Pour Hymne à la Joie, par Mr David Gerst
יום משתה ושמחה
On compte quatre commandements institués par les Sages lors de la fête de la Pourim :
-la lecture du rouleau d’Esther du soir et du jour de Pourim
-le repas festif
-l’envoi de mets à ses amis
-les dons aux pauvres
Ces quatre commandements trouvent leur source dans la Meguila, dit explicitement ou suite à une interprétation des Sages.
Toute fête juive est caractérisée par la présence de commandements, gestes à accomplir, et par ailleurs, par le contenu spécifique de la fête dans lequel les Mitsvots, commandements du jour, viennent s’insérer.
Si nous connaissons bien la journée de Pourim, ses commandements, son histoire, son déroulement festif et riche en couleurs, quelle est la nature véritable de cette journée ? Dans quel contenu les commandements du jour viennent s’insérer ?
Lisons un passage de la fin de la Meguila (9,17) :
« C’était le treizième jour du mois de Adar, ils prirent ensuite du repos le quatorzième jour, et en firent un jour de festin et de joie.
“Mais les Juifs qui étaient à Suse s’étaient rassemblés le treizième et le quatorzième jour et ils prirent du repos le quinzième jour et en firent un jour de festin et de joie.
“C’est pourquoi les Juifs des campagnes, qui habitent des villes ouvertes, font du quatorzième jour du mois d’Adar un jour de joie et de festin, un jour de fête, et ils s’envoient des cadeaux l’un à l’autre…
“Morde’haï mit par écrit ces événements et expédia des lettres à tous les juifs, proches ou éloignés, dans toutes les provinces du roi Assuérus, leur enjoignant de s’engager à observer, année par année, le quatorzième jour du mois d’Adar et le quinzième jour, c’est-à-dire les jours où les juifs avaient obtenu rémission de leurs ennemis, et le mois où leur tristesse s’était changée en joie et leur deuil en fête à en faire des jours de festin et de réjouissances et une occasion d’envoyer des présents l’un à l’autre et des dons aux pauvres. »
De ces versets, les Sages retiennent l’obligation de vivre pleinement la journée de Pourim comme un jour de festin et de réjouissances. Comment l’accomplir dans les faits ? Chacun est tenu d’organiser un repas festif, un repas de viande et de vin à profusion (jusqu’à atteindre l’enivrement, dans la mesure du possible…). C’est dans ce cadre de réjouissances que chacun est tenu d’envoyer à des amis (au moins un) deux mets au minimum, viande, plats ou autres aliments, ainsi que de distribuer des dons aux pauvres (argent ou nourriture)[1].
A ce sujet, le Rambam (Maïmonide, Mishné Torah Hilhot Meguila,2,17) précise : « il est nettement préférable qu’un homme multiplie les dons aux pauvres, plutôt que de se répandre de trop dans l’organisation de son repas et dans l’envoi de mets à ses amis, car il n’est de joie aussi grande, aussi somptueuse que celle de réjouir le cœur des pauvres et des orphelins, des veuves et des étrangers ; et celui qui réjouit le cœur des malheureux est comparable à la résidence divine.»
Si, dans les faits, un repas festif suffit pour se rendre quitte de son obligation, c’est toute la journée qui prend son sens en tant que jour de joie et de fête. L’organisation de ce banquet festif donne véritablement la couleur à toute cette journée de Pourim. L’envoi de mets consommables dans la journée à ses amis ainsi que la distribution d’argent aux pauvres vient répondre à cette problématique régissant toute cette journée : un festin pour tous !
En quoi cette joie dans la démesure ordonnée par commandement rabbinique se distingue-t-elle des autres obligations de joie que nous avons durant toute l’année ?
Lors des fêtes de Soukkot, Pessah et Shavouot, les trois fêtes de la Thora, l’obligation de se réjouir en ces périodes est un commandement “deOrayta”, ordonné par la loi Divine. Elle se traduit par la consommation de viande (celle des Sacrifices du temps du Beth Hamikdash) et de vin pour les hommes, de beaux habits pour les femmes, de douceurs pour les enfants. Mais elle peut également être accomplie à travers une étude intensive, selon certains, si tel est le souhait de leur cœur (à Pessah et à Soukkot notamment…).
Si cette obligation est fondamentale lors de ces trois fêtes, elle vient bien s’insérer dans le contenu et le service spécifique leur étant respectif. La joie vécue en ces moments donne la possibilité à l’homme de mieux vivre le sens de ces fêtes. Car un acte accompli dans la joie est un acte pleinement accompli …
Par ailleurs, au quotidien, chacun est tenu d’accomplir les Mitsvots, commandements divins, dans la joie, comme il est énoncé dans le verset (Deutéronome 28,47), lors des malédictions vouées à s’abattre sur le peuple Juif : « parce que tu n’auras pas servi l’Éternel, ton Dieu, avec joie et contentement de cœur, au sein de l’abondance ».
Si par un geste seul une Mitsva peut être accomplie et un individu se rendre quitte de son obligation, c’est son accomplissement dans la joie qui lie littéralement l’homme à son acte et le fait vivre de l’intérieur.
Citons le Rambam (Hilhots Soukka veLoulav,8,15) : « Car la Joie avec laquelle un homme se réjouit dans l’accomplissement des Mitvots, commandements divins, et dans l’amour de Dieu, est une grande Avoda, un grand service (littéralement un grand travail). Et tout celui qui se prive de cette joie devra en payer le prix, comme il est dit “ parce que tu n’auras pas servi l’Eternel ton Dieu avec joie et contentement de cœur…” ».
Cependant, au quotidien, et plus intensivement lors des trois fêtes, la joie qui exige d’être vécue est perçue comme un moyen : au quotidien comme possibilité d’accomplir les commandements divins avec plénitude, et pendant les fêtes comme moyen de se rapprocher pleinement du sens du jour.
Par contre, à Pourim, c’est le jour tout entier qui prend la couleur de la joie, non comme moyen d’accéder à d’autres choses, mais vraisemblablement comme finalité. Pourim est tout entier jour de fête et jour de joie[2].
Mais la joie peut-elle être en soi vécue comme une finalité ? La joie pour quoi ? Pour qui ?
Il est en effet impossible de défaire la joie de son objectif final à atteindre dans le Service Divin. Car sans objectif et sans visée noble, c’est le risque de “l’imbécile heureux” qui nous guette, le spectre d’une journée de joie dépourvue de sens, sans aucun but, et la dérive vers la débauche, qui n’aurait de Joie que son nom, ou au mieux, son ébauche…
Alors, une journée de Festin et de Réjouissance ? Se réjouir, dans quel but ?
Celui d’exister devant H’, devant Dieu, d’Être physiquement en chair et en os et de se tenir, individu au sein du peuple Juif, devant Lui ! De célébrer le passage du deuil à la fête, de la mort à la Vie…
Car, tel que l’énonce Maïmonide (Rambam H’ Soukka veLoulav), « il n’est d’autre Grandeur et d’Honneur que de se réjouir devant H’ », joie ultime que celle de l’existence, Notre existence, celle du Peuple Juif réaffirmant haut et fort sa servitude devant H’ son Dieu.
Alors, nous pouvons clamer haut et fort et chanter ces versets de la Meguilat Esther (8,16)
« לַיְהוּדִים, הָיְתָה אוֹרָה וְשִׂמְחָה, וְשָׂשֹׂן, וִיקָר”
“Pour les juifs, ce n’étaient que Lumière et Joie, allégresse et marques d’honneur” ![3]
[1] Il ressort clairement du Rambam que les commandements de Mishloah Manot et de Matanot Laevyonim sont intrinsèquement liées à la Mitsva du repas festif, l’obligation de Seouda à Pourim (voir Birkat Mordehaï du Rav Barouh Mordehaï Ezrahi sur Pourim)
[2] Voir Massehet Pessahim 68,2 : « הכל מודים בפורים דבעינן נמי לכם, מ »ט « ימי משתה ושמחה » כתיב »
[3] Comme l’interprètent les Sages (Massehet Meguila 16,2) « l’allégresse, c’est celle de l’alliance de la Mila que les Juifs purent à nouveau accomplir »! Tel le Roi David, se tenant au bain public et se trouvant attristé, car dénué de Mitsvots à accomplir, et se reprenant en se souvenant -si l’on peut dire- de sa Brit Mila, il fut pris d’une grande joie, joie dans sa condition, celle de se tenir Juif devant H’, et d’assumer pleinement son existence…
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