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De la justice à la miséricorde : connaître, construire et maintenir sa place

par: Stéphanie Allali-Klein

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Hashem parla à Moshé en disant : « parle à Aaron, tu lui diras : quand tu feras monter les lumières, c’est vers le vis à vis de la face de la Ménora qu’éclaireront les sept lumières ».

Ainsi fit Aaron : vers le vis à vis de la face de la Ménora, il fit monter ses lumières, comme ordonna Hashem à Moshé.Et ceci [est] la confection de la Ménora [d’une seule pièce] d’or battu jusqu’à son socle, jusqu’à sa fleur elle [était d’une seule pièce] battue, comme l’aspect qu’Hachem avait montré à Moshé,  ainsi fit-il la Ménora. (Bamidbar Chap. 8 V. 1)

Lorsqu’on lit ce passage de la Torah, la première question que l’on peut se poser, c’est : pourquoi l’allumage de la Ménora précède-t-il la confection de la Ménora?

Pourquoi le verset s’attarde-t-il sur l’utilité de la Ménora « faire monter les lumières » avant son aspect extérieur, sa réalisation matérielle ?

Pour répondre à cette question, attachons-nous à ce que représente la Ménora dans notre tradition, quel repère elle est pour nous.

Regarder la Ménora, c’est regarder l’endroit même où elle a résidé, le Beith Hamikdash.

Le Beith Hamikdash est un lieu de rencontre (Moed) où on partait en pèlerinage mais aussi une direction (Vahad) [ces deux mots ayant la même racine] là où chaque juif porte son regard pour être dans une dynamique spirituelle, une ascension, un désir de « Leh’ Léh’a »

Ainsi la destruction du Beith Hamikdash est la force même de notre attache identitaire, en cela qu’elle fait émerger de manière profonde notre désir constant de reconstruction.

Tendre son regard vers les ruines, c’est déjà vouloir qu’elles se reconstruisent.

Mais pour construire, reconstruire, se construire, il faut déjà s’élever (symbole de l’allumage), avoir l’envie d’aller vers….

Cela signifie se donner un objectif de désir, de ferveur : faire naître en soi la ferveur.

Lorsqu’on veut se construire une maison, et qu’on en dessine les plans, on imagine des chambres, un salon, une cuisine, …., qui, ensemble doivent être cohérents.

Cette cohérence ne peut exister que si, avant même sa construction, existe un désir d’y habiter, une envie d’élever cette maison pour qu’elle soit unique.

Revenons à la Ménora et rattachons là au H’inouh’, à l’éducation.

Le H’inouh‘ , c’est révéler à l’enfant la lumière qui est en lui; le rattacher à l’infini, lui donner « la ferveur ».

« Quand tu feras monter » signifie : faire en sorte que l’enfant de lui même ait ce désir d’élévation. Lorsqu’on lui a donné cela, alors on pourra l’aider à se construire.

C’est par la ferveur qu’il pourra se construire. Plus l’enfant aura en lui cette volonté de s’élever, plus il trouvera son individualité. On pourrait penser, au contraire, qu’il pourrait être écrasé par la spiritualité. Non, cette dynamique le forge, l’autonomise, le libère.

Pour créer, chez l’enfant, cette envie naturelle et personnelle de monter, la Torah nous donne des outils, des moyens forts qui sont à découvrir dans l’allumage de la Ménora rapportée à trois reprises dans la Torah :

1- Dans la Paracha « Tétsavé » : « Quand tu ordonneras ».

2- Dans la Paracha « Emor » : « Dis ».

3- Dans la Paracha « Beaalotéh’a » : « Quand tu feras monter ».

La première étape, « Quand tu ordonneras » met en avant la notion de commandement, et donc de justice. En effet, l’enfant doit se confronter à ses propres limites. Donner des directives à l’enfant, des « ordres », c’est lui offrir la possibilité d’être dans la réalité du monde, dans ce pourquoi il a été créé, et ce vers quoi il tend.

D’ a créé le monde avec l’attribut de justice : un pays pour qu’il existe doit être délimité par des frontières, doit respecter des lois. Cependant, nous savons en chacun de nous, même adulte, ô combien il est difficile de se battre pour arriver à s’harmoniser à cette justice; comme il est dur d’acquérir cette perception (qui est la perfection) d’ordre premier (demandée dans Béréchit).

Ou alors, avons-nous eu une image du « père » si présente, si constante, qu’elle a pu nous donner une relation immédiate au monde.

C’est pour cela que pour supporter cette justice, cette justesse, D’ dit en second « Emor », « Dis ».

Dans le mot « Emor », il y a le mot « Ima », « la mère », ce qui apporte une notion de douceur. Voilà, la seconde étape du H’inouh’ pour montrer que la soumission à l’ordre n’est pas une contrainte. Dire, c’est radoucir le discours, créer de la proximité, donner de la motivation, le plaisir d’obéir.

D’ a créé le monde avec l’attribut de justice, mais quand l’homme est apparu, il a compris que cela serait trop difficile et il a rajouté au monde l’attribut de miséricorde.

Rabbi Miller, dans un de ses commentaires raconte comment Yaacov vivait selon l’attribut de justice. (de vérité)

Il cherchait la perfection dans tout ce qu’il faisait, cela lui était facile tant qu’il se trouvait sur sa terre.

Lorsqu’il partit pour H’aran, il passa devant le Mont Moria (là où avait prié son père) mais il ne trouva pas la nécessité de s’y arrêter pour prier lui aussi.

Quand il arriva à H’aran, il vit tant de colère (la racine même de « H’aran » signifiant « colère »), qu’il comprit que la justice qu’il cherchait était très difficile à accomplir.

On dit qu’il était âgé et qu’il ne pouvait pas revenir en arrière, alors il pria si fort D’ que celui-ci raccourcit les distances pour qu’il puisse se recueillir là où son père avait prié.

L’ordre était si dur à respecter sur une terre étrangère qu’immédiatement, Yaacov eut besoin de proximité dans un lieu familier, un lieu de prière, un lieu de parole.

Enfin en troisième lieu, D’ dit : «Beaalotéh’a» : «Quand tu feras monter ». Si le cadre est posé (justice) mais avec une parole apaisante, radoucie, de proximité (miséricorde) alors l’enfant a envie de s’élever.

La Torah nous donne un cadre pour aboutir à cette possibilité d’élever l’enfant avant de le construire.

« Élever son enfant », c’est vraiment l’« El-ever ».

La pierre fut le premier matériau sur lequel la Torah fut construite. « Pierre » se dit « Even » qui contient le mot « Av » (le père) et « Ben » (le fils). Seule la Torah permet cette relation authentique entre le père et le fils.

Dans le mot « Mitzva » qui veut dire « ordre », il y a le mot « Tsavta » : le lien.

La capacité qu’à l’enfant d’écouter un ordre dépend du lien que son père a avec lui.

Mais ce lien devient sain si le père arrive à en faire une relation. En effet, comme le souligne le Grand Rabbin Bernheim, « Manger n’est pas connaître » (« Le souci des autres »), manger c’est s’approprier, connaître, c’est poser une distance.

La notion d’obligation, d’ordre, est primordiale pour que l’enfant ait un rapport apaisé au monde.

Pour donner une image, cela peut se comparer au jeu du Tarot.

Dans ce jeu, il y a une carte qui s’appelle « l’excuse ». Cette carte permet de se retirer du jeu quand on ne veut pas jouer la partie en cours. Quand on excuse un enfant au moment où il cherche ses limites, c’est en quelque sorte comme si on se retirait du jeu.

Si on ne le soumet pas, il devient roi dans son royaume et cela crée en lui une insatisfaction et une solitude énorme.

Les choses qui sont naturelles pour l’homme ne sont pas écrites dans la Torah. Par exemple, il n’est pas écrit qu’il faut aimer ses enfants.

Dans les 10 paroles, il est écrit qu’il faut respecter ses parents ce qui sous-entend que si on a reçu cet ordre, c’est qu’il n’est pas naturel.

Que veut dire respecter ses parents ? : Le « Kavod » vient de la même racine que « Kaved » : « le poids ».

Respecter ses parents comme le souligne le Rabbin Bernheim c’est leur donner le juste poids.

C’est aux parents de transmettre aux enfants comment leur donner ce juste poids.

Dans les 10 paroles, le respect des parents est sur la même ligne que l’interdit de convoiter son prochain.

Pourquoi ? Car, recevoir des paroles structurantes permet à l’enfant de ne pas être dans l’insatisfaction, le désir immédiat et c’est ce qui lui donne un rapport de distance, juste au monde.

Plus s’est ancré en l’enfant l’idée que ses parents ne lui doivent pas tout, moins il aura un manque face au monde; car ce rapport d’insatisfaction au monde conduit à l’aliénation. C’est cette relation première se jouant entre l’enfant et ses parents qui va l’aider à être en relation au monde et non lié au monde.

La relation (connaître), c’est comme 2 maisons habitées, meublées qui sont reliées par un chemin. Chacun habite sa maison, mais on peut traverser le chemin, taper à la porte et visiter la maison de l’autre.

La relation, c’est la rencontre de 2 solitudes habitées.

Le lien (manger), c’est rester dans un rapport où chacun de manière illusoire satisfait les pulsions de l’autre; où l’extérieur nous habite; où on habite l’extérieur; c’est ne pas avoir de maison.

Si on ne s’approprie pas l’enfant, alors on lui permettra de se connaître et de connaître sa place.

On dit qu’au moment de Matan Torah, chacun connaissait sa place. On voit bien ici que la ferveur collective suscitée par le don de la Torah a laissé la possibilité à chacun de connaître sa place.

Un don (Matan) c’est gratuit, sans intérêt. D’ demande sans doute à l’homme par son étude de lui retourner ce don. L’homme, en étudiant, se confronte à la dimension de l’acte gratuit. Gratuit en hébreu se dit « H’inam », de la même racine que « H’en », la grâce.

Chez la femme, c’est le H’en, la grâce, la pudeur qui remplira cette fonction. La pudeur est peut-être un acte gratuit, sans intérêt, offert au Créateur et au monde. Ainsi, l’étude de la Torah pour l’homme et la pudeur/grâce pour la femme leurs permettent de connaitre leur place comme D’ l’avait fait pour eux au moment de Matan Torah.

Connaître sa place, c’est avoir un rapport sans intérêt au monde. Ainsi, faut-il connaître sa place, la construire et la maintenir.

La maintenir c’est comprendre que nous sommes en relation avec les autres et qu’il faut tenter de ne pas « excuser », se retirer du jeu relationnel.

Quand on est « Hamakir et Mékomo » (connaître sa place) il faut arriver à « Hasaméah béh’elko » (être satisfait de son sort).

Dans Dévarim, il est écrit : « J’en atteste sur vous en ce jour, le ciel et la terre; J’ai placé devant toi la vie et la mort, le bonheur et la calamité. Choisis la vie! Et tu vivras alors, toi et ta postérité ».

Rachi commente « Tu choisiras la vie » : je t’apprends à choisir la portion de ta vie; comme un père qui dirait à son fils : « Choisis toi une belle part de mon héritage ». Il l’amène devant la plus belle part et lui dit : « Choisis là pour toi »

Rachi nous enseigne comme le souligne Rabbi Miller, que D’ conduit chacun vers la portion lui convenant. Comment?

Lorsqu’on aspire réellement à développer ses capacités, il faudra peut-être faire plusieurs tentatives avant de trouver un mode de vie donnant satisfaction.

D’ nous prend par la main et ne nous accorde pas de repos tant qu’on n’a pas découvert le bon chemin, c’est à dire la part correspondant à notre nature et notre potentiel.

Rabbi Miller rajoute dans son commentaire sur Chavouot qu’une fois qu’on connait sa place et le rôle qu’on est censé remplir ici bas, on est satisfait de tout ce qu’on possède et on ne ressent aucun besoin supplémentaire : on sait que toutes les capacités et tous les outils dont on dispose sont spécialement conçus pour cette mission qui ne convient à nul autre. Il n’y a donc plus de convoitise.

Rav Dessler compare cette attitude à celle d’un homme enviant les épaisses lunettes de son voisin. Il ne se rend pas compte que des verres plus épais ne pourraient que lui nuire car elles ne conviennent qu’à un myope profond.

En revanche, celui qui recherche à utiliser à bon escient les outils qu’il possède, son potentiel et ses capacités est un homme qui connait sa place.

Il sait que c’est ainsi en se perfectionnant lui même, qu’il trouvera le bonheur et non en espérant changer les circonstances.

On ne comprend pas que le bonheur est en nous même. Chaque pas en avant dans l’acquisition de « Makir et mekomo » (connaître sa place) entraîne une progression similaire dans « Saméah’ beh’elko » (se satisfaire de ce qu’on a).

Si on arrive à discerner sa part dans la Torah, alors on accède au véritable bonheur : « on ne récolte que ce qu’on s’aime ».

Comme le souligne le Rav Elie Lemmel, « on ne construit pas une mitzva sur la souffrance de l’autre ».

Accéder au bonheur, oui, mais en maintenant sa place, c’est à dire en n’oubliant pas que nous sommes en relation avec les autres.

Stéphanie KLEIN

Merci à Mr Gérard TOUATY pour son cours donné sur le H’inouh’ et qui m’a éclairé dans l’élaboration de cet écrit.

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1983
Enseignante

“De la justice à la miséricorde : connaître, construire et maintenir sa place”

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