Bo – L’imbécile qui se tait donne au moins l’impression qu’il est intelligent !

L’imbécile qui se tait donne au moins l’impression qu’il est intelligent !

Les hommes ont toujours eu besoin, à un moment ou un autre, de mesurer le temps qui passe. D. dit à Moché : « ce mois (c’est-à-dire qu’on se trouve en début de mois) est le premier des mois de l’année ». A travers ces mots adressés à Moché, selon la tradition, est donnée ici au peuple sa première mitsva : celle de se fixer un calendrier. C’est un point remarquable : le peuple, qui n’est pas encore sur sa terre, qui va être libéré, qui n’a pas encore de législation, doit se fixer la manière dont il calculera le temps ! Le peuple, encore en Egypte, se fixe ainsi, sur ordre divin, sa propre origine : la sortie d’Egypte, naissance du peuple juif, sera inscrite dans ce calendrier préexistant. C’est effectivement un début de liberté : pouvoir se créer des références, des structures qui ne bougeront pas (en tous cas jusqu’aujourd’hui !). Les Egyptiens, évidemment, ne savent pas ce qui se passe chez les Hébreux, mais s’ils l’avaient su, ils les auraient probablement pris pour des utopistes, ou pour des fous. Et le texte ne s’arrête pas là. Tout le programme de la sortie à venir est fixé en fonction de ce calendrier : le 10 du mois, on prend un agneau, le 14, on l’égorge, le 15, on le mange, et plus tard, chaque année, il faudra fêter cela, et si les enfants demandent ce que c’est, il faudra leur répondre… Tout cela est dit en Egypte, le premier de ce mois, et on n’est pas encore sorti ! On fait confiance à D., car, sinon comment prévoir ? Quel peuple dans le monde s’est fixé une fête avant que l’événement de la fête ait eu lieu ?

Le midrach dit que l’obscurité était pesante, elle immobilisait. Le verset dit que les Egyptiens ne se sont pas levés. On peut comprendre qu’ils craignaient de se lever, mais le midrach dit qu’ils ne se sont pas levés, car physiquement, cela leur était impossible. Mais alors, ce n’est pas lié à l’obscurité : D. peut immobiliser sans utiliser l’obscurité. Il y a donc un lien entre immobilisation et obscurité. Nous avons l’habitude de penser que la lumière est un moyen de voir, et donc si nous voyons, nous pouvons agir. Sans voir, il est plus difficile d’agir, mais pour nous, d’autres facteurs interviennent dans la mobilité. Ainsi, s’il y a eu trois jours d’obscurité, il leur a été très difficile de faire tout ce qu’on fait dans une journée normale. Il fallait produire un éclairage d’urgence, et pour tout un pays, on peut imaginer la panique qui en a découlé ! Mais il faut y a davantage. Lorsqu’il est dit que D. a créé la lumière au premier jour (sans rentrer dans le sens profond de cette « lumière »), cela signifie que la lumière est un élément fondamental, duquel dépend tout ce qui va venir dans la création. Ce n’est pas seulement un moyen, c’est bien plus, c’est la base même de tout le mouvement à venir. C’est comme une puissance intérieure, l’envie même de bouger. Il faut donc comprendre que, quand D. envoie l’obscurité, Il envoie aussi ce qui est fondamentalement à la base de cette obscurité : le contraire du dynamisme, une impression de ne rien pouvoir entreprendre, le contraire de la première lumière.

Les motivations

Que veulent les Egyptiens ? Sont-ils manipulés par un Pharaon obstiné, ou sont-ils eux-mêmes tout autant obstinés ? On ne le saura jamais exactement, toujours est-il que si D. les a punis, c’est qu’ils avaient des choses à se reprocher, D. ne punit pas un homme si l’homme n’a pas fauté. Au moment où se produit la dernière plaie, il est dit que les Egyptiens ses ont précipités pour mettre les Hébreux dehors car ils craignaient de mourir, tous. Ils imaginaient le pire. Cela peut se comprendre car le verset dit qu’il n’y avait pas de maison sans mort. Rachi donne deux raisons. D’abord, les premiers-nés « illégaux », nés d’une tromperie, mourraient aussi. Puis, même s’il n’y avait pas de premier né, il y avait un mort. Il s‘agissait de la personne la plus importante de la maison. D. les avait fait mourir également, pas seulement les premiers-nés. On pouvait donc imaginer que n’importe qui allait mourir, si on ne connaissait pas exactement la raison du décès. On pouvait aussi imaginer que demain, il y ait à nouveau une confrontation entre Moché et Pharaon, et que d’autres allaient mourir. Le texte dit que les Hébreux sont partis au milieu des enterrements égyptiens. Les Egyptiens n’en peuvent plus, ils se « débarrassent » des Hébreux. Probablement rien de plus.

Principes oubliés… : se souvenir

Il y a de nombreux versets concernant le devoir de se souvenir. Dans d’autres domaines que celui la religion, il existe aussi des journées, des cérémonies, des monuments de souvenir. Cela semble être quelques fois presque un devoir moral. Mais plus on avance, plus il y aura d’éléments à se souvenir, comment va-t-on faire ?! De plus, journées, cérémonies, monuments, sont-ils toujours efficaces ? Certains répondront que c’est mieux que de ne rien faire, et c’est peut-être vrai. Quand la Thora demande de se souvenir, ce n’est ni cérémonie, ni monument qui soient demandés. C’est plutôt étudier, lire un texte, une prière régulière, ou agir régulièrement. Surtout pas de cérémonie. Un paragraphe de la Thora ou une prière, est lu ou étudié à l’infini. Par exemple, le chabath « souvenir de la création » revient chaque semaine avec toutes ses obligations. Le souvenir des grands hommes se réalise par l’étude de leurs livres, de leurs paroles. Le souvenir des mitsvoth se fait par la mitsva du tsitsith, porté sur soi. Le souvenir de nos bonheurs (et de nos malheurs) sont inscrits dans le calendrier. Les prophètes les ont inscrits dans la régularité. Ce sont des journées, en général, où on ne travaille pas, et cela doit nous ouvrir des perspectives dans le futur et non uniquement un lien avec le passé. Sinon, pourquoi ne pas travailler ? Ne pas travailler, dans la Thora, c’est entrevoir un moment où effectivement, il ne sera plus nécessaire de travailler (un peu comme au jardin d’Eden). C’est donc le futur qui est entrevu. (Et pour les mauvais moments aussi, on se tourne vers le futur, mais d’une autre manière. Ce sont des jeûnes, donc des moments qui, un jour, devront disparaitre parce qu’on se préoccupe de la raison pour laquelle le jeûne disparaitra). Le souvenir est une manière d’insister sur quelque chose qui est déjà en nous, et que nous voulons développer davantage. Contrairement à d’autres qui font quelques fois du souvenir un élément qui doit les rattacher à ce qui risque de leur échapper, chez nous, le souvenir est surtout un appel au développement. Le tsitsith, qui doit rappeler les mitsvoth, est en soi une attache encore plus forte aux mitsvoth, et non simplement un moyen de rappel. Lorsqu’il faut se souvenir d’Amalék, nous rappelons une lutte que nos ancêtres ont vécue, nous affirmons en vérité qu’elle n’est pas finie, que nous la poursuivrons jusqu’au bout. Et enfin, lorsque nous rappelons la sortie d’Egypte, c’est pour dire qu’elle est constitutive de notre peuple, et que nous n’avons pas encore pris conscience de tout ce qu’elle nous a apporté.

Que doit faire un homme pour devenir sage ? Qu’il multiplie la yéchiva (= les moments d’étude) et diminue le commerce (= son travail). Mais beaucoup ont fait cela et n’ont pas réussi ? Alors qu’il prie et le demande à Celui à qui appartient la sagesse. Mais pourquoi alors avoir donné au début une autre réponse ? Pour nous faire comprendre que les deux actions sont nécessaires. Que doit faire un homme pour s’enrichir ? Qu’il multiplie le commerce (= son travail) et qu’il soit honnête dans ses échanges. Mais beaucoup ont fait cela et n’ont pas réussi ? Alors qu’il prie et demande à Celui à qui appartient la richesse. Mais pourquoi alors avoir donné au début une autre réponse ? Pour nous faire comprendre que les deux actions sont nécessaires. (Nida 70b)