָּדוֹל כְּדֵי שֶׁלֹּא יְהֵא מְחֻסַּר בְּגָדִים:

Il y avait une pierre dans le saint des saints, à son ouest, sur laquelle était disposée l’arche (le tabernacle); devant il y avait une fiole de manne, ainsi que le bâton d’Aaron [qui avait été fleuri miraculeusement pour montrer à tous que sa tribu avait été choisie pour la prêtrise]. Lorsque Salomon construisit la Maison [= le premier  Temple [1]], sachant qu’il sera détruit, il y bâtit un endroit pour enterrer l’arche, profondément cachée, tortueusement. Josias le roi ordonna de l’y enterrer ; comme le dit le verset : Il dit aux Lévites qui enseignaient à tout Israël et qui étaient consacrés à l’Eternel: « Mettez l’arche sainte dans le temple qu’a construit Salomon, fils de David, roi d’Israël; vous n’avez plus à la porter sur l’épaule. A présent, servez l’Eternel, votre Dieu, et son peuple Israël » (Chronique 2 chapitre 35 verset 2-3) ; l’arche fut enterrée avec le bâton d’Aaron, la fiole de manne, l’huile d’onction ; ces objets n’ont pas été replacées dans la seconde Maison [le deuxième Temple].

Interrogeons systématiquement ce texte : il est inséré dans le quatrième chapitre des lois relatives à la maison d’Election [2]. Ceci est la première « loi ». La simple présence de ce texte historique doit questionner : le Michné Torah est une livre de lois, et pas d’histoire. Quel est l‘intérêt de ce texte narratif ? Pourquoi parler de la « pierre » ? Quelle est la nécessité d’insister sur le fait que la cachette était si profondément enfouie ? Pourquoi Josias va-t-il enterrer l’arche alors que rien ne l’y obligeait ? En quoi était-il nécessaire de citer le verset des chroniques dans son intégralité ?  Que sert-il de savoir que les prêtres ne portaient plus l‘arche sur l’épaule ? On parle du bâton d’Aaron, de la fiole et sans prétexte Maïmonide y ajoute subrepticement l’huile d’onction : pourquoi ? que vient-on rajouter en disant que « ces choses n’ont pas été replacées dans la seconde Maison » ?

Commençons par les histoires. Josias était un roi juste, issu d’un père profondément impie. On pourra lire l’essentiel de l’histoire dans les chapitres 33 à 36 des chroniques II. Son fils sera aussi totalement impie. A l’époque les dix tribus ont déjà été exilées, seul demeure le royaume de Juda. Josias forme une sorte d’époque  de grâce, où la Maison est vidée de ses idoles, le « culte » [3] [= le travail, en hébreu] rétabli. Le verset des chroniques (« Mettez l’arche sainte dans le temple ») semble dire qu’on assiste au rétablissement de l’arche qui est réintégrée dans le Saint des saints. Or Maïmonide fait dire à ce verset que l’on cacha l’arche ! Comment comprendre cela ?  Lorsqu’il commente ce verset, Rachi distingue deux niveaux de lecture : le sens obvie vient effectivement dire que l’on remit l’arche qui avait été déplacée par le père de Josias, mais un second niveau interprétatif viendrait dire qu’on cacha l’arche. Le second niveau interprétatif n’est pas surajouté au texte, il est sollicité par le texte, et vient généralement le compléter. En l’occurrence, une grande partie du verset est inutile : qui ne sait que la Maison fut construite par Salomon ? Or le verset dit « Mettez l’arche sainte dans le temple qu’a construit Salomon, fils de David, roi d’Israël ». Ces quelques mots incitent à chercher une autre histoire, une contre-histoire au sens précis du terme :  celle de la Maison bâtie par Salomon, roi d’Israël, fils de David.  Ralbag fait remarquer qu’à aucun moment on ne raconte que les rois de Babel ne prirent l’arche. Comment se fait-il qu’elle ne fut pas prise ? L’autre histoire racontée ne doit pas dire tout autre chose que le verset : elle doit au contraire l’approfondir.

Cette seconde lecture nous est en réalité donnée par la Gmara, en plusieurs endroits. En Youma 52b, il est dit :

וְהָתַנְיָא: מִשֶּׁנִּגְנַז אָרוֹן — נִגְנְזָה עִמּוֹ צִנְצֶנֶת הַמָּן, וּצְלוֹחִית שֶׁמֶן הַמִּשְׁחָה, וּמַקְלוֹ שֶׁל אַהֲרֹן וּשְׁקֵדֶיהָ וּפְרָחֶיהָ, וְאַרְגַּז שֶׁשִּׁגְּרוּ פְּלִשְׁתִּים דּוֹרוֹן לֵאלֹהֵי יִשְׂרָאֵל, שֶׁנֶּאֱמַר: ״וּכְלֵי הַזָּהָב אֲשֶׁר הֲשֵׁיבוֹתֶם לוֹ אָשָׁם תָּשִׂימוּ בָאַרְגַּז מִצִּדּוֹ וְשִׁלַּחְתֶּם אוֹתוֹ וְהָלָךְ״. וּמִי גְּנָזוֹ — יֹאשִׁיָּהוּ גְּנָזוֹ. מָה רָאָה שֶׁגְּנָזוֹ? רָאָה שֶׁכָּתוּב: ״יוֹלֵךְ ה׳ אוֹתְךָ וְאֶת מַלְכְּךָ אֲשֶׁר תָּקִים עָלֶיךָ״, עָמַד וּגְנָזוֹ. שֶׁנֶּאֱמַר: ״וַיֹּאמֶר לַלְוִיִּם הַמְּבִינִים לְכׇל יִשְׂרָאֵל הַקְּדוֹשִׁים לַה׳ תְּנוּ אֶת אֲרוֹן הַקּוֹדֶשׁ בַּבַּיִת אֲשֶׁר בָּנָה שְׁלֹמֹה בֶן דָּוִד מֶלֶךְ יִשְׂרָאֵל אֵין לָכֶם מַשָּׂא בַּכָּתֵף עַתָּה עִבְדוּ אֶת ה׳ אֱלֹהֵיכֶם וְאֵת עַמּוֹ יִשְׂרָאֵל״. וְאָמַר רַבִּי אֶלְעָזָר: אָתְיָא ״שָׁמָּה״ ״שָׁמָּה״, וְאָתְיָא ״דּוֹרוֹת״ ״דּוֹרוֹת״. וְאָתְיָא ״מִשְׁמֶרֶת״ ״מִשְׁמֶרֶת

Lorsqu’on a caché l’arche, on enfouit aussi les fioles de manne et d’huile d’onction, le bâton d’Aaron avec ses fruits et ses fleurs, ainsi que les « simulacres [4]» qu’avaient envoyé les Philistins en présent au Dieu d’Israël […]. Qui le cacha ? Josias. Pourquoi ? Car il vit écrit dans la Torah « Dieu t’amènera ainsi que le roi que tu te seras donné [en exil] », il s’enhardit et le cacha, comme il est dit dans les chroniques. Rabbi Eléazar [par un raisonnement compliqué] déduisit que les fioles de manne et d’onction ainsi que le bâton d’Aaron étaient à proximité de l’arche.

Nous voilà renseignés sur la volonté de Josias : il protégea l’arche de la main des nations étrangères, par anticipation. Lorsque le verset décrit qu’il déposa l’arche, on dit qu’il le mit à l’abri ; c’est la « contre-histoire » qui est racontée : un placement protecteur.  Ce qui questionne c’est que cette possibilité ait été envisageable par n’importe quel roi d’Israël qui eut lu la Bible avant lui ; pourquoi Josias « s’enhardit » ? proposons une hypothèse : pour lui l’exil était certain, et ce n’est pas la rémission qu’il offrit à Israël, qui lui fit rêver à un avenir radieux. Il comprit qu’il était une exception, que la norme était l’idolâtrie, et le rejet du Dieu unique. Il protégea donc l’arche et « ses » objets. C’est une première hypothèse et une réflexion plus vaste va nous permettre de mieux en rendre compte.

Reprenons alors le problème en amont : cette possibilité d’enterrer l’arche avait déjà été « vue » par Salomon. Je ne connais pas assez la prophétie pour comprendre ce qu’a vu Salomon. Cependant, il est clair que Salomon a ouvert une possibilité : celle d’une maison sans son arche. Cette possibilité a été envisagée au moment même où la Maison fut inaugurée, avant même qu’elle fut inaugurée ! Alors que les hommes s’affairent à construire, bâtir, échafauder, les rois pensent à des destins funestes. Salomon le prophétisa, Josias l’intégra comme une réalité. Il semble donc que Salomon en bâtissant la Maison, ouvre la possibilité de l’absence de l’arche, comme si l’arche pouvait à présent s’estomper, pouvait devenir secondaire par rapport à la Maison. Il faut donc comprendre cette possibilité et l’inscrire dans une compréhension globale du rôle de la Maison.

Revenons à Maïmonide : il nous informe que lors de la seconde Maison, on ne remis pas en place l’arche. Cela confirme la façon de voir : protéger l’arche n’est pas guidée par une peur de la situation politico-religieuse, mais c’est une décision assumée. Pourquoi ? Du point de vue légal, on entend que la Maison est tout à fait susceptible d’assurer sa fonction sans l’arche, ou en tout cas avec une arche cachée. Or est-ce la même chose ? Quelle est le sens de cette cachoterie ? L’arche n’est pas perdue, elle est juste en dessous. Quel est le sens de cet enfouissement ? Une Maison sans arche est-elle encore la « maison de Dieu » ?

Ce que je me propose par la suite, c’est de montrer que cet enfouissement va nous permettre d’éclairer le sens même de ce qu’est « la Maison ». Nous allons voir deux maîtres s’affronter sur ce sujet et comprendre de façon très différente la nature de cet enfouissement.

Nous avons remarqué que l’idée que l’arche puisse être enfouie date de l’époque de Salomon, et qu’à la seconde Maison, on n’a pas trouvé nécessaire de rétablir l’arche dans le Saint des saints : c’est que l’arche n’est pas le cœur de la Maison. Quel est son cœur ? Maïmonide nous le fait remarquer dès le début de ses lois relatives à la maison d’élection.

מִצְוַת עֲשֵׂה לַעֲשׂוֹת בַּיִת לַה’ מוּכָן לִהְיוֹת מַקְרִיבִים בּוֹ הַקָּרְבָּנוֹת.

Il y a un commandement positif de faire une Maison pour Dieu, disponible à y sacrifier.

L’arche semble ne pas du tout être essentiel ; un peu plus loin :

וְאֵלּוּ הֵן הַדְּבָרִים שֶׁהֵן עִקָּר בְּבִנְיַן הַבַּיִת. עוֹשִׂין בּוֹ קֹדֶשׁ וְקֹדֶשׁ הַקָּדָשִׁים וְיִהְיֶה לִפְנֵי הַקֹּדֶשׁ מָקוֹם אֶחָד וְהוּא הַנִּקְרָא אוּלָם. וּשְלָשְתָּן נִקְרָאִין הֵיכָל. וְעוֹשִין מְחִצָּה אַחֶרֶת סָבִיב לַהֵיכָל רְחוֹקָה מִמֶּנּוּ כְּעֵין קַלְעֵי הֶחָצֵר שֶׁהָיוּ בַּמִּדְבָּר. וְכָל הַמֻּקָּף בִּמְחִיצָה זוֹ שֶׁהוּא כְּעֵין חֲצַר אֹהֶל מוֹעֵד הוּא הַנִּקְרָא עֲזָרָה וְהַכּל נִקְרָא מִקְדָּשׁ:

Voici les choses essentielles concernant la construction de la Maison : on y fait un [endroit] « saint », un [endroit]« saint des saints » et devant ce « saint » un endroit appelé « parvis »(Oulam). Cet ensemble est appelé « palais » (Hékhal) ; on place une séparation supplémentaire autour du palais, à une distance égale à celle des limites du Michkane du désert. Tout ce qui était entouré par cette séparation ressemblante à celle de la tente du rendez-vous du désert, est appelé azara. L’ensemble est appelé Mikdach.

Il n’est nullement mentionné un objet tel que l’arche, uniquement une structuration de l’espace. Un espace [vide] et inviolable le saint des saints, un espace saint, ces deux espaces s’appellent Hékhal, puis un troisième espace vide appelé azara, non délimité. Alternance de vide identifié et non identifié.

Ainsi la maison est un lieu où se déroulait les sacrifices ; pas plus. L’arche semble secondaire. La Maison n’est pas un lieu qui viendrait accueillir l’arche en son centre, c’est plutôt l’arche qui est positionnée en un lieu originellement vide. Ainsi, la prophétie des Salomon, au moment même où se construit la Maison, témoigne d’une réalité forte : cette Maison est avant tout un lieu vide, destiné aux sacrifices. La création de ces galeries rendant l’arche si distante, voire impossible à reprendre est la trace de cette idée. Josias ne viendra que concrétiser cette idée, à une époque fragilisée par l’idolâtrie : il ne faut pas mettre de Dieu au centre de la Maison, ne serait-ce que représenté par sa parole, il faut un lieu vide à partir duquel on définira un espace sacrificiel et un espace où seront vus les sacrifices. Vider le lieu des symboles de la nation relève d’un grand courage, et c’est notre seconde hypothèse que le peuple n’était auparavant pas prêt à l’accepter. Cet ensemble, ce lieu de Travail, peut se passer de reliques, aussi spirituelles soient-elles. Lorsqu’on ouvre le Livre des Commandements de Maïmonide (n°20), il sera dit

היא שצונו לבנות בית הבחירה לעבודה, בו יהיה ההקרבה והבערת האש תמיד, ואליו תהיה ההליכה והעליה לרגל והקיבוץ בכל שנה. והוא אמרו יתעלה « ועשו לי מקדש » (שמות כה, ח). ולשון ספרי: שלש מצוות נצטוו ישראל בעת כניסתן לארץ – למנות להם מלך, ולבנות להם בית הבחירה, ולהכרית זרעו של עמלק. הנה התבאר שבניין בית הבחירה מצוה בפני עצמה.

וכבר ביארנו שזה הכלל כולל מינים רבים, שהם המנורה והשולחן והמזבח וזולתם, כולם מחלקי המקדש והכל יקרא מקדש

Il a été ordonné de construire la Maison d’élection pour le Travail, s’y dérouleront pour toujours les sacrifices, ainsi que le feu perpétuel, et les pèlerinages, […] et nous avons déjà expliqué que cette généralité comprend de nombreux détails : le candélabre, la table, l’autel, entre autres, tous parties du Mikdach.

Les ustensiles de la Maison ne sont pas des meubles qui sont essentiels. Le commandement vise primordialement le lieu sacrificiel. Ainsi tous les ustensiles qui ne sont pas destinés au Travail sont destinés à être éliminés, simples reliques d’un passé certes glorieux, mais protégé dans un musée abyssale, enfoui dans un endroit qui vise non seulement à les protéger mais aussi à en dissuader quiconque voudrait les replacer. L’arche n’est qu’un ustensile parmi les autres, nécessaire à l’épopée du désert comme le bâton de Aaron ou la fiole de manne. La pierre qui supporte l’arche vient nous dire que ce n’est pas l’arche qui désigne son endroit, mais la pierre qui accueille l’arche : c’est surtout un repère-support vide.

Nous avons répondu à certaines questions. Comment comprendre que le verset des chroniques parle des prêtres qui n’ont plus à supporter l’arche : ils n’ont plus à le supporter car il n’est plus là, leur seule tache consistera à se consacrer aux sacrifices, ils n’ont plus à s’occuper de l’arche. Et c’est tout le génie des sages du talmud que d’avoir saisi ce lien.

Le livre des commandements est parfois durement attaqué par Ramban ; en l’occurrence il s’insurge contre Maïmonide son auteur : pourquoi n’a -t-il pas décompté l’obligation de fabriquer les ustensiles de la Maison, lui demande-t-il, relayant les ustensiles à un rôle secondaire. C’est que pour Ramban les ustensiles et en particulier l’arche joue un rôle particulièrement fondamental, largement plus fondamental que les sacrifices qui n’occupent qu’une place accessoire dans la Maison : en effet il écrit dans son introduction sur le chapitre de la Torah qui traite du Michkane.

והנה עקר החפץ במשכן הוא מקום מנוחת השכינה שהוא הארון, כמו שאמר (שמות כ״ה:כ״ב) ונועדתי לך שם ודברתי אתך מעל הכפרת, על כן הקדים הארון והכפרת בכאן כי הוא מוקדם במעלה, וסמך לארון השלחן והמנורה שהם כלים כמוהו, ויורו על ענין המשכן שבעבורם נעשה אבל משה הקדים בפרשת ויקהל את המשכן את אהלו ואת מכסהו (שמות ל״ה:י״א), וכן עשה בצלאל (שמות ל״ו:ח׳), לפי שהוא הראוי לקדם במעשה: וסוד המשכן הוא, שיהיה הכבוד אשר שכן על הר סיני שוכן עליו בנסתר וכמו שנאמר שם (שמות כ״ד:ט״ז) וישכן כבוד ה’ על הר סיני, וכתיב (דברים ה כא) הן הראנו ה’ אלהינו את כבודו ואת גדלו, כן כתוב במשכן וכבוד ה, מלא את המשכן (שמות מ׳:ל״ד). והזכיר במשכן שני פעמים וכבוד ה’ מלא את המשכן, כנגד  »את כבודו ואת גדלו,; והיה במשכן תמיד עם ישראל הכבוד שנראה להם בהר סיני. ובבא משה (שמות ל״ד:ל״ד) היה אליו הדבור אשר נדבר לו בהר סיני. וכמו שאמר במתן תורה (דברים ד לו) מן השמים השמיעך את קולו ליסרך ועל הארץ הראך את אשו הגדולה, כך במשכן כתיב (במדבר ז פט) וישמע את הקול מדבר אליו מעל הכפרת מבין שני הכרובים וידבר אליו:

La volonté essentielle concernant le Michkane, c’est un endroit où réside la Chéhina (Michkane) : c’est-à-dire l’arche. Comme il est dit « Je me ferai connaitre à toi là-bas, et Je te parlerai de dessus le couvercle [de l’arche], c’est pourquoi les versets présentent d’abord l’arche et son couvercle, puis viennent la table et le chandelier qui sont des ustensiles comme lui, [puis finir par les tentures et les couvertures] par cela est indiqué le thème central du sujet ; plus tard Moché renversera l’ordre d’énonciation, commençant par les tentures et les couvertures, car concrètement il faut commencer par elles. Le secret du Michkane c’est de faire résider la Gloire qui apparut au mont Sinaï […]

Selon lui la fonction assignée au Michkane est donc totalement différente de celle proposée par Maïmonide. Dans ce cadre, le rôle central est dévolu à l’arche qui est « l’organe » par lequel Dieu parlera. D’où le nom attribué à la Maison : Michkane, résidence, il s’agit de faire résider le lieu de la parole.

On comprend alors que Ramban reprochera à Maïmonide de ne pas avoir compté comme une obligation à part entière la fabrication des ustensiles. Il écrira un addenda au livre des commandements de Maïmonide qui consistera entre autre à rajouter un interdit « celui de ne pas modifier la structure du Michkane ».

Comment Ramban va interpréter l’enfouissement assumée de l’arche ? Le Michkane ne perd-il pas toute pertinence dans cette configuration ?

Il me semble que Ramban comprendra le geste de Josias d’une façon très différente. Pour lui, l’enfouissement consistera justement à protéger l’arche et non pas le faire disparaitre, car en son absence le Michkane n’a plus aucun sens. L’intention de Salomon en créant cet endroit secret n’était pas contradictoire avec la construction du Michkane, mais au contraire une façon de la prolonger, même en cas de guerre ou de crise. Pour nous, cela signifie que dans le Saint des saints ou enfoui, l’arche est toujours là, qu’il joue son rôle, comme marqueur de la parole divine, qu’elle soit cachée dans une boite ou sous terre.

Maïmonide écrit au début de son exposition des lois sur la Maison Elue (Beth Habé’hira).

Il y a obligation de construire une maison pour Dieu, disponible pour y sacrifier et y célébrer les fêtes de pèlerinage trois fois par an, comme il est dit « et ils me feront une Maison » ; le Michkane réalisé à l’époque de Moché a déjà été explicité dans la Torah ; celui-ci était transitoire, comme il est dit « vous n’êtes pas encore parvenus jusqu’à la paisibilité et l’héritage ».

Ainsi même le Michkane de Moché n’était pas définitif, tout comme les autres Michkenot qui ont été érigés jusqu’à l’élection de Jérusalem. Le véritable régime de la maison de Dieu est la maison construite par Salomon, la tente de Moïse n’en est qu’une préfiguration.

Le Kessef Michne fait remarquer qu’en utilisant un verset relatif à la tente de rendez-vous du désert, le Rambam se contredit, puisque celle-ci n’avait pas un caractère définitif et obligatoire ; ce verset ne peut donc justifier une obligation pour la Maison de Jérusalem. On comprend -pour utiliser les termes du Ralbag dans son commentaire sur l’introduction de Trouma – qu’il s’agissait à l’époque de Moïse d’une mise en place de routine. L’obligation de la construction du Temple s’appuie donc sur deux versets qui se complètent l’un montrant la nécessité d’un endroit réservé au divin, l’autre montrant que cet endroit doit être un endroit précis. C’est l’endroit qui est donc décisif dans cette question et non l’établissement d’une construction qui ferait l’endroit. On comprend que pour les moments transitoires, qui durèrent jusqu’à la construction de la seconde Maison, c’est la présence de l’arche comme marqueur du divin qui se substituait à l’absence d’un endroit choisi par Dieu (Beth habéhira, maison d’élection]. Dès lors, l’arche perd son caractère fondamental en arrivant à Jérusalem, et son éviction, devient une possibilité. [Remarque : on peut aussi noter que Salomon multiplia les ustensiles à l’identique des modèles réalisés par Moïse, donnant à travers cet excès un caractère superflu à leur présence : à l’époque de leur reproduction leur aura se réduit, pour employer les termes d’un ouvrage célèbre. On comprend que le terme choisi par Maïmonide soit « maison élue » : c’est le lieu qui est élu la Maison ne venant que s’y greffer.

Mais l’on peut aller un peu plus loin quant à la démarche de Salomon.

En lisant le texte de la prière qu’il adresse à Dieu lors de l’inauguration de la Maison (Rois I §8), on n’y trouve aucune mention des sacrifices, uniquement la possibilité de faire la prière en cet endroit.  Salomon, introduit une substitution importante : lieu de prière plutôt que lieu de sacrifices. Le Travail désignait dans le cadre de Maïmonide les sacrifices, mais dans l’optique de Salomon, le Travail est idéalement lié à une prière, accompagnée de sacrifices.


 

1- Cher lecteur, les traductions françaises charrient souvent avec elles de nombreuses significations et ont une longue histoire, aussi longue que celle de la religion en France ; il n’est pas anodin de traduire Temple ou Maison, nous le verrons plus loin ; mais fais attention cher lecteur à l’épaisseur de ces mots dans ce sujet, car leur longue histoire fait barrage parfois à la réflexion.

2- Voir note 1. C’est le titre qu’a choisi de donner Maïmonide à son livre sur le « Temple ».

3- Voir note 1.

4- Les philistins avaient capturé l’arche qui avait été sortie pour leur faire la guerre. Mais la détention de cet ustensile leur causa toutes sortes de maladies. Ils renvoyèrent donc l’arche chez Israël accompagnée de cadeaux qui rappelaient les maladies qui s’étaient abattues sur eux ; le terme hébreu n’est pas très clair, c’est pourquoi la bible du rabbinat traduit pudiquement « simulacre ».

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“L’arche perdue”

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