La Paracha de Behaalotekha nous expose en détails la prise de fonction des Léviim dans le fonctionnement quotidien du Tabernacle. Cet élément s’enracine déjà quelques chapitres plus haut au sein de la paracha de Bamidbar (Chap. 3 Verset 12) :
« Et moi j’ai pris les Leviim d’entre les enfants d’Israël à la place de tout ainé, ouverture de toute matrice des enfants d’Israël et ils seront pour moi les Leviim. ». Ce verset pose donc en principe le fait que les Leviim n’étaient pas initialement destinés à servir au Temple, ce rôle aurait dû échoir aux premiers-nés.
Rachi sur place nous éclaire quand au motif de ce transfert : « […]Car le service au Temple était l’apanage des premiers-nés et lorsqu’ils commirent la faute du veau d’or, ils furent invalidés, et les Leviim qui n’avaient pas servi l’idole furent choisis à leur place.»
Ce sujet est dense, et nous ne prétendons pas l’épuiser, mais juste en examiner quelques aspects. Pour cela il nous faut tout d’abord nous pencher sur la raison pour laquelle les premiers-nés étaient affectés à cette fonction.
Le Maharal développe ce point à plusieurs reprises dans son œuvre : « Car le premier-né a une sainteté de par la réalité même, car il est sorti le premier au monde, il est prémice de la réalité. » Cette sainteté se retrouve aussi, explique le Maharal dans de nombreuses mitsvot, comme par exemple les prélèvements agricoles portant justement sur les prémices.
Ainsi, par nature, le premier-né possède une propension à la sainteté qui lui est propre. Celle-ci le destine de manière privilégiée à servir au Temple.
Il s’agit là d’une certaine façon d’un service de D. de nature subjective, naturelle, innée, comme personnelle. Nous disons personnelle, car en effet le dialogue bien connu entre Essav et Yaakov, démontre qu’il s’agit d’un droit cessible, un droit dont le titulaire pouvait disposer comme bon lui semblait.
Or, lors de l’épisode du veau d’or, comme nous venons de le voir dans Rachi, cette modalité du service de D. va subir un grave échec. D’après Rachi, elle y perd même sa légitimité, puisque c’est à cette occasion que la charge du service au Temple va être transférée aux Leviim.
L’un des enjeux du veau d’or est donc bien la remise en cause, l’invalidation du type de service qu’incarnaient les premiers-nés. Celui-ci n’a plus lieu d’être. Ce qui va prendre sa place est d’une toute autre nature.
Rachi (Bamidbar Chap. 3 verset 12) : « […]ils [les Leviim] ont été séparés du reste de l’Assemblée à cet effet [de servir au Temple] par un décret divin. ».
Rachi nous livre peut être par ces deux mots une des clés de notre sujet. Le passage de témoin des premiers-nés aux Léviim est donc un passage d’une fonction conférée par nature à une fonction attribuée par décret divin, d’une fonction dont le titulaire peut disposer à une responsabilité intangible.
Lors de la prise de fonction effective des Léviim ( Bamidbar Chap.8, verset 7), la Torah leur enjoint de raser la totalité de leur corps. Rachi sur place nous livre un commentaire surprenant pour justifier cette prescription :
« J’ai trouvé dans les paroles de Rabbi Moché Hadarchan que c’est du fait qu’ils ont apporté une expiation pour les premiers-nés qui avaient pratiqué l’idolâtrie, qui est qualifiée d’offrandes mortes, et le lépreux est appelé « mort » [c’est pourquoi] il a été exigé d’eux de se raser à l’instar des lépreux. ».
Ce commentaire de Rachi est complexe et pourrait faire l’objet d’une analyse en soi. Toutefois, il apporte un élément d’importance à notre réflexion : en assumant les responsabilités initialement destinées aux premiers-nés, les Léviim captent également une part de leurs errements.
Peut être peut on expliquer cela de la manière suivante. Le passage d’un type de service divin à l’autre ne peut se faire impunément, cela se fait au risque de reprendre à son compte une parcelle des erreurs commises par le prédécesseur. Il semble que si la Torah met l’accent, comme nous venons de le voir, sur la différence entre la avoda « subjective » des premiers-nés et celle « décrétée » des Léviim, c’est qu’une part de la faute des premiers-nés est en quelconque façon liée au dévoiement de cet aspect de la fonction.
Pour prendre leur place, les Léviim doivent porter le deuil de ce dévoiement. Rav Chimchon Refael Hirsch explique que le rasage est le symbole de la réduction à néant de l’ego. C’est ainsi un passage obligé pour pouvoir accéder à cette nouvelle forme de service de D.
En conclusion, nous voudrions souligner que malgré tout, une parcelle du service « spontané » caractéristique des premiers-nés subsiste sous une autre forme non pervertie, celle de l’étude de la Tora.
Comme le dit Rambam en conclusion des lois de la Chemita et du Jubilé : « [les privilèges attachés à la fonction des Léviim] ne se limitent pas à ceux-ci […] », mais à chaque homme […] qui déciderait de se séparer [du monde] et de se tenir devant Hachem pour le servir et le connaître [celui là est consacré saint des saints et Hachem sera sa part et son héritage pour l’éternité et il acquerra dans ce monde-ci ce qui lui est nécessaire comme ce qui a été alloué aux prêtres et aux Léviim. ». Il nous semble qu’il s’agit du seul cas où un homme peut devenir d’une certaine manière un Lévi, acquérir de son propre chef un type de service divin qui pourtant par définition ne peut être acquis.
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