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En marche vers notre authenticité – La prière du cœur

par: Haya Dupetit,

Publié le 19 Novembre 2023

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Quand tous les lundis matins depuis le 7 octobre tu dois te rendre au boulot et assister à la réunion d’équipe « comme d’habitude », quand à dix heures tu dois prendre le café avec tes collègues en échangeant sur « ce qu’on a fait ce week-end », quand tu amènes tes gosses au cours de musique ou de danse ou de judo et que tu dois discuter avec les autres parents sur « la charge de travail des activités extrascolaires », quand tu dois saluer tes voisins matin et soir « comme si de rien n’était », les mêmes voisins qui le reste du temps trouvent tes enfants « si mignons, si bien élevés » mais qui s’abstiennent de commentaires ces derniers temps, quand tu dois continuer ta vie « normalement » depuis le 7 octobre même si à l’intérieur de toi c’est le cataclysme, alors tu sais que tu es un Juif en exil.

Tu ressens dans tes tripes le poids de l’éloignement, la déchirure de la séparation, l’angoisse de ne pas être à ta juste place, et tu souffres de l’impuissance de ta situation. Tu pestes contre ce bocal dans lequel tu es enfermé, qui t’empêche d’être pleinement toi-même, ce bocal qui garde son Juif bien au sec, bouchon fermé, hermétique. Comme ça, on peut te voir de l’extérieur, quand tu n’es pas planqué derrière les plantes décoratives, mais on ne t’entend pas. Chut ! Dodo ! Noyé dans la masse et montré du doigt. Tel est le comble du Juif en exil.

Question sans prix. Comment sortir de l’exil ?

אָמַר רַבִּי יִצְחָק: מִפְּנֵי מָה הָיוּ אֲבוֹתֵינוּ עֲקוּרִים — מִפְּנֵי שֶׁהַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מִתְאַוֶּה לִתְפִלָּתָן שֶׁל צַדִּיקִים

Rabbi Itshak a dit : « Pourquoi nos patriarches étaient-ils stériles ? Parce que le Saint béni soit-Il désire la prière des justes » (Gemara Yevamot 64 a).

Pourquoi D.ieu désire-t-il la prière des justes ? Parce qu’elle relie le monde à sa source. Ce faisant, elle a le pouvoir de changer la réalité. Comprenons mieux. Quand Sarah apprend qu’elle va tomber enceinte, elle approche de la centaine d’années. Rachi explique que ses cycles ont cessé complétement. Notre Tradition va même plus loin en révélant que Sarah souffrait d’une stérilité hors normes, qu’elle n’avait pas d’utérus. Il n’existait donc pas de remède naturel à sa stérilité, pas de solution prévue dans les règles de la nature. La seule possibilité pour Sarah et Avraham consistait à s’en remettre au Créateur. C’est cette prière du cœur qui a changé leur réalité. Sarah est devenue mère, la mère du peuple juif.

Tous Juif a l’obligation de prier en période de détresse pour que D.ieu vienne le délivrer. Ainsi, quand le Hamas nous attaque sans limites, son agissement est hors normes, il dépasse le cadre prévu dans le monde. Cette situation appelle la prière des justes, c’est-à-dire une prière authentique qui jaillit des profondeurs des cœurs, une prière qui a elle seule possède le pouvoir de changer la situation [1].

D’accord, mais qui sommes-nous pour prier ainsi ?

Le livre de la Genèse est appelé le sefer yecharim, c’est-à-dire le « livre de la droiture ». Le Maharal explique que le terme yachar יָשָׁר qui signifie droit, constitue le radical de base du peuple d’Israël. Nous sommes aussi nommés Yechouroun  ישורון : « le peuple en ligne droite » avec D.ieu, le peuple relié à D.ieu.

Cet héritage moral et spirituel provient du mérite d’Avraham qui a conduit son fils Isaac en sacrifice. Le Patriarche se saisit d’Isaac (ce fils miraculeux reçu grâce à la prière du cœur) et s’apprête à accomplir un geste incompréhensible pour le commun des mortels. Mais D.ieu intervient et fournit un bélier à la place d’Isaac. Puis, un ange descend du ciel et bénit Avraham :

כִּי בָרֵךְ אֲבָרֶכְךָ וְהַרְבָּה אַרְבֶּה אֶת זַרְעֲךָ כְּכוֹכְבֵי הַשָּׁמַיִם וְכַחוֹל אֲשֶׁר עַל שְׂפַת הַיָּם וְיִרַשׁ זַרְעֲךָ אֵת שַׁעַר אֹיְבָיו

Je te bénirai, je multiplierai ta postérité comme les étoiles du ciel et comme le sable du rivage de la mer, et ta descendance héritera des portes de ses ennemis (Berechit, Vayera, 22-17).

Ici, on se questionne car Avraham a déjà reçu cette promesse au moment où il fait la brit mila (l’alliance). Pourquoi le bénir à nouveau dans les mêmes termes ?

Je ramène une autre interrogation en lien avec cette bénédiction. Dans la section Lekh Lekha, D.ieu bénit également Ismaël, qui fait la brit mila comme Avraham :

וּלְיִשְׁמָעֵאל שְׁמַעְתִּיךָ הִנֵּה בֵּרַכְתִּי אֹתוֹ וְהִפְרֵיתִי אֹתוֹ וְהִרְבֵּיתִי אֹתוֹ בִּמְאֹד מְאֹד: שְׁנֵים עָשָׂר נְשִׂיאִם יוֹלִיד וּנְתַתִּיו לְגוֹי גָּדוֹל

Quant à Ismaël, je t’ai exaucé : oui, je l’ai béni ; je le ferai fructifier et multiplier à l’infini ; il engendra douze princes, et je le ferai devenir une grande nation (Berechit, Lekh Lekha, 17-20).

Je pose alors une troisième question, quelle est notre différence avec Ismaël puisque lui aussi possède le mérite de la brit mila et que lui aussi reçoit une bénédiction de « multiplication » pour sa descendance ?

Nahmanide nous éclaire. Il souligne que dans la deuxième bénédiction donnée à Avraham, le Patriarche obtient un bonus. Il s’agit ce bout de phrase énigmatique : « ta descendance héritera des portes de ses ennemis ». Le mot « portes » chaar שַׁעַר se rapproche ici du mot conquête. Reprenons : « ta descendance héritera de la conquête de ses ennemis ».

Quelle conquête ? De quoi parle ici la Torah ?

De la conquête spirituelle et morale qui revient aux enfants des hommes droits. Nous avons hérité de la capacité d’Avraham à tout donner pour notre Créateur. Ce mérite distingue Israël des autres Nations, nous transforme en conquérant pour la vérité. Super Juif ou celui qui reste droit sur ses pieds. Cette force de stabilité et de conservation nous provient du lien indestructible dont nous bénéficions avec le Suprême. Cet héritage constitue notre avantage sur Ismaël, car le mérite de ce dernier, s’arrête là où la bouche d’Israël s’exprime. Ne lisons-nous pas dans la section Toldot : הַקֹּל קוֹל יַעֲקֹב ; la voix est la voix de Jacob ? Nos Sages interprètent que Jacob n’a de pouvoir que par sa voix, à savoir la voix de la prière et celle de l’étude de la Thora.

Conclusion. C’est en ouvrant la bouche que nous serons sauvés.

Retourner à sa place

Être sauvé de l’exil oui, mais pour aller où ?

Il faut comprendre ce que signifie la notion de « sauvetage » à la juive. Dans le Lévitique, la Torah évoque le Yovel. Ce terme désigne une procédure de rachat des terres. La vie agricole juive au temps du Temple de Jérusalem était divisée en cycles. Tous les 50 ans, différentes lois s’appliquaient sur les récoltes et sur les terres. En particulier, une règle stipulait le retour des terres à leur propriétaire d’origine.

וּבְכֹל אֶרֶץ אֲחֻזַּתְכֶם גְּאֻלָּה תִּתְּנוּ לָאָרֶץ

Et dans tout le pays que vous posséderez, vous accorderez le droit de rachat sur les terres (Vaykra, Behar, 25-24).

La délivrance ou geoula en hébreu גְּאֻלָּה, consiste donc en une procédure de rachat.

Notre situation d’exil équivaut à un éloignement et à un détachement de notre propriétaire initial. Spirituellement, l’exil remonte à la faute d’Adam le premier homme. Nahmanide explique que le fruit mangé par Adam lui donne l’accès au choix. Avant la faute, l’humanité vivait dans la vérité, le emet אֶמֶת en hébreu. Après la faute, nous acquérons la possibilité de refuser la vérité. Physiquement, l’exil se matérialise avec la dispersion des Juifs parmi les Nations du monde entier, c’est l’exil de la terre d’Israël qui est notre lieu originel, notre maison. C’est aussi l’exil culturel, l’adoption des modes de vies étrangers. En vivant ainsi détachés, notre structure mentale est affectée, brouillée, notre capacité à discerner l’authenticité, entachée.

Ces deux éléments constituent les « empêcheurs » principaux pour l’ultime sauvetage. Les Juifs vivent un asservissement spirituel et matériel, nous sommes divertis de notre mission originelle, de notre objet d’existence. C’est pourquoi, il est urgent d’entrer en guerre contre ces deux influences : de manière interne (dans et avec nos cœurs) et de manière externe (toutes formes de résistances). C’est là, nôtre travail et si nous ne sommes pas présents sur ces deux fronts alors la vérité ne pourra pas rejaillir.

Pour le dire crument, Israël sera sauvé quand D.ieu nous rachètera et nous ramènera sur Sa terre afin que nous puissions y accomplir notre mission en bonne et due forme. Ainsi, nous reviendrons à notre situation originelle, celle de serviteurs de D.ieu. Ainsi, nous nous alignerons avec l’héritage de nos ancêtres et nous achèverons l’idéal juif incarné par Jacob, notre troisième patriarche dont le nom hébreu n’est autre que Yaakov qui signifie « talon ». Jacob incarne la valeur de vérité, le emet אֶמֶת dont les lettres sont toutes fortement enracinées dans le sol pour montrer la capacité de résistance éternelle du peuple juif, le peuple droit sur ses talons, porteur de la vérité divine sur terre.

Il est à noter que l’approche juive de la guerre est tout à fait singulière. La guerre se dit mil’hama  מִלחָמָה , de la même racine que le mot pain, le’hem לָּחֵם. Il y aurait une notion de survie, de lutte vitale dans notre guerre, une guerre pour l’existence. La guerre comme passage à l’action pour la vie.

En pratique

Il est important d’entendre et de comprendre l’ensemble des éléments exposés jusqu’ici. Il est d’autant plus capital de réussir à les intégrer et à se les approprier.

Comment s’imprégner totalement de notre vérité juive ? Habituons-nous à voir D.ieu et à nous relier à Lui.

De la même manière que nous nous familiarisons avec toutes sortes d’éléments extérieurs à notre vie (un emploi du temps, un mode alimentaire, une langue, un nouveau voisin), nous pouvons nous habituer à un recentrage sur notre authenticité juive. L’enjeu est de sensibiliser nos esprits à ressentir leur essence juive. Pour cela, on peut simplement prendre le pli de relier les événements heureux à leur source supérieure. S’autoriser à dire merci à D.ieu pour chaque petite chose du quotidien qui se passe facilement, est une manière agréable d’entrer dans la danse. Cette pratique n’est efficace que si elle est mise en œuvre avec régularité et répétition, elle conduit à intégrer le fait de D.ieu en nous, à graver Sa présence dans notre structure mentale. Ainsi, goutte par goutte, nous nous autoriserons à remettre les choses dans l’ordre, nous créerons un processus de libération en nous-même et nous mettrons un pied dans le train de la délivrance collective.

Haya Dupetit, Roch Hodech Kislev, 5784.


[1] D’après les enseignements du Rav Moshe Shapira à propos des attentats suicide commis lors de la deuxième Intifada.

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