[Les sujets que nous allons aborder ici touchent des points extrêmement intimes. Notre but n’est ni de choquer, ni d’indisposer.
I. Les interdits sexuels sont enseignés dans la Torah à la fin de la Parasha A’haré Mot (Vayikra, chapitre XVIII). Les châtiments relatifs à ces interdits sont exposés à la fin de la Parasha Kedoshim (Vayikra, chapitre XX).
Les relations sexuelles avec une femme ayant des pertes menstruelles sont prohibées par la Torah, c’est l’interdit de Nidah. La femme garde ce statut tant qu’elle n’est pas allée en temps requis au bain rituel. Le verset, à propos de la femme Nidah, utilise un terme particulier :
את מקורה הערה
« Il a dévoilé sa source » (chapitre XX, verset 18)
Le terme הערה est rare, nous ne le retrouvons en fait qu’au sujet de l’interdit d’avoir des relations avec la sœur de son père ou avec la sœur de sa mère (verset 19). Pour les autres interdits sexuels de la Torah, d’autres expressions sont utilisées, commeאיש אשר ישכב , « un homme qui aura couché », ou ערות אחותו גלה, « la nudité de sa sœur il a dévoilé », etc.
Que signifie le mot הערה ?
Rashi traduit par « dévoiler », « dénuder », ce qui est le sens du substantif הורע, Erva, qui veut dire « nudité ». Mais la Tradition Orale (première Mishna du sixième chapitre du traité Yevamot, 53b) nous donne une explication étonnante : הערהsignifie pénétrer, c’est-à-dire qu’il y a transgression dès qu’il y a pénétration, même s’il n’y a pas eu rapport complet, ni émission de semence.
Cette notion de « pénétration », appelée העראהpar nos Maîtres, est déduite du terme employé au sujet de la femme Nidah. Ce qui est surprenant, c’est que la Tradition Orale ait généralisé cette notion pour en faire un grand principe du droit pénal de la Torah.
« Est appelée העראהl’introduction de la couronne (ce que l’on appelle en français « le gland »), le rapport proprement dit serait l’introduction complète du membre. L’émission de semence ou non n’est aucunement significative quant au pénal car dès lors qu’il y a eu introduction complète du gland s’applique la peine, quand bien même y aurait-il eu interruption immédiate du rapport. » (Rambam dans son commentaire sur les Mishnaïot du septième chapitre du traité Sanhedrin).
II. Le terme הערה, comme indiqué plus haut, n’apparaît dans la Torah qu’au sujet de deux interdits précis. La Guemara, au début du sixième chapitre du traité Yevamot, généralise à partir de ces deux cas la notion deהעראה , « pénétration », pour tous les interdits sexuels de la Torah. Malgré les difficultés techniques d’une telle généralisation, aucun avis discordant ne s’exprime à ce sujet.
Rambam (Maïmonide), dans l’introduction à son commentaire sur les Mishnaïot, relève que lorsqu’un sujet important ne soulève pas de discussion (alors qu’en général, dans le Talmud, tout est sujet à débat), cela révèle que cet enseignement a été reçu oralement au Sinaï et se trouve être un élément fondamental de la Tradition Orale.
Le principe deהעראה , c’est-à-dire de condamner quant au droit pénal dès la pénétration et non lorsqu’il y aurait consommation effective de l’acte répréhensible, serait donc une exigence fondamentale de notre tradition. Que signifie cette exigence ? En d’autres termes, qu’est-ce que cela aurait changé dans notre vie si la transgression avait été signifiée par un acte complet, voire avec émission de semence, hormis évidemment les deux cas explicites de la Torah (Nidah et la sœur du père et de la mère) ?
III. Instinctivement, nous aurions sûrement dit que pour qu’il y ait transgression, il faut qu’il y ait consommation de l’acte, mais ce n’est pas ce que la Torah vise. Ce qui est visé, c’est un acte signifié, pas forcément un acte consommé. Certains commentateurs (le Malbim sur Vayikra, XX, 18, le Torah Temima sur Vayikra, XVIII, 29) relient le mot הרעה du sens du verset dans le livre de Mela’him I, chapitre VII, verset 36 :
כמעור איש ולויות
« Comme un homme s’unit, s’attache à sa compagne. »
Il s’agit d’union sans qu’il y ait forcément un acte complet (langage du Torah Temima). Dans une relation prohibée, la transgression est effective dès qu’un homme s’unit à une femme, dès qu’est signifiée la dimension d’union.
Ce qui est répréhensible, ce n’est pas qu’un homme et une femme aient cherché à avoir des plaisirs interdits, mais qu’ils se soient présentés dans une relation d’union, c’est-à-dire d’homme et de femme, quand cette union précise était interdite.
Nous pouvons maintenant comprendre la nécessité impérieuse qu’a la Tradition Orale de généraliser la notion deהעראה , de « pénétration ». Cette nécessité comprend deux aspects qui dans leur fond se retrouvent :
1. Le droit, ici pénal, n’est pas de l’ordre de la nature. A la fin de la Parasha Kedoshim, la Torah vient nous enseigner les conditions d’application des châtiments concernant les relations sexuelles interdites, c’est-à-dire que la Torah vient statuer sur du pénal, sur du droit. Le droit constitue une césure radicale avec la nature, avec la manière naturelle, instinctive, d’aborder les choses.
2. Les versets de la Torah opèrent une rupture avec la nature : désormais, nous ne définirons plus les choses d’un point de vue purement physique (ici, en l’occurrence, le rapport abouti, voire l’émission de semence) mais du point de vue du signifié, de ce qui s’appelle une relation homme – femme, comme le dit parfaitement le verset du livre de Mela’him : « comme un homme s’unit à sa compagne ». La העראה désigne donc ce qui s’appelle une relation entre un homme et une femme.
Les deux aspects se rejoignent en cela que ce qui définira la dimension impérieuse de la loi ne sera pas son caractère coercitif mais sa dimension fondamentalement signifiante.
[Une loi, par définition, s’impose. D’où tire-t-elle sa dimension impérieuse ? Le Maharal analyse ce point dans son commentaire sur Rashi, dans Shemot, XXXI, 18. Le verset dit : « Il donna à Moshé, quand Il termina de parler avec lui sur le mont Sinaï, deux tables de témoignage. ».
לדבר אתו .פירש רש »י. מלמד שהיה משה שומע מפי הגבורה וחוזרין ושונין ההלכה שניהם יחד עכ »ל
Rashi : « ‘quand Il termina de parler avec lui’, ceci nous enseigne que Moshé écoutait de la bouche du Tout Puissant, et ils reprenaient ensuite le sujet tous les deux ensemble. »
Rashi veut rendre compte de l’expression étonnante du verset לדבר אתו, « parler avec lui », comme si D. discutait avec Moshé.
Le Maharal de Prague, dans son commentaire Gour Arié sur Rashi, développe : « ce que Rashi nous dit, ‘ils reprenaient ensuite le sujet tous les deux ensemble’ est un grand secret, car les paroles de la Torah ne sont pas comme les lois instituées par un roi fait de chair et de sang. Car lorsqu’un roi charnel ordonne à ses serviteurs en disant ‘faites ainsi’, le principal est la sentence qu’il a inventée dans son cœur. Les chemins de la Torah ne sont pas ainsi, ils s’imposent par eux-mêmes, c’est pourquoi il est écrit au sujet de la Torah : ‘Il termina de parler avec lui’, comme deux personnes qui commercent d’un sujet ensemble, car la Torah n’est pas comme le décret absurde d’un roi. »
Le Maharal se plaît à répéter que les décrets d’un roi fait de chair et de sang n’ont aucun sens, ce qui n’est pas le cas des paroles de la Torah. A priori, nous dirions l’inverse : un roi a des conseillers et peut très bien prendre des décisions éclairées, tandis que bien souvent, les décrets de la Torah peuvent paraître absurdes ! Il nous semble que le Maharal veut dire qu’essentiellement, les lois humaines ne tirent leur dimension impérieuse que par coercition, alors que les chemins de la Torah s’imposent par eux-mêmes, par leur dimension signifiante. C’est pourquoi ils s’expriment du sein d’un dialogue et supportent la discussion.]
IV. Nous avons vu que les Hakhamim généralisent la notion deהעראה , de condamner dès la pénétration, à tous les interdits sexuels de la Torah.
Qu’est-ce qui formellement justifie une telle généralisation ? Rabbi Yona (Yevamot 54b) nous enseigne que tous ces interdits sont mis en relation les uns aux autres (c’est ce que l’on appelle dans la Guemara le היקש de Rabbi Yona), comme dit le verset (Vayikra, chapitre XVIII, verset 29) : « car celui qui fera toutes ces abominations etc. » Toutes ces abominations sont mises en relation, de même que la condamnation s’applique à la relation avec la femme Nidah dès la pénétration, de même toutes les relations sexuelles interdites sont-elles condamnables dès la pénétration.
Là-dessus la Guemara demande :
בעא רבינא מרבא המערה בזכור מהו
« Ravina demande à Rava : celui qui faitהעראה , pénétration, dans un acte d’homosexualité masculine, qu’en est-il ? »
L’acte d’homosexualité masculine fait partie des interdits sexuels de la Torah, Ravina demande à son maître si la condamnation s’applique dès העראהdans ce cas.
La Guemara répond :
בזכור משכבי אשה כתיבא
« A propos de l’homosexualité masculine, le verset dit : ‘avec le mâle tu ne coucheras pas comme avec une femme’, cela a le même statut qu’une femme. »
Par conséquent, de même que dans les relations homme – femme prohibées, la condamnation s’applique dès העראה , pour l’homosexualité masculine, la condamnation s’appliquera également dès העראה .
La Guemara continue et demande :
המערה בבהמה מהו
« Celui qui fait העראהavec un animal, qu’en est-il ? »
Les rapports avec des animaux font partie des interdits sexuels de la Torah, la Guemara demande si là aussi, la condamnation s’appliquera dès העראה .
La Guemara répond par l’affirmative en apportant une source d’un verset.
Tossfot (דה »מ בזכור מהו) pose une question simple sur la démarche de la Guemara : si, comme nous venons de le voir, nous généralisons la notion de הארעה à tous les interdits sexuels, au moyen du principe de généralisation de Rabbi Yona, pourquoi donc Ravina pose-t-il ensuite sa question au sujet de l’interdit d’homosexualité masculine et au sujet de l’interdit de bestialité ?
Tossfot propose trois réponses :
Première réponse : nous apprenons la notion de העראהdu verset qui ditאת מקורה הערה , « sa source il a dévoilé », or dans les deux cas qui nous occupent, l’homosexualité masculine et l’acte de bestialité, la notion de source, de מקור, n’existe pas.
Essayons de développer cette réponse aussi sublime que concise de Tossfot. Le verset dit : « sa source il a dévoilé, il a pénétré, et elle a dévoilé l’origine de ses sangs. » La relation dont on parle ici est le partage d’une intimité, d’une origine, d’un secret. Ce qui n’existe pas dans les deux cas dont nous parlons.
Deuxième réponse : il est à remarquer que lorsque la Torah expose la liste des interdits sexuels à la fin de la Parasha Kedoshim, l’homosexualité masculine et l’interdit de bestialité ne sont pas écrits dans le même groupe que les autres, car l’interdit de donner de sa descendance à Moloch vient séparer les deux groupes d’interdits.
Cette remarque de Tossfot est fondamentale, et nous commençons ici à toucher le cœur de notre étude.
V. Qu’est-ce qu’un texte ? Qu’est-ce qu’apprendre ? Qu’entendons-nous par l’expression « le verset dit » ?
N’importe quel imbécile se rend compte que le verset qui traite de l’homosexualité et celui qui traite de la bestialité ne sont pas écrits à la suite des autres interdits sexuels, et que l’interdit de donner de sa descendance à Moloch opère une séparation, mais que faire de cette constatation ? Délirer, raconter n’importe quoi ? Partir dans son fantasme, interpréter ?
Tossfot exprime ici une tension : d’un côté, la Tradition Orale que nous avons reçue au Sinaï (comme nous l’avons montré au nom de Rambam) nous enseigne que la notion deהעראה , de condamnation dès la pénétration, s’applique à tous les interdits sexuels ; d’un autre côté, Tossfot offre à lire que le texte de la Torah Ecrite sépare clairement l’interdit d’homosexualité et l’interdit de bestialité des autres interdits.
La question de départ était : si l’on tient le principe de généralisation de Rabbi Yona, pourquoi la Guemara se demande-t-elle si la notion de העראהs’applique dans l’interdit d’homosexualité et dans l’interdit de bestialité ?
Tossfot dans sa seconde réponse nous offre à lire dans le verset que profondément, ces deux interdits ne sont pas des interdits « sexuels » au sens propre du terme, ils entrent dans une autre catégorie, ce que l’on appellerait en français « les perversions », bien que ce terme demande à être précisé.
[Tossfot lit ce distinguo dans le texte même de la Torah. Nous aimerions ici nous interroger : qu’est-ce que lire ? Qu’est-ce qu’un texte ?
Il y a lire et il y a interpréter.
On est souvent tenté de penser que puisque les Hakhamim donnent des lectures multiples et souvent antagoniques du même verset, l’arbitraire est de mise, et que cela m’inviterait alors à me lancer moi-même dans ma petite interprétation. Cette attitude largement répandue provient de l’ignorance des mécanismes internes subtils de la Tradition Orale.
On peut distinguer trois éléments : la Torah Ecrite, la Torah Orale et les hommes qui reçoivent cette Torah. La Torah Orale est la tradition qu’Hakadosh Baroukh Hou nous enseigne par notre Maître Moshe, et qui nous apprend comment la Torah Ecrite va se concrétiser dans notre vie à nous, hommes qui recevons la Torah dans notre vie.
Prenons comme exemple le cas qui nous occupe : Hakadosh Baroukh Hou a écrit dans la Torah qu’il y a une césure entre deux catégories d’interdits, mais la Torah Orale nous enseigne pourtant que la notion de העראהs’applique dans tous les cas ! En tant qu’hommes qui reçoivent la Torah, nous nous demandons alors comment lire le verset. Vivant cette tension entre la Torah Ecrite et la Torah Orale qui s’adresse à nous, nous reprenons les versets, les interrogeons et les « exigeons ». Exiger se dit en hébreu Doresh, une Drasha est une exigence de lecture.
Les différentes lectures parfois antagoniques de la Torah ne viennent donc pas d’un arbitraire, mais bien au contraire des exigences existentielles et des forces d’interrogation de chaque Maître de la tradition, c’est ce qui s’appelle lire.
Ceci est un aspect de ce que l’on appelle leעמל התורה , le « labeur dans l’étude de la Torah » : vivre cette tension entre deux dimensions antagoniques, la Torah Ecrite et la Torah Orale qui nous enseigne comment la Torah Ecrite va se concrétiser dans notre existence, et se demander : finalement, qu’est-ce que dit la Torah ? C’est cela l’exigence du texte, lire un texte et non l’interpréter.
Nous pouvons un peu ouvrir la réflexion : le Hollelot Ephraïm de Rabbi Ephraïm Lunshitz (auteur du Kli Yakar ; Prague, 1550 – 1619) explique ainsi la traversée de la Mer Rouge :
בים סוף קרע להם ים החכמה ועשה להם דרך ומסלות ונתפתחו להם צינורות החכמה וכו’
עד שנקרעו כל מימות שבעולם, כל ז’ חכמות וכו’.
« A la Mer Rouge, Il leur a fendu l’océan de la connaissance et leur a façonné un chemin ; alors se sont ouverts les conduits de la connaissance, tant et plus que toutes les eaux du monde se sont fendues, c’est-à-dire même les sept sciences. »
Qu’est-ce que la Mer Rouge ? C’est l’océan de la connaissance. Ce qui nous noie, c’est l’avalanche de connaissance, l’avalanche de savoir, de pensée, d’idée. La traversée de la Mer Rouge, c’est que dans tout cela, des gens ont trouvé un chemin, une démarche où ils purent avancer sans être noyés.
Et c’est cela qu’a entendu Yethro, le beau-père de Moshe, qui était prêtre égyptien, et c’est cela qui l’a fait se joindre au peuple juif après la sortie d’Egypte.
מה שמועה שמע ובא.קריעת ים סוף.
« Qu’est-ce que Yethro a entendu pour venir s’associer à Israël ? Le fait que la Mer Rouge se soit fendue. »
Le mot Yethro signifie « en trop ». La plupart d’entre nous sont pris par d’innombrables investissements inutiles dans notre vie. Qu’est-ce qui peut nous saisir, nous faire entendre quelque chose, et nous faire débarrasser du fatras de l’inutile, Yethro ? C’est le fait qu’il est possible de tisser une démarche et d’avancer à l’intérieur du savoir sans s’y noyer. C’est cela, lire un texte.
C’est pourquoi on parle de l’étude de la Torah et non de judaïsme. Le judaïsme, ce sont des idées, des conférences, encore rajouter du fatras au grand commerce des idées, des pensées. La Torah propose l’étude du texte, le travail difficile de l’apprentissage de la lecture du texte.
La culture comme marché économique majeur est une innovation forte de notre époque. La Fnac, Virgin… ont innové que l’on peut écrire, vendre et promouvoir des livres comme on produit et vend des petits pois et des paquets de lessive. La lecture, la culture, le savoir, la connaissance ne sont-ils que la chasse gardée des supermarchés ?]
Il ressort donc de la seconde réponse de Tossfot que les deux interdits qui nous occupent forment une catégorie à part, en dehors des interdits sexuels proprement dits. Ces deux interdits ne peuvent être mis sur le même plan, d’où la question de la Guemara : d’où apprend-on la notion de העראהpour ces deux interdits ?
VI. En quoi ces deux interdits diffèrent-ils des autres interdits sexuels de la Torah ? Tossfot dans sa première réponse nous a déjà indiqué que fondamentalement, la notion de הארעה ne s’applique pas car il n’y a pas deמקור , d’origine, de source.
Mais Tossfot va aller encore plus loin dans sa troisième réponse : la Guemara dans le traité Sanhedrin (54b) définit deux interdits spécifiques relatifs à l’interdit d’homosexualité masculine, un interdit relatif à l’homme actif et un interdit relatif à l’homme passif. Or, dans tous les interdits sexuels de la Torah, l’interdit exprimé s’adresse toujours à l’homme et à la femme en même temps, comme le dit le verset à la fin de Parashat A’haré Mot (Vayikra, XVIII, 29) : « elles seront retranchées, les âmes qui agissent », ce que Rashi explique : « ‘les âmes qui agissent’, c’est-à-dire l’homme et la femme ensemble. » (Baba Qama 32a)
Tossfot déduit de là qu’avec l’homme et avec l’animal, il n’y a pas de relation sexuelle, ce que l’on appelleביאה , Biah. Que veut dire Tossfot ?
Il nous semble que nos Maîtres établissent ici une césure subtile et fondamentale : il y a sexe mais il n’y a pas relation. Le fait que la Guemara ait besoin de deux versets différents pour interdire l’homosexualité quand dans les autres interdits un seul suffit exprime qu’il n’y a pas partage d’une relation (ni partage d’une intimité, selon la première réponse de Tossfot). Une Biah, ביאה, est une relation partagée (ou une relation qui pourrait être partagée, car les relations contraintes existent). Dans les deux interdits dont nous traitons, chacun est de son côté, ce n’est pas une relation. Une relation partagée, le partage d’une intimité, ce n’est pas ce que l’on appelle communément du sexe.
L’homme, depuis l’aube des temps peut-être, aimerait se persuader qu’il n’est qu’un animal et que ses fonctions ne sont que naturelles. Nos Maîtres mettent ici en exergue que ce que l’on appelle Biah est le partage d’une intimité entre deux êtres. L’homme est un être mental, quand bien même serait-il assailli par des pulsions de toutes sortes. L’interdit d’homosexualité et l’interdit de bestialité sont d’un autre ordre, il s’agit d’un fourvoiement, d’une erreur.
L’homme est capable de se percevoir femme, משכבי אשה. L’homme peut aussi se percevoir proche d’un animal. Mais il n’en reste pas moins homme, il reste encore humain, mental, c’est pourquoi, en dernière instance, il sera toujours condamnable dès הארעה. Telle est la conclusion de la Guemara.
(Il y a matière à développement au sujet de l’homosexualité féminine, mais cela nécessiterait toutefois une étude spécifique).
VII. Pourquoi aborder de tels sujets ? Pourquoi, parmi les milliers de sujets traités dans le Talmud, prendre plaisir à décortiquer un sujet tellement gênant ?
Il nous semble d’une importance primordiale aujourd’hui d’écouter les paroles de nos Maîtres qui, de tout temps, ont su analyser en profondeur les problèmes à vif de l’humain.
L’idéologie actuelle (est-elle vraiment actuelle ?) consiste à dire que l’homosexualité masculine est aussi une forme comme une autre de sexualité. N’est-ce pas bouleversant d’étudier un commentaire d’il y a huit siècles, Tossfot, qui nous donne des éléments précis et subtils quant à l’analyse même de l’identité humaine ?
(Il y a matière à partir de cette étude à développer sur l’homosexualité féminine, mais c’est un autre développement difficile à mettre par écrit).
VIII. La Mishna du second chapitre du traité Haguiga (11b) nous apprend qu’il est interdit d’enseigner les sujets liés aux interdits sexuels de la Torah à trois personnes ou plus. Cet enseignement doit être transmis au sein d’une grande discrétion et d’une grande intimité avec ses élèves. Comment nous permettons-nous alors de rédiger et de publier un tel texte ?
Les Hakhamim nous disent dans la Haggada de Pessah :
אלא שבכל דור ודור עומדים עלינו לכלותנו
« Mais à chaque génération on se lève contre nous pour nous exterminer (…). »
Il y a deux sortes de tentatives d’extermination (desquelles Hakadosh Baroukh Hou nous sauve), l’extermination physique et l’extermination spirituelle. S’il est simple de définir ce qu’est une extermination physique, l’extermination spirituelle est plus difficile à appréhender. Pendant plusieurs générations, le communisme a voulu dire que l’homme est complètement matière, que l’homme est complètement défini par ses moyens de subsistance, de productivité, par son insertion sociale. Aujourd’hui, une autre forme de laminage spirituel s’attaque à ce qu’est l’homme créé בצלם אלקים, à l’image de D. : l’homme est sexe, tout n’est en fait fonction que d’hormones et de gènes.
C’est le pourquoi de cette étude : il y a pour nous aujourd’hui une certaine urgence, une sorte de הוראת שעה, de connaître et d’étudier ce que la Torah nous enseigne sur ces sujets.
Bernard DRAI –
Excellente presentation et clarification. Merci beaucoup.