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Ernest Gugenheim – Les Lettres de Mir

par: Emmanuel Vaniche

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Je viens de lire ce Shabbat un ouvrage savoureux, intitulé Les Lettres de Mir. Il présente la correspondance du jeune Ernest Gugenheim, diplômé de l’Ecole Rabbinique de la rue Vauquelin, qui avait décidé de parfaire sa formation à la Yechiva de Mir, aux confins de la Pologne et de la Lituanie. Je viens de lire ce Shabbat un ouvrage savoureux, intitulé Les Lettres de Mir. Il présente la correspondance du jeune Ernest Gugenheim, diplômé de l’Ecole Rabbinique de la rue Vauquelin, qui avait décidé de parfaire sa formation à la Yechiva de Mir, aux confins de la Pologne et de la Lituanie. Il y a passé huit mois, de janvier à septembre 1938, au cours desquels de nombreuses lettres ont été échangées avec sa famille et avec son Maître, le Grand Rabbin Liber.

Agé de 22 ans, Ernest Gugenheim décrit son expérience du limoud avec une grande lucidité et beaucoup d’humour. En un laps de temps restreint, il a découvert l’exigence de l’étude talmudique pratiquée dix à onze heures par jour – on constate que l’analyse des Tossfot semblait privilégiée, peu d’autres Rishonim sont cités dans les lettres. Le Moussar apparaît sous la forme d’une étude silencieuse du Messilat Yecharim, tous les soirs pendant une demi-heure entre Min’ha et Maariv. Les anecdotes ne manquent pas sur l’atmosphère du petit shtetl de Mir (à l’époque, les ba’hourim prenaient leurs repas dans des familles). Le côté à la fois intense et dépouillé des tefilot à la Yechiva l’a frappé, par opposition au décorum des synagogues en France. La minutie dans l’accomplissement des Mitzvot traverse le livre : ses tefillin ont été déclarés impropres juste à son arrivée, il a fallu refaire les batim… Il a participé à la fabrication de 25 kg de matsot à la main pour Pessa’h… mais précise que les machines sont également admises. Et la bénédiction du compte du Omer, comme toutes les bénédictions, était récitée avec une grande concentration. Dans le même temps, les ba’hourim se rasaient (en dehors des périodes où cela est interdit).

Les contacts avec le Machguia’h, Rav Ye’hezkel Lewinstein, sont surtout relatés sous l’angle de petits services qu’il était amené à lui rendre (Ernest Gugenheim assurait ainsi le rôle d’intermédiaire pour des transferts d’argent à Mme Lewinstein en Eretz Israël – ce qui nous donne droit à des commentaires toujours à propos sur les fluctuations du franc Daladier par rapport au zloty et à la livre palestinienne…). Il est à noter que le Machguia’h avait interdit aux élèves d’aller canoter sur le lac (car cela n’était pas digne de yeshiva yungerleit), et s’opposait au principe même des vacances (mais avait peu de succès…). De manière générale, la relation aux plus grands Maîtres, que ce soit le Rav Lewinstein ou le Rav Finkel, Rosh Yeshiva, apparaît empreinte d’une grande simplicité.

Parmi les ba’hourim qui ont accueilli le jeune Ernest à la Yechiva, figure un certain Wolbe… Le rabbin Samy Klein est également brièvement cité. Diplômé de Vauquelin, ce dernier avait décidé d’étudier à Telshe, à quarante kilomètres de Mir (il fut fusillé en 1944 – la revue Kountrass a publié dans son numéro 53 certaines de ses lettres, ainsi qu’un manifeste très percutant pour la réforme de l’Ecole Rabbinique).

Sur le conseil du Grand Rabbin Liber, Ernest Gugenheim allait visiter durant l’été plusieurs villes de Pologne, et nous livre ses impressions sur des communautés qui allaient être rayées de la carte quelques années plus tard. Sa description des différences entre la Yechiva hassidique de Lublin et ce qu’il a connu à Mir est tout à fait intéressante… précisément parce qu’il s’agit d’un jeune homme qui ne fait que décrire ce qu’il voit et ressent, sans parti pris idéologique. Il a également rencontré des Rebbes en villégiature dans les villes d’eau de Galicie. Le Rebbe de Bobov (Rav Bentsion Halberstam, qui allait être tué en 1941), lui dit, en le voyant contourner la table par la gauche pour s’approcher de lui : « dans tout ce que tu fais, dirige toi vers la droite ! ». La beauté de la mer Baltique, vue à Dantzig (aujourd’hui Gdansk) est décrite en termes enthousiastes… et donne au jeune Ernest l’occasion de réciter la bénédiction : she assa et hayam hagadol !

Certaines lettres très intéressantes ne nous sont pas parvenues. Il est connu qu’Ernest Gugenheim a par exemple transmis une cheela du Rabbin Munk de la rue Cadet au Rav Haïm Ozer Grodzinsky de Vilna, par rapport à la problématique du transport d’objets le Shabbat. Rav Haïm Ozer est d’ailleurs toujours appelé Gueon Hador dans les lettres, c’est le seul titre honorifique qui apparaît lorsque des rabbanim sont mentionnés (mis à part l’apostrophe néro yaïr, « sa lumière luira », lorsqu’il s’adresse au Grand Rabbin Liber – aujourd’hui, elle est plutôt utilisé pour un tout jeune homme que pour un Maître confirmé !).

Les soubresauts de l’Europe d’avant-guerre ne sont pas absents de la correspondance d’Ernest Gugenheim, depuis les tracasseries administratives subies par les élèves allemands jusqu’aux menaces sur la she’hita en Pologne. L’Allemagne est parfois citée sous le nom d’Hitlérie… Le jeune homme demande régulièrement à sa famille de lui envoyer des journaux, il tient à être au courant de l’actualité. Il dit également lire un roman.

Ernest Gugenheim aurait souhaité poursuivre son séjour à la Yechiva, mais allait devoir rentrer en France pour son service militaire. Il devait rester sous les drapeaux jusqu’en 1945, avant de devenir l’une des grandes personnalités du judaïsme français. Le Grand Rabbin Gugenheim est décédé en 1977.
Son épouse, Madame Claude-Annie Gugenheim, a pris l’initiative de publier ce recueil aussi instructif qu’original.

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