La fonction des commandements de la Torah.
par: Rav Gerard Zyzek(Synthèse des vingt premiers chapitres du Tiféret Israël du Maharal de Prague)
גר אנכי בארץ, אל תסתר ממני מצוותיך.
‘Etranger je suis dans la terre, ne cache pas de moi Tes commandements’
Publié le 15 Décembre 2022
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De tout temps la pertinence de l’accomplissement des commandements de la Torah a été remise en question. Beaucoup de contemporains du Maharal de Prague, séduits par l’esprit des humanistes des quinzième et seizième siècles, revendiquaient qu’il suffit à l’homme d’avoir des principes moraux et une vie spirituelle pour atteindre la félicité à laquelle l’homme peut espérer. Le Maharal a rédigé son ouvrage le Tiféret Israël en partie pour répondre à ces interrogations que nous pourrions résumer en ces quelques mots : quelle est la spécificité de la Torah par rapport aux autres univers de pensée ? et quelle est la pertinence de l’accomplissement des commandements de la Torah ?
Au fil de l’étude en commun au sein de la Yéchiva des Etudiants, plusieurs lignes-force se sont mises à jour au cours de l’étude chapitre après chapitre de la première partie du Tiféret Israël (jusqu’au chapitre 20). Nous aimerions synthétiser ici le résultat de ces travaux.
I. Mishna du cinquième chapitre du Traité Berakhot (33b, ברכות ל »ג ע »ב).
האומר על קן ציפור יגיעו רחמיך משתקין אותו.
‘La personne qui dit (dans sa prière) « Que vienne ta pitié sur la nichée d’oiseau !», on la fait taire.’
En substance cette personne fait la prière suivante :
« Oh Toi qui as pitié de la nichée d’oiseaux (1), aies pitié de nous ! »
Rashi explique :
‘Certaines personnes se targuent d’exprimer des prières approfondies et font des suppliques en disant : oh Toi qui est miséricordieux et qui mets Ta pitié sur la nichée d’oiseaux, par le fait que tu nous as demandés de renvoyer la mère (lorsque nous voulons prendre les petits), on les fait taire.’
La Guemara afférente donne plusieurs explications au refus radical de nos Maîtres que s’exprime une telle prière.
על קן ציפור יגיעו רחמיך מאי טעמא. פליגי בה תרי אמוראי במערבא, רבי יוסי בר אבין ורבי יוסי בן זבידא. חד אמר מפני שמטיל קנאה במעשה בראשית, וחד אמר מפני שעושה מדותין של הקדוש ברוך הוא רחמים ואינן אלא גזירות.
‘Toi qui as pitié de la nichée d’oiseaux etc., pourquoi le fait-on taire ? Il y a une discussion entre deux Maîtres en terre d’Israël, entre Rabbi Yossi bar Avin et Rabbi Yossi bar Zvida. L’un dit : on le fait taire pour ne pas mettre de jalousie dans l’œuvre de Béréshit. L’un dit : on le fait taire car il transforme les dimensions de D. en miséricorde alors qu’elles ne sont que des décrets.’
Rashi explique :
‘Pour ne pas mettre de jalousie dans l’œuvre de Béréshit. Car il a l’air de dire que D. a pitié de ces créatures-là et pas sur les autres créatures.’
‘Les dimensions de D.. Ce sont Ses commandements, Ses Mitsvot. Ses commandements n’ont pas de fonctions de pitié ou de miséricorde mais leur fonction est de faire incomber le décret de Ses lois sur Israël pour proclamer qu’ils sont Ses serviteurs fidèles, qui respectent Ses commandements et les décrets de Ses injonctions, même dans des choses que le Satan (2) et les Nations idolâtres contestent et se moquent en affirmant n’y voir aucune pertinence.’
II. Commentaire du Maharsha sur cette Guemara.
‘Quand bien pourrions-nous penser que la Mitsva de Shiloua’h HaKen, de renvoyer la nichée, viendrait d’une dimension de miséricorde comme nous pouvons le voir au sujet d’autres commandements comme la Tsedaka par exemple, néanmoins mentionner cette dimension dans la prière crée une jalousie dans l’œuvre de Béréshit. En effet cela reviendrait à affirmer que les oiseaux ont été créés avec Ra’hamim, miséricorde et non les autres créatures, ce qui est faux, comme nous le voyons dans le verset (Béréshit 2,4) « Le jour où HaShem (dimension de miséricorde) Elokim (dimension de rigueur) a créé la terre et le ciel ».’
Le Maharsha veut rendre compte de la discussion entre les deux avis. Le premier avis peut penser que ce commandement est mu par une dimension de Ra’hamim, contre le second avis, néanmoins l’exprimer à haute voix dans la prière s’oppose à l’intention de la Création qui est mue et par la dimension de Ra’hamim (HaShem) et par la dimension de rigueur (Elokim). Le Maharsha veut rendre compte de la justesse de l’expression ‘dans l’œuvre de Béréshit’.
‘Quant à la seconde opinion, il faut comprendre qu’au sujet des commandements où la Torah ne dévoile pas explicitement leurs raisons comme justement ce commandement de Shioua’h HaKen, de renvoyer la nichée, il n’est pas dans nos capacités d’affirmer qu’il est mu par Ra’hamim. Il nous incombe alors de l’accomplir par ce que ce commandement est un décret sur nous de par notre Créateur. En effet plus grande est la récompense dans l’accomplissement des commandements lorsque nous les accomplissons par le fait qu’ils sont des décrets quand bien même leur bien fondé est-il contesté par le Satan et les Nations.’
Le Maharsha nuance le second avis. Il se peut qu’il y ait des commandements de la Torah dont la fonction est de développer en nous une dimension de Ra’hamim de pitié. Néanmoins il n’est pas justifié de généraliser cette démarche à des commandements dont la Torah n’en dévoile pas la raison. Il est alors plus approprié d’accomplir ces commandements par décret, en exprimant ainsi que ce qui prime est notre volonté d’accomplir celle de notre Créateur. Nos Maîtres nous enseignent l’importance majeure de cette démarche. Il a l’air de ressortir que le Maharsha s’oppose à Rashi. En effet il semble que Rashi, en expliquant le second avis, généralise et dit que de manière générale les commandements de D. sont des décrets sur Israël et telle est leur fonction supérieure.
Nous pouvons d’ailleurs mettre en relation ce commentaire de Rashi avec son commentaire sur la Guemara du Traité Rosh HaShana 28a (ראש השנה כ »ח ע »א) et du Traité Souka 31b (סוכה ל »א ע »ב).
[La Guemara continue :
ההוא דנחית קמיה דרבה ואמר אתה חסת על קן ציפור אתה חוס ורחם עלינו. אמר רבה כמה ידע האי צורבא מרבנן לרצויי למריה. אמר לו אביי והא משתקין אותו תנן. ורבה נמי לדחודי לאביי הוא דבעי.
‘Un homme a été désigné pour faire la prière devant Rabba. Il formula sa prière ainsi : « Oh Toi qui as eu pitié de la nichée d’oiseaux, aies pitié de nous ! »
Rabba dit : « oh comme ce jeune érudit sait séduire son Créateur ! »
Abbayé réagit et dit : « ah mais il est écrit dans la Mishna qu’on le fait taire ! »
Et Rabba, comment a-t-il pu complimenter cette personne ? C’était pour tester la vivacité d’esprit d’Abbayé.’
De multiples commentaires ont été faits sur ce dialogue entre Rabba et Abbayé (voir Tsioun LeNéfèsh ‘Haya de Rabbi Ye’hezkel Landau). Néanmoins l’explication la plus vraisemblable est que Rabba a prêché le faux pour que son élève Abbayé réagisse avec la bonne réponse (3).
Le Maharsha relève un point sublime.
Il y a une question. La Mishna dit que l’on fait taire la personne qui dit « que vienne ta pitié sur la nichée d’oiseau ». Le Maharsha relève que dès que le jeune érudit avait dit « Oh Toi qui as eu pitié de la nichée d’oiseaux », Rabba aurait dû le faire taire, ou Abbayé aurait dû le faire taire. La Mishna ne dit-elle pas qu’on le fait taire ? Le Maharsha déduit de là que bien que la Mishna dise qu’on le fasse taire, néanmoins cela signifie qu’on le laisse terminer sa prière, ce n’est qu’après que l’on parle avec lui pour qu’il ne le refasse plus une fois ultérieure. Il nous fait constater cela du cœur du texte mais n’en explique pas la raison. A minima nous voyons de nos Maîtres qu’ils nous éduquent à une radicalité, mais nuancée, patiente, respectueuse, ce qui est un paradoxe.]
III. Commentaires de Rashi sur la fonction des commandements de la Torah.
Traité Rosh HaShana 28a (ראש השנה כ »ח ע »א).
Il est interdit de tirer un profit d’un animal que l’on a consacré comme Korban (sacrifice). Néanmoins la Guemara, après débats, conclut qu’a posteriori si on a soufflé du Shofar dans un Shofar d’un animal Korban on est quitte de son obligation de Mitsva. Rava justifie cette conclusion légale en disant :
מצוות לאו להנות נתנו
‘Les commandements de la Torah n’ont pas été donnés pour qu’on en jouisse (n’ont pas été donnés pour un profit)’.
Rashi explique :
‘Ils n’ont pas été donnés pour que leur accomplissement soit considéré comme une jouissance (un profit). Ils ont été donnés pour qu’ils soient un joug sur leurs cous.’
Traité Souka 31b (סוכה ל »א ע »ב).
Il est interdit de profiter d’un objet lié à l’idolâtrie.
La Guemara dans le troisième chapitre du Traité Souka nous enseigne au nom de Rava que, si quelqu’un a pris en main durant la fête de Soukot un Loulav qui avait été voué à l’idolâtrie, malgré tout cette personne est quitte de l’obligation de Loulav durant Soukot.
Rashi explique :
‘Bien que ce Loulav fasse partie des interdits de profit de la Torah, néanmoins les Mitsvot ne sont pas données pour être une jouissance. C’est-à-dire que l’accomplissement d’un commandement de la Torah ne correspond en rien à un profit du corps mais correspond au service d’un esclave, d’un serviteur, envers son maître.’
IV. Source talmudique à cette démarche de Rashi. Yoma 67b, יומא ס »ז ע »ב.
La Guemara de Berakhot, au départ de l’étude présente, rapporte dans sa seconde explication de la Mishna l’expression ‘les dimensions de D., Ses commandements, ne sont que des Guezérot, des décrets’. Nous avons rapporté la démarche de Rashi dans plusieurs endroits de son commentaire sur le Talmud. Il nous semble que la source textuelle à la démarche de Rashi se trouve dans un passage du Traité Yoma (67b, מסכת יומא דף ס »ז’ ע »ב).
La Guemara analyse le verset de la Parashat A’haré Mot (Vayikra 18,4) :
את משפטי תעשו ואת חוקותי תשמרו ללכת בהם אני ה’ אליכם.
‘Vous vivrez selon Mes lois, et vous respecterez Mes décrets pour vous conduire selon eux, Je suis l’Eternel D. .’
תנו רבנן את משפטי תעשו, דברים שאלמלא נכתבו דין הוא שיכתבו ואלו הן עבודת כוכבים וגילוי עריות ושפיכות דמים וגזל וברכת השם. את חוקותי תשמרו, דברים שהשטן משיב עליהן ואלו הן אכילת חזיר ולבישת שעטנז וחליצת יבמה וטהרת מצורע ושעיר המשתלח. ושמא תאמר מעשה תוהו הם, תלמוד לומר אני ה’. אני ה’ חקקתי ואין לך רשות להרהר בהן.
‘Nos Maîtres enseignent : « Vous vivrez selon Mes lois, Mishpatim », ce sont des choses que, si elles n’avaient pas été écrites dans la Torah, il eût été légitime qu’elles le soient. Ce sont les interdits d’idolâtrie, les interdits relatifs aux dépravations sexuelles, l’interdit de verset le sang, le vol, le blasphème. « Vous respecterez Mes décrets, ‘Houkim », choses que le Satan conteste et met à mal. Ce sont l’interdit de manger du porc, de porter du Shaatnèz (de porter dans un même vêtement du lin et de la laine), que la belle-sœur enlève la chaussure du frère de son défunt mari, le processus de purification du Metsorah (du lépreux), l’envoi du Bouc Emissaire au Azazel. Et peut-être diras-tu que ce sont des actes absurdes ? Là-dessus le verset affirme : « Je suis l’Eternel ». Je suis l’Eternel qui a décrété, tu n’as pas latitude de les contester.’
Rashi explique au sujet du terme ‘Satan’ :
‘Le Satan. Le mauvais penchant (4) conteste, et s’applique à induire les enfants d’Israël en erreur en affirmant que la Torah n’est pas véridique, car enfin soyons raisonnables, quel intérêt y a-t-il à toutes ces lois ? C’est pour cela que la Torah emploie le terme de ‘Hok, décret, et l’insistance « Je suis l’Eternel », car je suis l’Eternel qui a décrété sur vous, le Maître qui a décrété sur vous.’
Il ressort donc de ces sources diverses que l’accomplissement des commandements de la Torah, ou tout au moins des ‘Houkim, a comme fonction que nous exprimions par cela notre acceptation du joug de D. qui nous a enjoint Ses décrets.
V. Démarche de Rambam dans le Moré Nevokhim, dans le Guide des Egarés (troisième section, chapitre 48).
Rambam, dans le Moré Nevokhim, apparemment s’oppose à tout ce que nous avons exposé jusqu’ici. Nous en donnons notre traduction.
‘L’abattage rituel, la She’hita, s’impose car les céréales, les légumineuses et la chair des animaux constituent indubitablement l’alimentation naturelle des êtres humains. Et les animaux que la Torah autorise de manger sont ceux dont la chair est la plus appropriée à l’homme, comme le sait n’importe quel médecin. Une fois qu’est établie la nécessité de manger la chair de ces animaux, nous avons recherché la mise à mort la plus légère et facile. Il nous est interdit de faire souffrir l’animal avec un abattage inadéquat, ni trop brutal, ni de sectionner un membre lorsque l’animal est encore vivant. De même, il nous est interdit d’abattre un animal et son petit dans la même journée. Ceci est une protection, de peur que l’on abatte le petit avant la mère car la souffrance de l’animal est très grande. Il n’y a pas de différence en fait entre la souffrance humaine et la souffrance animale. En effet l’amour maternel et la pitié de la mère pour son petit ne sont pas le produit de la raison mais vient de la force imaginative (les sentiments) commune à la majorité des êtres vivants, animaux et humains. Cette injonction ne touche que les bovins et les ovins car ce sont les animaux domestiques dont la consommation de viande nous est permise et de ce fait le principal de notre alimentation vient d’eux.
Cette raison (c’est-à-dire la prise ne compte de la souffrance animale et sa sensibilité) rend compte aussi de la notion de renvoi de la nichée, Shiloua’h HaKen. En effet les œufs qui ont commencé à être couvés ainsi que les petits que se trouvent dans le nid et qui ont besoin de la présence de leur mère en général ne sont pas propres à la consommation. Si donc on renvoie la mère (selon l’injonction de la Torah) et qu’elle part au loin seule, non seulement elle ne souffrira pas en voyant que nous prenons ses petits, mais encore il est possible que ce stratagème entraine que l’on abandonne totalement cette nichée (5) puisque ce qui nous est autorisé à prendre (les petits ou les œufs qui ont commencé à être couvés et non la mère) n’est finalement pas bon à être consommé (6). Et si la Torah nous éduque à avoir pitié des sentiments des animaux domestiques (interdit de faire l’abattage de la mère et de son petit le même jour) et des oiseaux (Shiloua’h HaKen), raison de plus que nous devrons prendre en compte la sensibilité des individus de l’espèce humaine. Et ne me pose pas la question de l’enseignement des Maîtres ז »ל qui nous enseignent que l’on fait taire la personne qui dit « Que vienne ta pitié sur la nichée d’oiseau ! », car cet enseignement représente l’une des deux thèses que nous avons mentionnées (plus haut au chapitre 26 de cette même troisième section du Moré), thèse qui dit affirme qu’il n’y a pas de raison aux commandements de la Torah si ce n’est la seule volonté de D.. Or nous avons déjà affirmé que nous sommes tenants de la seconde démarche.’
Il ressort de ce passage du Guide des Egarés que Rambam explique la phrase de la Guemara du Traité Berakhot comme Rashi : les lois de D. ne sont pas l’expression de Sa miséricorde, elles ne sont que des décrets’, c’est-à-dire des lois dont la fonction est de s’imposer à notre volonté humaine.
Rambam explique au chapitre 26 que, selon lui, telle n’est pas la conclusion finale de notre tradition.
VI. Démarche du Rambam dans le chapitre 26 de la troisième section du Guide des Egarés.
Nous n’allons pas ici rapporter l’intégralité de ce chapitre. Nous pouvons peut-être le synthétiser sur la base de quelques versets clefs.
La Torah nous dit que D. nous a gratifiés de (Devarim 4,8) : חוקים ומשפטים צדיקים, ‘décrets et de lois justes’.
Rambam est un très fin lecteur des versets de la Torah. Ce verset nous dit clairement que même les décrets de la Torah, appelés ‘Houkim, sont justes, c’est-à-dire que leur fonction nous est accessible et que leur justesse et pertinence nous sont perceptibles.
D’autre part le verset dit au sujet de l’ensemble des paroles de la Torah (Devarim 32,47) :
כי לא דבר רק הוא מכם
‘Car la chose n’est pas vide de vous’.
Le Talmud de Jérusalem explicite (Traité Shabbat chapitre 1, Halakha 4,Traité Ketoubot, fin du chapitre 8) :
כי לא דבר רק ואם רק מכם.
‘Car la chose n’est pas vide, et si elle est vide, c’est de vous qu’elle est vide.’
Rambam explique :
‘Le don de la Torah et des commandements ne sont pas quelque chose de vide et dont la fonction ne serait d’aucune utilité. Et s’il te semble qu’un commandement ou l’autre serait de ce type-là, sans sens ni utilité, cela vient de vous, c’est-à-dire de la petitesse de ta capacité à approfondir et à comprendre.’
Et le verset dans Yishayahou ne dit-il pas (chapitre 45, verset 19) :
לא אמרתי לזרע יעקב תהו בקשוני, אני ה’ דובר צדק מגיד מישרים.
‘Je n’ai pas dit aux enfants de Yaakov, recherchez-Moi pour rien ! Je suis l’Eternel, qui parle de justice, qui profère la droiture.’
Ce verset est à mettre dans son contexte. Le prophète clame combien l’impact des commandements de D. est éloquent pour tous, juifs et non-juifs, combien tous se rendent compte de la droiture des lois de D..
Les commandements de D. ont bien un abord intelligible, enrichissant et constructif.
Fort de ces sources puissantes, et d’autres, Rambam affirme que, bien qu’il y ait matière à débat, néanmoins la conclusion de nos Maîtres n’est pas comme cette explication de la Guemara de Berakhot comme quoi les commandements de la Torah seraient des Guezérot, des décrets dont la seule fonction serait que l’on prenne sur nous le joug de la royauté de D. .
VII. Démarche du Maharal. Première étape (sixième chapitre).
Le Maharal discute longuement sur la lecture de Rambam, ainsi que sur la lecture de Ramban (que nous n’avons pas rapportée dans l’étude présente).
Il va donner un sens fondamentalement différent à l’expression de la Guemara ‘les dimensions, les commandements, de D. sont des décrets’ de celui donné par Rashi et Rambam. Mais cette nouvelle lecture se met à jour petit à petit au fil des chapitres.
Rashi et Rambam expliquent que cette expression signifie que les commandements de D. ne sont là que pour être des décrets sur l’homme, pour que nous exprimions par l’accomplissement de ces commandements notre soumission à la Volonté supérieure de notre Créateur.
Première approche, au chapitre six. A première vue, cela se rapproche de l’explication de Rashi. (Nous en donnons notre traduction, accompagnée de petits compléments)
‘Il ressort des paroles de nos Maîtres qu’il n’est pas juste de dire que les commandements de D. ont été donnés par rapport au Mekabel, par rapport à celui qui les reçoit, c’est-à-dire l’homme. Non ! Ce sont des décrets, des Guezérot. Ce sont des décrets, c’est-à-dire qu’ils tirent leur justification du point de vue de D. qui décrète sur son peuple, comme un roi qui décrète sur son peuple.
Il est indubitable que la conséquence de l’accomplissement des décrets de D. est la profusion de bien, la réussite et la félicité suprême, néanmoins le fondement du décret n’est aucunement pour donner du bienfait au récepteur de ce décret (7).
Certes le verset (Devarim 6,24) dit « D. nous a enjoint d’accomplir tous ces décrets (…) pour notre bienfait tous les jours, pour nous donner la vie comme ce jour même ». Il a l’air de ressortir que la fonction des commandements est le bienfait de ceux qui les appliquent. Ce n’est pas dans ce sens qu’il faut expliquer ce verset. D. nous a enjoint Ses commandements comme un roi législateur. Le verset nous dit qu’en plus ce décret est pour notre bienfait, « pour nous donner la vie comme ce jour même », si nous l’appliquons, mais la base du décret, sa fonction, n’est pas de nous prodiguer du bienfait.’
De cette manière nous pouvons rendre compte de l’enseignement de nos Maîtres rapporté plus haut :
מצוות לאו להנות נתנו
‘Les commandements de la Torah n’ont pas été donnés pour qu’on en jouisse (n’ont pas été donnés pour un profit)’
C’est-à-dire que les commandements de la Torah n’ont pas été donnés pour en jouir, pour notre profit, mais pour qu’ils soient pour nous un joug.
Cependant un peu plus loin dans ce même sixième chapitre le Maharal va nuancer son propos et petit à petit bouleverser notre vision du sujet.
‘Maintenant si ton âme palpite vraiment d’expliquer que les commandements de D. ont comme fonction de nous prodiguer du bien tous les jours comme ce que la lecture simple du verset nous laisse entendre : « D. nous a enjoint d’accomplir tous ces décrets (…) pour notre bienfait tous les jours, pour nous donner la vie comme ce jour même », il nous faudra dès lors expliquer ainsi.
Il faudra comprendre que le bienfait que D. nous prodigue est un décret de Sa part. En effet en général un bienfait a un aspect hautement facultatif. Tu veux me donner quelque chose je peux le refuser, comme dit la Guemara au sujet du Yétser Harah, du mauvais penchant (Traité Yoma 69) « ni lui je veux, ni la récompense que nous pourrions avoir en nous dominant et en ne nous laissant pas entraîner par lui ! ». Le bienfait que D. veut nous gratifier s’impose à nous. Le טוב, le Tov, le bienfait lui-même est le décret que D. a décrété sur Israël. D. a décrété ces commandements car Il a décrété sur nous le bien (8). Quoi qu’il en soit, étant donné que ce bienfait est un décret contre le gré de l’homme, nous pouvons alors affirmer que les commandements n’ont pas été donnés pour notre jouissance. En effet ils n’ont pas été donnés du point de vue du récepteur et de ce fait ils sont un joug sur l’homme.’
VIII. Première nuance révolutionnaire.
Discrètement le Maharal propose dans ce paragraphe de dire qu’il est possible que les commandements de la Torah aient été donnés pour que nous nous améliorions, pour que nous en tirions des bienfaits. Néanmoins nos Maîtres nous enseignent (dans le passage au départ de notre étude) que les commandements de D. sont des décrets et non des expressions de miséricorde. Il est possible de dire que D. nous enjoint Ses lois et qu’il nous incombe donc de nous parfaire.
Il y a ici un bouleversement que nous aimerions souligner.
Nous avons prouvé dans un précédent ouvrage (le Monde Commence) que, dans la Torah, vivre, exister, est une injonction. Instinctivement tout un chacun veut vivre, c’est ce que l’on appelle l’instinct de conservation. Mais, comme toute pulsion, cet instinct peut être inhibé par d’autres facteurs. Par exemple la Torah nous enseigne אם בא להורגך השכם להורגו, ‘si quelqu’un vient te tuer, lève-toi plus tôt que lui pour le tuer’ (9) (Sanhédrin 72a). Quelqu’un peut ne pas avoir l’énergie de se défendre, ou bien tuer autrui peut le dégouter et alors peut se laisser tuer, bien qu’il ait eu en main la capacité de survivre. La Torah nous ordonne : tu dois vivre ! Tue ton agresseur avant qu’il ne te tue (10).
Nos Maîtres analysent cette problématique au sujet de Caïn et Abel. En effet le verset dit (Béréshit 4,8) :
ויהי בהיותם בשדה ויקם קין אל הבל אחיו וירגהו.
‘Ce fut, lorsqu’ils furent dans le champ, Caïn se releva sur Hévèl son frère et le tua.’
Que signifie l’expression ויקם קין, ‘Caïn se releva’, il se releva de quoi ?
Rabbi Yo’hanan donne la lecture suivante dans Béréshit Rabba 22,8 :
Hévèl était plus fort que Caïn. En effet l’expression « Caïn se releva » ne vient que nous enseigner que Caïn était sous Hévèl et qu’il le dominait. Caïn dit à son frère « regarde, il n’y a que nous deux dans le monde, si tu me tues, qu’arriveras-tu à dire à notre père ? A ce moment-là Hévèl a eu pitié de son frère. Celui-ci en profita pour se relever et le tua.
C’est de cet épisode que les gens disent « du bien ne fais pas à un méchant et il ne t’arrivera pas de mal ! ».’
Nos Maîtres considèrent que Hévèl a fait une grave faute de ne pas assumer de tuer son frère pour sauver sa vie. Dans notre tradition, vivre est une injonction, ce n’est pas une velléité, c’est un décret.
Le recueil Oraïta (11), édité par le Rav Amihoud Its’hak Méir Lévin de Natanya, rapporte le dialogue entre un rescapé des camps de concentration et le Rabbi Yékoutiel Yéhouda Halberstam, Rabbi de Klausenbourg, lui-même survivant des camps, lors du premier Yom Kippour après la libération.
Le premier dit au Rabbi : cher Rabbi, demain ce sera Yom Kippour, le Jour du Pardon. Mais nous qui avons traversé l’enfer, qu’avons-nous à nous faire pardonner ? Le Rabbi de Klausenbourg lui répondit du tac au tac : nous avons à nous faire pardonner car parfois nous ne voulions plus vivre.
Pour revenir à notre sujet, le Maharal innove en disant que la Guemara de Berakhot nous force à lire le verset de Devarim 6,24 en disant que la Torah nous enjoint par décret d’être bon, de nous améliorer par l’accomplissement de Ses commandements.
‘Pour notre bienfait tous les jours, pour nous donner la vie comme ce jour même’. Être bon n’est pas une option dans la vie, une velléité, c’est un joug.
La révolution qu’opère ici le Maharal consiste en cela que la Guezéra dont il est question dans la Guemara Berakhot n’est pas à comprendre dans le sens d’une extériorité mais comme une obligation, un joug, de me construire, de m’améliorer.
Le Maharal va avancer encore plus dans cette direction dans les chapitres suivants.
IX. Démarche du Maharal. Seconde étape. (huitième chapitre)
Le Maharal propose une autre lecture de la Guemara de Berakhot. Les commandements de D. ne sont pas pitié, Ra’hamim, mais sont des décrets, Guezérot.
La dimension de pitié, de Ra’hamim, de mansuétude, est quelque part une indulgence. La juste mesure serait que je te punisse, mais je te donne une chance. La dimension de Ra’hamim ne coïncide pas avec la dimension de justesse. L’enseignement du Traité Berakhot nous enseigne que les lois de D., les commandements de D., correspondent exactement à la ‘Hokhma divine, avec l’intellect divin. Les Mistvot de D. ne sont pas un à peu près.
Selon les lois de la Torah, un mort est source d’impureté, et l’eau dans laquelle a été mélangée de la cendre de la vache rousse purifie de cette impureté. Rapportons une partie du commentaire du Maharal sur ces points au huitième chapitre :
‘Je peux vous affirmer, dit Rabban Yo’hanan bar Zakaï, que ce n’est pas le mort qui rend impur et que ce ne sont pas ces eaux qui rendent pur. Explication. Ce n’est pas dans l’ordre de la nature que le mort rende impur ou que ces eaux rendent pur. Ce n’est pas quelque chose de naturel dans ce commandement. C’est un décret que J’ai décrété qu’il ne t’est pas donné d’outrepasser. חוקה חקקתי וגזרה גזרתי, אי אפשר לעבור גזרותי דכתיב זאת חוקת התורה. (Midrash Bamidbar Rabba 19,8)« Une loi J’ai tranchée, un décret J’ai décrété, il n’est pas dans ta capacité d’outrepasser Mes décrets, comme dit le verset -Voici le décret de la Torah (au sujet de l’impureté de la mort et de la purification par la vache rousse)-». L’explication est que tout vient du point de vue de la structure par laquelle D. nous a donné ce commandement venant de la pensée supérieure qui impose que tel soit ce commandement. C’est de ce fait que le mort rend impur l’homme et que l’eau lustrale rend pur. Tout s’impose par la Science supérieure, qui est la Torah que D. a donnée à l’homme. Mais que cela s’impose par des capacités naturelles, ceci est fondamentalement erroné. Ceci s’impose par la structure de D. sur l’homme par Sa science, Sa ‘Hokhma, et par Son décret relatif à l’homme que le mort rende impur et que l’eau lustrale rende pur. De ce fait il ne nous est pas donné de contester leur pertinence car ces lois sont profondes et encore plus profondes que profondes, qui les trouvera (Kohélèt 7,24) ? La Torah n’est pas naturelle. Si la Torah eût été de l’ordre de la nature, il aurait été légitime de se poser la question quelle est la pertinence de cette impureté et de cette purification. Mais nous ne parlons pas de lois de la nature mais de structures qui sont de l’ordre de la pensée, du Sékhel, שכל. ’
Cette dernière phrase à la syntaxe difficile est une phrase clef.
X. Analyse de ce passage difficile du Maharal.
Dans la traduction de ce passage nous avons souligné une phrase qui nous semble clef de son développement, ainsi que dans son abord général de l’étude de la Torah et de l’étude du Talmud.
‘Tout vient du point de vue de la structure par laquelle D. nous a donné ce commandement venant de la pensée supérieure qui impose que tel soit ce commandement.’
Essayons d’écouter ce que nous enseigne ici le Maharal.
Il nous semble devoir développer ainsi.
Les lois de la Torah ne viennent pas d’une nécessité du monde. Nous avons rapporté au début de l’étude présente le commentaire de Rashi sur la Guemara de Berakhot
‘Les commandements de D. n’ont pas de fonctions de pitié ou de miséricorde mais leur fonction est de faire incomber le décret de Ses lois sur Israël pour proclamer qu’ils sont Ses serviteurs fidèles, qui respectent Ses commandements et les décrets de Ses injonctions, même dans des choses que le Satan et les Nations idolâtres contestent et se moquent en affirmant n’y voir aucune pertinence.’
Les Nations gèrent le monde et font en sorte que tout se passent bien entre les hommes. Les commandements de la Torah paraissent obsolètes, inutiles, hautement contestables. En effet. Et là se joue toute l’articulation de l’étude présente. Dans un premier temps nous pouvons dire, et certains commentateurs expliquent ainsi, la pertinence des commandements de la Torah se justifie par le fait que nous acceptons sur nous une volonté supérieure, un joug. Et telle serait l’explication de l’expression : les commandements de D. sont des Guezérot, des décrets. Et telle est l’explication de Rashi et de Rambam.
Mais le Maharal propose une tout autre lecture. Les lois de D. ne sont pas, à D. ne plaise, des arbitraires. Bien au contraire, ces lois correspondent à une science supérieure, à une pensée supérieure. Mais cette pensée n’est pas de l’ordre de la gestion du monde, elle ne vient pas d’une nécessité du monde. Mais elle s’impose du fait de la structure que D. a pensée, si nous pouvons nous exprimer ainsi. C’est pour cela que ces lois dérangent et énervent les Nations dont l’investissement est la gestion et l’adaptation aux lois de la nature. C’est ce que nos Maîtres disent que les Nations idolâtres contestent et se moquent en affirmant n’y voir aucune pertinence.
Cette pensée supérieure n’est pas inintelligible par l’homme mais demande un effort soutenu, une ténacité, exige du mérite pour pouvoir l’atteindre et l’appréhender.
XI. לא נתנה תורה אלא לצרף הבריות. ‘La Torah n’a été donnée que pour raffiner les créatures’
Rambam ainsi que le Maharal rapportent tous deux un texte qui, de même que le passage du Traité Berakhot, soulèvera de grands débats pour l’interpréter. Sa source se trouve dans le Midrash Rabba (Béréshit Rabba début du chapitre 44, Vayikra Rabba 13,3, Midrash Tan’houma Parashat Shemini 8).
האל תמים דרכו אמרת ה’ צרופה מגן הוא לכל החוסים בו. רב אמר לא נתנו המצוות אלא לצרף את הבריות. וכי מה איכפת ליה להקדוש ברוך הוא למי ששוחט מן הצואר או מי ששוחט מן העורף, הוי לא נתנו המצןןת אלא לצרף הבריות.
‘ « Le D., Son chemin est parfait. La parole de D. est épurée, bouclier pour tous ceux qui mettent leur confiance en Lui (Téhilim 18,31) ». Rav dit : les commandements, les Mitsvot, n’ont été donnés que pour épurer les créatures. Mais qu’est-ce que cela peut faire à D. que l’homme fasse l’abattage de l’animal par la gorge ou fasse l’abattage par la nuque ? Cela prouve que les commandements n’ont été donnés que pour épurer les créatures.’
Rambam dans le vingt-sixième chapitre de la troisième section du Moré Nevokhim rapporte ce passage et l’aborde de la manière suivante :
‘Il semble en première lecture que certains commandements n’ont comme fonction et nécessité que l’essence même qu’ils soient des décrets, sans autre but ni utilité concrète (12).’
Rambam en donnera une lecture compatible avec sa démarche rapportée plus haut.
Le Maharal cite cet enseignement au chapitre 7 ainsi qu’au chapitre 8. Il en donne la lecture suivante (chapitre 8) [Une des préoccupations sous-jacentes est d’expliquer la pertinence de l’application des Mitsvot par des actes concrets et non seulement l’investissement dans des réflexions spéculatives] :
‘La Torah n’est pas de l’ordre du naturel. En effet si la Torah eût été de l’ordre du naturel il nous aurait impossible de rendre compte des notions de pureté et d’impureté de la Torah. Ces lois ne sont pas de l’ordre du monde mais correspondent à une structure d’une intelligence supérieure, Sékhèl, שכל. Et même si l’on ne connait pas et qu’on ne comprend pas à quoi correspond tel décret de la Torah, le fait de l’appliquer concrètement nous fait participer dans notre vie de cette intelligence supérieure, car la Torah n’a été donnée que pour épurer, raffiner les créatures. Ce raffinement de l’homme s’opère qu’il connaisse la raison du commandement ou qu’il ne le connaisse pas. L’essentiel est que ses actes agissent selon l’ordre de la pensée supérieure de manière précise. De cette manière ses actes correspondent à l’ordre de la pensée, épurent et affinent son être de la matérialité car la Torah est l’ordre de la pensée qui correspond à l’homme en ce qu’il est homme. Par le biais des Mitsvot, des commandements de la Torah, l’homme se colle à la pensée et par cela se colle au Créateur.’
Dans ce petit passage, le Maharal nous enseigne trois points fondamentaux.
Premièrement, le Tsirouf, l’épuration, dont on parle ne correspond pas à un arbitraire. Bien au contraire ce Tsirouf correspond à la pensée-même, qui est le contraire radical de l’arbitraire. Par l’action de Mitsva, qui correspond à la pensée-même, l’homme s’améliore mais pas dans le sens qu’il devient moral ou bon uniquement, mais s’améliore en cela que ses actes le font participer d’une dimension qui, par le biais des actes de ce monde, l’amène à un attachement à une dimension supérieure qui est un attachement à son Créateur, qui est radicalement séparé de toute matérialité.
Deuxièmement, ‘la Torah est l’ordre de la pensée qui correspond à l’homme en tant qu’homme’.
Cette phrase apparemment anodine est un bouleversement de conception impressionnant. Et l’analyse de ce point fera l’objet de la suite de cette étude. Quoi qu’il en soit, il nous semble important de mettre en relief que dans cette petite phrase le Maharal affirme que le centre de préoccupation de Torah et Mitsvot est l’homme en tant qu’homme (13).
Troisièmement, le but final de Torah et Mitsvot est la possibilité que l’homme se colle, Debékout, à son Créateur.
XII. ‘la Torah est l’ordre de la pensée qui correspond à l’homme en tant qu’homme’
Par cette phrase le Maharal fait progresser sa démarche. En effet le départ de la réflexion est de tenter de rendre compte de la Guemara de Berakhot 33b : ‘les dimensions de D. ne sont pas miséricorde car elles ne sont que des décrets’.
Nous pourrions expliquer (comme Rashi et Rambam) que les Mitsvot n’ont pas d’autre finalité que de mettre un joug sur l’homme. Le Maharal explique complètement différemment : les Mitsvot ne sont pas de l’à peu près, elles correspondent à une pensée extrêmement précise, à une haute pertinence, à la pensée supérieure.
Deuxième étape.
‘Qu’est-ce que cela peut faire à D. que l’homme fasse l’abattage de l’animal par la gorge ou fasse l’abattage par la nuque ? Cela prouve que les commandements n’ont été donnés que pour épurer les créatures’.
Encore une fois cet enseignement laisse entendre que les Mitsvot correspondraient à une sorte d’arbitraire dont la seule fonction serait que les créatures appliquent la volonté de D. . Le Maharal reprend cet enseignement de la manière suivante : les commandements de D. ne sont là que pour affiner les créatures, c’est-à-dire que pour introduire à l’intérieur de leur vie l’ordre de la pensée supérieure et de les faire participer de cette pensée supérieure. Mais il y encore une troisième étape.
Troisième étape.
Le but de faire participer l’humain, les créatures, de cette pensée supérieure est en fait de les épurer, de les affiner, de les faire progresser. Mais ce progrès n’est pas à comprendre seulement comme un progrès moral, quoique cette dimension soit véritablement présente (comme nous l’avons vu plus haut). Le progrès moral est quelque part une dimension du monde, une construction de la matérialité du monde. Cet affinement de l’homme est de lui donner la possibilité d’introduire dans sa vie une dimension qui lui serait complètement absente sans Torah et Mitsvot : la construction de soi, à comprendre comme la construction petit à petit de son être le plus intime (14).
En d’autres termes, les décrets de la Torah ne sont pas de l’ordre du monde, c’est pour cela que le Satan et les Nations du Monde les contestent et s’énervent par rapport à eux. Leur fonction est de donner à l’homme dans sa dimension la plus simple de participer dans sa vie à l’ordre de la pensée supérieure. Dans cette troisième étape de la démarche, le Maharal ajoute que cette pensée supérieure est structurée précisément selon ce qu’est l’homme. Elle correspond à l’homme en tant qu’homme.
Mais il y a là un hiatus. En effet il ressort de ce que nous apprenons là que l’homme, dans sa simplicité, n’est pas du monde, quelque part n’a rien à voir avec le monde.
La suite de cette étude est l’analyse précise de cette innovation du Maharal.
XIII. L’homme, centre de la Création. L’homme, centre de la Torah.
Les personnes éclairées de l’époque du Maharal défendaient que la grandeur de l’homme consiste à connaitre le monde, à porter sa recherche sur les mathématiques, les révolutions des astres et le développement des techniques.
Il consacre le chapitre douze à cette problématique. Nous apportons l’extrait suivant selon notre traduction.
‘L’homme est la base de la Création car tout a été créé pour lui. Il est seul toute l’existence (15), rien d’autre n’existe. Quand bien même l’homme serait façonné de matière, du fait du Tsélèm, צלם, de l’éclat divin créé en lui (Béréshit 1,27 בצלם אלקים ברא אותו, « à l’image de D. Il l’a créé ») il a une supériorité. Les Anges, Malakhim, sont à son service pour le protéger. C’est du fait de cette dimension supérieure du Tsélèm, de l’éclat divin, la Torah est relative à l’homme, et n’est relative qu’à lui de manière précise en cela que notre Tradition enseigne qu’il y a 248 commandements positifs dans la Torah, en référence aux 248 membres du corps humain.
C’est pourquoi la Torah, qui est la Torah de l’homme en cela que l’homme possède ce Tsélèm Elokim, cet éclat divin, est ce qui va parfaire l’homme, et nulle autre discipline. En effet il n’est pas légitime que se parfasse ce qui est grand par ce qui est moindre. Si l’homme atteignait une perfection par la connaissance des lois de l’univers, par la connaissance des révolutions des astres, par l’analyse de la matière, et de ce qui est encore plus contingent, cela reviendrait à ce que le grand s’accomplirait par ce qui lui est moindre.’
Dans ce passage concis, le Maharal prouve que la Torah correspond à l’homme dans ce qui le caractérise c’est-à-dire le Tsélèm Elokim, l’éclat divin. La preuve est ce que nos Maîtres enseignent qu’il y a 248 commandements positifs dans la Torah, ce qui correspond aux 248 membres du corps humain.
XIV. לולי תורתך שעשועי אז אבדתי בעוני, ‘Si ce n’était Ta Torah qui me donne de la joie, je serais perdu dans ma détresse’ (Téhilim 119,92).
Essayons d’écouter ce que nos Maîtres nous enseignent dans ce que le Maharal nous rapporte ici.
Chacun d’entre nous a une soif, une recherche, une attente de but dans la vie, d’accomplissement, de félicité pour reprendre un terme des temps passés. Ce qui est le fondement de notre être, le Tsélème Elokim, l’éclat divin qui nous caractérise a un besoin impérieux d’existence. Mais le monde, dans lequel l’enfant vient, n’a que faire de cette âme d’un autre monde, d’une réalité radicalement autre.
L’enfant, lorsqu’il nait, hurle. Il exprime sa détresse de venir dans un monde où il n’a pas de place.
Un poète a très bien exprimé cette détresse : ‘quelle est ma place dans le trafic (16) ?’
Le Maharal innove en disant que la Torah est l’ordre de la pensée supérieure qui est structurée en correspondance à l’homme. Il y a deux éléments dans cet enseignement.
Premièrement l’homme n’est pas bien à sa place dans ce monde. Il n’y est pas adapté. C’est la Torah qui va lui donner la possibilité qu’à travers ce monde il ait une existence et que son être concrétise ce qui lui incombe en tant que lui-même.
Deuxièmement, la Torah est l’ordre de la pensée supérieure. Le Maharal nous indique ici ce que l’on appelle un Derèkh HaLimoud, דרך הלימוד, une démarche dans l’étude de la Torah. Il développe ce point dans le chapitre suivant (chapitre 13).
XV. Un Derèkh HaLimoud, דרך הלימוד, une démarche dans l’étude de la Torah.
Dans le treizième chapitre le Maharal aborde la question classique que beaucoup de personnes auto-proclamées éclairées se posent ou nous posent :
‘Ne serait-il pas préférable de s’investir dans les sciences profanes qui s’occupent de sujets élevés comme la physique, les mathématiques, l’astronomie, plutôt que de passer son temps à étudier les tribulations d’Avraham qui vivait dans une époque révolue, ou de savoir si tel mélange est casher ou tel autre ne l’est pas ?’
La démarche par laquelle le Maharal va répondre à cette question nous ouvrira un chemin vers une manière de nous investir dans l’étude de la Torah (nous en donnons notre traduction).
‘Sache que la Torah, parfaite en tous points, est le cœur de la connaissance de toutes choses. Et ce qu’il semble à quelques personnes que les sujets de la Torah s’occupent de choses de peu d’intérêt, ceci n’est pas étonnant. En effet l’abord que nous avons de la Torah de l’homme correspond à l’abord que nous avons de l’homme lui-même. L’homme se tient parmi les réalités inférieures, quand bien même aurait-il une âme taillée de sous le Trône de Gloire de D., âme d’un niveau supérieur, et que luise sur lui l’éclat divin, Tsélèm Elokim, qui est le niveau le plus élevé qui soit. De la même manière, les commandements de la Torah (qui lui sont en correspondance), quand bien même s’occupent-ils de sujets matériels, comportent des secrets qui se tiennent dans les hauteurs du monde. De cette manière tu ne t’étonneras pas comment l’homme peut atteindre la félicité du monde futur par le biais de la Torah qui s’occupe de choses petites et basses, car si tu te poses cette question, étonne-toi alors comment l’homme fait de matière peut-il mériter la vie éternelle. La réponse sera que l’homme, quand bien même est-il façonné de corporalité et de matière, ne t’arrête pas au contenant mais regarde ce qu’il contient ! il comporte en lui un souffle divin, l’âme sainte, taillée de sous le Trône de gloire, et par ce biais l’homme atteint la vie éternelle. De même les commandements de la Torah, les Mitsvot, quand bien même paraissent-ils s’occuper de choses de rien, basses, il y a en eux des dimensions les plus élevées qui soient qui atteignent le monde futur, de telle manière que les commandements de la Torah qui s’imposent à l’homme d’accomplir ressemblent parfaitement à l’homme et à la grandeur de son âme.
Ici nous touchons un point central et innovant. La Torah et les Mitsvot correspondent en tous points à la structure de c’est qu’est l’homme. L’homme est l’union subtile de corporalité et d’âme. La Torah, correspondant en son fond à l’homme. Elle va lui donner la possibilité de faire éclore ces différentes dimensions et que la dimension subtile de la Neshama, l’âme, ne soit pas étouffée mais que bien au contraire se développe petit à petit et lui donne une construction dans le monde qui lui correspondra, le Monde Futur, comme disent nos Maîtres (Traité Kidoushin 39b) : שכר מצווה בהאי עלמא ליכא, ‘la récompense de l’accomplissement des Mistvot n’est pas dans ce monde-ci’.
Le monde dans lequel nous sommes pourrait se laisser percevoir comme étant un monde en soi, abouti, fini, une fin en soi. L’étude de la Torah, faisant participer les différentes dimensions de ce monde, des actes de Mitsva, le droit civil, le droit pénal, la logique, l’analyse logique, nous fait découvrir que ce monde dans lequel nous vivons est un habit de dimensions supérieures, de secrets sublimes, d’un monde qui l’embrasse et l’élève.
La Torah elle-même comporte plusieurs dimensions qui se mettent à jour petit à petit.
‘Cette Torah-là possède hauteur sur hauteur, dimension supérieure au-dessus de dimension supérieure jusqu’à ce qu’elle atteigne le Monde Futur. Quand bien même les paroles de Torah paraissent comme des choses vraiment de bas étage avec tout cela elles font accéder au Monde Futur. En effet l’étude de la Torah correspond à l’homme et de la même manière que l’homme, bien qu’il soit dans ce monde-ci et qu’il soit fait de chair et de sang, il mérite du Monde Futur qui est retiré de toute matérialité, de même la Torah, quand bien même l’homme qui s’y investit s’occupe de choses matérielles qui sont les Mitsvot, les commandements de la Torah, atteindra-t-il par ce biais le niveau supérieur qui est l’intériorité de la Torah et en étudiant la Torah pour elle-même s’attache aux secrets mêmes de la Torah’.
Il y a, si nous pouvons nous exprimer ainsi, un drame dans l’étude de la Torah. En effet apparemment la Torah a l’air de s’occuper de choses de peu d’intérêt, de détails d’un âge révolu. Or par ces détails qui correspondent au vécu simple de tout un chacun, la Torah nous accompagne patiemment et nous amène aux dimensions les plus élevées qui soient et par le biais de notre vécu nous fait accéder à la félicité d’un monde éternel, le Monde Futur. Mais nos Maîtres y apportent une condition (que nous avons soulignée dans le corps du texte) : ‘en étudiant la Torah pour elle-même’. En effet si nous étudions la Torah pour un intérêt des choses du monde, nous limitons la portée de cette étude et restons, si nous pouvons nous exprimer ainsi, limités au niveau anecdotique de l’apparence de la Torah.
La seconde Beraïta du sixième chapitre de Pirké Avot nous enseigne :
רבי מאיר אומר כל העוסק בתורה לשמה זוכה לדברים הרבה ולא עוד אלא … מגלין לו רזי תורה.
‘Rabbi Méir dit : toute personne qui étudie la Torah pour elle-même, mérite de multiples bienfaits, et non seulement cela mais encore (…) on lui dévoile des secrets de la Torah’.
Le Maharal développe dans son commentaire Derekh ‘Haïm sur Pirké Avot :
‘Nos Maîtres disent « celui qui étudie la Torah pour elle-même, Lishma ». Effectivement car s’il étudie la Torah pour elle-même strictement alors seulement il accède à la grandeur de la Torah car il l’étudie pour elle, pour ce qu’elle est. Par contre si son étude n’est pas Lishma, pour la Torah elle-même mais pour qu’on l’honore par exemple il n’accède pas du tout à la grandeur de la Torah car son étude n’est pas pour la Torah elle-même.’
L’étude de la Torah et l’accomplissement de ses commandements nous fait participer de l’infini de la Torah et de l’infini de D.. La personne n’en reçoit les véritables bienfaits que si elle ne limite pas elle-même son investissement. Si elle y investit un intérêt de ce monde-ci, comme une profession, un métier, une position sociale, la dimension secrète de la Torah en est évacuée car limitée. Et là réside le drame de la vie juive. En effet si quelqu’un ne s’investit pas dans la Torah selon la dimension qui lui spécifique, c’est-à-dire ‘pour elle-même’, Lishma, non seulement la personne n’atteint pas ce à quoi la Torah est censée l’amener, c’est-à-dire les secrets de la Torah et le Monde Futur, mais encore même l’existence dans ce monde-ci lui est retirée car au niveau simple de la vie sur terre la Torah n’est pas bien adaptée.
C’est ce que nos Maîtres nous enseignent dans le Traité Shabbat (88b) :
אמר רב חננאל בר פפא מאי דכתיב שמעו כי נגידים אדבר, למה נמשלו דברי תורה כנגיד, לומר לך מה נגיד יש בו כדי להמית והחיות אף דברי תורה יש בם להמית ולהחיות.
‘Rav ‘Hananel bar Papa enseigne : que nous dit le verset (Mishlé 8,6) « Ecoutez car des puissants (des paroles puissantes) Je proférerai ! » ? Pourquoi les paroles de Torah sont-elles comparées à des puissants (de ce monde) ? De la même manière que le puissant (Naguid) a la possibilité de tuer ou de faire vivre, de la même manière les paroles de Torah ont la possibilité de tuer ou de faire vivre.’
Que signifie cet enseignement de Rav ‘Hananel bar Papa ? Nous comprenons aisément qu’un puissant de ce monde a la capacité de donner la mort, mais en quoi a-t-il la possibilité de donner la vie ? En donnant de la nourriture, de la subsistance à quelqu’un ? Et quelle est la comparaison avec les paroles de Torah ? Certes la Torah comporte beaucoup d’interdits qui peuvent amener une personne à être condamnée à mort, mais en quoi la Torah donne-t-elle la vie ?
La Guemara continue et dit que cet enseignement de Rav ‘Hananel bar Papa corrobore l’enseignement suivant de Rava :
היינו דאמר רבא למיימינין בה סמא דחיי למשמאילין בה סמא דמותא.
‘Cela corrobore l’enseignement de Rava qui dit : pour ceux qui s’en occupent avec la main droite, la Torah est une potion de vie, pour ceux qui s’en occupent avec la main gauche, la Torah est une potion de mort.’
Rashi explique :
‘Pour ceux qui s’en occupent avec la main droite. C’est-à-dire ceux qui sont investis dans la Torah avec toute leur énergie, et perturbés d’en connaitre le secret, comme un homme qui utilise sa main droite qui est la main principale.’
Utiliser sa main droite signifie aborder la Torah comme il se doit, en s’en donnant les moyens, et non de manière inadéquate et inappropriée, comme si on utilisait la main gauche.
Le Maharsha sur cette Guemara reformule l’enseignement de Rava en d’autres termes, en disant que cette notion de ‘main droite’ correspond à ce que l’on appelle ‘étudier la Torah Lishma’, pour elle-même, sans en mettre de limite, et ‘main gauche’ correspond à ce que l’on appelle ‘Shélo Lishma’, pour un intérêt.
L’innovation dramatique est qu’il n’y a pas de moyen terme. Rava nous enseigne que si la personne étudie la Torah comme il se doit, de manière libre, alors la Torah sera source de vie, le vivifiera. Si la personne y introduit un intérêt des multiples intérêts du monde, alors la Torah sera la source même de la perte de cette personne. Mais qui peut se targuer d’étudier la Torah comme il se doit ? La Torah est tellement vaste qu’il est légitime de penser que l’on en fasse sa vie et sa profession, alors qu’allons-nous devenir si la Torah devient alors notre manière de nous insérer dans la société, une manière d’avoir une place dans la communauté ?
D’autre part pourquoi nos Maîtres nous disent-ils que si l’on n’étudie pas la Torah avec toute notre âme, ce qui est la manière adéquate d’étudier la Torah, alors la Torah elle-même sera notre poison mortel ? On pourrait dire que, si l’on n’étudie pas de manière désintéressée, la Torah ne nous donnera pas toutes ses vertus mais que l’on s’en sortira tout de même bon an mal an ! Pourquoi affirmer que ce sera une catastrophe ? Le Maharal cite un passage du Midrash HaNéhélam (Zohar Parashat Bahalotekha 152a) qui nous en explique la cause (nous en donnons notre traduction) :
XVI. Midrash HaNéhélam (Zohar Parashat Bahalotekha 152a)
‘Rabbi Shimon dit : malheur à cet homme qui dirait que la Torah vient nous conter des récits et des histoires à comprendre dans leurs simplicités. Si cela était vrai nous pourrions de nos jours faire une nouvelle Torah avec des récits et des histoires encore plus magnifiques que ce qui se trouve dans la Torah. Et si la Torah venait nous compter des choses de ce monde-ci, et bien les grands de ce monde justement ont des récits bien plus beaux que la Torah, et si cela était ainsi suivons leurs exemples et faisons une Torah de leur genre (17) ! En fait toutes les paroles de la Torah sont des paroles élevées et des secrets élevés.
Viens voir (18): Le monde supérieur et le monde inférieur correspondent l’un à l’autre. Israël se trouvent en bas, les Malakhim, les Anges supérieurs se trouvent en haut. Il est dit au sujet des Anges supérieurs (Téhilim 104,4) « Ses Anges sont faits de vent ». Cependant lorsque ces Anges viennent ici-bas ils s’habillent des habits de ce monde. Et s’ils ne s’habillaient pas des habits à la mode de ce monde-ci ils ne pourraient pas tenir dans ce monde et le monde ne pourrait les supporter (19). Si déjà les Anges doivent s’habiller des habits de ce monde pour pouvoir y résider, la Torah qui les a créés (20), qui a créé tous les mondes et dont les mondes ne peuvent tenir sans elle, raison de plus que cette Torah (d’une sainteté infiniment plus puissante que les Anges), lorsqu’elle vient dans ce monde, si elle ne s’habillait pas des habits de ce monde ne pourrait-elle pas être supportée par ce monde-même. De ce fait les récits de la Torah sont des habits de la Torah. La personne qui pense que cet habit est la Torah elle-même et qu’il n’y a rien d’autre, que cette personne soit anéantie et qu’elle n’ait pas de part dans le Monde Futur. C’est pour cela que le roi David dit (Tehilim 119,18) « Enlève le voile de mes yeux que je voie les prodiges de Ta Torah ! ».
Viens voir : Il y a des habits que tout le monde peut voir, et ces imbéciles lorsqu’ils voient une personne vêtue de cet habit remarquent la beauté de cet habit et ne scrutent pas plus. Ils sont idiots car ce qui donne une importance à cet habit c’est le corps, et ce qui donne une importance au corps c’est l’âme. De la même manière la Torah a un corps qui sont les commandements de la Torah qui sont appelés Goufé Torah, les corps de la Torah (21). Ce corps de la Torah s’habille dans des habits qui sont des récits des choses du monde. Les imbéciles qui vont de par le monde ne portent leur attention qu’à l’habit représenté par les histoires racontées par la Torah. Ils ne scrutent pas plus et n’ont pas l’idée de plus. Ils ne regardent pas ce qui est sous l’habit.’
Le Zohar, pour nous faire saisir la profondeur de son propos, prend lui-même un exemple pertinent de la vie quotidienne auquel chacun d’entre nous a été confronté. On ne peut pas vivre en société si on ne rentre pas dans les codes de cette société. Chaque type social se définit par ses habits. Un médecin a des habits de médecin, une blouse, un stéthoscope. S’il n’a pas ses habits de médecin, il ne peut pas exercer son métier, les gens ne le prennent pas au sérieux. Un instituteur a des habits d’instituteur. Un rabbin a des habits de rabbin. Un employé de banque a des habits d’employé de banque, s’il s’habille autrement il ne peut pas travailler. Souvent les gens regardent la manière dont nous sommes habillés avant de regarder notre visage. Notre habit donne beaucoup de renseignements sur notre rang social, notre opinion politique, notre fortune. Cette insertion sociale est vitale. On ne peut pas vivre seul, inventer un monde à nous-même, des codes à nous-même, et même cela sera interprété comme entrant dans le clan des marginaux. Mais ne sommes-nous que notre insertion sociale ? Ne sommes-nous que notre insertion dans un clan ? Dans des codes ? Des habits ?
Continuons le passage du Zohar.
‘Ceux qui connaissent plus ne portent pas leur attention à l’habit mais au corps qui se trouve sous cet habit (c’est-à-dire qu’ils portent leur attention aux Mitsvot de la Torah qui sont le corps de la Torah). Les ‘Hakhamim, les Sages, les serviteurs du Roi Supérieur, eux qui se sont tenus sur la montagne de Sinaï, ne portent leur attention qu’à l’âme de la Torah, ce qui est la base concrète de toute la Torah entière. Aux Temps Futurs ils seront invités à scruter l’âme de l’âme de la Torah.’
L’étude de la Torah est d’une grande complexité. Cette complexité nous interpelle et nous invite à rechercher la pensée supérieure qui régit cet ensemble. Les Grands Maîtres des générations se sont investis à dégager de cet ensemble incroyablement complexe les lames de fond, les éléments de pensée, et de pensée de pensée, qui régissent l’océan du Talmud et les ouvrages afférents.
XVII. Résumons où nous en sommes.
Au paragraphe douze de cette étude nous avons vu que les Mitsvot de la Torah loin d’être, à D. ne plaise, des arbitraires correspondent bien au contraire à une pensée supérieure. Si la Torah a l’air de parler de récits et de choses communes de l’existence c’est que la Torah correspond à l’homme qui est lui-aussi fait d’habits, de corps et d’âme. La Torah l’amène petit à petit à développer en lui ces différentes dimensions qui constituent son être. Si je ne m’attache qu’à l’aspect premier, apparent, de la Torah et des Mistvot effectivement je m’enferre dans un univers catastrophique et éminemment limité, folklorique. Le Zohar nous enseigne que si on n’investit pas notre recherche de connaissance dans l’étude de la Torah, cela revient à ne regarder dans la personne qui est en face de nous que son vêtement, son habit (22).
Toutefois un problème important subsiste. Tout le long de cette étude est revenu le terme ‘pensée supérieure’. Que veut dire ce terme, quelle en est la teneur ? N’est-ce pas dérangeant d’utiliser des termes dont ne savons pas ce qu’ils recouvrent ? Le Maharal va définir ce terme de manière extrêmement précise et subvertir comme à son habitude nos idées préconçues.
XVIII. Une première définition à partir de la Guemara du Traité Berakhot 8a.
אמר רב הונא בר יהודה אמר רבי אסי לעולם ישלים אדם פרשיותיו עם הציבור שנים מקרא וחד תרגום ואפילו עטרות ודיבון, שכל המשלים פרשיותיו עם הציבור מאריכין לו ימיו ושנותיו.
‘Rav Houna bar Yéhouda dit au nom de Rav Assé : que toujours l’homme termine les sections de la Torah avec la communauté deux fois les versets en hébreu dans le texte et une fois en Targoum (avec la traduction en araméen) car tout celui qui termine les sections avec la communauté on lui allonge ses jours et ses années.’
Les Maîtres de la Tradition ont institué de lire dans la Torah chaque Shabbat dans chaque communauté et la coutume actuelle est de terminer la lecture de tout le rouleau de la Torah en un an. Notre enseignement nous encourage à se préparer à cette lecture communautaire et de lire chaque semaine la section shabbatique avec sa traduction araméenne pour que nous sachions de quoi il s’agit, l’araméen étant la langue parlée par tous à l’époque de la rédaction du Talmud (23).
Le Maharal aborde plusieurs fois cet enseignement dans son œuvre (Netivot Olam, Netiv HaAvoda chapitre 13 et Tiféret Israël chapitre 13). Nous rapporterons ici la seconde explication du Tiféret Israël (nous n’en donnons pas une traduction mot-à-mot et introduisons quelques ajouts dans le corps du texte).
‘Nos Maîtres disent « celui qui termine les sections avec la communauté on lui allonge ses jours et ses années », car du Monde Futur où se trouve la longévité des jours et des années lui parvient à celui qui termine les sections de la Torah la longévité des jours et des années. En effet l’homme a trois dimensions qui correspondent à ces trois niveaux de lecture. La première dimension est le corps, visible. La seconde dimension est l’âme, ineffable, impalpable. La troisième dimension est le fait que l’homme est prédisposé au Monde Futur, comme nos Maîtres nous l’enseignent (Béréshit Rabba 14,5) : « L’Eternel D. réalisa l’homme (Béréshit 2,6) » le terme hébraïque est וייצר, VaYiétsèr, avec deux Youds, ce qui nous laisse entendre qu’il y a deux réalisations dans l’homme, une réalisation dans ce monde-ci et une réalisation dans le Monde Futur. Cette dimension du Monde Futur représente la dimension finale. Quand bien même cette dimension ne prendra réalité qu’au futur néanmoins elle est en potentiel en l’homme dès l’instant de sa création, c’est pourquoi il y a deux Youds dans sa réalisation, c’est-à-dire dès à présent (24). Nous parlons ici du Tsélèm Elokim, du reflet divin créé en l’homme et par lequel il a en lui cette dimension supérieure qui est le Monde Futur.
De la même manière la Torah possède trois dimensions. La première dimension (qui correspond au corps) est la dimension visible par tous, le corps du texte. La seconde dimension est ce qui n’est pas apparent, ce qui est caché et qui n’est compréhensible que par les ‘Hakhamim et les Névonim, les Savants et ceux qui sont doués de compréhension. La troisième dimension qui se trouve dans la Torah est ce qui fait allusion au Monde Futur. Ceci n’est pas concevable par aucun humain car « l’œil ne l’a pas vu si ce n’est Toi D. ». Tous les prophètes n’ont perçu que ce monde-ci, mais pas le Monde Futur qui est d’une dimension supérieure, au sujet duquel le verset dit (Yishaya 64,3) « L’œil ne l’a pas vu si ce n’est Toi D. ». C’est pourquoi il s’impose de lire deux fois les versets et une fois la traduction en araméen, le Targoum. (La première lecture du verset dans le corps du texte en hébreu correspond à la première dimension, le corps. La répétition c’est-à-dire la révision correspond à l’approfondissement qui touche la Neshama, l’âme) La lecture en araméen correspond à la dimension supérieure qui est la dimension du Monde Futur. Ceci vient du fait que l’araméen n’est pas considéré comme étant ce que l’on peut appeler une langue comme nos Maîtres l’enseignent (Traité Méguila 10b) : Que dit le verset (Yishaya 14,22) « Je retrancherai de Babylone le nom et la trace » ? Ce sont les Chaldéens qui n’ont ni écriture ni langue. En effet l’araméen qui est la langue de Babylone n’est pas considéré comme étant une langue (c’est un agglomérat de plusieurs langues, un dialecte (25)). Et comme l’araméen n’est pas considéré comme une langue, la pensée en constitue l’essentiel et la pensée est la dimension la plus élevée qui soit, c’est la dimension du Monde Futur, d’où la nécessité de la troisième lecture en araméen.
De plus les Anges du Service (les forces spirituelles déléguées à la gestion du monde) ne comprennent pas cette langue, comme nos Maîtres nous l’enseignent dans le Traité Shabbat (12b) « Un Israël qui demande ses besoins dans la langue araméenne, les Anges du Service ne peuvent intercéder dans sa prière car ce n’est pas la langue des Anges ». C’est pourquoi la troisième lecture se doit d’être justement en langue araméenne qui correspond au Monde Futur dans lequel les Anges n’ont aucune part si ce n’est Israël.’
XIX. Méditons sur ce commentaire du Maharal.
Dans ce passage, le Maharal opère une révolution absolue.
Essayons de reprendre ce passage étape par étape.
Tout d’abord nous aurions pu penser qu’il n’y ait en nous que deux dimensions, le corps et l’âme. Le Maharal nous prouve de la Guemara du Traité Berakhot qu’il y a en nous trois dimensions, dont l’une, celle correspondant au Monde Futur, est supérieure à celle de l’âme.
Nous retrouvons ici cette même terminologie, ‘dimension supérieure’. Si cette dimension est qualifiée de ‘supérieure’, nous pourrions imaginer qu’elle s’exprime par la lecture du corps même du texte de la Torah. Or voici que le Maharal prouve de ce passage du Traité Berakhot que c’est la lecture de la traduction de la Torah en patois, en judéo-chaldéen, qui nous fait participer de cette haute dimension. Outre le paradoxe évident, quel peut en être la logique ?
Il nous semble devoir expliquer ainsi à partir des mots mêmes du Maharal, et là réside le nœud de notre étude présente.
Nous avons vu plus haut que les lois de la Torah sont des Guezérot, des décrets. Le Maharal nous a aidés à expliquer cette expression en disant que les lois de la Torah correspondent à une pensée supérieure, à une pensée précise et non arbitraire, néanmoins d’une dimension supérieure à la gestion de ce monde-ci.
Dans un second temps le Maharal nous a prouvé que cet ordre de la pensée correspond à l’homme en tant qu’homme et que petit à petit la Torah et les Mitsvot amènent l’homme comme il est, fait de chair et de sang, à accéder à cet ordre supérieur.
Maintenant quel est le point précis où l’homme accède à ce monde supérieur ? Il ressort de l’étude présente que ce point précis est lorsque l’homme arrive à formuler dans son langage à lui ce dont la Torah parle. C’est le lieu précis du passage entre la Torah écrite et la Torah orale. Le Maharal nous donne les mots précis pour formuler ce dont il parle. Le monde dans lequel nous vivons est appelé dans notre Tradition ‘ce monde-ci’. C’est-à-dire que nous sommes dans un monde régi par des lois précises. De la même manière chaque nation possède son langage spécifique. Une langue est un ensemble cohérent, structuré. De la même manière que notre Tradition dit qu’il y a soixante-dix peuples régis par soixante-dix Anges, Malakhim, de la même manière il y a soixante-dix langues qui animent spirituellement ces Nations.
Nos Maîtres (26) ont institué de dire les jours de fête : ורוממתנו מכל הלשונות, ‘Tu nous a élevés au-dessus de toutes les langues’.
Nous rendons grâce à D. qu’Il nous a élevé de ne pas être quelque part soumis aux forces spirituelles des Nations. L’abord premier est de dire que notre spécificité tient en ce que nous utilisons une langue différente, Kadosh, ce que l’on appelle Lashon HaKodesh, לשון הקודש, l’hébreu, le langage de la Torah.
Le Maharal nous bouleverse cette approche (qui n’est pas fausse mais qui n’est pas précise). Certes la Torah, le texte de la Torah, est dite en hébreu. Dire la Torah en hébreu nous éveille petit à petit à une autre dimension que la dimension du monde proposée par les Nations. Mais l’hébreu, quand bien même n’est-il pas répertorié dans les soixante-dix langues est encore une langue, avec ses structures et ses limites. L’élévation véritable se trouve lorsque j’arrive à trouver mes mots pour formuler de manière précise ce dont la Torah parle et nous enseigne. Pour cela il faut dépasser les structures, il faut des fois inventer des mots, bouleverser le langage. L’araméen est un patois, une sorte de judéo-arabe, de ladino, de Yiddish. Ce dialecte populaire, ce langage populaire, avec ses mots biscornus, nous donne la possibilité de trouver nos mots pour exprimer notre pensée intime, pour exprimer avec nos mots précis ce que la Torah a à nous dire à nous, à moi. La langue académique a sa place comme organisation de la société, comme gestion du monde. Les anges comprennent ce langage, mais l’homme est au-dessus des anges, il est dans le monde mais n’est pas réduit au monde, limité par le monde, il y influe un mouvement. Cet influx s’appelle Monde Futur.
Nous pouvons résumer cette démarche de la manière suivante. Dans un premier temps on peut aborder la phrase de la prière des fêtes ‘Tu nous a élevés au-dessus de toutes les langues’ en disant que, grâce à l’hébreu de la Torah, D. nous a élevés au-dessus de toutes les langues, au-dessus des soixante-dix langues des Nations.
Dans un second temps, nous pouvons dire que D. nous a élevés au-dessus de toutes les langues (‘Tu nous a élevés au-dessus de toutes les langues’), et même au-dessus de l’hébreu (car l’hébreu aussi est une langue) en nous éduquant à formuler les paroles de la Torah dans nos mots à nous, quitte à trouver dans le langage populaire, non institutionnel, les mots et les exemples qui peuvent faire que la Torah soit proche de nous, proche de notre vécu, proche de notre pensée intime à chacun, et que, par cette formulation orale, elle se concrétise dans notre vie à nous.
Ceci est un Derekh HaLimoud, une démarche dans l’étude de la Torah : étudier avec approfondissement un sujet jusqu’à ce que l’on sache de manière précise de quoi il s’agit et que l’on puisse le formuler simplement. Nous trouvons cette démarche chez de grands Maîtres (27) comme Rav Yehiel Mikhel Epstein, auteur du Aroukh HaShoul’han, ou Rav Feinstein dans ses ouvrages Diberot Moshé et ses responsas. Cela peut paraitre simple et évident. L’innovation est de dire que là se trouve le point appelé Olam HaBa, le Monde Futur, la dimension supérieure. En effet la complexité de la réalisation de l’homme, fait de ce monde-ci et fait de Monde Futur, n’est pas réductible à la dimension unidimensionnelle de ce monde. Par l’étude approfondie de la Torah, l’homme s’amène lui, et, par lui, le monde lui-même, à son apogée, le Monde Futur (28).
Le Maharal va encore approfondir sa démarche dans les chapitres suivants.
XX. Les lois de la Torah ne sont pas de la dimension de Ra’hamim mais sont des décrets. Nouvel aspect du propos. Chapitre dix-sept. Réflexion sur l’existence.
Si la Torah est la structure par laquelle D. a créé le monde (29), pourquoi n’a-t-elle pas été donnée aux prémices de cette création au premier homme et à toute l’humanité, mais, bien au contraire, tard au don de la Torah à Israël au Sinaï ?
Le Maharal, au chapitre dix-sept, va prouver à partir du Midrash Shemot Rabba (chapitre 30,§6) que la Torah a été donnée précisément à Israël, or Israël s’est formé le dernier de tous les peuples.
L’étude du Midrash est une science difficile. Le Maharal, au détour de ses commentaires, nous en dévoile certaines clefs. Nous ne pouvons pas faire l’économie des méandres des commentaires jusqu’à ce que se mettent à jour les points fondamentaux et éclairants (Nous donnons notre traduction de ce Midrash).
מגיד דבריו ליעקב חוקיו ומשפטיו לישראל
‘ « Raconte Ses paroles à Yaakov, Ses décrets et Ses lois à Israël (Téhilim 147,19)». Rabbi Abahou dit au nom de Rabbi Yossi bar ‘Hanina. Cela ressemble à un roi qui possédait un beau verger. Il y plantait toutes sortes d’arbres et aucun homme ne pouvait y pénétrer si ce n’est le roi qui en prenait la garde. Quand ses fils arrivèrent à leur majorité il leur dit : mes enfants, ce verger, c’est moi seul qui en avait la garde, et je ne laissais à personne le droit d’y pénétrer. Dorénavant c’est vous qui le garderez, de la même manière que c’était moi qui le gardais. De même D. dit à Israël : J’ai créé la Torah avant que Je ne crée le monde (…), et Je ne l’ai confiée à aucune des Nations seulement à Israël. Lorsqu’Israël se sont tenus (30) au mont Sinaï et ont dit (Shemot 19,8) « Tout ce que D. dit nous accomplirons » alors à ce moment-là toute la Torah leur fut donnée. C’est ce que dit le verset (Téhilim 147,19) « Raconte Ses paroles à Yaakov (31), Ses décrets et Ses lois à Israël. Il n’a fait cela pour aucun des autres peuples, Ses lois leur demeurent inconnues, glorifiez D. » (32).
Rabbi Simon dit au nom de Rabbi ‘Hanina. Cela ressemble à un roi qui avait devant lui une table magnifiquement dressée. Entre son serviteur, il lui donne un morceau, un second, il lui donne un œuf, un troisième il lui donne un gigot. Vient son fils, il lui donne la table entière devant lui. Il lui dit : à eux je ne leur ai donné que des morceaux, mais à toi je mets tout à ta disposition. De même D. ne donna que quelques commandements, mais lorsque se tinrent les enfants d’Israël au Sinaï, Il leur donna toute la Torah, comme dit le verset « Il n’a fait cela pour aucun des autres peuples, Ses lois leur demeurent inconnues » (33).
Rabbi Elazar dit. Cela ressemble à un roi qui part à la guerre. Ses légions étaient avec lui. Le roi fit un abattage d’animaux et partagea de cette viande entre ses soldats pour qu’ils s’épuisent (34). Vient son fils et lui dit : que me donnes-tu ? Il lui dit : je te donne de ce que je me suis préparé pour moi-même. C’est pourquoi D. a donné aux Nations des commandements bruts pour qu’ils s’épuisent en eux. Il ne leur définit pas la différence entre le pur et l’impur. Viennent Israël, Il leur définit avec précision chaque Mitsva, ses châtiments et ses récompenses (35), comme dit le verset (Shir HaShirim 1,2) « Qu’Il m’embrasse des baisers de Sa bouche ! ». C’est pour cela qu’il est dit « Ses décrets et Ses lois à Israël ».’
Le Maharal va donner petit à petit son explication de ce Midrash.
Nous en donnons notre traduction. Le Maharal va introduire quelques notions que nous n’avons encore pas abordées jusqu’ici. La difficulté sera de définir avec précision ce que ces notions signifient.
‘Explication. De la même manière que l’Eternel est de l’ordre de l’existence nécessaire, de même les paroles de Torah s’imposent de manière nécessaire depuis D. dont elles tirent leur structure et qui a décrété que ces paroles soient ainsi et non autrement.
C’est pourquoi aucune créature ne pouvait pénétrer dans le verger si ce n’est D. dont l’existence est nécessaire. Toutes les créatures sont contingentes et ce d’un point de vue fondamental car elles ne sont créées que pour être au service d’autres. Mais en tant que telles ces créatures sont contingentes. Ce qui n’est pas le cas de la Torah qui tire sa structure de D. même.
De même Israël leur existence s’impose du fait de leur cause. En effet tout causé, quand bien même serait-il contingent par lui-même, est nécessaire du fait de sa cause qui est D. . Mais les autres créatures et les Anges du Service ne sont pas nécessaires du fait de leur cause car ils sont créés pour être au service d’autres, ce qui fondamentalement n’est pas de l’ordre du nécessaire.’
Comme à son habitude, le Maharal commence par affirmer des assertions qui nous paraissent abstraites et absconses. Il va dévoiler petit à petit ce qui se cache dans cette étrange terminologie.
‘C’est pourquoi le Midrash dit qu’il ne laissait personne pénétrer dans son verger car les créatures n’ont rien à voir avec ce qui concerne la divinité elle-même. Et cela jusqu’à ce que viennent Israël dont l’existence est nécessaire du fait de sa cause qui est l’Eternel, comme la Torah qui s’impose de manière nécessaire du fait même de sa cause qui est l’Eternel. En effet Israël sont appelés enfants de D., comme dit le verset (Devarim 14,1) « Enfants vous-êtes pour l’Eternel votre D. ». En effet l’enfant n’est pas créé pour être au service d’autres. C’est pourquoi Israël ont le statut véritablement précis d’êtres causés de D., dont l’existence est de l’ordre du nécessaire du fait de sa cause. Ce qui n’est pas le cas des Malakhim, des Anges, dont le nom même Malakh, émissaire, nous enseigne sur leur fonction d’être au service d’autres qui les mandatent. C’est pourquoi la Torah est destinée à Israël de manière essentielle, et à aucune autre réalité.’
Ces quelques lignes concentrent à nos yeux l’essence de la révolution maharalienne (36). Essayons d’expliquer.
D. est de l’ordre de l’existence nécessaire. Ces termes sont sympathiques, fleurent bon la terminologie aristotélicienne. Mais de quoi s’agit-il ? Pour entrer dans le sujet le Maharal nous apporte un verset connu : בנים אתם לה’ אלקכם, ‘vous êtes des enfants pour l’Eternel votre D. ‘. En quoi cela nous avance-t-il ? Et tout d’un coup il traduit cela en termes que nous connaissons, en termes de notre vie quotidienne : un fils n’est au service de personne.
Que signifie cette expression ?
Toute réalité a une fonction dans le monde. Les forces spirituelles de l’univers, les Malakhim, les Anges, servent à régir ce monde. Ce sont les envoyés de D. si nous pouvons nous exprimer ainsi. Tout ce qui a une fonction n’existe pas en tant que tel, seulement relativement à ce que pour quoi il est créé. Sa réalité, son existence, est contingente.
Maïmonide introduit le Mishné Torah par les lignes suivantes (Hilkhot Yéssodé HaTorah chapitre 1, Halakha 1):
יסוד היסודות ועמוד החכמות לידע שיש מצוי ראשון, והוא ממציא כל נמצא, וכל הנמצאים משמים וארץ ומה שביניהם לא נמצאו אלא מאמתת המצאו.
‘Le principe des principes et le fondement de toute science est de savoir qu’il y a un existant premier, qui fait exister tout existant, et tout ce qui existe du ciel à la terre et tout ce qui est entre eux n’existent que par la véracité de Son existence.’
La base de la connaissance est de savoir qu’il y a un existant premier. En d’autres termes D. existe. Mais cela est de la théologie, de l’abstraction inepte. Le verset dit : בנים אתם לה’ אלקכם, ‘vous êtes des enfants pour l’Eternel votre D. ‘. Le verset nous enseigne que le peuple d’Israël n’est au service de personne. Il existe. Un fils n’est au service de personne. La vocation du peuple d’Israël est d’exister. Si je suis esclave, je ne pourrai jamais avoir l’idée qu’il y a une réalité première existante puisque je n’en ais pas l’expérience, puisque je suis soumis à toi et toi tu dois sûrement être soumis à autre chose etc. Si je suis au service d’autre chose, quelque part D. n’est pas mon origine puisque je suis au service de telle chose, ou de telle personne. Dès que je perçois que j’existe, se présente à moi l’alternative suivante : soit de nier D., puisque j’existe (37), soit de me ressaisir et de me dire que si j’existe, qu’est-ce qui me donne cette existence vertigineuse ? Un existant premier.
Prenons un exemple.
XXI. Le Shabbat est-il la réactualisation de la Création du monde ou celle de la sortie d’Egypte ?
Les dix commandements sont rapportés deux fois dans la Torah, une fois dans la Parashat Yétro dans le livre de Shemot et une fois dans la Parashat VaEt’hanan dans le livre de Devarim. Le commandement de Shabbat est le quatrième de ces dix commandements.
Dans le livre de Shemot (20,11) la Torah justifie le respect du Shabbat en référence à la Création du monde :
כי ששת ימים עשה ה’ את השמים ואת הארץ את הים ואת כל אשר בם וינח ביום השביעי על כן ברך ה’ את יום השבת ויקדשהו.
‘Car six jours l’Eternel a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve, et Il se reposa les septième jour, c’est pourquoi l’Eternel bénit le jour de Shabbat et l’a sanctifié.’
Dans le livre de Devarim (5,15), la Torah justifie le respect du Shabbat en référence à la sortie de l’esclavage :
וזכרת כי עבד היית בארץ מצרים ויצאך ה’ אלקך משם ביד חזקה ובזרוע נטויה על כן צוך ה’ אלקך לעשות את יום השבת.
‘Tu te souviendras que tu étais esclave dans la terre d’Egypte et que l’Eternel ton D. t’a sorti de là-bas avec une main forte et un bras étendu, c’est pourquoi l’Eternel ton D. t’a ordonné de faire le jour de Shabbat.’
Nous relèverons deux différences fondamentales entre ces deux formulations. Premièrement, la référence dans le livre de Shemot est la Création du monde, tandis que dans Devarim la référence est la sortie de la maison d’esclavage. Deuxièmement dans Shemot le verset parle de l’Eternel, tandis que dans Devarim le verset dit : l’Eternel ton D..
Il nous semble devoir expliquer ainsi :
Le travail, la source de subsistance, sont des éléments vitaux. D’un autre côté, la Torah m’enjoint de ne pas travailler le jour de Shabbat. Shabbat va commencer dans quelques minutes et mon patron me presse à continuer ma tâche. Je dois m’arrêter, je ne suis pas son esclave, je ne suis pas soumis à cette personne, je ne suis pas non plus soumis à ma besogne. J’existe. C’est par ce qu’il y a une réalité existante qui me donne la possibilité d’exister que j’existe et que je ne suis pas esclave. Je réalise par cet arrêt que l’Eternel est la source de ma liberté, l’Eternel mon D., dont j’ai l’expérience concrète dans ma vie.
Nous pouvons nous poser la question : nous pourrions imaginer qu’exister, ne pas être esclave, puisse être un désir profond de tout un chacun, si c’est ainsi pourquoi faut-il que le verset m’enjoigne de manière contraignante de respecter ce jour, comme dit le verset על כן צוך ה’ אלקך לעשות את יום השבת, ‘c’est pourquoi l’Eternel ton D. t’a ordonné de faire le jour de Shabbat’ ?
C’est D. qui nous sort de l’esclavage avec une main forte et un bras étendu. Exister n’est pas une donnée première, un état statique. C’est en découvrant que par l’ordre de D. j’émerge à l’existence que je peux découvrir qu’il y a un existant premier, dont tout existant tire l’existence de la véracité de Son existence.
XXII. Revenons au sujet initial : quelle est la fonction des commandements de la Torah ?
D’après la démarche qui vient d’être analysée à partir du Midrash Shemot Rabba (chapitre 30,§6), nous pouvons donner une nouvelle lecture de l’expression ‘les lois de la Torah ne sont pas de la dimension de Ra’hamim mais sont des décrets’ en disant :
les lois de la Torah ne sont pas arbitraires, mais bien au contraire correspondent au révélateur de mon existence qui n’est pas contingente mais nécessaire. En général lorsque nous envisageons une dimension nécessaire nous imaginons quelque chose d’extérieur à nous. En disant que les paroles de Torah correspondent aux enfants d’Israël appelés ‘fils d’HaShem’ car leur existence est pour eux-mêmes, nécessaires comme la Torah est nécessaire, le Maharal opère une révolution complète. Les paroles de Torah s’imposent car notre existence s’impose fondamentalement, ou bien les paroles de Torah s’imposent car elles sont révélatrices de la dimension nécessaire de notre existence.
Mais est-ce possible d’exister ? Nous avons vu plus haut qu’exister est une trouvaille, une découverte, et non un fait établi et fini. Nous voulons développer ce point dans le paragraphe suivant où sera démontré que l’existence vient du sein des pleurs.
XXIII. Est-ce possible d’exister ? Etude dans la Parashat Vayigash.
Cette question met mal à l’aise et aurait le mérite de ne pas être posée. Toutefois quelques versets de la Parashat Vayigash peuvent nous assurer de sa pertinence.
La Torah nous rapporte le moment où Yossef se révèle à ses frères après vingt-deux ans où ils ne savaient pas ce qu’il était devenu. Etait-il encore vivant ? Et Yossef lui-même pourquoi n’avait-il pas repris contact avec sa famille ?
Les versets disent (Béréshit versets 1à 3) :
ולא יכול יוסף להתאפק לכל הנצבים עליו ויקרא הוציאו כל איש מעלי ולא עמד איש אתו בהתודע יוסף אל אחיו
‘Et Yossef ne pouvait pas supporter qu’il y ait tellement de monde autour de lui. Il proclama : sortez toute personne de devant moi. Il ne restait plus personne lorsqu’il se fit connaitre à ses frères.’
ויתן את קולו בבכי וישמעו מצרים וישמע בית פרעה.
‘Il donna sa voix dans le pleur, l’Egypte entendit et la maisonnée de Pharaon entendit.’
ויאמר יוסף אל אחיו אני יוסף.
‘Yossef dit à ses frères : je suis Yossef.’
Yossef se révèle à ses frères. Mais pourquoi, avant qu’il ne dise quoi que ce soit, se mit-il à pleurer ? Le Midrash, cité par Le Maharal de Prague dans le Nétsah Israël (ch.34) apporte un certain éclairage sur cette question (Béréshit Rabba 93,12) :
ויתן את קולו בבכי. כשם שלא פייס יוסף את אחיו רק בבכי כך אין הקב »ה גואל את ישראל אלא בבכי שנאמר בבכי יבאו ובתחנונים אובילם.
‘Il donna sa voix dans le pleur. De même que Yossef ne consola ses frères que par le pleur, de la même manière l’Eternel ne délivrera les enfants d’Israël que dans le pleur, comme dit le verset (Yirmiahou 31,8) : avec le pleur ils viendront et avec des paroles humbles je les conduirai.’
Quel est le lien entre le dévoilement de Yossef à ses frères et la délivrance future ?
Nous donnons la traduction du commentaire du Maharal :
‘Il semble que c’est pour cela que Yossef fut séparé de ses frères car c’est de lui que descendra la tribu d’Ephraïm qui est la base des dix tribus et au nom de qui elles se référeront. Yossef était séparé de ses frères et ils ignoraient absolument où il se trouvait, ceci était en fait un décret divin qu’ils ne sachent pas où il était.
Et tout ceci est une allusion prophétique aux temps futurs, où les dix tribus seront dans une terre étrangère, séparées, comme coupées du reste du peuple d’Israël, jusqu’à ne vienne la volonté de l’Eternel de les réunir à nouveau. Et le fait que Yossef se révéla dans le pleur et des paroles humbles est en fait une allusion pour les temps à venir car ainsi dans le pleur se révèleront les dix tribus au reste du peuple d’Israël (en effet le verset de Yirmiahou cité au-dessus a pour sujet les dix tribus perdues). Car toujours la personne dont on a perdu toute nouvelle pleure. Et c’est ce qui est arrivé à Yossef qui était complètement coupé de ses frères, lorsqu’il les retrouva, il pleura. De même les dix tribus qui ont disparu, lorsqu’elles reviendront, le verset prophétise qu’elles reviendront dans le pleur. Ce n’est pas la distance qui fit que Yossef était complètement coupé de ses frères et de son père mais c’est la volonté divine qui décréta cette rupture et l’inconnaissance de ce qu’il advenait de lui. De même est-ce le décret divin qui nous rend ignorants du destin de ces dix tribus.’
Outre la vision prophétique de ces textes (du Midrash et de son commentaire par le Maharal) sur le destin tortueux et chaotique du peuple d’Israël (38), ce sera plutôt la notion centrale du pleur qui nous interrogera ici. Pourquoi est-ce dans les pleurs que se font ces retrouvailles ? On peut répondre à cette question aisément en disant que toute retrouvaille se fait dans les pleurs. On est tellement heureux de se retrouver, on pensait qu’on ne se reverrait jamais, qu’on pleure. Mais le Midrash nous fait comprendre que le pleur dont il s’agit ici n’est pas le pleur simple que nous connaissons tous. En effet le Midrash dit : ‘de même c’est par le pleur que D. délivrera Israël’, comme si le pleur dont il est question était un pleur de délivrance, qu’est-ce qu’un pleur de délivrance ?
Et d’ailleurs ce Midrash nous aide à lire le verset avec précision. En effet si le pleur dont il était question ici était le pleur de retrouvailles, pourquoi la Torah ne nous dit-elle pas que Yossef a pleuré après qu’il se soit fait reconnaitre à ses frères ? Le pleur précède. Ce n’est pas un pleur de joie, de la joie inespérée des retrouvailles. Et de plus que signifient les mots : ‘l’Egypte entendit et la maisonnée de Pharaon entendit’?
Essayons de répondre.
Ce Midrash, et la lecture qu’en fait le Maharal, nous fait découvrir de nouveaux aspects dans l’épisode de Yossef. Yossef préfigure le juif qui se trouve finalement complètement coupé de ses racines. Il vit complètement parmi les non-juifs, et y excelle. Pourquoi ne donne-t-il pas de nouvelles à son père ? Il est ailleurs, il doit d’abord lutter pour sa survie, et ensuite il est pris dans autre chose. Il est passé à autre chose.
[A partir du moment où ses frères se sont rendus chez lui pour acheter de quoi se nourrir, et comme dit le verset (Béréshit 42,8) ‘Yossef reconnu ses frères et eux, ils ne le reconnurent pas’, il aurait pu donner des nouvelles. Mais le verset répond (42,9) : ‘(42,9) : ‘Yossef se souvint des rêves qu’il fit à leur sujet’. Il voulait que les rêves se réalisent. Se révéler à ce moment ou donner des nouvelles aurait troublé son projet et sa vision.]
Que signifie ce pleur qui précède les retrouvailles ?
Yossef n’était pas seulement coupé des siens physiquement, il l’était aussi existentiellement, il était coupé de ce qu’il était lui-même (39). L’exil physique est la conséquence, l’expression d’un exil intérieur, d’une perte, d’un oubli, de son être profond. Le pleur dont il est question ici est un pleur de délivrance, de retrouvailles avec soi-même. C’est pourquoi le pleur précède la reconnaissance effective à ses frères. Et ce pleur est un coup de tonnerre pour les égyptiens ainsi que pour la maison pharaonique de percevoir que leur champion, leur chéri, est en fait ‘branché ailleurs’.
Mais quel est ce pleur ? Quelle est la fonction salvatrice de ce pleur, pour reprendre l’expression du Midrash (‘Ainsi l’Eternel sauvera Israël par le pleur’) ? La délivrance n’est-elle pas source de joie, source de toute joie ?
Nous proposons de dire que le retour, la retrouvaille avec notre être profond est dramatique. Le drame est la perception de l’impossibilité d’exister. Ne voit-on pas du verset lui-même qu’en fait Yossef ne pouvait pas être lui-même dans son cadre de vie, puisque justement cela fit du bruit chez les Egyptiens qu’il fût proche de ces métèques !
[N’est-ce pas effectivement un des aspects du drame de l’exil, comme le dit justement Shmouel dans la Guemara (Traité Sanhédrin 99a) :אין בין עולם הזה לימות המשיח אלא שעבוד מלכויות בלבד, ‘il n’y a de différence entre notre époque et les temps messianiques que l’asservissement des Nations’ ? C’est-à-dire que dans la situation actuelle de l’exil pour être admis par les Nations il faut irréductiblement leur être soumis, à elles et à leurs cultes. Le pleur sera donc le signe d’une délivrance, d’une sortie, même pudique, de leur esclavage, car la perception bouleversante qu’il est possible finalement de servir le D. Un.]
Nous proposons de dire que de manière plus générale, servir D. est dramatique, que d’un côté il n’y a pas de plus grande joie que de servir son Créateur, et d’un autre côté à l’instant même où on Le sert, on perçoit l’incongruité absolue de le servir et que rien n’est là pour nous conforter dans cette démarche ? N’est-ce pas à la fois joyeux et dramatique ? Et source de pleurs qu’on pourrait ne pas exister, et que finalement on existe ? Ce pleur n’est-il pas finalement un signe de délivrance, que l’on sort à ce moment même de l’asservissement de la banalité du monde ?
[Qu’Hakadosh Barouh Hou nous donne bientôt de nos jours de goûter de ces pleurs de délivrance !]
L’eau dissout et efface. Le pleur vient d’une perception d’anéantissement. Je ressens que j’accède à ce que je suis profondément du sein du pleur, par la perception de l’impossibilité que mon être puisse exister (et que malgré tout puissent émerger quelques parcelles de cette existence) (40). Exister n’est pas un fait fini, un état, mais la perception que mon être profond touche un infini. Le pleur est la perception de la perte de ce qui est fini et limité en moi et par ce pleur émerge que ce que je suis me dépasse infiniment.
XXIV. Suite du commentaire du Maharal sur le Midrash Shemot Rabba (chapitre 30,§6).
Le Midrash cité plus haut (au paragraphe vingt de cette étude) rapporte trois explications. Nous avons précédemment expliqué la première parabole selon le commentaire du Maharal. Voici notre traduction de la suite du commentaire :
‘Rabbi Simon dit au nom de Rabbi ‘Hanina. Cela ressemble à un roi qui avait devant lui une table magnifiquement dressée (etc…). Explication de la parabole. Quand bien même a-t-il donné aux Nations certains commandements, cela correspond au fait que les Nations possèdent une certaine dimension de ce que l’on peut appeler Adam. Mais cette dimension est quelque part limitée. Mais Israël en ce qu’ils possèdent la dimension appelée Adam de manière complète et non limitée, Il leur a donné la Torah de manière complète.
Rabbi Elazar ajoute qu’il n’est pas légitime de dire que le distinguo entre Israël et les Nations ne serait qu’au niveau quantitatif. En effet le distinguo est aussi au niveau qualitatif. En effet Il donna aux Nations des commandements Gueloumot, bruts, mal dégrossis et Il ne leur a pas défini la différence concrète entre le pur et l’impur. (…) La parabole de Rabbi Elazar est la comparaison avec un roi qui donne à ses serviteurs de la nourriture épaisse et lourde tandis qu’il a donné à ses enfants de ce qu’il s’est préparé pour lui-même. Le distinguo entre le pur et l’impur représente la mise à jour de l’intellect de manière précise.’
Le Midrash emploie une expression redoutable qui va prendre tout son relief avec le commentaire du Maharal :
‘C’est pourquoi D. a donné aux Nations des commandements bruts pour qu’ils s’épuisent en eux. Il ne leur définit pas la différence entre le pur et l’impur.’
Que veut dire le Midrash par cette expression étonnante et a priori insensée ?
D. a donné aux Nations quelques commandements appelés ‘les sept commandements noa’hides’. Ces commandements, principalement des interdits, correspondent à des grands principes, comme par exemple l’interdit de tuer, de voler, de faire de l’idolâtrie. Mais qu’englobent ces interdits ? Ai-je le droit, voire l’obligation de tuer si quelqu’un veut attenter à ma vie ? Ai-je le droit, voire l’obligation d’effectuer un avortement si la grossesse met en danger la vie de la femme qui porte cet enfant ? L’interdit de tuer est épuisant car je n’ai pas les détails précis de son application. L’humanité est écrasée par des principes qui la dépassent, et qui l’épuisent. De même à notre époque une partie de l’humanité est mobilisée sur la préservation de l’environnement. Mais quelles sont les limites précises de ma responsabilité ? Je suis écrasé par une problématique peut-être justifiée en soi mais dont j’ignore ce qu’elle implique dans le concret de mon existence.
Il nous semble que cette expression étrange et terrible du Midrash va nous permettre de définir avec précision ce que signifie le terme Torah.
XXV. Pour reprendre l’expression du Midrash, pourquoi D. a-t-il donné des commandements Gueloumot, mal dégrossis aux Nations pour les épuiser ? Ce qu’ont innové les Patriarches, les Avot.
Faisons un détour par le Midrash pour aborder ces grandes questions. Nous allons rapporter la version du Midrash HaGadol (Midrash de Teiman) sur la Parashat Noa’h (cela correspond au Pirké de Rabbi Eliézer au chapitre 24 mais la version du Midrash haGadol est plus adéquate à notre propos) :
‘Nemrod dit à son peuple : allons construire une grande ville et installons-nous dedans de peur que nous soyons éparpillés sur la face de la terre comme les anciens (ceux du Déluge) et construisons une tour dans cette ville et montons dans le ciel, car toute la force de D. n’est que dans l’eau, et acquérons-nous un nom, comme dit le verset (Béréshit 11,4) « et faisons-nous un nom ». Rabbi Pin’has dit : il n’y avait pas là-bas de pierre pour construire la ville et la tour [car Babel est une région de marécages]. Qu’ont-ils fait ? Ils formèrent des briques [à partir de la glaise] et les brûlaient [dans le four] comme fait le potier avec ses poteries de terre. Ils construisirent ainsi la ville et la tour jusqu’à ce que la tour soit haute de sept miles (41). Ses escaliers étaient à l’est à l’ouest. Ceux qui descendaient, descendaient par les escaliers ouest. Ceux qui montaient les pierres, les montaient par les escaliers est. Si un homme tombait et mourrait, personne n’y prêtait attention. Si par contre une brique tombait, ils pleuraient et disaient : quel malheur, comment est-ce possible de réparer la perte de cette brique ? Avraham passait, il avait quarante-huit ans lors des faits. Il se moquait d’eux et les maudissait en prononçant le nom de son D., comme dit le verset (Tehilim 55,10) « anéantis D. leur complot, qu’ils ne se comprennent pas ! ». Ils dénigraient ses paroles comme si c’était une pierre jetée dans les champs. C’est à ce sujet que le verset dit (Tehilim 118,22) « la pierre que les bâtisseurs dénigraient était la pierre angulaire ».’
La région de Babel est une région marécageuse où il n’y a pas de pierres pour les constructions. Ils ont eu l’idée donc de fabriquer des briques cuites au four et solides comme des pierres et ainsi ils réussirent à construire cette tour invraisemblable. Rabbi David Louria, le Radal, dans son commentaire sur le Pirké de Rabbi Eliézer, fait ressortir des incidences légales de cette comparaison des briques avec des objets en terre cuits au four. Un objet fabriqué à partir de pierre, comme un four en pierre taillée, n’est pas susceptible de recevoir de l’impureté. Par contre un objet fabriqué à partir de briques, comme un four fabriqué en briques, est susceptible de recevoir l’impureté. Expliquons-nous. Les notions de pureté et d’impureté prennent une place importante dans la Torah. Les matériaux bruts ne sont pas susceptibles de recevoir l’impureté. La matière première travaillée par l’homme peut devenir selon certains critères aptes à recevoir l’impureté. Un objet fait en pierre ne peut pas prendre l’impureté. Une brique est un matériau premier qui ne peut pas prendre l’impureté en tant que lui-même, mais un four fabriqué à partir d’un assemblage de briques peut être susceptible à recevoir l’impureté.
Ceci étant nous pouvons nous interroger :
Pourquoi la Torah met-elle tellement l’accent sur le fait que les bâtisseurs de la tour de Babel aient utilisé des briques et non des pierres ? Comme nous le voyons dans le verset (Béréshit 11,3) « Et chacun dit à son ami : amène des briques, et allumons un grand feu ! La brique leur fit usage de pierres, et la glaise de ciment ».
Deuxièmement, pourquoi le Midrash cité plus haut (Midrash HaGadol et le Pirké de Rabbi Eliézer), dans ce contexte précis, qualifie-t-il Avraham de pierre ?
Il nous semble expliquer que l’image de la pierre à propos d’Avraham représente l’âme, la Neshama, comme disent nos Maîtres dans le texte de la prière :
נשמה שנתת בי טהורה היא
‘L’âme que Tu m’as donnée est pure’.
Avraham c’est nous, c’est l’âme. L’âme ne prend pas l’impureté, comme l’objet fait de pierre qui ne peut prendre l’impureté. Avraham est dans un monde qui le dépasse, dont les codes sont absurdes et cruels, dans un monde où le mensonge règne, où les mensonges les plus éhontés ont pignon sur rue.
Il est de la vocation de l’homme de dominer le monde et de le transformer, comme dit le verset (Béréshit 2,28) פרו ורבו ומלאו את הארץ וכבשוה, « fructifiez et multipliez, remplissez la terre et conquérez-la ». Les briques représentent l’œuvre humaine. Mais l’homme dans son investissement de transformation du monde en oublie la finalité et idolâtre l’œuvre de ses mains. La brique devient l’objet de dévotion. Et le petit humain est insignifiant en face du projet magnifique de l’édification d’une ville, d’une tour.
Mais l’âme irréductible comme une pierre se demande ce qu’elle fait là.
Ce Midrash nous permet d’aborder maintenant l’expression du Midrash que nous avons vue plus haut :
‘D. a donné des commandements Gueloumot, mal dégrossis aux Nations pour les épuiser’
Les sept commandements noa’hides sont des principes fondamentaux mais globaux. Comment je me positionne par rapport à cela ? Comment vivre ces commandements de D. dans les détails de mon existence ? Comment mon âme va-t-elle s’en sortir dans cette frustration insupportable ? dans cet écrasement insupportable ?
XXVI. Comment Avraham Avinou a-t-il appris la Torah ?
Nos Maîtres disent qu’Avraham Avinou, Avraham notre père, accomplissait toute la Torah avant qu’elle ne fût donnée, comme nous l’apprenons dans le Traité Yoma (28b, יומא כ »ח ע »ב). Nous rapportons ici l’ensemble des sources relatives à ce sujet :
Au début de la Parashat Toledot, D. se révèle à Its’hak et lui ordonne de ne pas descendre en terre d’Egypte et lui enjoint de résider dans la terre des Philistins.
Les versets disent (Béréshit 26,3 à 5) :
גור בארץ הזאת ואהיא עמך ואברכך כי לך ולזרעך אתן את כל הארצות האל והקימותי את השבועה אשר נשבעתי לאברהם אביך.
‘Réside dans cette terre-ci et Je serai avec toi et Je te bénirai, car à toi et à ta descendance Je donnerai toutes ces terres-là, et J’accomplirai l’alliance que J’ai promise à Avraham ton père.’
והרביתי את זרעך ככוכבי השמים ונתתי לזרעך את כל הארצות האל והתברכו בזרעך כל גויי הארץ.
‘Je multiplierai ta descendance comme les étoiles du ciel et Je donnerai à ta descendance toutes ces terres-là et se béniront en toi tous les peuples de la terre.’
עקב אשר שמע אברהם בקולי וישמור משמרתי מצוותי חוקותי ותורותי.
‘Du fait qu’Avraham a écouté Ma voix, et qu’il a respecté ma garde, mes commandements, mes décrets et mes enseignements.’
Rav, dans le Traité Yoma (28b) déduit de ce dernier verset qu’Avraham notre père a accompli la Torah dans son intégrité :
אמר רב קיים אברהם אבינו כל התורה כולה, שנאמר עקב אשר שמע אברהם בקולי וישמור משמרתי מצוותי חוקותי ותורותי.
‘Rav nous enseigne : Avraham notre père a accompli la Torah dans son intégrité, comme dit le verset « Du fait qu’Avraham a écouté Ma voix, et qu’il a respecté ma garde, mes commandements, mes décrets et mes enseignements ».’
En effet le verset est prolixe, pourquoi détaille-t-il « ma garde, mes commandements, mes décrets et mes enseignements » ? C’est pour inclure toutes les catégories de lois : les protections rabbiniques à la Torah, les commandements compréhensibles rationnellement, les commandements appelés ‘Houkim, la Torah écrite et la Torah orale.
Rashi dans son commentaire sur la Torah rapporte intégralement cet enseignement de Rav. Nous savons que Rashi s’est donné comme but dans son commentaire sur la Torah de mettre en place le sens dit ‘simple’ de la Torah, comme il le déclare lui-même dans son commentaire sur Béréshit 3,8 :
ואני לא באתי אלא לפשוטו של מקרא ולאגדה המישבת דברי המקרא דבר דבור על אפניו
‘Personnellement, je ne suis venu que pour mettre à jour le sens simple du verset, et à rapporter les paroles de la Hagada dans la mesure où elles rendent compte de tous les aspects du verset’. Rashi, dans son commentaire ne force pas le texte. Bien au contraire il veut rendre compte des richesses de son sens simple. Force est de dire donc que, pour notre Maître Rashi, dire qu’Avraham Avinou accomplissait la Torah s’impose de la lecture rigoureuse du texte de la Torah.
Mais que signifie la Torah avant le don de celle-ci au Sinaï ?
La Guemara dans le Traité Avoda Zara (14b, י »ד ע »ב) nous enseigne :
גמירי עבודה זרה דאברהם אבינו ארבע מאות פירקי הויין ואנן חמשה תנן.
‘Nous savons par tradition que le traité relatif aux lois d’idolâtrie d’Avraham comportait quatre-cent chapitres, tandis que le nôtre ne comporte que cinq chapitres.’
[L’analyse précise de ce que signifie la Torah pour les Avot, pour les Patriarches, va nous permettre d’approfondir la démarche qui se construit petit à petit depuis le début de l’étude présente.]
Ce passage du Traité Avoda Zara 14b nous donne un sens précis de ce que nous pouvons appeler Torah. La Torah est ce qui nous incombe de faire, de vivre, dans les détails de notre existence, a contrario des lois qui précédaient Avraham qui étaient des lois Gueloumot, mal dégrossies. Avraham était confronté à un univers idolâtre, comment aborder ce monde ? Comment y vivre ? Le traité d’Avraham comportait quatre-cent chapitres.
Nous pourrions traduire le terme de Torah par ‘injonction’, ce qui m’incombe, Torah, תורה, vient de la racine Yore, qui signifie ‘jeter’, ‘induire’.
Mais d’où venaient pour Avraham ces injonctions ? De l’extérieur, comme cela paraitrait normal ? Mais il n’y avait encore pas eu le don de la Torah au Sinaï !
Le Midrash nous enseigne (Béréshit Rabba 61,1) :
אמר רבי שמעון אב לא למדו ורב לא היה לו, ומהיכן למד את התורה. אלא זימן לו הקדוש ברוך הוא שתי כליותיו כמין שני רבנים והיו נובעות ומלמדות אותו תורה וחכמה. הדא הוא דכתיב אברך את ה’ אשר יעצני אף לילות יסרוני כליותי.
‘Rabbi Shimon dit : un père ne lui a pas enseigné, de maître il n’avait pas. D’où a-t-il appris la Torah ? D. a fait que ses deux reins deviennent comme deux talmudistes et devenaient jaillissants et lui enseignaient Torah et ‘Hokhma, comme dit le verset (Téhilim 16,7) « Je bénirai D. qui m’a guidé, la nuit-même mes reins me réprimandaient »’.
[Ce Midrash est rapporté dans de nombreux endroits avec quelques nuances. Voir Béréshit Rabba chapitre 75,2. Avot de Rabbi Nathan chapitre 33]
Il y a plusieurs dimensions dans la pensée. Des dimensions abstraites, spéculatives, et des dimensions basiques, viscérales. Ces dimensions passent par différentes parties de notre corps, les reins, le ventre, le cœur, le cerveau. Les reins filtrent le sang et rejettent les toxines dans les urines. Nos Maîtres nous enseignent qu’Avraham triait ce qui lui incombait de vivre de manière basique, profonde, précise, prenait le bon et rejetait ce qui ne l’était pas, comme deux maîtres talmudistes qui pilpoulent ensemble, jusqu’à trouver le point précis et juste, ce que l’on appelle ‘la Halakha’.
Avraham s’est révolté par rapport à la vie absurde et cruelle de ses contemporains. Nos Maîtres nous enseignent qu’il voulut que notre vie ait non un sens, ce qui est l’apanage de toutes les idéologies, mais une existence concrète dans la réalité de notre vécu. Mais cette Torah, c’est-à-dire ce qui m’incombe de vivre dans le concret précis de mon existence, d’où Avraham l’apprit-il ? De lui-même (42).
Là se trouve l’articulation principale et la plus difficile de cette étude. En effet si l’on prend ces affirmations au premier degré la Torah serait une sorte de pensée humaine, une philosophie humaniste quelconque.
Plusieurs travaux d’approches sont nécessaires.
XXVII. Pourquoi la Mila, la circoncision a-t-elle été ordonnée à Avraham et ne l’a-t-il pas inventée de lui-même ?
Le Maharal aborde cette grande question à la fin du chapitre dix-neuf du Tiféret Israël. Nous en donnons notre traduction.
‘Lorsque vint Avraham il fut ordonné sur la Mila, sur la circoncision. Il est connu que la Orla, ערלה, le prépuce, est appelé ainsi car le mot Orla signifie « bouché », « recouvert ». Tout ce qui est bouché, recouvert, séparé est appelé Orla. De cette manière lorsque les versets parlent d’incirconcision du cœur, Orlat Lev, ערלת לב(43), cela signifie que la chose (la parole) n’entre pas dans le cœur, et reste séparée de lui. Toute chose séparée et bloquée par rapport à autre chose a une fermeture, un blocage qui le sépare de cette chose, c’est la Orla, ערלה. Toutes les générations jusqu’à Avraham étaient sous l’emprise de la nature et n’en étaient pas séparées, jusqu’à ce que vienne Avraham et que D. mette Son choix en lui, comme dit le verset (Né’hémia 9,7) « C’est Toi l’Eternel D. qui a choisi en Avraham ». D. alors les a sortis de la naturalité de manière à ce que la naturalité ne les sépare pas d’entre D. et Ses créatures. En effet la nature qui est matérielle sépare entre D. et les créatures jusqu’à ce que vienne Avraham et avec lui il y eut le lien avec D. qui l’a choisi et les a sortis (44) de la matérialité. Il n’y a plus eu de séparation ni de blocage entre D. et l’homme. Alors il a ordonné de retirer la Orla, le prépuce, qui est ce qui bloque. La Mila, la circoncision, est le lien et l’alliance avec D. car Il l’a sorti de la matérialité. D. ordonna de retirer la Orla, le prépuce, qui est l’obstruction avec laquelle l’homme nait naturellement, le huitième jour qui est après les sept jours de la naturalité. C’est pourquoi la circoncision a été donnée à Avraham en particulier.’
De l’ensemble de ce que nous avons étudié jusqu’à maintenant il nous semble devoir aborder les choses de la manière suivante :
Finalement Avraham a-t-il découvert toute la Torah de lui-même ? Ou bien y a-t-il une dimension révélée dans ce que nous pouvons appeler Torah ?
L’homme est naturellement loin de son Créateur qui est radicalement séparé de toute matérialité. L’homme est façonné de matière, il est dans le monde matériel. En fait non seulement l’homme est loin de D. mais il est loin de lui-même. En effet le monde me prend et m’impressionne. Où est ma place à moi à l’intérieur de ce monde ? Suis-je destiné à être esclave du monde, de la construction (ou de la destruction) de la société ? Au service du monde, comme le Maharal nous l’exprime au chapitre dix-sept du Tiféret Israël sur la base du Midrash Rabba. Avraham lutte et cherche à formuler ce que l’on pourrait appeler Torah, c’est-à-dire ce qui m’incombe de faire, d’accomplir dans la réalité précise qui est la mienne, et non selon des principes vagues et moraux. Mais quelque chose bloque, et Avraham souffre. Il fallait que D. lui impose la circoncision qui va retirer l’obstruction inhérente à l’homme de naissance. De la même manière que la circoncision est une rupture et une déchirure, de la même manière, paradoxalement l’existence, être proche de ce que je suis, vient d’une déchirure de la naturalité (45). Il a fallu que D. ordonne à Avraham la circoncision pour qu’il puisse apprendre la Torah de lui-même (46).
Un passage de Béréshit Rabba 49,2 explicite ce point.
XXVIII. La nécessité de la Mila, de la circoncision, dans la connaissance de soi.
Béréshit Rabba 49,2. Nous en donnons notre traduction.
‘Le verset dit (Téhilim 25,14) « Le secret de D. est pour ceux qui Le craignent, et son alliance Il leur révèle », [C’est en révélant Son alliance-la Mila- qu’Il leur donne la possibilité d’accéder à Son secret].
Quelle est le secret de D. ? C’est la Mila, la circoncision, que D. ne révéla pas depuis Adam jusqu’à vingt générations que vienne Avraham et qu’alors Il la lui donna, comme dit le verset (Béréshit 17,2) « Et je donnerai Mon alliance entre Moi et entre toi (47)». D. dit à Avraham : si tu te fais la circoncision alors prends le secret de D.. Qu’est-ce que le secret de D. ? Regardons les lettres du mot secret, Sod, סוד, Samekh, Vav, Daleth. Samekh a comme valeur numérique 60. Vav a comme valeur numérique 6. Daleth a comme valeur numérique 4. Le mot Sod, סוד, a donc comme valeur numérique 70. Soixante-dix J’élèverai de toi par le mérite de la Mila, comme dit le verset (Devarim 10,22) au nombre de soixante-dix âmes tes pères descendirent (en Egypte) ». De toi Je ferai se lever soixante-dix anciens, comme dit le verset (Bamidbar 11,16) « Rassemble-moi soixante-dix hommes des anciens d’Israël ». Et Je ferai se lever d’entre eux Moshé qui s’investira dans la Torah en la formulant dans les soixante-dix langues, comme dit le verset (Devarim 1,5) « Moshé commença à expliquer cette Torah ». Par quel mérite cela fut possible ? Par le mérite de la Mila, comme dit le verset « le Secret de D. est pour ceux qui Le craignent » [Et ce verset parle de la Mila, comme dit la suite « et Son alliance Il leur révèle »].’
Bien évidemment ce Midrash est abscons en première lecture. Nous proposons de l’aborder par le biais suivant.
Le Midrash nous enseigne que c’est par le mérite de la circoncision que Moshé réussit à formuler et à expliquer la Torah en soixante-dix langues. Les commentateurs (Ets Yossef, Maharzo) que si la Torah dit que Moshé a expliqué cela signifie qu’il a expliqué véritablement. Si se trouvait quelqu’un qui parlait une certaine langue et que Moshé n’ait pas su lui expliquer la Torah, cela aurait été contradictoire avec le fait que le verset dit que Moshé a expliqué la Torah. Donc ce verset signifie qu’il a pu expliquer la Torah à quiconque, à prendre des exemples pour qu’il puisse saisir de quoi on parle. Le Midrash dit que ceci ne fut possible que par le mérite de la Mila. Cela signifie que sans la Mila les choses sont extérieures à nous dans la simplicité de notre vécu. Les soixante-dix langues sont les langues des nations du monde, les langues avec lesquelles ont parle dans la vie simple du quotidien. Certes nous avons vu plus haut, paragraphes 18 et 19 de l’étude présente, presque le contraire de ce que nous voyons maintenant. En effet il ressortait que les langues étaient une limitation dans la manière de formuler la Torah. Néanmoins le propos présent est différent. Le Midrash nous parle ici de la capacité à formuler la Torah dans les méandres du quotidien et à s’adapter aux contextes les plus divers de la vie des individus. Il ressort de ce Midrash une innovation stupéfiante : en effet bien qu’Avraham ait œuvré pour analyser comment pouvait se concrétiser au quotidien de manière précise la volonté de D., néanmoins la concrétisation réelle ne fut possible que par le mérite de la Mila, par le mérite d’un commandement explicite.
Si l’existence humaine n’est pas une donnée première mais est une découverte, un déchirement, comme nous l’avons vu plus haut, de même l’intellect humain, ce que notre tradition appelle ‘le Sékhèl’, שכל, n’est pas une donnée première mais nait d’un déphasage de notre pensée première. Paradoxalement, naturellement, l’homme est incapable d’aborder sa propre réalité et de l’analyser. L’homme peut construire des systèmes, des concepts, mais un regard précis sur sa vie ou la vie des autres, ne vient que d’un déchirement, que d’une cassure de la manière première d’aborder les choses.
Nous rapportons quelques lignes d’une lettre célèbre du ‘Hazon Ish (48), (Kovets Iguérot premier tome, lettre 3, nous en donnons notre traduction) :
‘La connaissance de la Torah ne vient pas de la manière simple et évidente de vivre. En effet nos Maîtres disent (Traité Berakhot 63b) : les paroles de Torah n’ont de prise que dans celui qui se tue sur elle. La mort dont il s’agit est de se détourner finement de la manière première de vivre, pour entrer dans le profond de la vie, à l’intérieur de l’intérieur de la vie (49). Plus l’homme brise sa manière instinctive de vivre, plus il s’ajoute de la vie à lui-même. En effet briser son tempérament premier c’est briser la superficialité de la vie. Tuer ses pulsions, ses instincts, sa paresse tant physique qu’intellectuelle, sa manière première de vivre, c’est la vie qui amène à entrer dans le chemin de la Torah.’
XXIX. La Torah des Patriarches. La fonction des Mitsvot.
Résumons ce que nous avons appris jusqu’ici. Nous sommes partis de la Mishna dans le Traité Berakhot (33b, ברכות ל »ג ע »ב) et de la Guemara afférente : ‘Les commandements de D. ne sont pas pitié mais sont des décrets’.
La démarche du Maharal est que ces décrets ne signifient pas que les commandements de la Torah soient arbitraires pour nous et que l’essentiel soit qu’ils soient un joug sur nous comme l’explique Rashi. Le décret dont il s’agit ici correspond à l’intellect supérieur qui s’impose à nous. Nous avons recherché à définir avec précision ce que signifie cet intellect supérieur. La première étape a été que cette dimension supérieure correspond à ce que l’on appelle ‘le Monde Futur’, Olam HaBa. Cette dimension de Olam HaBa prend corps lorsque nous pouvons exprimer la science de D. dans la simplicité des mots à nous, c’est ce que l’on appelle le Targoum, la traduction en araméen.
La seconde étape a été l’explication que le Maharal donne du Midrash que nous avons rapporté au paragraphe vingt de cette étude. La Torah a été donnée aux enfants d’Israël dont l’existence s’impose en tant qu’eux-mêmes, dont l’existence est nécessaire et non contingente. Par cette explication nous nuançons la dimension nécessaire des décrets de la Torah en cela qu’ils s’imposent en cela qu’ils sont donnés aux enfants d’Israël dont l’existence est nécessaire.
Nous touchons maintenant le cœur de la démarche du Maharal. Les Avot, les Patriarches, ont accompli les commandements de la Torah par leur nécessité intérieure. Les commandements de la Torah ne sont pas pitié, mais ils s’imposent en cela qu’ils correspondent à la nécessité de notre existence. La preuve formelle en est que les Patriarches ont accompli la Torah d’eux-mêmes par leur exigence précise et intérieure.
Dans le chapitre vingt du Tiféret Israël, le Maharal fait affleurer le fond de la démarche.
Comme nous l’avons vu plus haut (§26) au nom de la Guemara de Yoma 28b, Avraham a accompli toute la Torah. Bien qu’Its’hak et Yaakov ait aussi accompli la Torah, notre Tradition met plutôt l’accent sur le fait qu’Its’hak ait accompli la Mitsva de She’hita, d’abattage rituel, et Yaakov les commandements relatifs à Shabbat.
Le Maharal pose donc la question : si tant est que notre Tradition affirme que les Avot aient accompli toute la Torah entière, pourquoi au sujet d’Its’hak et de Yaakov ce ne sont que ces points précis qui aient été mis en relief ?
Le Maharal propose la réponse suivante, qui sera en fait le fond de la démonstration de sa démarche durant tous ces chapitres :
‘Il ne faut pas que tu dises qu’Its’hak n’ait accompli que la Mitsvat de She’hita et que Yaakov n’ait accompli que la Mitsva de Shabbat, car indubitablement ils accomplissaient tous les commandements de la Torah, selon la Tradition de nos Maîtres. Seulement ces commandements précis correspondaient à l’être profond de chacun c’est-à-dire selon sa caractéristique spirituelle (50). Du fait donc que chacun de ces commandements correspondait à l’être profond d’Its’hak et à l’être profond de Yaakov nous pouvons considérer comme s’ils étaient enjoints par ces commandements, et l’impact de ces commandements est plus fort de ce fait. Lorsque quelqu’un est enjoint par D., ceci atteint un niveau supérieur par le fait même que c’est D. qui l’ordonne sur ce commandement et veut et exige qu’il l’accomplisse. Et ceci est indubitable car un commandement, une Mitsva, a un niveau et une importance supérieurs si cela s’impose à la personne, car si ce qu’il fait est facultatif cela est contingent et de peu d’importance et de peu d’impact. C’est ce que nos Maîtres enseignent : גדול מצווה ועושה ממי שאינו מצווה ועושה, « plus grand est celui qui est ordonné et qui accomplit que celui qui n’est pas ordonné et qui accompli ». L’explication de cet enseignement n’est que comme nous l’avons dit : ce qui est obligatoire et s’impose atteint un niveau supérieur à ce qui est facultatif et aléatoire. En effet si cela était important et de niveau supérieur cela s’imposerait et serait nécessaire et non facultatif.’
Dans ce passage le Maharal détourne un peu, si nous pouvons nous exprimer ainsi, l’enseignement classique talmudique « plus grand est celui qui est ordonné et qui accomplit que celui qui n’est pas ordonné et qui accompli ». En effet le sens habituel de cet enseignement est de dire que le fait d’être enjoint à un commandement donne une plus grande dimension que le fait d’accomplir un commandement par libre consentement. Et c’est ce que le Maharal lui-même explique dans son commentaire dans les ‘Hidoushé Halakhot sur Kdoushin 31a :
‘Celui qui est enjoint et qui accomplit le commandement le fait du fait de La cause première qui en ordonne l’accomplissement. Par contre celui qui accomplit un commandement par ce qu’il pense qu’il est légitime de l’accomplir, le fait du point de vue de sa dimension humaine qui est limitée. Celui qui accomplit du fait de D. qui l’en enjoint est à un niveau supérieur, tandis que celui qui accomplit en n’y étant pas enjoint le fait du fait de sa dimension humaine contingente.’
Or ici le Maharal utilise cette assertion talmudique pour mettre en relief la grandeur particulière des commandements qui caractérisent Its’hak ou Yaakov, bien que les deux accomplissaient ces commandements par eux-mêmes et non qu’ils en étaient enjoints par D., puisqu’ils étaient avant le don de la Torah au Sinaï !
Nous proposons de dire que le Maharal, en passant, nous délivre ici le fond de sa démarche. Pour reprendre la thématique de l’ensemble de l’étude présente : les commandements ne sont pas pitié mais sont des décrets, c’est-à-dire que le sens, la fonction de ces commandements s’imposent, en cela qu’ils correspondent à la dimension existentielle et irréductible de l’âme qui est nécessaire et non contingente. C’est ce que nous voyons chez Its’hak par exemple où le commandement de She’hita le caractérisait en cela que la She’hita correspondait au secret de son âme, comme le respect du Shabbat correspondait au fond de l’âme de Yaakov notre père. En effet le fond de notre intériorité exige de nous, et cette exigence au sens fort s’appelle Torah.
XXX. Une preuve à la démarche du Maharal. Traité Nida 30b.
Il nous semble trouver une source à la démarche du Maharal dans une Guemara célèbre du Traité Nida 30b.
דרש רבי שמלאי למה הולד דומה במעי אמו…ואין לך ימים שאדם שרוי בטובה יותר מאותן הימים…ומלמדין אותו כל התורה כולה.
‘Rabbi Samlaï nous donne les explications suivantes : à quoi l’enfant ressemble dans le ventre de sa mère ? (…) Il n’y a pas de jours où l’homme était plus heureux que ces jours-là (…) et on lui enseigne toute la Torah (…).’
Nos Maîtres nous enseignent dans ce passage du Traité Nida que lorsque l’enfant est dans le ventre de sa mère, il apprend toute la Torah intégralement. Ensuite au moment précis de sa naissance il l’oublie. Mais que signifie une notion de Torah dans le ventre de sa mère ? Il nous semble expliquer, sur la base de l’ensemble de l’étude présente, de la manière suivante : la Torah est la base de l’exigence intérieure de mon être, c’est l’injonction supérieure de mon être intime, qui était entier lorsque j’étais dans le ventre de ma mère. En venant au monde, à ce moment précis, tout est bouleversé. Mon être semble ne plus avoir de légitimité, c’est le bien commun qui est légitime. Est-ce que ce monde est absurde et représente une immense Tour de Babel ? Avraham a eu l’intuition que non, que ce monde est le palais du Créateur et que c’est dans ce monde précis que sera clamé la gloire du Créateur en y vivant les commandements de D. dans les détails de notre existence et qu’il est possible d’exprimer dans les détails de notre existence les aspirations que nous avions au plus profond de nous, lorsque nous étions dans ces moments de bonheur dans le ventre de notre mère. Et là D. a aidé Avraham en lui donnant la Mila et ensuite Torah et Mitsvot à ses descendants qui ont marché dans ses chemins et se sont accrochés à son alliance.
בריך רחמנא דסייען
Nous rendons grâce à D. qui nous a permis de conclure cette étude.
Nous rendons grâce aussi à notre Maître Rav Eliahou Abitbol נר »ו qui nous a fait découvrir que l’étude approfondie du Talmud est une thérapie.
(1) En effet la Torah nous ordonne (Devarim 22,6 et 7) que si l’on trouve dans la nature un nid d’oiseaux, (et que l’on veuille prendre les petits ou les œufs) il nous faut tout d’abord renvoyer la mère et seulement ensuite prendre les petits. Shoul’han Aroukh Yoré Déah 292, שלחן ערוך יורה דעה רצ »ב.
(2) Le Satan est une contestation intérieure, les Nations une contestation extérieure.
(3) Rabbi Yossef Karo rapporte ce dialogue entre Rabba et son élève Abbayé et en tire une incidence légale rapportée dans le Shoul’han Aroukh (Yoré Déah chapitre 246,§12, שלחן ערוך יורה דעה סימן רמ »ו סעיף י »ב) : ‘Le Maître est habilité à tromper ses élèves avec des réflexions erronées pour aiguiser leur sagacité et voir s’ils ont bien assimilé leur étude’.
(4) Le Satan est le séducteur intérieur qui n’a de cesse d’inciter à fauter. L’homme moderne exècre cette vision paranoïaque de l’humain et rêve d’un humain apaisé et épanoui. Nous ne cherchons pas à justifier notre tradition dont l’impact prophétique traverse les siècles et les civilisations.
(5) Il ressort clairement de Rambam que l’obligation de renvoyer la mère de dessus la nichée ne s’impose que si nous avons l’intention de prendre les petits, car sinon son raisonnement ne tiendrait pas. Cela s’oppose à l’autre démarche des décisionnaires qui pensent que ce commandement s’applique en toute circonstances, c’est-à-dire que si l’on voit une nichée dans la campagne il s’impose de renvoyer la mère même si on ne prend pas les petits, voir le Pit’hé Teshouva Yoré Déah chapitre 292,§1 qui cite le ‘Havot Yaïr qui soulève la question (chapitre 67).
(6) Il y a deux visées dans ce commandement : faire attention à la souffrance de la mère, et obtenir que les nids d’oiseaux dans les campagnes restent intacts, puisque ce qui nous est autorisé de prendre (les petits ou les œufs déjà couvés) n’ont finalement aucun intérêt pour la consommation.
(7) Ami lecteur, tu peux peut-être être interloqué par les affirmations du Maharal. En effet ces dires paraissent diamétralement opposés à ce que Rabbi Moshé ‘Haïm Luzzato affirme au début de plusieurs de ses œuvres comme par exemple le début du second chapitre du Daat Tevounot : ‘D. est le bien absolu indubitablement. Il est de la définition du bien de donner du bien. Et c’est ce que voulut D., créer des créatures pour qu’il Lui soit dans la possibilité de donner. En effet s’il n’y a pas de bénéficiaire du bien il n’y a pas de capacité de donner du bien’. Apparemment leurs propos sont en totale opposition. Néanmoins il nous semble en seconde lecture qu’ils ne parlent pas du même sujet. Rabbi Moshé ‘Haïm Luzzato parle de l’intention du fait créateur. Le Maharal traite de la fonction des commandements de la Torah.
(8) Le bien n’est pas optionnel.
(9) Voir la quatrième partie de notre ouvrage Le Monde Commence : l’injonction d’exister.
(10) Bien évidemment chaque cas est à analyser d’un point de vue juridique.
(11) Je ne me souviens pas si cela se trouve dans le tome 21 sur la Shoa ou dans le tome 22 sur la période post-Shoa. Ces deux livres sont remarquables et hors-normes, comme les événements dont ils sont le sujet.
(12) ‘C’est-à-dire que D. a voulu imposer à l’homme certains devoirs uniquement pour lui prescrire ces devoirs, et sans que la chose prescrite eût en elle-même un but quelconque (Salomon Munk)’.
(13) On ne peut qu’être impressionné par cette vision anthropocentriste. L’homme, mesure du plan divin et de la pensée supérieure. On pourrait dire que cette vision est influencée par l’ébullition intellectuelle de son époque, la renaissance humaniste. Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire des idées, mais on pourrait dire aussi que l’œuvre et le travail du Maharal ont influencé consciemment ou inconsciemment la pensée de son époque. La démarche de notre Tradition est de dire que le labeur talmudique est le terreau de la pensée de l’humanité. Nous avons développé cette démarche dans le texte ‘essai sur la résurrection des morts’ que nous avons publié dans le livre Le Monde Commence.
(14) Ne partons pas rapidement dans ce que l’on appelle ‘le développement personnel’, qui a été popularisé par des psychologues (juifs) comme Alfred Adler et Abraham Maslow. Je rends grâce ici à mon père, le docteur Léon Zyzek, qui par la force de l’intuition défendait toujours la centralité de l’homme. Ce texte lui est dédié.
(15) Ce terme ‘existence’, מציאות, Metsihout, est peut-être le mot clef de tout le travail du Maharal. Nous allons le développer dans la suite de cette étude.
(16) Francis Cabrel. Ma place dans le trafic.
(17) Ami lecteur, nous te laissons apprécier la lucidité de ce passage de Rabbi Shimon qui sort du langage que nous pourrions imaginer : il n’y a rien de mieux que la Torah ! Il n’y a rien de plus beau que la Torah ! Tout dépend de la manière dont nous abordons la Torah, comme cela va être expliqué.
(18) ‘Viens voir’ est une expression consacrée lorsque le Zohar rapporte un enseignement spécifique.
(19) Le Zohar fait allusion aux anges qui étaient venus visiter Avraham Avinou et qui apparemment ressemblaient à des êtres humains. Ainsi que d’autres apparitions d’anges, comme le Mal’akh qui est apparu aux futurs parents de Shimshon.
(20) הסתכל באורייתא וברא עלמא, ‘D. regarda la Torah et créa le monde’(Zohar Parashat Terouma, second tome 161a).
(21) Expression que nous trouvons dans la dernière Mishna du premier chapitre du Traité ‘Haguiga.
(22) Nous pouvons néanmoins remarquer que cela arrive fréquemment.
(23) Qu’en est-il aujourd’hui où l’araméen n’est plus notre langue parlée ? Voir le Shoul’han Aroukh Ora’h ‘Haïm chapitre 285 §1 et 2, שלחן ערוך אורח חיים סימן רפ »ה ס’ א’ וב’.
(24) Langage du Maharal dans le Gour Arié sur ce verset, rapporté par Rav Hartman dans son édition du Tiféret Israël, note 61.
(25) Le Maharal développe ce point plusieurs fois dans ses ouvrages. Dans le chapitre 54 du Guevourot HaShem, il explique que l’araméen n’entre pas dans l’ensemble des soixante-dix langues. Les soixante-dix langues structurent l’ensemble de la réalité mais cette langue araméenne n’en fait pas partie. C’est pourquoi les Anges qui structurent ce réel ne comprennent pas l’araméen. Une langue se caractérise entre autres par une grammaire, l’araméen qui est une sorte de patois d’autres langues ne possède pas de grammaire.
(26) Les Gens de la Grande Assemblée, אנשי כנסת הגדולה.
(27) C’est le travail difficile auquel nous a éduqués notre Maître Rav Eliahou Abitbol נ »י.
(28) Dont la concrétisation véritable ne peut d’aucune manière être concevable dans ce monde.
(29) Béréshit Rabba 1,2 : היה הקב »ה מביט בתורה ובורה את העולם, ‘D. regardait dans la Torah et créait le monde’.
(30) Israël est un singulier et nous mettons le verbe qui lui est relatif au pluriel, car Israël correspond à une collectivité, et il nous semble approprié d’assumer cette distorsion grammaticale.
(31) A Yaakov D. ne donna que neuf commandements, les sept commandements de Noé, plus la circoncision et l’interdit de consommer le nerf sciatique. Le verset de Téhilim montre ces deux étapes, d’abord une partie à Yaakov et ensuite toute la Torah à Israël.
(32) Le Ets Yossef, commentaire de Rabbi ‘Hanokh Zoundel de Bialystok, explique magnifiquement cette parabole. ‘Le roi n’a pas confié son magnifique jardin à quiconque de peur qu’ils ne le respectent pas comme il se doit et qu’ils en viennent à briser les plantations, jusqu’à ce que viennent ses enfants à un degré de maturité tel qu’il a pu les enjoindre de bien garder ce jardin, alors seulement il le leur confia. De même D. ne donna la Torah à personne pour qu’ils ne s’en délectent qu’à Israël, car il y avait à craindre qu’ils ne la respectent pas comme il se doit et la détruisent. Mais au moment où Israël se sont tenus au Sinaï et dirent « tout ce que D. dira nous accomplirons », Il leur donna toute la Torah.’ Le Maharal va aborder ce Midrash sous un autre angle.
(33) Le Ets Yossef explique que cette seconde parabole met en exergue que le don de la Torah entière à Israël vient de la profonde affection de D. pour Israël. Le premier avis met en relief la rectitude d’Israël qui ont dit « tout ce que D. a dit nous ferons ».
(34) Nous traduisons de cette manière pour suivre le commentaire du Maharal. Le sens simple du Midrash est un peu différent. Il donna à ses soldats la matière brute, et ils n’ont qu’à se fatiguer à la préparer pour la rendre comestible. Le Maharal explique qu’il a donné à ses soldats une nourriture grossière, indigeste. A son fils il lui donne une nourriture raffinée.
(35) Le Ets Yossef explique que la différence entre les commandements par lesquels les enfants d’Israël sont enjoints et les commandements par lesquelles les Nations sont enjointes ne tient pas seulement en leur quantité mais aussi en leur qualité.
(36) Nous ne voulons pas dire qu’il y a dans l’œuvre du Maharal une volonté révolutionnaire. Bien au contraire, le Maharal nous enseigne que l’étude précise, approfondie, analytique de la Torah par définition, par tradition même, impose de sortir de nos schémas de pensée instinctifs et, par cela nous relie à la source de cette étude, Celui qui nous a donné Sa Torah au Sinaï.
(37) Le Maharal au début de son grand livre Nétsa’h Israël (en particulier au chapitre 3) s’interroge longuement pourquoi n’y a-t-il aucun peuple tellement enclin à nier D. comme Israël.
(38) La pérennité du peuple juif est bien une grande inconnue. Comment aborder l’assimilation, les persécutions, l’éparpillement, l’acculturation, qui frappent de plein fouet chroniquement le peuple d’Israël. Peu de Maîtres abordent de manière rigoureuse ces grandes problématiques. Et c’est ce que fait le Maharal dans une de ses œuvres majeures, le Nétsah Israël qui signifie justement ‘Eternité d’Israël’. Aux chapitres 32, 33, 34, il prouve que la disparition de pans entiers du peuple juif n’est pas accidentelle mais correspond à une volonté divine précise et profonde (mais là n’est pas notre propos).
(39) Pour reprendre notre problématique, l’exil est l’éparpillement de ma personne, l’esclavage où je suis au service du monde.
(40) Le Rav Avraham Tsvi Kluger rapporte dans un de ses ouvrages Nézer Israël qu’un livre vient du sein du pleur.
(41) Le Pirké de Rabbi Eliezer dit : soixante-dix miles. Un mile talmudique correspond à un kilomètre environ.
(42) Tels sont les mots de Rabbi Lévy dans Béréshit Rabba (95,2). ‘Rabbi Lévy dit : de lui-même il a appris la Torah, comme dit le verset (Mishlé 14,14) « et de lui-même l’homme Tov, bon ».’
(43) Vayikra 26,41, או אז יכנע לבבכם הערל, ‘A moins que ne se plie leur cœur incirconcis’. Devarim 10,16, ומלתם את ערלת לבבכם, ‘Vous circoncirez la Orla de votre cœur’.
(44) ‘Qui l’a choisi’ est au singulier, ensuite ‘ et les a sortis’ est au pluriel.
(45) Certains penseurs du vingtième siècle ont bien mis en relief qu’exister n’est pas une donnée mais une sortie de soi, une découverte.
(46) Nous demandons souvent sous forme de boutade à nos élèves qui font de hautes études universitaires : vous qui avez fait dix ans d’études pour être médecin spécialiste, ou bien mathématicien, ou bien expert-comptable, dites-moi combien d’heures de cours avez-vous eues pour apprendre à bien vous comporter avec votre épouse ou avec vos enfants ? Evidemment la réponse est : zéro. En général c’est au second divorce qu’il va se dire : mais zut, j’ai dû passer à côté de quelque chose ! L’homme est capable d’envoyer des fusées dans l’espace, de décortiquer les composants les plus infinitésimaux de la matière, de construire des gratte-ciels en plein désert, mais est complètement absent de lui-même et de sa vie la plus simple. Il y a des spécialistes pour cela, appelons-les des psychologues pour faire simple.
(47) C’est-à-dire un secret que l’on ne dit que dans l’intimité entre une personne et son ami, comme dit le verset « entre Moi et entre toi ».
(48) Rav Avraham Yishaya Karelitz.
(49) De sa propre vie.
(50) La She’hita correspond à la dimension d’Its’hak qui est le dévoilement de la Guevoura, de la dimension de rigueur, de Din, le Shabbat correspond à la dimension de Yaakov qui est la dimension de Kedousha, de sainteté.
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