CHELAKH LEKHA : Des différentes manières de servir Dieu
par: A. MedioniPublié le 14 Juin 2020
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אני ה’ אלקיכם אשר הוצתי אתכם מארץ מצרים להיות לכם לאלקים אני ה’ אלקיכם
« Je suis Hachem, votre Dieu, qui vous ai fait sortir de la terre d’Egypte, afin d’être Dieu pour vous ; je suis Hachem votre Dieu » (Nb 15, 41). Ce verset qui marque la fin de la Paracha est aussi et surtout celui qui vient clore le Chema Israel. Même s’il ne s’agit pas exactement d’une mitsva – il n’y en a aucune mention dans le Sefer Ha’Hinoukh – ce verset marque tout de même le fait de devoir se rappeler chaque jour de la Sortie d’Egypte. Il est aussi source d’un questionnement car si la fête de Pessa’h marque la sortie d’Egypte et son souvenir « en action » à un moment précis de l’année, ce verset nous ordonne indirectement de s’en souvenir tous les jours, soir et matin.
Le Haamek Davar apporte ici une vision tout à fait originale qui tient à sa lecture analytique des versets. La question que pose le maître de Volozhyn est celle de la répétition de אני ה’ אלקיכם.
« Je suis Hachem, votre Dieu » vient une fois au début et une fois à la fin. Pourquoi ne se suffit-on pas d’une seule mention? Il s’agit, d’après le pchat (ce sont les mots du Netsiv), de deux façons de servir Dieu, deux manières d’aborder la Avodat Hachem. Il y a celle des personnes qui sont dans l’étude de la Torah à plein temps (אנשי מעלה דבקים בה’;) et celle de ceux qui sont occupés aux mitsvot telles que tefila, guemilout ‘hasadim etc. Le Netsiv fait remarquer que pour les premiers, il est écrit « Je suis Hachem, votre Dieu, qui vous ai fait sortir de la terre d’Egypte » et pour les seconds, il est simplement écrit « Je suis Hachem, votre Dieu ».
Ce qui caractérise les personnes « occupées aux mitsvot » c’est qu’elles agissent de manière désintéressée (לשם שמים) comme il est rapporté dans un texte du Talmud 1 : « A quel sujet ton père a-t-il été particulièrement vigilant ? ». Et l’un répond « sur le respect du Chabbat », et l’autre « sur les tsitsit » etc. [Il est rapporté juste avant « Rav Na’hman a dit : « Que je sois assuré d’une place dans le monde futur pour avoir accompli la mitsva de faire les trois repas de Chabbat » ; et Rav Yehuda a, lui, mentionné sa concentration dans la prière tandis que Rav Houna parle du fait qu’il n’a jamais marché quatre coudées sans la tête découverte » etc.] Le point que met ici en avant le Netsiv, c’est que chacun de ces Sages a une mitsva qui le caractérise et sur laquelle il est particulièrement méticuleux.
Il rapporte un passage du Talmud Yerouchalmi dans lequel on mentionne que chacun reçoit une berakha particulière quand il choisit une mitsva dans laquelle il s’implique de manière totale et sans aucune forme de compromis. Au-delà de cet aspect, chacun a un chemin dans le service divin qui est lui propre en fonction de son individualité et de ses traits de caractère comme il est écrit : « Rabbi a dit : quel est le droit chemin que l’homme doit adopter pour sa conduite ? Celui qui l’honore à ses propres yeux et le rend respectable aux yeux de l’autre homme » 2 .
Avec autant de latitude accordée au choix individuel, nous pourrions penser que Dieu ne s’intéresse qu’à ce qu’une personne agisse de manière désintéressée. Et que la ferveur authentique de cette personne peut alors l’orienter à explorer de « nouvelles façons » de servir Dieu. Il n’en est rien. La créativité et l’individualité ont leurs limites. Et c’est pour cette raison que nous trouvons avant ce verset : « Vous n’explorerez pas à la suite de votre cœur, et à la suite de vos yeux », un verset lié aux tsitsit qui évoque « l’exploration » et, au-delà, de nouvelles formes de service inconnues. Mais le Netsiv met en garde : plusieurs choix sont disponibles, mais uniquement dans le
cadre des mitsvot et de l’étude de la Torah.
Le Rav Yehuda Copperman 3 écrit dans son livre séminal Pshuto Shel Mikra que cette approche se trouve déjà en filigrane dans le premier chapitre du Messilat Yesharim qui écrit יתברר ויתאמת אצל האדם מה חובתו בעולמו : « l’homme exige une clarification et un examen de son engagement dans le monde », et même de manière littérale : « son engagement dans son monde » et non pas « un simple engagement » qui pourrait s’écrire החובה בעולם. Mais cette idée, explique le Rav, se trouve déjà dans le Talmud et même dans le Tanakh. Un texte talmudique nous enseigne : « Celui qui voit des multitudes de Juifs récite la bénédiction ‘Hakham HaRazim car leurs esprits ne sont pas comparables les uns aux autres, et leurs visages ne ressemblent pas les uns aux autres » 4 . Quant au Tanakh, il existe un verset bien connu dans Michlé : « Eduque le jeune suivant sa voie ; même avancé en âge, il ne s’en écartera point » 5 . Il est donc bien écrit « suivant sa voie » et non « suivant la voie »… Le Malbim explique que « chacun est porté par sa nature à un chemin différent de l’autre » : אחר לענין בטבעו מסוגל אדם.
Que ce soit dans les comportements ou dans les actes.
Malgré sa nature… ou grâce à sa nature, on doit pouvoir trouver son chemin spécifique.
« Après 120 ans, certains professeurs devront rendre des comptes sur le fait qu’ils ne sont pas devenus des Grands de la Torah tandis que certains avrekhim devront clarifier pourquoi ils n’ont pas cherché à pourvoir aux besoins de leur famille » écrit le Rav Copperman 6 . Au-delà de ce commentaire mordant, l’idée est qu’il incombe justement à chaque personne de clarifier quel est « son chemin dans le monde » et quelle est sa contribution spécifique dans la Avodat Hachem…
Vaste programme !
1 Chabbat 118b.
2 Avot 2, 1.
3 Rappelons qu’il a été le fondateur de la Michlala de Jérusalem (séminaire pour jeunes filles) et maître d’œuvre de l’édition
définitive du Haamek Davar. Son livre Pshuto Shel Mikra est publié en hébreu au Mossad HaRav Kook et a été également
traduit en anglais.
4 Berakhot 58a.
5 Proverbes 22, 6.
6 Yehuda Copperman, Pshuto Shel Mikra, Beha’alotecha, « Different paths in Avodat Hashem », p.520.
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