Hanouka. Sport et Torah, ou du dépassement de soi, par Rav Yehiel Klein
Au début du Livre des Maccabées, il nous est décrit comme signe principal d’hellénisation des Juifs de l’époque qu’ « ils se construisaient des gymnases » – pour se livrer aux sports olympiques, et qu’ « ils dissimulaient leur circoncision » – probablement parce qu’il devait courir dans le plus simple appareil (Maccabées I, 15-16)
L’activité sportive est donc bien présentée comme le symbole de la culture grecque, celle contre laquelle se sont soulevés les Hasmonéens, parce qu’elle était un danger mortel pour la culture juive.
Est-ce à dire que le sport et la Torah sont incompatibles ?
On affinera la question en considérant que, de prime abord, la culture grecque met en avant le corps, tandis que la culture juive met en avant l’esprit ce qui pose le redoutable problème de l’opposition entre le corps et l’âme.
C’est précisément en étudiant cette tension telle qu’elle apparaît dans l’Ecriture que nous trouverons la réponse à notre question :
Après avoir survécu au déluge, être sorti de l’Arche avoir trouvé un monde désolé à reconstruire, Noé se saoule et s’écroule dans sa tente. Voyant cela, ses fils réagissent, et : « Sem et Japhet prirent [lit. : prit] la couverture, la déployèrent sur leurs épaules, et, marchant à reculons, couvrirent la nudité de leur père, mais ne la virent point, leur visage étant retourné » (Genèse IX, 23)
Ramenant le Midrash Tanh’ouma (Noah § 15), Rachi remarque qu’en réalité Sem se montra plus empressé que son frère dans cette préservation in extremis de la dignité de leur père [d’où l’emploi du singulier dans le verset], et c’est pour cela que ses descendants vont être récompensés par la mitzva de mettre des franges (Tsitsiïot) à leurs habits ; quant aux descendants de Japhet, ils mériteront à la fin des temps d’être enterrés lors de la guerre de Gog et Magog.
Le Maharal de Prague dans le Gour Arié (idem) explique et synthétise ce Midrash étonnant : le nom même de ces personnages indique quelle est la nature de ces deux civilisations (cf. les généalogies – Genèse ch. X), la grecque et l’hébreue.
Japhet/Yafét, c’est Yofi – le corps ;
Sem, c’ est le Nom (Chém), l’essence d’un être ou d’une chose – c’est-à-dire l’esprit qui anime ce corps.
Cela signifie que le corps et l’âme ne sont pas opposés, bien au contraire : ils sont complémentaires.
Mais, selon la Torah, l’esprit est supérieur au corps, qui lui sert de base.
Partant, l’exercice physique qui vise à entretenir le corps est forcément quelque chose de positif, si ce n’est nécessaire.
Maïmonide est à notre connaissance le seul (et ce n’est pas un hasard) à statuer sur ce sujet (Hilh’ot Dé’ot, IV, 1) :
« Puisque l’intégrité et la bonne santé du corps participent du Service Divin, car comment pourrait-on connaître quoi que ce soit de Dieu alors qu’on est malade, etc… »
Mais nous sommes encore loin du sport en tant que tel… Parce que dans les faits, ce que l’on trouvera chez nos Sages à ce propos, c’est qu’il faut en conséquence utiliser son corps pour servir D., accomplir Ses Commandements et étudier la Torah.
L’effort physique pour l’effort physique n’étant, jusqu’à preuve du contraire, pas envisagé (et lorsqu’il apparaît très contemporainement, c’est au niveau halah’ique, essentiellement par rapport aux lois du Chabbat : transgresse-t-on ce jour de repos en faisant un effort physique supplémentaire ?)
Ainsi la célèbre Michna des Pirkeï Avot (V, 20), par laquelle d’ailleurs débute le Code de Loi qu’est le Tour, « Yéhouda ben Téma dit : « sois audacieux comme le léopard, leste comme l’aigle, prompt comme le cerf et fort comme le lion pour accomplir la volonté de ton Père qui est aux Cieux’’ », nous enjoint à utiliser nos forces physiques et psychiques pour Servir le Créateur.
Et dans le Talmud (Souccah 53a), il est raconté que dans sa jeunesse, Rabbi Yéhochou’a ben H’anania passait ses journées de Fête de Soukkot à exploiter son corps, mettant à profit ses forces physiques pour aller ‘’de l’offrande du matin à la prière du matin, de la prière du matin à l’étude, de l’étude au repas, du repas au sacrifice de l’après-midi puis à la prière de l’après-midi etc…’’
Le phénomène sportif ne semble pas être présent ici, et ce probablement parce que la société de nos sages comme celle de nos ancêtres ne leur laissaient pas le temps de loisir nécessaire pour s’y consacrer.
Dans notre société en revanche, le sport occupe une place éminente, et constitue un prolongement et une survivance de la culture grecque à travers les Jeux Olympiques. Et il est partout dans les médias, dans les conversations, et les objets du quotidien (survêtements, chaussures…)
Quelle attitude doit-on avoir par rapport à cela ?
La Michna de Avot suscitée peut nous donner une réponse : de la même manière qu’il ne saurait être question de se muer en léopard ou en aigle pour être persévérant ou souple au Service de Dieu, il n’est pas forcément indiqué de se transformer en athlète acharné ou en hooligan pour entretenir notre corps et être en bonne santé.
En d’autres termes, il semble bien que la Torah ne prône pas ‘’le sport pour le sport’’ dès lors qu’il s’agit de l’ériger en finalité, tel qu’il l’est assurément dans nos sociétés. Et ce d’autant plus que cette importance exacerbée en fait le vecteur de valeurs poussées à l’extrême, de rivalités géopolitiques larvées, et autres passions tristes.
Mais le sport en tant que tel, en tant qu’activité physique et ludique, est tout à fait légitime dès lors qu’il est un moyen de parfaire sa santé physique et psychique.