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וְגֵר לֹא-תונֶֹה, וְלֹא תִלְחָצֶנוּ: כִי-גֵרִים הֱיִיתֶם, בְאֶרֶץ מִצְרָיִם (שמות כב-כ)

« Et l’étranger, tu ne heurteras pas, et tu ne l’opprimeras  point, car vous étiez des étrangers en terre d’Égypte ».

A plusieurs endroits dans la Torah , il est fait mention d’interdits spécifiques  concernant l’étranger, le converti, et du redoublement de vigilance  supplémentaire à adopter eu égard à sa sensibilité particulière.

Quelques questions se posent à nous à la lecture du verset. Pour quelle raison la Torah mentionne t-elle un interdit spécifique de léser  l’étranger? Nous connaissons l’interdit de léser tout homme (אונאת דברים)  , pourquoi un interdit particulier pour l’étranger ?

La première partie du verset est au singulier (« tu ne… ») tandis que la deuxième partie est au pluriel (« car vous étiez »). Pourquoi ce changement soudain et que suggère t-il?

Et enfin, en quoi le fait d’avoir été étranger en Égypte vient-il justifier l’interdit de léser  l’étranger? L’interdit ne se suffit-il pas à lui-même ? Si nous n’avions pas été étrangers en Égypte, aurions-nous eu le droit de léser autrui parce qu’étranger?

« Tu ne heurteras pas l’étranger. » Le verset s’adresse-t-il à l’individu, au  peuple, ou encore à la personne représentant le peuple?

Pour tenter de donner une lecture première et de répondre à ces questions, nous faisons référence à ce que nous pouvons appeler une « clef de lecture ».

Le Gaon de Vilna dans Parashat Nitsavim enseigne que dans la plupart des  versets de la Torah, à propos d’une parole adressée au peuple d’Israël (par  H’ ou Moshé Rabeinou qui énonce la parole d’H’), lorsque le verset parle à  la deuxième personne du singulier (« tu ») il s’agit, paradoxalement et  contrairement à ce que l’on aurait pu penser, d’une parole adressée au  Peuple, au Am Israël dans son ensemble.

Par contre, lorsque le verset parle à la deuxième personne du pluriel  (« vous »), il s’agit d’une parole adressée aux individus à l’intérieur du peuple.  Toi, c’est le peuple, ou encore la personne qui, en tant qu’individu, représente  le peuple. Vous, c’est chacun des individus parmi le peuple, les subjectivités.

« Tu ne heurteras pas l’étranger. » Le verset s’adresse donc au peuple.

Mais  comment comprendre que l’on parle au peuple alors que le sujet du verset  traite, à priori, d’une affaire de vexation entre individus. Pire, pourquoi le  passage du singulier au pluriel dans le même verset?

On pourrait dire, en premier lieu, que l’on s’adresse au peuple dans sa  capacité à légiférer, à statuer sur les relations sociales, sur les hiérarchies, sur la place accordée à l’étranger, au converti ou à l’immigré. Mais cela est plutôt le sujet du chapitre 23 lors  de la redite de l’interdit « et n’opprime pas l’étranger » juxtaposé à l’interdit de corruption des juges et des gouvernants, où l’on s’adresse au législateur, aux juges etc…

Ici, on s’adresse à l’individu dans le peuple, représentatif, et non représentant, du peuple.

Pour quelle raison un homme du peuple d’Israël en viendrait à heurter la  sensibilité du converti, symbole même de l’étranger (de tout étranger comme le dit Rashi, l’immigré et tout celui venant d’une autre contrée pour s’installer).  Et pourquoi cet interdit spécifique pour le converti, alors  que l’interdit de léser autrui est déjà énoncé pour tous, en prenant en compte la sensibilité de chacun, comme l’enseigne la Mishna ?

Il nous semble qu’un membre du Peuple d’Israël est représentatif de  quelque chose de fort, d’une tradition, il porte la מסורת (tradition) de ses  ancêtres, il est un relais et un maillon de la chaîne initiée par les Avot (les  Pères). Il est investi d’une certaine קדושה, une distinction, qu’il doit porter et vivre  dans ses actes quotidiens, dans sa relation avec autrui, dans son rapport au  monde et face à son Créateur (voir explication du אור החיים הקדוש  …Il pourrait de ce fait avoir tendance, par la noblesse que lui confère son engagement depuis des générations, à prendre de haut ou tout simplement à être trop exigeant avec le  nouvel arrivant qui ne connaît pas encore les codes de la société et ne  porte sur ses épaules la tradition de la révélation du Sinaï que depuis peu de temps, sans pouvoir se reposer sur des racines profondes donnant une assise  forte à ses actes…

Car, comme le dit la Mishna (ב”מ) , chacun des membres du Am Yisrael peut  revendiquer être le descendant d’ « Avraham, Yitshak et Yaakov ». Cet individu  porte la marque du Am Yisrael sur ses épaules et la revendique, il est, si l’on peut dire, le Am Yisrael !

Dans ce cas, pourquoi ne pas user de cette force , pourquoi ne pas faire  ressentir au nouveau venu le fossé qu’il doit franchir pour parvenir au niveau  souhaité, pour mieux mériter sa place ?

Pourquoi devoir sans cesse prendre en considération la fragilité de cet homme ? Pourquoi ménager tellement sa susceptibilité? Au contraire, pourrions nous  affirmer, à lui de s’armer pour être enfin au niveau!

Là vient répondre le verset, et cette fois-ci au pluriel, « car vous étiez des  étrangers dans le pays d’Égypte ».

« Vous étiez », vous n’étiez pas alors un peuple mais uniquement un ensemble  d’individus asservis et fragilisés à l’intérieur d’une civilisation forte. Vous  n’étiez chacun que des individus perdus, avec l’obligation constante de  justifier votre place, votre statut au sein du pays.

Car alors, être le descendant des Avot n’était pas synonyme de noblesse mais  était la cause même de votre asservissement en Égypte.

Ce n’est pas votre propre mérite d’être membre du Am Yisrael mais le  sauvetage incroyable de la part d’H’ Lui-même qui vous a tiré des chaines de  l’esclavage égyptien.

“Ce n’est pas votre mérite, mais celui du Créateur du Monde”, dit H’, “c’est le  Mien”. “Et si je ne vous avais pas fait sortir Moi-même”, dit-Il , “vous seriez encore asservis au néant, vous ne seriez pas un Peuple et vous n’auriez jamais eu de  Mitsvots à accomplir”.

Ce rang distingué, l’étranger, le nouvel arrivant, le converti, peut aussi y  accéder dès son entrée dans le Am Yisrael. A chacun de s’efforcer d’avoir une place pour que son individualité singulière puisse s’exprimer au sein du  Peuple, pour être un fils d’Avraham.

Car, à l’inverse du rejet et de la condescendance, seule l’attention pour autrui  est un gage de distinction et d’élévation dans les comportements humains, tout le reste n’est qu’orgueil et vanité.

N’opprime pas l’étranger, Ô peuple d’Israël, et rappelle toi, à travers cela, que  ta noblesse ne t’appartient pas mais est celle que seul H’ t’octroie, lui qui te  sauve et te sort des chaînes de l’asservissement pour te faire accéder à la noblesse d’un fils de Roi!

(*Voir, pour confirmer cette lecture le אור החיים הקדוש , l’explication du Rav שמשון רפאל הירש  sur place et la  clef de lecture du Gaon dans נצבים)

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“« Et l’étranger, tu ne heurteras pas… »”

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