Le récit de la Meguila nous expose la façon dont le plan fomenté par Aman, premier conseiller du roi de Perse, afin d’exterminer tous les juifs du royaume, a finalement été déjoué.
Par un imprévisible retournement de situation, l’ennemi implacable a vu son projet apparemment infaillible se retourner contre lui et mener les juifs au sommet de la gloire et du pouvoir. On comprend l’immense soulagement des juifs de Suze et des provinces. On admet également volontiers que le fait d’échapper à un tel péril et, au contraire, de faire l’objet de tous les honneurs ait alors pu être perçu comme une manifestation de la providence divine.
Mais comment expliquer que Mordekhaï et Esther aient souhaité instituer la célébration de cet événement pour toutes les générations à venir ? Si leur projet était de rendre manifeste le miracle de l’intervention de D. pour sauver les enfants d’Israël, pourquoi le texte rédigé par Mordekhaï ne fait-il à aucun moment allusion à la providence divine ?
Traité ‘Houlin 139b : « Les habitants de Paphunia ont demandé à Rav Matna (…) : Esther, d’où (voyons-nous qu’il lui est fait allusion) dans la Torah ? Rav Matna répond en citant le verset [1] : “Et moi, cacher (haster), je cacherai (astir)…” »
La Meguila nous apprend qu’Esther est le surnom d’Hadassa [2]. L’identité véritable du personnage central du récit est donc cachée par un nom qui signifie lui-même dissimulation ! Meguilat Esther : c’est le récit lui-même qui se définit ainsi.
Le verset cité par Rav Matna se trouve dans la Paracha Vayelekh. D. y annonce à Moshé sa réaction aux pratiques idolâtres qu’adopteront les fils d’Israël dans le futur.
« Ma colère s’enflammera contre lui ce jour-là, Je les abandonnerai, Je leur cacherai Ma face, il sera à manger, de nombreux maux et des détresses le trouveront et il dira ce jour-là : n’est-ce pas parce que mon D. n’est pas au milieu de moi que m’ont trouvés ces maux ? Et Moi, cacher, Je cacherai Ma face ce jour-là sur tout le mal qu’il a fait car il s’est tourné vers d’autres dieux. » [3]
Ramban pose une question sur ces versets. D. vient de déclarer « Je cacherai Ma face », annonçant ainsi la venue d’un temps ou Il dissimulera Sa miséricorde aux fils d’Israël du fait de leur faute. Cette dissimulation provoquera « des nombreux maux et des détresses » qui frapperont le peuple. Ce dernier regrettera alors son attitude et réalisera que c’est du fait que D. n’est pas au milieu de lui qu’il est accablé de la sorte. Pourquoi, dans ce cas, D. dit-il à nouveau dans notre verset « (…) cacher, Je cacherai (…) ? La repentance des fils d’Israël ne justifie-t-elle pas qu’ils soient maintenant aidés et sauvés ?
Ramban répond que c’est compte tenu de l’ampleur de la faute initiale que D. cachera à nouveau Sa face. Mais étant donné les regrets exprimés par les fils d’Israël, Il se dissimulera cette fois dans la délivrance. Il passera inaperçu dans le secours et les fils d’Israël ne pourront compter que sur leur confiance en Sa miséricorde, ce jusqu’à ce que le regret, la confession des fautes et la Techouva soient complets.
Cette lecture nous parait apporter plusieurs éléments de réponses aux questions soulevées plus haut. Le récit de la Meguila d’Esther exprime le parachèvement de l’entrée dans l’exil débuté soixante-six ans plus tôt avec la destruction du Temple. Si D. a puni, il ne renonce pas pour autant à secourir son peuple. Mais il dissimule désormais cette expression de Sa volonté dans la contingence et le cours des évènements.
Alors que s’achève la période prophétique, un voile se glisse entre les yeux de l’homme et le monde qui l’entoure. L’action de D. dans Sa création est désormais indiscernable. Le monde est inintelligible.
Le récit de la Meguila témoigne de ce tournant dans l’histoire d’Israël. L’Hébreu a laissé la place au Juif dont l’épreuve est désormais de se maintenir dans la confiance en la miséricorde divine, quand bien même le cours des évènements lui échapperait complètement.
Al Hanissim (pour les miracles) désigne le paragraphe spécifique à la fête que nous récitons dans la ’Amida. Nous y remercions D. pour « la délivrance, les exploits, les miracles, les prodiges » qu’Il a accompli en faveur de nos pères. Cet ajout est inséré dans la dix-huitième bénédiction de la ’Amida qui commence par les mots « Modim anakhnou ».
Modim signifie que nous rendons grâce, mais également que nous reconnaissons, dans le sens de « nous affirmons ». L’institution de Pourim à travers les générations est l’expression de ce positionnement.
Notes :
[1] Devarim 31, 18.
[2] Il existe une discussion à ce sujet dans la Guemara traité Meguila 13a, sur la base du verset 2, 7 de la Meguila : « Il élevait Hadassa, c’est Esther, fille de son oncle, car elle n’avait pas de père et de mère… ». Nous suivons donc ici l’avis qui considère qu’Esther est le surnom d’Hadassa.
[3] Devarim 31, 17-18.
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